REIGN OF V4 : CHAPITRE 4

Jeux du ciel

—————————————-
Traduction : Raitei
———————————————–

Lorsque l’on s’enfonce dans le labyrinthe, les groupes de cinq ou six personnes sont vivement encouragés. Mais si on peut supporter le fait qu’aucun ami ne sera là pour nous sauver, les trajets en solitaire présentent des avantages. D’une part, il est plus facile de se cacher, car l’on fait moins de bruit. Alors qu’un groupe pouvait être découvert et contraint au combat, un explorateur solitaire pouvait souvent esquiver une crise. Même s’il était découvert, l’absence de poids augmentait les chances de s’échapper.

En fait, Oliver était en train d’utiliser un sort de camouflage pour se déguiser en mur, attendant le passage d’un groupe d’élèves. La première couche du labyrinthe était la plus fréquentée, ce qui pouvait souvent entraîner des problèmes. Il était encore plus important de tromper les autres mages que les bêtes ou les fantômes. Et selon le mage, cela pouvait s’avérer assez difficile. Un simple déguisement pouvait suffire pour les élèves de deuxième année, comme ce groupe de passage, mais face à un élève plus expérimenté, des techniques de furtivité plus avancées étaient nécessaires… Bien que dans ce cas, il valait mieux faire demi-tour et partir dans l’autre direction.

  • Pfiou…

Une fois qu’ils furent à bonne distance, il relâcha le sort et se remit en route. Il y avait trois règles essentielles pour traverser sans renfort : maintenir une distance de sécurité, ne pas être imprudent et minimiser le temps passé. En suivant ces trois règles à la lettre, Oliver pouvait actuellement franchir seul les deux couches supérieures. Il continua ainsi jusqu’à ce qu’il arrive à destination. Il se plaça devant un pan de mur vierge et prononça le mot de passe. Les blocs se déplacèrent, formant une porte, l’une des nombreuses entrées cachées de la première couche.

  • Désolé, je suis…

Au moment où il entra, quelqu’un l’attrapa par les épaules. Cheveux or pâle, sa « sœur », Shannon Sherwood, qui était maintenant en sixième année.

Dans une atmosphère très intense, elle l’inspectait sous toutes les coutures.

  • Ne bouge pas, Noll.
  • De quoi s’agit-il… ? balbutia-t-il.

La voix de son cousin, Gwyn, résonna à l’arrière.

  • Laisse-la faire. Elle s’inquiète de ton état. Tu n’es plus toi-même depuis l’affaire Ophelia, n’est-ce pas ?

Oliver grimaça. Il savait qu’il ne pouvait pas le leur cacher, mais c’était la première fois qu’ils en parlaient. Shannon termina son inspection fervente et le regarda en clignant des yeux.

  • …Huh ? …Tu vas…mieux…

Elle le regarda dans les yeux, et il déglutit, sentant une flèche dans son cœur.

  • On s’est occupé de toi ? Qui au juste… ?
  • … !
  • Ohhh ? dit Gwyn en se frottant les mains.

Alors qu’Oliver se tortilla pour échapper à l’emprise de Shannon, son frère insista :

  • Ne t’enfuis pas, Noll ! Pas de secrets pour nous. Qu’est-ce que tu obtiens de lui, Shannon ?
  • …Le bouleversement. Il s’en veut… lui-même… Et… beaucoup de haine de soi. Mais aussi… de l’affection. Il n’en veut pas à cette personne.

Shannon se mit à explorer les profondeurs de son cœur. Oliver serra la mâchoire. Il savait qu’il était inutile d’essayer de se cacher. Elle savait toujours ce qu’il ressentait. Gwyn croisa les bras, réfléchissant.

  • Alors quelqu’un de proche l’a pris par surprise ? …Ça doit être quelqu’un de son groupe.

C’était assez d’informations pour que n’importe qui puisse réduire le nombre de candidats potentiels. Comme son « petit frère » refusait toujours de parler, Gwyn lui adressa un doux sourire.

  • Ne t’énerve pas. Je suis surpris que tu aies laissé quelqu’un s’approcher d’aussi près ; c’est en fait une bonne chose, insista-t-il. —— Tu sais que tu ne nous aurais jamais laissé gérer le problème.
  • …Hrmph…

Shannon se retourna et se dirigea à l’arrière. Gwyn la regarda partir, puis la suivit du doigt.

  • Tu vois ? Elle fait la tête maintenant. Laisse-la s’occuper de toi un peu !

Oliver bougea. Il la trouva debout devant l’évier, lui tournant le dos…et ne savait pas quoi dire. Tout ce qu’il réussit à faire, c’est un faible murmure.

  • Um, frangine…
  • Assieds-toi. Je vais faire du thé.

Il fit ce qu’on lui demandait. Se sentant mal, il s’installa à table et Gwyn prit place en face de lui.

  • Juste pour être sûr, dit son « frère » —— tu t’es protégé ?
  • …Je n’ai rien fait qui puisse l’exiger.
  • Hmm. Alors on t’a juste palpé ?

Oliver fit la grimace devant l’euphémisme, mais ce genre de propos était habituel chez Kimberly. Il savait très bien que c’était lui qui était le plus délicat ici, alors il ne disait rien de ses griefs et restait assis dans un silence maussade jusqu’à ce qu’il y ait un bruit sourd derrière. Il sursauta et se tourna.

  • … ?!
  • Oh, il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Si tu es curieux, va l’ouvrir.

Il y avait une boîte en bois dans un coin. Gwyn lui fit signe de s’en approcher. Oliver s’approcha avec précaution, soulevant le couvercle.

  • Zzzz…zzz…

Il y avait une fille dans la boîte, recroquevillée comme un chat. Son agent secret, Teresa Carste.

  • Elle dit qu’elle se sent… plus en sécurité là-bas.
  • Laissez-la tranquille, d’accord ? demanda Shannon, les yeux rivés sur la préparation du thé.

Oliver avait beaucoup de questions à poser, mais il ne voulait pas perturber le sommeil de la jeune fille. Il referma soigneusement le couvercle et retourna à la table.

  • Elle se réveillera bientôt. Faisons frire ça.

Gwyn se leva d’un bond et se dirigea vers le poêle dans le coin. Il alluma le feu avec sa baguette et posa une poêle dessus. Lorsqu’elle fut suffisamment chaude, il refroidit le fond avec un sort et, une fois qu’il fut sûr que la température était parfaitement homogène, il y versa le contenu d’un bol qui avait été laissé sur une étagère à proximité. Un doux parfum emplit la pièce.  Oliver renifla.

  • Des crêpes… ?
  • Tu en veux un, Noll ?

Mais avant qu’Oliver ne puisse répondre, le couvercle de la boîte s’ouvrit, poussé vers le haut par la tête d’une fille. Elle s’étirait, comme un chat.

  • Bien le bonjour, my lord.
  • Bonjour, Miss Carste.

Après avoir échangé des salutations, Teresa vint s’asseoir à la table avec lui. Après plusieurs secondes de silence, il décida qu’il devait demander.

  • …Pourquoi une boîte ?
  • Je trouve les endroits sombres et exigus relaxants.
  • …Cela ne t’affecte pas physiquement ?
  • Je suis en pleine forme.

Ses réponses stoïques confirmèrent que c’est ce qu’elle faisait toujours. Tandis qu’Oliver se demandait s’il devait dire quelque chose d’autre, Gwyn arriva avec une assiette fumante.

  • C’est fait ! Utilisez tout le sirop que vous voulez.

Il referma la bouteille de sirop et posa la crêpe fraîche devant Teresa. La couleur même de ses yeux changea. Shannon apporta le thé et chuchota à l’oreille d’Oliver.

  • Ne t’inquiète pas, Noll…
  • Mmm… ?

Pendant qu’il clignait des yeux, Teresa versa beaucoup de sirop dans son assiette, puis tendit la main et attrapa la crêpe à deux mains (sans se soucier du fait qu’elle était collante) et la croqua à pleines dents.

  • Euh…

Il ne s’attendait pas à ce qu’elle mange ainsi. Elle était extrêmement vorace. Sentant sa surprise, Teresa leva les yeux vers lui, léchant le sirop sur ses doigts.

  • …Quelque chose ne va pas, my lord ?
  • …Pourquoi avec les mains ?
  • C’est plus rapide !
  • Mais… on se salit…
  • Je peux simplement les laver, répondit-elle, perplexe.

Incapable de trouver d’autres arguments, il leva les yeux vers Gwyn, qui haussa les épaules.

  • Effet secondaire de son éducation clandestine. Nous l’avons déjà mentionné, mais… elle ne veut pas changer.
  • …Comment manges-tu pendant les heures de cours ?
  • Ce n’est pas un problème. Je mange seule.

Elle replongea dans sa crêpe. Au moins, elle semblait être consciente que cela n’était pas fait pour être vu en public. Si elle mangeait ainsi ici, c’était parce que les trois personnes présentes étaient suffisamment proches pour que cela soit considéré comme privé. Pourtant, il se mit à réfléchir. Elle ne mangeait avec personne d’autre ? C’est-à-dire qu’elle ne mangeait pas du tout en public ?

Ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait laisser passer. Après un long moment de contemplation, il se tourna à nouveau vers son frère.

  • …Je peux en demander deux de plus ?
  • J’arrive tout de suite !

Dans l’impulsion, Gwyn retourna à la cuisine. Oliver se retourna vers elle.

  • Miss Carste, arrête-toi deux secondes.

Teresa marqua une pause, remettant son pancake à moitié mangé dans l’assiette.

  • …C’est un ordre ?
  • Oui. Et va te laver les mains.

Estimant que les demi-mesures ne le mèneraient nulle part, il choisit délibérément un ton dur. Elle se leva machinalement et se dirigea vers l’évier. Une fois ses mains propres, elle revint et les deux restèrent assis en silence quelques minutes jusqu’à ce que Gwyn apporte deux assiettes. L’une était pour Oliver, l’autre fut placée devant Teresa.

  • Maintenant, je vais t’apprendre les bonnes manières, dit Oliver. —— Tu mangeras la nouvelle crêpe selon mes instructions. À table.
  • Dans quel but ?
  • Pour inculquer un comportement approprié à mon agent secret. Ne pose pas d’autres questions tant que nous n’avons pas fini.

Sur ce, il mit le couteau dans sa main droite et la fourchette dans la gauche. Un sourire se dessina sur ses lèvres. Il se souvient avoir enseigné la même chose à Nanao il y a un an.

  • Il y a une différence marquée entre l’acquisition nutritionnelle individuelle et le fait de manger autour d’une table avec d’autres personnes. Dans le premier cas, il suffit de se remplir la panse, alors que dans le second, le repas est un moyen d’entrer en relation avec ceux qui nous entourent. Pour prolonger l’acte social, il faut éviter de manger trop vite et l’ordre fait bonne impression sur les autres.

Oliver coupait sa crêpe en petits morceaux. Nanao n’était simplement pas familiarisé avec les manières de table étrangères ; Teresa, quant à elle, les connaissait, mais les rejetait. C’était une décision rationnelle et efficace compte tenu de son rôle et mode de vie, mais c’était un peu trop extrême pour son poste actuel.

  • Il n’est pas nécessaire de lier chacune de tes actions à ta mission, déclara-t-il. —— Je pense qu’il est dommage de ne pas profiter des opportunités sociales qu’offre la vie. D’autant plus que tu es maintenant une étudiante.
  • Mon approche actuelle n’a encore causé aucun problème. Vous êtes sûr ?

Teresa fronça les sourcils, ce qui prouve qu’Oliver avait raison de s’inquiéter. Il soupira. Elle ne se faisait décidément pas d’amis.

  • Je sais que tu n’as reçu aucune formation pour cela, mais à Kimberly, c’est un problème si tu ne peux pas te fondre dans la masse. Ce que je t’enseigne aidera à éviter une attention indésirable et à faire en sorte que ta vie ici semble normale. Je parle à la fois en tant qu’étudiant et maître.

Il laissa passer un moment.

  • Et pour commencer, tu dineras avec moi. Nous ne voulons pas que ces crêpes refroidissent, n’est-ce pas ?
  • …Compris.

Elle acquiesça sans émotion et ramassa ses couverts. Il lui avait expliqué les raisons de ses ordres en espérant la convaincre de la logique, mais son visage impassible ne lui avait pas permis de comprendre à quel point il y était parvenu. Il coupa un morceau de crêpe et Teresa l’imita. Tout en gardant un œil sur la crêpe, il faisait la conversation.

  • Les crêpes de mon frère, c’est quelque chose, n’est-ce pas ? Tu as un penchant pour les sucreries ?
  • Le sucre se transforme rapidement en énergie.
  • C’est vrai, mais nous ne nous promenons pas dans les rues en suçant du sucre d’orge, n’est-ce pas ? Que penses-tu de la coloration ?

Il pointa la surface frite du gâteau. Teresa la fixe un moment, réfléchissant.

  • …On dirait une peau de renard.
  • C’est vrai, et c’est tout aussi cohérent. Si la température de surface de la poêle n’est pas parfaitement homogène, on obtient un aspect beaucoup plus tacheté. Il a pris du temps et fait des efforts supplémentaires pour rendre notre expérience culinaire agréable.

Oliver jeta un rapide coup d’œil à son frère et reçut un sourire en retour.

  • La pâte fait également l’objet d’un soin particulier. On n’obtient jamais une telle consistance en mélangeant du lait et des œufs à de la farine achetée dans le commerce. Je vois bien qu’il a incorporé une meringue, mais je n’ai jamais réussi à la faire fondre dans la bouche comme ça. Il doit y avoir un autre secret, déduit-il. —— Et cette crêpe est préparée de telle sorte qu’elle est plus savoureuse lorsqu’elle est coupée en petits morceaux. Compare cette manière de consommer à celle avec les mains. Tu peux faire la différence, n’est-ce pas ?

Elle prit une autre bouchée, réfléchissant à la question.

  • Mmm…

On aurait dit qu’elle savait faire la différence, et elle se mit à manger plus vite. Oliver en conclut qu’on ne lui avait jamais appris à apprécier sa nourriture.

  • Et prendre une gorgée de thé entre les bouchées rafraîchit les papilles. Lorsque tu reviens aux crêpes, la saveur sera aussi frappante que la première fois. L’association des boissons a donc aussi un sens. Le thé n’est pas seulement un liquide destiné à te débarrasser d’une gorge encombrée.
  • Teresa suivit ce conseil et enchaina une gorgée de thé avec une autre bouchée.
  •  … !

Elle écarquilla les yeux. Les crêpes avaient une saveur très simple, qui pouvait facilement devenir fade à mi-parcours. Un thé bien corsé était un nettoyeur de palais efficace. Tout le monde le savait par expérience, mais sa formation d’agent lui avait permis de limiter ses repas au strict minimum.

Et cette éducation avait été faite pour qu’elle puisse le servir. Ce fait n’avait jamais plu à Oliver, mais c’est alors que ses yeux se tournèrent vers lui, brillants de l’excitation d’une nouvelle découverte.

Pour une fois, elle avait l’air de faire son âge, peut-être même beaucoup plus jeune.

  • … Je pourrais manger ça pour toujours.
  • Précisément, répondit Oliver en étouffant ses émotions.

Ce n’était pas le moment de se faire des reproches.

  • Ma sœur a fait infuser le thé très fort pour qu’il corresponde à la douceur du sirop, ce que tu ne remarquerais peut-être pas en avalant très vite. Les bonnes manières veulent que nous prenions le temps d’apprécier le soin particulier du cuisinier.

Teresa était encore un peu maladroite avec le couteau et la fourchette, mais elle était complètement absorbée par son repas.

  • J’ai appris trois choses sur toi aujourd’hui, dit Oliver en souriant. —— Tu préfères une approche pratique, tu as un faible pour les sucreries et tu te montres sous ton vrai jour en mangeant. Un repas plutôt productif, je dois dire.
  • … !

Teresa s’arrêta au milieu de la tranche. Pour la première fois, elle réalisa que son sujet d’observation l’observait à son tour.

  • Il y a une miette sur ta joue. Tourne-toi vers moi.
  • …Je vais la chercher, dit-elle en levant le bras vers son visage. Il l’arrêta.
  • S’essuyer avec sa manche serait un faux pas. Dois-je en faire un ordre ?

Elle se figea et il prit son mouchoir, lui essuyant doucement la bouche et les joues, en prenant soin de ne pas la blesser. Elle avait les yeux fermés et devenait plutôt rouge.

  • Tout va mieux maintenant. Au fait, as-tu un miroir ?
  • …Non. Pas très utile en service.
  • Alors, prend celui-ci.

Il fouilla dans sa poche et en sortit un miroir à main. Celui qu’il utilisait toujours.

  • Les miroirs nous permettent de vérifier notre apparence et d’évaluer la façon dont les autres nous perçoivent. Garde-ça bien en tête.

Il le tendit. Par réflexe, elle l’accepta des deux mains, puis examina son visage dans son reflet.

  • …Merci beaucoup, dit-elle avec la plus grande formalité. Elle rangea le miroir dans sa poche et retourna à ses crêpes. Mangeant encore plus vite qu’avant. Elle finit rapidement le reste. Quand elle eut fini, elle se retourna vers Oliver, mais pendant un long moment, elle ne put croiser son regard. Enfin, elle demanda :
  • Le repas est-il terminé ?
  • Oui, c’est suffisant pour l’instant. Reviens me voir un jour.

Il lui sourit, elle acquiesça et se leva. En se glissant derrière lui, elle chuchota :

  • …Il suffit de dire un mot, et je suis là.

Lorsqu’il se retourna vers elle, elle avait déjà disparu. Il scruta son environnement, mais ne trouva aucune trace de sa présence.

  • …Où est-elle allée ?
  • Dans le plafond. Je crois qu’elle a atteint le summum de l’embarras.

Gwyn pointa du doigt, et Oliver leva les yeux.

  • C’est une agente de l’ombre née. Excellente pour observer les gens, mais pas du tout habituée à être observée. Ta conversation ici était un terrain inconnu pour elle.

Cela expliquait bien des choses. Elle avait déjà changé brusquement de comportement, et avec le recul, c’était toujours lorsqu’elle devenait elle-même l’objet de la conversation. Le seul fait de comprendre ce principe lui permit d’approfondir sa compréhension de la jeune femme. Alors qu’il terminait le thé de Shannon, de plus en plus de camarades les rejoignirent, prenant place à la table. Une fois les huit chaises occupées, Gwyn prit la parole.

  • Tout le monde est là, Noll.

Oliver fouilla dans la poche de sa robe, en sortit son masque et l’enfila. Il sentit son humeur changer avec ce geste. À cet instant, il devint le seigneur de l’insurrection qui sévissait dans le labyrinthe.

  • Avec la nouvelle année, notre préparation s’améliore. Il est temps d’agir à nouveau, déclara Gwyn. Écoutons ce que vous avez à nous dire, Noll. —— Que devons- nous faire ? demanda-t-il en tant que vassal

Il ne s’agissait pas d’une simple discussion, ce qu’Oliver décrétait était une loi. Conscient de cela, il donné voix à la décision qu’il avait prise.

  • Avant la fin de l’année, nous éliminerons Enrico Forghieri.

La brève déclaration d’Oliver résonna lourdement dans le cœur de toutes les personnes présentes. Après plusieurs longues secondes, Gwyn hocha la tête fortement.

  • Je suis d’accord. Notre deuxième cible est donc le vieil homme fou.
  • …Puis-je vous demander la raison, my lord ? demanda un garçon en sixième année.

Sa voix était hésitante malgré l’avantage de l’âge.

  • Je ne discute pas, bien sûr. C’est juste que… parmi les six restants, il est incroyablement dangereux. Je ne pense pas que nous puissions gagner sans perdre, ce qui n’est pas un problème, mais… je ne veux pas laisser le pourquoi en suspens. Je veux le faire par conviction, si ça a du sens.

Une demande directe de la part d’un homme dont la vie était entre les mains de son seigneur. Oliver n’était pas du genre à prendre cela à la légère.

  • Un simple processus d’élimination. À l’heure actuelle, contre qui avons-nous une chance ? Sur la base de notre préparation au combat, et de nos spécialités, nous sommes en bonne position pour affronter un architecte comme Enrico Forghieri. Nous le savons tous, sans que j’aie besoin de donner des détails.

Leur silence signifiait qu’ils étaient d’accord. Les vassaux ici présents étaient des membres clés et savaient parfaitement quelle magie leurs camarades maîtrisaient. Il était clair que ces compétences pouvaient être combinées pour former une équipe de choc anti-Enrico.

  • Ensuite, sa position au sein de Kimberly. Esmeralda est peut-être au sommet, mais la « boîte » de l’école elle-même appartient à Enrico Forghieri. Aucun professeur ne connaît mieux le labyrinthe ou les bâtiments de l’école que ce vieux fou, poursuit Oliver. —— Ce qui signifie aussi qu’avec sa disparition, nous pouvons nous attendre à des négligences importantes dans la gestion du campus lui-même. Il nous sera plus facile de nous déplacer dans l’ombre.

Un long chemin a été parcouru avant que cette revanche ne soit complète, et tout ce que l’on pouvait dire est qu’il n’y avait pas eu de changement. La directive devait prendre en compte l’avenir. Cela influença la décision d’Oliver.

  • On veut donc l’éliminer très tôt. Ça, je comprends, dit une fille de septième année de l’autre côté de la table. ——, Mais si on parle des chances actuelles, je ne sais pas si c’est la cible la plus facile. Honnêtement, je pense que nous avons de bien meilleures chances contre plusieurs autres.

Elle se pencha en avant, le regardant droit dans les yeux.

  • My lord, comprenez-vous ce que cela signifie de le combattre à l’intérieur même de Kimberly, son fief ?

Oliver ne broncha pas.

  • Je comprends ton inquiétude. Tu veux être sûre que j’évalue correctement le niveau de menace de notre adversaire. Mais le meilleur moyen d’apaiser ces inquiétudes est d’adopter une stratégie concrète, répondit Oliver. —— Comment abattre ce vieil homme fou sur son terrain, demandes-tu ? Permets-moi de te l’expliquer.

À partir de ce moment-là, tout se passa comme prévu : une méthode pour lever chaque obstacle et tuer le sorcier nommé Enrico Forghieri, et plus important encore, le rôle d’Oliver dans cette lutte. Oliver n’était pas seul. En avançant chaque année, on se rapprochait du fait d’être consommé par le sort.

——————————————————————-

  • …Urgh…
  • Oui, oui, c’est ça.

Katie bougeait ses mains avec précaution, la sorcière aux yeux de serpent derrière elle, donnant des instructions. Sur la table de travail devant elles, se trouvait le cadavre d’un kobold. Miligan l’avait apporté pour qu’ils le dissèquent. Katie avait insisté pour qu’ils n’utilisent pas un cadavre apporté pour le divertissement dans le labyrinthe, mais plutôt un kobold exterminé pour avoir causé des dommages dans le monde extérieur, avec tous les documents nécessaires.

  • …Désolée, murmura-t-elle au cadavre.

Son athamé lui ouvrit les côtes, révélant les organes qui se trouvaient en dessous, poumons et intestins. Elle avait l’impression que le péché s’infiltrait en elle par le bout des doigts. Mais ses mains ne s’arrêtèrent pas. Personne ne la forçait à faire cela, elle avait pris la décision elle-même.

  • Tu es encore un peu raide, mais tu t’y habitues. Avec tout ça, tu commences à avoir une idée de la façon dont la faune magique est construite, non ?
  • Je pense que oui. Mais il y a encore beaucoup de choses de choquantes.

Katie essuya la sueur de son front avec sa manche. Elle avait ouvert bien plus qu’une poignée de créatures à ce stade. Miligan l’avait fait commencer par des souriboules, avant de passer à toute une série d’espèces. Forte de cette expérience, elle tentait aujourd’hui sa première dissection d’un « être humain ».

  • Tout le monde est comme ça au début. Les organes et les nerfs sont souvent situés à des endroits originaux. On pourrait aussi dire que les constructions non naturelles sont la marque de fabrique de la faune magique. Il y a toujours une logique spécifique, ce n’est jamais de la folie.
  • …Bien…
  • Où que notre chemin nous mène, si l’on souhaite étudier la faune sauvage, nous devons la disséquer. Il y a une grande différence entre lire des livres sur le sujet et le faire soi-même. Pour l’instant, tu as besoin de quantité. Surtout si tu as l’intention de devenir vétérinaire pour la faune magique.

Katie acquiesça plusieurs fois. Elle savait ce qui l’attendait depuis qu’elle s’était inscrite ici. Miligan l’avait simplement aidée à faire les choses plus vite. Les gens ordinaires pensaient que les mages pouvaient guérir une maladie ou une blessure grave d’un coup de baguette. Ils n’avaient pas tout à fait tort, mais pas tout à fait raison non plus. La magie de guérison elle-même était un vaste domaine qui comprenait une gamme vertigineuse de disciplines. Et compte tenu de leurs différences physiologiques, soigner un humain était très différent de soigner d’autres créatures. Même parmi les humains, soigner un mage et un être ordinaire pouvait nécessiter des traitements complètement différents. Katie n’avait appris que le niveau le plus élémentaire de la guérison humaine, c’est-à-dire les bases enseignées en cours de sorcellerie. Si son troll, Marco, était gravement blessé, elle ne pouvait pas faire grand-chose.

  • Mais tu choisi un chemin très épineux, tu sais. Tu n’as pas besoin de compétences vétérinaires pour faire campagne en faveur des droits civiques. Les opposants à la dissection s’en prendront à toi. Ce qui ne veut pas dire que tu dois t’en préoccuper, d’ailleurs.
  • …Je le sais bien.

Katie se renfrogna, mais continua la découpe. Elle attrapa le plateau à côté d’elle, et le familier qui s’y trouvait, la Milimain, qui lui tendait les pinces. Si Miligan était le cerveau, là, c’était littéralement son bras droit (enfin main gauche plus précisément). Une fois la peau et les muscles ouverts, Katie reprit la parole. 

  • Peu importe, bête ou demi, je veux faire tout ce que je peux pour eux. Et traiter une blessure ou une maladie est la meilleure chose pour moi.

À Kimberly, personne ne nous écoute si on parle d’idéaux. C’est ce qu’on lui a fait comprendre dès sa première année. C’est pourquoi elle faisait de son mieux pour acquérir des compétences pratiques. Et une connaissance approfondie de la magie de guérison pour la faune magique et les demi-espèces était l’une des choses les plus importantes. Un apprentissage qui nécessite une réelle compréhension de la construction physique du patient. La lecture de documents et d’articles ne suffirait jamais. Ce qu’il fallait vraiment, c’était voir et toucher les créatures elles-mêmes, les observer et apprendre. C’est ce qu’elle est en train de faire.

  • Je suis d’accord, mais une bonne partie du mouvement considère qu’il s’agit d’une invasion culturelle. Les demis ont leur de vie et devraient périr à leur heure. Ils soutiennent que nous ne devrions pas interférer avec ce processus à la légère. Et il y a des éléments qui valent la peine d’être écoutés, car si le taux de survie des kobolds augmentait, ils seraient un fléau pour les gens ordinaires. Qu’en penses-tu ?
  • J’y pense depuis mon voyage à Galatea… Si nos habitats se chevauchent à ce point, je ne pense pas que les arguments en faveur du maintien des anciens modes de vie des demis soient très convaincants. Peu importe comment nous en sommes arrivés là, nous devons maintenant trouver des moyens de survivre ensemble.
  • Encore une fois, je suis d’accord. J’essayais d’apprendre aux trolls à parler parce que j’étais sûr que ce serait le premier pas vers une communication interespèces.
  • …Et quels que soient mes griefs à l’égard de tes méthodes, je comprends cette partie. Je me demande souvent ce que ce serait si je pouvais simplement leur parler.

Elle regarda les yeux sans vie du kobold. Même au sein de la communauté militante, il y avait une ligne claire entre les demis avec lesquels on pouvait ou non converser. Il était beaucoup plus facile de justifier la protection d’une espèce capable de communiquer avec les humains, surtout si elle possédait de réelles compétences linguistiques. Par conséquent, les demi-humains qui ne répondaient pas à ces critères étaient méprisés et traités d’autant plus mal. Comme ces kobolds. Naturellement, Katie n’était pas d’accord. Elle ne pensait pas que le fait de pouvoir parler aux humains était le seul facteur permettant de déterminer l’intelligence d’un être vivant. Mais dans une société purement centrée sur l’homme, sa voix ne portait pas loin.

Il n’y a pas de bonne réponse facile. Je dois tâtonner entre le marteau et l’enclume. C’est pourquoi je ferai ces dissections. C’est juste que je n’y prendrai jamais plaisir.

Silencieusement, mais avec détermination, Katie continua à travailler, jusqu’à ce que les bras de Miligan s’enroulent autour de ses épaules par-derrière.

  • Honnêtement, tu es si mignonne.
  • …Um, tu ne peux même pas voir mon visage.
  • Le sommet de ta tête suffit amplement. Ne fais pas attention à moi.

Katie trouvait cela ridicule, mais elle ne ralentissait pas. Même si elle devait un jour passer sous le bistouri, elle ne pouvait s’en prendre qu’à elle-même.

  • Une fois que tu auras terminé, nous ferons une petite pause, puis nous irons voir le labyrinthe. C’est beaucoup pour une journée, mais si nous ne forçons pas, nous ne serons jamais satisfaites. N’est-ce pas ?
  • Bien sûr que non, s’emporta Katie.

La concentration et l’énergie semblaient s’accumuler aussi vite qu’elle pouvait les utiliser.

————————————————————–

  • …Hahh, hahh…
  • On y est presque. Ne faiblis pas, Guy !

La forêt luxuriante, la deuxième couche du labyrinthe. C’est ici qu’Oliver, Nanao et Chela eurent leur premier combat périlleux avec une chimère en allant sauver Pete. Deux élèves grimpaient sur un irminsul, l’emblème de cette couche.

  • …Hahh…hahh…
  • Bravo ! Reprends ton souffle ici.

Leur longue ascension marqua la fin de cette étape. Le chef de l’expédition, qu’on nommait « le survivant », en septième année, Kevin Walker, donna finalement à Guy la permission de s’écrouler.

  • …Ils ont escaladé cette chose tout en combattant les chimères, puis ont continué à se battre de l’autre côté ? Ces trois-là sont-ils seulement humains ?
  • Ce n’est certainement pas quelque chose que l’élève moyen peut faire. Voilà la ration.

Walker lui lança un fruit. Guy l’attrapa et pela l’écorce avec son athamé, déchirant la chair écarlate qui se trouvait en dessous. Peu sucrée, mais avec le riche goût umami de gras, la nourriture dont son corps fatigué avait besoin.

  • Mmm, c’est bon… Merci de m’aider comme ça.
  • Je ne fais qu’entraîner un nouveau membre du club, répondit Walker en mordant sa ration.
  • Il n’y en a pas beaucoup qui sont aussi enthousiastes que toi, alors je suis heureux de transmettre ce que je peux.

Reconnaissant pour ces mots, Guy regarda ses mains.

  • Ça aide vraiment, marmonna-t-il. —— J’en ai assez d’être laissé pour compte.

 Un serment qui fit croiser les bras de Walker.

  • Je ne veux pas me vanter, mais tu es au bon endroit. Ici, à Kimberly, la grande majorité des problèmes se posent dans ce labyrinthe. La seule façon de les régler est de plonger dans ses profondeurs. Ce qui veut dire…
  • Plus j’en sais sur l’endroit, plus j’aurai d’options, n’est-ce pas ?
  • Exactement ! Et il n’y a pas de meilleure personne que moi pour enseigner cela. Il y a bien meilleur combattant que moi, mais j’ai confiance en ma capacité à rester en vie. Je n’ai pas redoublé pour rien.

Son sourire était indomptable. Le genre de sourire qui nous faisait sentir en sécurité, comme si nous étions sûrs de revenir en un seul morceau avec lui à nos côtés. Guy était venu demander de l’aide au Survivant parce qu’il voulait lui-même sourire comme lui.

  • Et même si les risques sont nombreux, c’est ce qui rend le labyrinthe si fascinant. Surtout d’un point de vue gastronomique.

Walker capta son regard, puis poursuivit :

  • Ne prends donc pas ça trop au sérieux. En me rejoignant ici, tu auras droit à de la bonne bouffe. Et avant que tu ne t’en rendes compte, tu seras propriétaire de l’endroit. Je te le garantis !
  • …Très bien ! J’ai hâte d’y être.

Guy finit son fruit et se leva d’un bond. Walker acquiesça, puis, une lueur de tristesse traversa son visage. Il détourna le regard vers la forêt luxuriante.

  • J’aurais aimé la convaincre aussi, dit-il. —— Cet endroit n’est pas entièrement sombre et hostile.

Mais la fille dont il parlait n’était plus. Et ces regrets, ce chagrin, l’accompagneront jusqu’à la fin de sa vie.

  • Oh, c’est Guy ! Il est avec Walker !
  • Unnnh. Guy, bien ?

Katie observait l’irminsul à l’aide d’un télescope monté sur l’épaule de Marco. Miligan et elle avaient emmené le troll parlant avec eux durant leur balade dans la deuxième couche.

  • L’enseignement direct du Survivant ? dit Miligan, impressionnée. —— Il n’a pas froid aux yeux, hein ? Il est tout aussi proactif que toi.
  • Et comment ! Nous avons décidé que la prochaine fois qu’il se passera quelque chose, nous ne laisserons pas Oliver nous abandonner.

Ayant soif, Katie but une gorgée de sa gourde.

  • Vous êtes un groupe très uni, dit la sorcière aux yeux de serpent en souriant. —— Ce qui m’amène à une question importante.
  • ?
  • Qui vas-tu baiser en premier ?

Katie toussa si fort qu’elle manqua de tomber de l’épaule de Marco.

  • Toux, toux… ! D’où ça vient ?!
  • Qu’est-ce qui te rend si nerveuse ? Tu seras bientôt en troisième année, et tout le monde ici sait que c’est à ce moment-là qu’on en finit avec la première fois. La plupart choisissent un proche. Le trait particulier de Pete le rend assez délicat à appréhender ce qui fait d’Oliver et de Guy tes principaux candidats.

Miligan ne faisait que dire la vérité telle qu’elle la connaissait.

  • Oliver et Chela nous ont dit de ne pas nous précipiter ! balbutia Katie.

Elle était toute rouge et n’arrivait pas à croiser le regard de son aînée.

  • Ils nous ont dit de ne pas nous laisser entraîner par l’humeur et d’être sûrs qu’il s’agisse vraiment de quelqu’un d’important !
  • …Ce sont tes parents ?
  • Ils se soucient de leurs amis ! Et nous avons fini d’en parler !

La jeune fille fit avancer Marco à travers les arbres. Miligan suivit, répétant ce qu’elle venait d’entendre comme s’il s’agissait d’un concept entièrement nouveau.

  • « Quelqu’un qui compte vraiment, hein… ? » Il n’y avait personne pour me dire ça quand vint l’heure pour moi.

Miligan haussa les épaules, un sourire tendu sur le visage.

  • Je t’envie, dit-elle.

Cette fille avait des amis qui se souciaient vraiment d’elle.

——————————————————–

10h du matin par une journée ensoleillée, les étudiants de deuxième année furent rassemblés nerveusement dans une salle du premier étage, attendant le début du cours d’ingénierie magique.

  • …Cette classe seule, je ne m’y habituerai jamais, grommela Guy.
  • Beaucoup d’élèves ont cessé de venir, dit Chela en jetant un coup d’œil autour d’elle. —— Au moins 10% de baisse depuis notre premier cours.

Debout un rang devant elle, Oliver ne les blâmait pas. Le démontage du piège magique n’avait été que le début. Dans cette classe, ne pas terminer un travail signifiait une blessure. Ne pas venir était alors une façon de se protéger.

  • …Ça va, Pete ?

À côté de lui, le garçon à lunettes tenait fermement le tissu de son pantalon. Il était clair qu’il luttait contre sa propre peur. Il était comme ça à chaque fois, mais n’avait jamais manqué un cours.

  • Je vais bien, insista Pete, qui se rassura. —— Peu importe ce qu’il nous lance, nous faisons de notre mieux.

Oliver acquiesça et, ce faisant, le sol sous leurs pieds disparut.

  • Qu’est-ce que… ?
  • Augh !
  • Whoaaa ?!

Une quarantaine d’élèves plongèrent dans l’obscurité, mais atteignirent rapidement une surface en pente, qu’ils dévalèrent. Quelques-uns s’agitèrent à la recherche d’indices ou essayèrent de donner des coups dans la pente avec leur athamé pour s’agripper, mais en vain. C’était comme si c’était du gel durci. La descente ne dura pas longtemps. En moins d’une minute, ils furent projetés dans un espace ouvert. Oliver se rattrapa et roula sur ses pieds, l’athamé à portée de main, évaluant la situation. C’était une pièce rectangulaire, au moins dix fois plus grande qu’une salle de classe. Trois choses espacées sur le sol, et au centre de ce triangle, un vieil homme avec une sucette dans la main gauche et deux dans l’autre.

  • Kya-ha-ha-ha-ha-ha-ha ! Bienvenue dans l’arène d’aujourd’hui, les enfants !

Son rire bruyant était plus que capable de remplir cet espace, et les élèves frissonnèrent. Il semblait exceptionnellement sinistre ce matin, et tous savaient ce que cela signifiait. Il y avait un indicateur clair de la dangerosité du travail d’ingénierie magique d’aujourd’hui : le nombre de sucettes. Une seule signifiait que c’était relativement faisable. Deux, la prudence était de mise. Trois ou plus, je n’osais imaginer.

  • Notre salle de classe habituelle était un peu exiguë pour le projet d’aujourd’hui ! Je n’ai donc pas perdu de temps pour vous entraîner dans le labyrinthe. Comme vous l’avez sans doute remarqué, le cours d’aujourd’hui est commun à tous les élèves de deuxième année inscrits en ingénierie magique !

Il y avait trois trous dans les murs de la salle, et les élèves de deux autres classes de taille similaire étaient en train de dégringoler à l’intérieur. Manifestement, tous avaient connu le même sort et semblaient tout aussi confus et alarmés.

  • Vous allez démonter et observer trois golems. Naturellement, c’est en direct. Tout le monde les voit, n’est-ce pas ?

Enrico jeta un coup d’œil aux trois objets qui l’entouraient. Chacun d’entre eux mesurait environ cinq mètres de large et avait un aspect assez différent, bien que tout aussi intimidant. L’un était une sphère blanche, l’autre un losange avec six pattes semblables à celles d’un insecte, et le dernier, une masse de gel noir avec des ondulations en cascade à la surface. Pete les regarda tous et déglutit.

  • C’est…
  • Allez-y ! Approchez ! Agissez ! L’ingénierie magique a donné naissance à d’innombrables succès, mais les golems sortent du lot ! Chacun de ces trois golems est une œuvre d’art, construite par votre serviteur ! Ils valent la peine d’être observés par n’importe quel mage.

Apprendre ce que sont ces choses ne rassure pas vraiment. Ignorant leurs inquiétudes, l’instructeur fou continuait à jacasser.

  • Les non-mages les confondent souvent avec des familiers, des marionnettes ou des automates. Certes, ils emploient des techniques similaires, mais cette impression provient d’une incapacité à discerner la véritable essence d’un golem. Pourquoi pensez-vous qu’il en soit ainsi, Miss Cornwallis ?

Enrico se retourna soudainement, pointant du doigt une fille, la demi-sœur de Chela, Stacy Cornwallis.

  • …Les concepts de base sont distincts, répondit-elle, la voix tremblante. —— Les golems sont des constructions issues de l’architecture magique, une spécialité du génie magique. Leur nature est plus proche des bâtiments en mouvement que des familiers ou des poupées.
  • Très impressionnant ! Une réponse à cent points ! Voilà une petite sucette !

Le vieil homme agita sa baguette et un bonbon sortit de sa poche en direction de Stacy. Elle l’attrapa sans sourire et Enrico se retourna pour faire face à une nouvelle partie de la pièce.

  • Oui, les golems sont des bâtiments, pas des animaux de compagnie ou des jouets. Ils ne sont donc pas nécessairement humanoïdes et il en existe de toutes les formes et de toutes les tailles. Il existe des constructions si grandes qu’on pourrait les confondre avec des châteaux ! Cette idée ne vous donne-t-elle pas le vertige ?

Il prit une bonne bouchée de sa sucette, puis écarta les bras.

  • Ces trois golems sont de taille beaucoup plus raisonnable, mais vous découvrirez qu’ils sont emplis de fonctionnalités. Utilisez tout ce que vous avez appris jusqu’à présent pour les observer et les démonter, en apprenant tout ce qui les fait fonctionner. C’est la leçon d’aujourd’hui.

Cela semblait tout à fait normal, mais pas dans ce cours. Les élèves se préparaient à l’inévitable… et Enrico brandit sa baguette blanche.

  • Commençons ! SATUS SURSUM !

Au moment où il termina son incantation, les golems se mirent à trembler.

Une seule pensée traversa l’esprit de tous les élèves, un « Je le savais ».

  • Le tribut payé par vos corps sera plus élevé que d’habitude, mais n’ayez crainte ! Ils ont reçu l’ordre de ne pas écraser vos crânes ou vos cœurs. Venez ! Vous avez un an de plus maintenant ! Laissez-moi voir à quel point vous avez grandi !

Son cri d’attente résonna dans la pièce, et le sol trembla sous les pas du golem multipattes.

  • Waaaa…
  • Reculez avant qu’il ne vous marche dessus !

Les élèves qui se trouvaient à proximité s’éloignèrent en courant. Les pattes du golem rhomboïdal avaient beau ressembler à celles d’un insecte, elles étaient articulées et permettaient des mouvements souples, comme ceux d’une sorte de mollusque. Elles supportaient le poids de la construction et les tentacules mécaniques frappaient sans pitié tout ce qui se trouvait à proximité. Les extrémités pointues fissuraient facilement le sol en pierre. Mais alors que les élèves se préparaient à faire face à cette menace, leurs oreilles perçurent un tout autre son, celui d’un objet dur qui raclait le sol de pierre. Le golem sphérique, qui se dirigeait vers un groupe d’élèves en roulant sur eux, comme sa forme le laissait supposer.

  • Il roule par-là !
  • Bougez !  Maintenant !

Craignant de se faire écraser, les étudiants se séparèrent dans les deux sens. Le golem sphérique roula dans l’espace, ralentit à l’approche du mur et tourna, roulant dans une nouvelle direction. Plusieurs élèves lançaient des sorts, mais ceux-ci ne faisaient que rebondir sur la surface.

Ils ne la ralentissaient même pas.

  • Dispersez-vous, tout le monde ! En vous entassant, vous deviendrez une cible de choix ! s’écria Chela, déjà en train de courir.

Les gens se regroupaient instinctivement lorsqu’ils combattaient de grands ennemis, mais cela ne leur laissait aucune marge de manœuvre et pouvait entraîner la mort de tout le groupe d’un seul coup. Les amis de Chela suivirent, s’éloignant de leur classe et se dispersant, tout en restant à portée de voix. D’autres faisaient de même, suivant les instructions des élèves expérimentés.

  • Les incantations simples ne font rien… Ces choses sont dures comme l’enfer ! hurla Guy.

Les deux golems essuyaient des tirs concentrés, mais ne vacillaient pas. Un niveau de résistance inquiétant. Ils allaient devoir trouver le bon élément et concentrer leurs attaques ou localiser un point faible à cibler. Mais alors qu’Oliver cherchait une approche viable, Katie cria soudainement : « Attention ! ». Elle avait vu le golem sphérique incurver sa trajectoire et se rapprocher rapidement d’un groupe d’élèves qui fuyaient dans cette direction. Katie se mit à courir, mais un instant plus tard, plusieurs élèves furent pris sous le golem, incapables de s’enfuir à temps. Elle s’arrêta net en les voyant s’agiter, le bas du corps écrasé.

  • Augh… ! C’est affreux… !

Elle fit impulsivement un pas en direction des blessés.

  • Non, Katie ! Si nous entrons sans plan, c’est ce qui nous arrivera ! hurla Oliver.

Cela pouvait paraître cruel, mais ce n’était pas le moment de s’inquiéter pour les autres. Il leva les yeux vers la sphère, dont les parois blanches étaient désormais tachées du sang des élèves écrasés, et s’apprêtait à commencer à lancer des ordres, mais une voix puissante l’interrompit.

  • Arrêtez de crier, bande de nazes.

La lumière jaillit de plusieurs athamés, frappant le sol sous le golem-sphère alors qu’elle s’approchait d’un mur et ralentissait pour tourner. L’empilement des sorts de barrière éleva le niveau du sol, piégeant le golem entre les murs.

  • Les golems-sphères ne sont pas une menace sans leur vitesse. Frappez-les près des murs ou lorsqu’ils ralentissent pour tourner. Les barrières et les obstacles les bloqueront facilement.

Le grand garçon qui dirigeait cette défense utilisait un sort d’amplification pour projeter sa voix. C’était Joseph Albright, qui lançait déjà de nouveaux ordres. Oliver cligna des yeux une fois, puis grimaça. C’était exactement l’approche qu’il s’apprêtait à suggérer. Et une autre voix s’éleva dans l’autre direction, celle de Tullio Rossi.

  • Ne laissez pas ces six jambes vous alarmer. Vous voyez bien qu’il doit en avoir trois au sol en permanence, sinon il ne peut pas maintenir sa position d’équilibre. Vous devez simplement faire attention à la jambe levée la plus proche de vous.

Oliver se retourna pour voir le jeune ytallien danser à travers la rafale du golem aux multiples pattes, aucun membre n’étant près de le frapper.

  • FLAMMA !

De multiples sorts de feu frappèrent la même jambe, l’articulation la plus proche du corps. Oliver jeta un coup d’œil à la source et découvrit une jeune fille blonde, Stacy Cornwallis. Comme Albright, elle menait plusieurs autres personnes au combat.

  • Les articulations constituent un point faible évident, déclara-t-elle. —— À cette distance, nous pouvons encore frapper les articulations supérieures, dont la mobilité est limitée. Gardez l’élément feu et concentrez vos attaques.
  • J’admire ton courage, mais n’y touche pas. On ne sait pas ce qui va te tomber sur la tête, ajouta le demi-loup garou Fay Willock.

Pendant que Rossi s’occupait de l’attaquer de près, ils continuèrent le barrage sur ses points faibles. Peu de temps après, des couvercles s’ouvrirent sur les côtés du corps principal et des dizaines de golems plus petits en sortirent, tout comme l’hôte.

  • IMPETUS !

Mais tous furent emportés par une bourrasque de vent. Alors que les petits golems touchaient le sol, déséquilibrés et mal préparés à l’atterrissage, un étudiant aux cheveux longs s’avança au milieu d’eux, la lame levée.

  • Écrasez tous ceux qui s’approchent de vous ! hurla Richard Andrews. —— Nous ne pouvons pas les laisser courir sous nos pieds !

Grâce à son assurance, plusieurs élèves s’attaquèrent aux petits golems. Rossi en plaqua un au sol et le poignarda avec son athamé en souriant.

  • Ha-ha ! Quel plaisir ! Bien joué, Signor Andrews !
  • Fay, finis-les.
  • Mm !

Rossi et les membres du groupe de Stacy s’attaquaient rapidement aux golems les plus petits. De nouveaux schémas d’attaque constituaient une menace constante, mais prouvaient également l’efficacité de leur approche. Oliver se retourna vers le golem sphérique pour constater qu’il avait sorti plusieurs foreuses et qu’il essayait de démolir les murs d’enceinte. Comme le golem à plusieurs pattes, il avait une deuxième forme.

  • Un effort futile. Faites comme moi. LUTUOM LIMUS !

Le sort d’Albright toucha le sol juste avant le mur que les perceuses étaient en train de creuser. Les élèves qui l’entouraient firent de même, assouplissant magiquement le sol autour du golem sphérique. Ce dernier perça le mur et roula, mais s’enfonça dans la boue à quelques mètres de là. Le sol n’étant plus qu’un bourbier, la créature fut à nouveau prise au piège.

  • Vous voyez ? Alors prenez les choses en main.

Albright se retourna et regarda fixement à travers la pièce. Oliver fit de même.

  • C’est là le vrai problème, nota Oliver.

Pendant qu’ils regardaient, le troisième golem commença à se faufiler sur le sol. Son corps liquide noir et visqueux avait un éclat métallique, une menace clairement différente de celle des deux autres.

  • … !
  • Katie, Guy, Pete, reculez ! cria Chela, comprenant ce qu’il se passait.

Oliver, Nanao et elle s’avancèrent. Une douzaine d’autres élèves compétents les rejoignirent à l’avant. Alors qu’ils s’approchaient à vingt mètres de la nouvelle menace, Oliver prononça son nom.

  • Un golem liquide… !

La troisième construction glissa vers eux. Une partie de son corps s’étendit, un geste qui rappelait à Oliver un bras levé, ce qui annonçait des ennuis.

  • Sautez ! cria-t-il.

Nanao, Chela et plusieurs autres sautèrent dans les airs et quelque chose passa rapidement sous leurs pieds. Ils atterrirent un instant plus tard et huit élèves qui n’avaient pas réagi à temps s’écrasèrent sur le sol.

  • Gah… !
  • Mes jambes… mes jambes !

Ils avaient de bonnes raisons de crier. Aucun d’entre eux n’avait plus rien sous les genoux. Oliver serra les dents. Cela avait été beaucoup plus rapide que prévu. L’attaque qui leur avait arraché leurs membres était un fouet de métal liquide à haute vitesse, renforcé par la force centrifuge. Si l’on ne parvenait pas à lire le mouvement, il était pratiquement impossible de l’esquiver.

  • Arrêtez de couiner et reculez ! hurla Albright, s’approchant d’Oliver. —— Il n’y a de place ici que pour ceux qui savent lire les attaques !

Plusieurs bons éléments admirent être dépassés et reculèrent, remplacés par Stacy, Fay, Rossi et Andrews. Rossi jeta un coup d’œil dans les rangs et sourit.

  • Ha-ha-ha ! Nous nous rencontrons à nouveau, hein ? Tous mes visages préférés !
  • Oublie les bavardages, Rossi. Ce n’est pas le moment pour une réu.
  • D’abord, nous avons besoin d’informations. Quelqu’un ici en a sur ces choses ? demanda Andrews.

Face à cette menace inconnue, tous se tournèrent les uns vers les autres.

  • J’ai bien peur que ce soit une première pour moi, déclara Albright. —— Tout ce que je sais, c’est qu’il y a un cerveau au centre qui le contrôle. Quelque chose à ajouter, Horn ?

Sa voix n’avait plus le mépris d’avant. C’était un progrès admirable, mais…

  • …Je n’en sais pas beaucoup plus, admit Oliver. ——, Mais d’après ce que j’ai entendu, il faut faire attention à ne pas toucher le liquide. C’est corrosif.
  • C’est du lidium noir !

Une voix se fit entendre de l’arrière. Bien que surpris, Oliver garda les yeux rivés sur le golem liquide.

  • Pete ? appela-t-il.
  • Il n’y a que trois métaux magiques utilisés dans la création des golems liquides, dit le garçon à lunettes. —— Le miarki argenté, l’alliage de kaja dwerg et le lidium noir. Et le dernier est le seul à avoir cette couleur. Le point de fusion est de -90 et le point d’ébullition est de 3288 !
  • -90 ? Alors si on s’approche et qu’on utilise des sorts de gel, ça marchera. Chapeau bas. Bonne information, Pete Reston.

Pete eut un air surpris, ne s’attendant manifestement pas à un compliment de la part d’Albright. Armé de cette nouvelle information, Oliver mit rapidement au point un plan.

  • …Toute personne capable d’esquiver son attaque de fouet devrait intervenir et geler les parties liquides. Il ne nous restera plus qu’à creuser le métal gelé avec nos athamés et à atteindre le noyau pour le détruire. On est d’accord sur ce plan ?

Tout le monde acquiesça. Ils connaissaient tous les compétences des uns et des autres, donc personne ne discutait. La rapidité de ce consensus amena Oliver à se demander si la battle royale de première année n’avait pas été une totale perte de temps, après tout.

  • Allez-y !

Tous s’élancèrent vers l’avant. Le golem liquide changea de forme et donna un nouveau coup de fouet. Ce coup arriva à la hauteur de la taille, mais ce fut anticipé dès le début alors tous esquivèrent. Le golem se transforma à nouveau, balançant maintenant plusieurs fouets horizontalement et verticalement.

  • Ça empire au fur et à mesure qu’on se rapproche ! Mais jusqu’à présent
  • Hahh !

Le jeu de jambes de Chela lui permit de passer, et Nanao les repoussa avec sa lame. Tout le monde repoussait les attaques qui se présentaient à eux. Cinq mètres plus loin, ils s’arrêtèrent, faisant des allers-retours jusqu’à ce que Rossi repère une ouverture et s’approche doucement du golem. S’attendant à une contre-attaque, il s’apprêtait à incanter un sort de gel…

  • Augh ?!

Mais avant qu’il n’ait pu prononcer un mot, le corps du golem lança un pic en plein sur lui. Son instinct naturel lui permit d’esquiver, mais cela l’érafla tout de même. Il recula précipitamment.

  • Attendez, cette chose n’a pas d’yeux ! Elle ne nous détecte pas au son ?
  • ?!

Oliver avait tout vu et était tout aussi choqué. Ce golem était bizarre. Rossi s’était approché de lui sans se faire repérer, et s’il s’était appuyé sur le son, son coup n’aurait pas été très précis. Le son était bien moins précis que la vision. Comme le golem s’en tenait à des taillades à longue portée, il avait supposé qu’il compensât. Mais le golem renversa à nouveau sa théorie. Chela, Stacy et Albright reçurent des coups qui leur étaient destinés. Celles-ci étaient beaucoup plus précises que le fouet. Les attaques furent très vives et donc difficile de réagir à temps. Stacy esquiva de justesse la sienne, en criant :

  • Hé, pourquoi ça a changé ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ?!
  • Stace, c’est trop dangereux ! Reste derrière moi !
  • Une 2e phase ? Bon sang… nous étions si près du but ! jura Albright.

Comme les deux autres, le golem liquide avait changé de schéma d’attaque pour repousser leur avancée.

  • …Hmm ? dit Nanao.

Elle sauta sur le côté comme si elle testait quelque chose. Le golem se dirigea vers elle, et elle le dévia de sa lame.

  • Il anticipe nos mouvements comme un humain.
  • Un humain ?

Ce mot resta dans l’esprit d’Oliver. Ces réactions ressemblaient moins à un golem qu’à une créature vivante – et plus à un humain qu’à un animal. S’il pouvait prédire leurs mouvements, c’est que le golem avait de l’expérience en matière de combat. Le vieil instructeur fou était célèbre pour une raison, mais pouvait-il fabriquer un golem capable de faire cela ?

  • … !

Esquivant un autre coup de fouet, Oliver se creusa la tête. C’était peut-être possible, mais cela n’avait pas de sens pour lui. Par exemple, l’attaque qu’il venait d’esquiver.

Comme Nanao, il était coincé à une distance de cinq mètres, alors pourquoi le golem utilisait-il le fouet ? Pourquoi ne l’avait-il pas attaqué avec un coup précis ? Pourquoi a-t-il pu attaquer les autres, mais pas lui ? Cette réflexion suffit pour aboutir à une hypothèse. Sa position était la clé. Peut-être qu’il se trouvait à un endroit qui l’empêchait de le localiser avec précision. Où cela pouvait-il être ? Qu’est-ce qui pouvait le rendre invisible aux yeux du golem ? Supposons que les yeux de l’ennemi soient littéralement des organes de détection de la lumière. Dans ce cas, la raison la plus évidente pour laquelle il serait hors de vue est qu’il y ait quelque chose entre eux. Et le premier candidat pour cet obstacle est la masse du golem. Les yeux devaient donc se trouver de l’autre côté, ce qui signifiait…

  • Katie, Guy, Pete ! Couvrez les yeux de l’instructeur !

C’était la solution logique. Le flux de la bataille l’avait conduit à se trouver de l’autre côté du golem par rapport à ses amis. Ils l’entendirent crier derrière lui et se regardèrent.

  • Ses yeux ?
  • …Allez !
  • Mmm !

Aucun d’entre eux ne savait ce que cela signifiait. Mais ils se retournèrent malgré tout, ignorant toute inquiétude. Tous trois coururent droit vers la source de ce spectacle d’horreur, Enrico Forghieri.

  • Qu’est-ce qu’il y a, les enfants ? dit-il, tout sourire. —— Une question sur la mission ?

Guy et Pete se rapprochèrent, incertains de la suite des événements. On ne pouvait pointer un athamé sur un professeur, et même si on essayait, on ne parviendrait pas à faire quoi que ce soit.

  • …Qu’est-ce qu’on fait ?
  •  …

Katie savait pourquoi ils hésitaient. Mais ils n’avaient pas le temps de réfléchir. La jeune fille aux cheveux bouclés rengaina sa lame et s’approcha d’Enrico à grands pas.

  • Pardonnez-moi !
  • Ohhh ?!

Elle lui mit la main sur les yeux. Pete fit de même en secouant la tête, et Guy se profila derrière eux, utilisant sa grande taille pour obscurcir davantage la vue d’Enrico. Dès qu’ils furent en place, les attaques du golem liquide perdirent toute précision. Un coup horizontal passa inoffensivement sur le côté, et Oliver y vit la preuve que sa théorie était correcte.

  • …Le schéma s’est inversé ! Il était télécommandé !

Il y avait eu des indices. Le vieil homme lui-même avait souligné que la technologie était partagée entre marionnettes, automates et golems. Il était tout à fait possible que quelqu’un leur donne des directives. Lorsque le golem passa à sa deuxième phase, il avait agi en se basant sur les données visuelles d’Enrico. Des pics de métal liquide jaillissaient encore de la surface du golem, menace redoutable si elles étaient bien dirigées. Mais le groupe pouvait maintenant gérer les choses. Tous les huit pouvaient bondir en arrière pour éviter les coups, puis s’approcher au moment où les pics étaient en latence.

  • Descendez-le ! FRIGUS !
  • FRIGUS !

Chacun d’eux planta un athamé dans le golem liquide et commença à le geler à bout portant. Le golem tenta de se défendre, mais les sections gelées ne pouvaient pas se transformer. Un fouet à moitié formé perdit sa forme, et le golem cessa de bouger.

  • Ne baissez pas votre garde tout de suite !

Chela se tourna vers la salle derrière.

  • Tous ceux qui le peuvent, doivent venir aider. Si nous ne gardons pas cette chose gelée, elle sera de nouveau active en un rien de temps !

Les élèves qui se trouvaient à portée de voix arrivèrent en courant, ajoutant leurs lames à la pile et versant encore plus de froid. Le volume était trop important pour que le golem puisse le supporter. Une fois le froid stabilisé, Oliver retira sa propre lame.

  • Continuez à refroidir ! dit-il. —— Nanao, allons-y !
  • Avec plaisir !

Nanao libéra son katana, et les deux commencèrent à creuser en tandem. Le métal gelé était aussi dur que l’acier, mais pour un athamé chargé de mana, ce n’était pas pire que de la terre durcie. Le trou dans le flanc du golem s’agrandit rapidement. C’est à ce moment-là qu’Oliver fit une pause.

  • Ok, nous sommes presque au centre ! Attention, il pourrait y avoir…

Avant qu’il n’ait pu terminer cette pensée, l’équipe du golem sphérique poussa un cri.

  • Un piège magique ! Il y a un piège magique dans le golem !

Oliver se tourna pour regarder, et une troisième voix s’éleva dans l’autre direction.

  • Même chose ici ! Merde, un seul faux mouvement et ça se déclenche ! hurla un élève s’enfonçant dans le sommet du golem, désormais aveugle.

Chela jeta un coup d’œil aux deux, puis se retourna vers son propre golem.

  • …Oliver !

Il acquiesça, prit une grande inspiration et se remit à l’ouvrage. Moins de deux minutes plus tard, ils avaient leur réponse. Juste à côté du noyau de contrôle du golem se trouvait une boîte chargée de mana sinistre. Elle avait la gentillesse d’inclure un compte à rebours.

  • …Celui-là aussi, grogna-t-il en serrant les dents.

De l’autre côté de la pièce, Enrico se dégagea le visage en riant comme un fou.

  • Kya-ha-ha-ha-ha ! Les trois golems sont vaincus ! C’est très bien. Excellent travail ! Mais la mission n’est pas encore terminée ! Nous sommes maintenant dans la passionnante partie bonus ! Les golems sont fondamentalement des constructions architecturales. Nous en avons déjà parlé, vous vous souvenez ? Les maisons, les entrepôts ou les châteaux sont tous construits pour contenir les personnes ou les objets qui s’y trouvent. Il en va de même pour les golems ! Ils ont souvent un espace au cœur, dans lequel quelque chose est gardé en sécurité !

Tandis que le vieil homme s’égosillait à travers cet exposé, Oliver fulminait, précisément parce que tout cela avait du sens. Malgré la menace ridicule, les cours d’Enrico Forghieri mettaient toujours l’accent sur la compréhension de la nature fondamentale du sujet traité. Et l’expérience de ce principe était suffisante pour qu’il sache que c’était la dernière épreuve de la journée.

  • Et qu’avons-nous à l’intérieur aujourd’hui ? Vos pièges magiques favoris ! Des pièges stables, chronométrés et à ressort ! Si vous prenez trop de temps ou si vous vous trompez dans la séquence de désarmement, ils se déclencheront ! Tous ceux qui se trouvent dans un rayon de dix mètres rencontreront un destin funeste. Kya-ha-ha-ha-ha ! C’est une crise !

Enrico se délectait de sa sucette, ne cherchant pas à bouder son plaisir. Pendant ce temps, Albright retira son athamé et se retourna.

  • …Je ne peux pas laisser ça à n’importe qui, murmura-t-il. —— Je m’occupe du golem boule.
  • Nous allons nous diriger vers le golem multipattes, alors, dit Stacy. ——Occupe-toi de ce qui se passe ici, Chela.

Fay et elle partirent en courant. Andrews rejoignit Albright au golem sphérique. Rossi haussa les épaules.

  • Le désamorçage n’a jamais été mon fort. Maintenir ce froid glacial sera ma seule contribution.
  • Même si j’ai honte de l’admettre, je ne suis pas non plus faite pour ça.

Nanao se retira également, ce qui laissa Oliver et Chela se regarder l’un l’autre.

  • …Je suppose que c’est à nous de jouer, Chela.
  • J’ai bien peur que ce soit notre seule option.

Mais avant qu’ils ne puissent s’attaquer au piège, une voix s’éleva de l’arrière.

  • Attendez !

Ils se retournèrent et virent le garçon à lunettes courir vers eux.

  • …Laisse-moi participer au démantèlement. Je sais que j’ai travaillé plus dur que n’importe qui dans cette classe. Laissez-moi vous le prouver.
  • Pete ? ! Mais, commença Oliver, avant de ravaler sa protestation.

Il se souvint d’une chose que Pete avait déjà dite sur le fait qu’il devait arrêter d’agir comme un gardien et que lui et les autres n’étaient pas là pour les freiner. Le garçon en face de lui n’était plus le petit première année effrayé qui ne savait pas quoi faire. C’était un mage à part entière, survivant d’une année dans l’enfer de Kimberly. Il était grand temps qu’Oliver ajuste sa propre perception en conséquence.

  • …D’accord, dit-il en hochant la tête. —— Aide-nous !
  • Mm !

Pete se glissa instantanément entre eux, et ensemble, ils commencèrent à désamorcer le piège. Tous les élèves présents les observèrent attentivement, des sueurs froides sur les sourcils. Cette étape de la mission était aussi calme que le combat avait été tumultueux. Une erreur signifierait un désastre, non seulement pour les personnes sur le front, mais aussi pour tous ceux qui maintenaient le golem en place. Et comme si cela ne suffisait pas, l’heure tournait…

  • Désamorcé !
  • Le nôtre aussi ! Et juste à temps…

Les applaudissements fusèrent des deux côtés. Les équipes d’Albright et de Stacy avaient réussi à désarmer les pièges de leurs golems. Mais la liesse se calma vite. Tous les regards se tournèrent vers le dernier endroit.

  • …Il reste deux minutes. Je regrette de devoir le dire, mais nous n’avons plus le temps d’analyser, marmonna Oliver en abaissant sa baguette.

L’intérieur du piège était presque entièrement exposé. Chela et Pete levèrent les yeux vers lui.

  • Nous n’avons pas non plus le temps pour débattre de la bonne approche, ajouta-t-il. —— Nous devons choisir quelqu’un et lui laisser le soin de le faire.
  • Tu n’es pas sérieux ! s’insurgea Rossi, qui se mit de nouveau au travail de gel.

Mais l’horloge du piège continua à tourner. Après quelques longues secondes, Oliver dit :

  • Je nomme… Pete.
  • …Huh ?

Le garçon à lunettes fut sincèrement surpris, alors Oliver s’empressa d’ajouter une justification.

  • Après le travail que nous avons effectué jusqu’à présent, Pete est l’esprit le plus vif, toujours avec une longueur d’avance sur la façon dont les choses fonctionnent. Il s’est vraiment lancé dans l’ingénierie magique et il est évident que ses connaissances dépassent déjà les nôtres. Je pense que c’est un motif suffisant pour lui confier le choix final.

Il a précisé qu’il ne s’agissait pas d’un traitement de faveur, mais d’une décision objective fondée sur la procédure de désarmement suivie jusqu’à présent. Chela acquiesça.

  • …C’est vrai.  Cela me fait mal de l’admettre, mais je suis d’accord !

Lorsqu’ils se tournèrent tous deux vers lui, Pete déglutit difficilement, sans bouger. Oliver lui fit un signe de tête.

  • Nous avons fait notre choix. Il reste une minute. Si tu es d’accord, on compte sur toi.

Il fixa le compte à rebours, conscient que les épaules du garçon à lunettes tremblaient. Pete savait que ce n’était pas le moment de contre-argumenter et, baguette blanche en main, il s’approcha du piège sans hésiter.

  • …Hah…hah…

Il savait ce qu’il fallait faire. Les étapes pour désamorcer ce piège étaient déjà claires dans son esprit. Mais il ne pouvait se résoudre à les prendre. Ses bras et ses lèvres étaient pétrifiés, son souffle et son cœur palpitaient dans ses oreilles.

  • …Hahh…hahh…hahh… !

Pete savait que s’inquiéter davantage était une perte de temps, mais son esprit n’arrêtait pas de tourner. Si son approche était mauvaise, il n’était pas le seul à être en danger. Tout le monde autour de lui serait également touché. Oliver et Chela étaient juste à côté de lui et allaient en faire les frais. Mais ils avaient confiance en lui. Et c’est ce qui l’effrayait vraiment. C’était bien plus terrifiant que de se blesser lui-même.

  • …Peux…
  • …?
  • …Peux-tu me prendre dans tes bras, Oliver… ? Peu importe comment…

Sentant un besoin désespéré d’être rassuré, ces mots sortirent de la bouche de Pete sans qu’il s’en rende compte. Oliver laissa passer un temps, puis s’avança et fit une étreinte à son ami par-derrière. Comme s’il répandait sa chaleur dans le corps gelé du garçon.

  • Je t’ai observé. J’ai vu à quel point tu t’es amélioré, dit doucement Oliver.
  • Aie confiance. À toi de jouer, Pete. Fais ce que tu penses être le mieux. 

Ce fut court, mais puissant. Avec l’étreinte, c’est comme si le soleil tapait dans le dos de Pete. Le bras du garçon à lunettes bougea enfin. La carapace du golem se détacha, dévoilant les rouages du piège. De sa main droite, il y glissa plusieurs graines de plantoutils, chacune de la taille d’une graine de pavot, puis secoua un petit flacon de nutriments dessus. Il brandit sa baguette…

  • BROGOROCCIO !

Un sort de croissance. Les graines germèrent, envoyant de petites racines à travers les circuits. Celles-ci aspirèrent les élémentaires qui circulaient dans l’appareil, et le lien magique qui unissait les composants fut perdu. Il y a eu un déclic et l’aiguille du chronomètre s’arrêta. Il restait deux secondes. Personne n’avait encore applaudi. Le silence était palpable et fut interrompu par un léger claquement de mains.

  • Tous les pièges sont désamorcés et la mission est terminée. Félicitations, les enfants.

Son rire maniaque disparu, Enrico Forghieri se mit à distribuer des compliments. Ce faisant, il agita sa baguette et fit sortir des bonbons de sa poche, cinq pièces, pour cinq élèves.

  • Mr Albright, Mr Rossi, Miss Cornwallis, Mr Willock et Mr Andrews. Une douceur pour chacun d’entre vous. Non seulement vous avez désamorcé les pièges, mais vous avez immédiatement identifié les fonctions des golems pour agir contre eux. C’est très bien. Il y a eu beaucoup moins de blessés cette fois-ci !

Il se tourna alors vers le golem liquide. De nouveau, sa baguette se mit à osciller, envoyant des sucettes dans leur direction.

  • Et des récompenses pour Mr Horn, Miss Hibiya et Miss McFarlane. Ils se sont bravement lancés dans la bataille contre le golem liquide, ce qui a conduit directement à sa défaite. Mr Horn, j’ai été particulièrement impressionné par votre clairvoyance sur le fait que les golems voyaient à travers mes yeux. Les fruits de votre grande expérience du combat, j’imagine ?

Une lueur de curiosité apparut derrière ces lunettes, et Oliver dut lutter pour ne pas avoir l’air perturbé. Enfin, le regard du vieil homme se porta sur le garçon dans les bras d’Oliver. Il agita une nouvelle fois sa baguette et plus d’une douzaine de sucettes s’envolèrent dans les airs, un ruban les reliant entre elles. La masse sucrée se dirigea vers Pete.

  • Surtout, Mr Reston. Vos efforts méritent un bouquet entier de friandises.
  • …Oh…

Le garçon à lunettes a attrapé le paquet de bonbons, visiblement abasourdi.

  • Tout d’abord, vous connaissiez les types de métaux magiques pouvant être utilisés dans un golem liquide et vous pouviez les distinguer, dit Enrico en se rapprochant. —— C’est vraiment étonnant ! Ce n’est pas une connaissance que l’on peut obtenir à moins d’enchainer les lectures de nombreux tomes et traités. Dieu sait combien de temps vous avez passé à la bibliothèque l’année dernière. En plus de cela, vous aviez les capacités d’observation et d’analyse nécessaires pour déterminer la construction du piège magique. Le piège du golem liquide était bien plus difficile que les autres. Le fait que vous ayez réussi à le désamorcer est la preuve de votre dur labeur.

À ce stade, Enrico était juste devant lui. Les bras d’Oliver se resserrèrent. Mais le vieil homme ne l’avait même pas regardé. Il se pencha tout près de Pete, leurs lunettes se touchant presque. Les yeux du vieux fou brillaient.

  • Excellent travail. Vous avez du potentiel.
  • … !

Un frisson parcourut l’échine de Pete, auquel se mêla une bouffée de joie. Cet horrible sorcier le félicitait. Il avait dit qu’il avait du potentiel malgré ses origines non magiques, chose qui apportait du rejet et des moqueries sur lui.

  • Dites-moi, seriez-vous intéressé par une visite de mon laboratoire ?

Poussé par des forces auxquelles il ne pouvait résister, Pete acquiesça. Oliver savait qu’il n’avait pas le droit de l’arrêter, mais son emprise sur la silhouette élancée du garçon à lunettes se resserra. Sentant une vague de panique, Oliver eut une pensée : Il faut que je mette ce fou hors d’état de nuire. Dès que possible, avant qu’il ne détruise mon ami.

  • Ils se sont tous les trois bien améliorés, dit Chela, une tasse de thé à la main.

Oliver, Nanao et elle se trouvaient dans le réfectoire pour le déjeuner, après avoir terminé l’une de leurs plus grandes épreuves en classe. Katie, Guy et Pete étaient tous ailleurs, en train d’étudier ou de s’entraîner. Comme souvent ces derniers temps.

  • Oui, dit Oliver. —— Ils ont toujours eu cette envie, mais depuis peu, ils ont appris à agir malgré les dangers présents. Il faut encore du temps, mais disons qu’ils acquièrent la force mentale d’un mage.

Il prit une bouchée de sa tourte à la viande.

  • Une année à Kimberly fait toute la différence, acquiesça Chela. —— Compare n’importe quel élève de notre promotion avec les nouveaux et tu verras tout de suite la différence. Tu les vois ces première année là-bas ? C’est nous, il y a un an.

Elle les pointa du doigt et Oliver regarda. Dans la salle à manger bondée, il vit plusieurs visages qu’il reconnaissait, marchant nerveusement ensemble. Une fille dominait les autres, Rita Appleton.

  • Teresa ! cria-t-elle. —— Teresa, où es-tu allée ?
  • Oublie-la ! Elle n’a pas le sens du timing.
  • Mais elle a mangé avec nous pour une fois ! C’est un progrès, non ?

Dean et Peter étaient derrière elle. Au nom de « Teresa », Oliver comprit tout de suite.  Il lui avait dit de déjeuner avec d’autres personnes. Mais il aurait peut-être dû insister pour qu’elle ne disparaisse pas instantanément une fois qu’ils avaient terminé. Réprimant un soupir, il exprima ce que Chela pensait.

  • Oui… On dirait des faons qui viennent de naître.

Essayant de ne pas rire, Chela regarda la fille aziane à travers la table.

  • Mais dans ton cas, Nanao… c’est ton environnement qui change.
  • Hmm ?

Nanao leva les yeux de son pilon. Son appétit suggérait qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter, mais Chela décida de poser la question quand même.

  • Demain, tu joues ton premier match en ligue senior. Tu partageras les cieux avec des joueurs chevronnés. Tu te sens prête ?
  • Je suis prête ! J’en trépigne d’impatience !

Pas la moindre trace de stress ou d’inquiétude. Il est clair qu’elle avait hâte d’y être.Mais elle posa le pilon de poulet, se redressa et se tourna vers Oliver.

  • Cela dit, j’imagine…Enfin, je suis presque certaine que les matchs seront bien plus féroces. Les chutes seront vraiment spectaculaires. Oliver, tu seras là pour me couvrir ?

Oliver posa sa fourchette et se tourna vers elle pour lui faire face.

  • …Bien sûr que oui. Je suis ton receveur, répondit-il. ——, Mais… n’oublie pas les dangers que représente le vol. Gagner un match est loin d’être aussi important que de revenir sain et sauf. Promets-moi de veiller à ça.

C’est ce qu’il lui avait dit à maintes reprises. Nanao acquiesça solennellement et Chela leur sourit.

  • Un cavalier ne va nulle part sans un attrapeur compétent, déclara-t-elle —— J’ai hâte de vous voir tous les deux en action.

Et le grand jour arriva. Dès 10h du matin, les gradins furent remplis à ras bord, le ciel envahi par des chevauchées magistrales sur les balais. Le commentateur, étudiant lui aussi, hurlait déjà.

  • C’est le moment que vous attendiez tous ! Le jour de vérité ! Le compte à rebours est lancé ! Le seizième match de la ligue senior, les Oies sauvages contre les Hirondelles bleues ! Et les débuts de Nanao Hibiya, l’étoile montante qui s’est hissée au sommet à la vitesse de l’éclair !

La foule était déjà en train de rugir. Manifestement, tout le monde ici était certain que ce match allait rester pour l’éternité. Avant même qu’il ne commence, l’enthousiasme était déjà à son comble.

  • Votre serviteur que je suis n’est pas seul d’ailleurs ! Nous avons invité l’instructeur de balai lui-même, Dustin Hedges ! Professeur Hedges, à quoi devons-nous nous attendre aujourd’hui ?
  • Le style aérien de Miss Hibiya a sa plane en ligue senior. Mais c’est un autre monde dans lequel elle se trouve maintenant.
  • Ce ne sera donc pas aussi facile pour elle qu’en ligue junior ?
  • Bien sûr que non ! Les hirondelles bleues ne vont pas laisser une débutante venir de nulle part leur marcher dessus.

Hedges s’appuya sur sa chaise en grinçant. Ses yeux se portèrent sur un coin du ciel, où Nanao et les Oies sauvages tenaient leur réunion d’avant-match.

  • Ils ont fait venir le Prof. Hedges ? marmonna le capitaine de l’équipe des Oies sauvages. —— Maintenant, on ne peut vraiment plus se planter.

Chaque joueur avait ses instructions et attendait le match. Nanao leva la main.

  • Pardonnez-moi si je me répète, mais… dois-je vraiment voler comme à mon habitude ?
  • Oui, répondit le capitaine en souriant. —— Ta première tâche consiste à voler comme tu l’entends et à te familiariser avec notre ligue. Nous pourrons ajouter des stratégies par la suite.

Il jeta un coup d’œil à leurs adversaires. 

  • Mais ils auront du répondant !
  • Oh, ils vont la faire débuter !
  • Alors, Ashbury ? Comment allons-nous la torpiller ?

Les joueurs expérimentés appréciaient manifestement la situation, mais le meilleur élément des Hirondelles bleues, Diana Ashbury, garda un ton sec.

  • Tu t’occupes d’elle en première partie. Marque-la bien.
  • Ok, mais après ?

Ashbury attrapa le club qu’elle portait à la hanche et le parcourut du bout des doigts.

  • Je vais la mettre dans un état second. Elle va s’effondrer si fort qu’il faudra un mois avant qu’elle ne puisse à nouveau regarder un balai.

Ses coéquipiers sifflèrent. Alors que la foule en délire patientait, un cor retentit.

  • Et c’est parti !
  • Montre-leur, Nanao !

Katie, Guy, Pete et Chela étaient tous dans les tribunes, applaudissant aussi fort que les supporters de l’autre équipe. Dans le ciel, trois ombres se rapprochèrent de Nanao.

  • Oof, déjà trois joueurs la marquent ! C’est grossier !
  • Plus de l’intimidation que du marquage.
  • Enchanté, Miss Hibiya.
  • Bienvenue en ligue senior ! C’est un honneur t’accueillir.
  • Nous avons un cadeau de bienvenue pour toi. J’espère qu’il te plaira.
  • Hmm.

Trois voix s’exprimèrent derrière elle.

Elle était certes en infériorité numérique, mais Nanao n’était pas du genre à se laisser abattre. Elle tira sur la tête du balai, montant rapidement, et continua à avancer, traçant un cercle qui la plaça derrière ses adversaires.

  • Ooh, pas mal le looping !
  • Heureux que tu aies le courage de nous suivre au lieu de fuir.
  • Ça valait bien la peine de laisser de l’espace au-dessus de toi !

Les trois Hirondelles souriaient. Une seconde plus tard, le bas de leur balai s’inclina vers l’arrière pour une ascension rapide, prenant de la hauteur, mais perdant de la vitesse, puis voltigeant dans les airs comme des plumes dans le vent.

  • Mm ?!

En essayant de les suivre, elle risquerait de perdre le contrôle, elle maintint donc sa vitesse et passa en dessous d’eux, mais ils utilisèrent tous l’inertie pour se redresser et se retrouvèrent à nouveau à ses trousses. Une fois de plus, ils se retrouvèrent derrière elle.

  • Surpris ?  C’est ce qu’on appelle Chute de plume.
  • La vitesse seule ne t’aidera pas à survivre ici. Tu dois apprendre à gagner du temps.

Ils avaient intentionnellement utilisé cette manœuvre pour échanger leurs positions. Elle n’avait jamais vu une telle manœuvre chez les juniors et était réellement impressionnée. Sacrifier la stabilité de la vitesse en plein vol pouvait facilement nous exposer dangereusement. Mais ces joueurs avaient tous les compétences nécessaires pour garder le contrôle. Et la pression qu’ils exerçaient sur elle la faisait voler plus vite. Avant qu’ils ne prennent l’initiative, il valait mieux qu’elle prenne de la distance et qu’elle les attaque de front. Mais bien sûr, ils n’étaient pas dupes.

  • Déjà en train de s’éloigner ? Waaa
  • Je ne peux pas suivre le rythme. Son balai est célèbre pour une raison.
  • Ça la rend seulement rapide, mais c’est tout.

Ils se firent un signe de tête et s’inclinèrent vers la gauche. Nanao s’était engagée dans un virage à l’extrémité du terrain, et leur virage plus serré leur permit d’arriver à nouveau, juste derrière elle.

  • Ils l’ont attrapée ! Ces trois Hirondelles bleues ne laissent pas Hibiya les ébranler !
  • Ils ont anticipé son mouvement. Les manœuvres d’Hibiya sont encore un peu trop évidentes.

Hedges observait le combat aérien. Malgré tous ses talents, le premier mur auquel Nanao Hibiya était confronté était exactement ce à quoi il s’attendait, et ce à quoi tous les débutants devaient faire face.

  • Dans un ciel ouvert et sans limites, elle pouvait gagner, mais dans cette zone étroite, il fallait toujours tourner. Et les autres joueurs pouvaient lire le timing et la trajectoire du virage. L’expérience permettait d’améliorer les feintes et les tours, mais jusqu’à présent, elle avait tellement surpassé ses concurrents qu’elle n’avait jamais eu besoin de tout cela. C’était le revers de la médaille de son talent.
  • Elle était trop bonne pour avoir besoin d’une stratégie… ! Quelle ironie. Hibiya n’arrive pas à se défaire du marquage des vétérans !

Les mains du commentateur étaient couvertes de sueur.

  • Ce n’est pas un marquage, dit Hedges, reniflant —— C’est juste une manière de saluer. Une belle façon de montrer à la recrue où est sa place.

Pendant ce temps, les amis de Nanao observaient, bouche bée. Ils ne l’avaient jamais vue dans une poursuite aussi acharnée, incapable de renverser la tendance.

  • Bon sang, elle ne peut pas s’enfuir ! dit Guy. —— Et dire qu’elle est tellement plus rapide !
  • Ils sont plus expérimentés. Ils anticipent facilement, expliqua Chela.
  • Trois contre un, c’est trop ! Pourquoi ses coéquipiers ne l’aident-ils pas ?! demanda Katie en cherchant les autres Oies sauvages.

Ils n’avaient visiblement pas l’intention d’intervenir.

  • Ils ne la lâchent pas. Capitaine, on doit vraiment les laisser faire ?

En fait, la même pensée avait traversé l’esprit de ses coéquipiers. D’habitude, ils n’étaient pas enclins à laisser leurs camarades souffrir de la pression. Mais cette fois-ci, le capitaine n’avait que faire de la situation.

  • Tout se passe comme prévu alors pas besoin de l’aider. Et puis ce n’est pas comme si elle allait se laisser faire comme ça.

Il afficha un sourire malicieux, puis adressa un coup de menton à la joueuse aziane.

  • Ne vous inquiétez pas… Ils apprendront vite à quel point leur proie est dangereuse.

Les combats aériens ne se limitaient pas à la poursuite. À chaque fois qu’ils se rapprochaient, trois clubs s’abattaient sur elle. Nanao était obligée de les repousser, même si sa position était inconfortable.

  • Difficile d’éviter un coup dans l’angle mort, n’est-ce pas ? Surtout sur la main gauche !
  • Un conseil, si tu es droitière, il est préférable de tourner dans le sens des aiguilles d’une montre. De cette façon, tu préserves ton bras dominant.

Les Hirondelles bleues alternaient attaques et conseils. Ce qui était, bien sûr, en partie de la manipulation. Mais en même temps, ils n’y avaient pas de résultats.

  • Elle tient vraiment le coup en plus, peu importe le nombre de coups.
  • Sa bonne vitesse rend difficile les coups de grâce. Je vais prendre de l’élan et la charger frontalement.
  • Oh, sérieux ? Tu sais que si tu la laisses tomber trop facilement, Ashbury va perdre son sang-froid.
  • Je me fiche de ce qu’elle pense. De plus, si nous restons à trois sur la samouraï plus longtemps, cela nous coutera la victoire.

L’un des joueurs, qui en avait assez, s’éloigna de la piste et prit de la distance. Alors que Nanao sortait de son virage à l’autre bout du parcours, il se tint devant elle.

  • …Mmm !
  • Désolé, la recrue.
  • C’était amusant, mais ta leçon est terminée.

Les deux adversaires à ses trousses continuaient de se moquer, ne cachant pas qu’il s’agissait d’une attaque en tenaille. Ils comptaient terminer leur bizutage par un coup de grâce. Au moment où Nanao reçut la charge, avec la perte d’élan, les deux Hirondelles la frappèrent à l’arrière. Une formation classique pour achever un ennemi en infériorité numérique. Mais…

  • Hmph
  • …Huh ?

Alors que leurs clubs s’étaient entrechoqués, c’est l’un des Hirondelles qui perdit l’équilibre. Voyant leur coéquipier reculer et perdre de l’altitude, et leur chance d’un nouveau coup s’évaporer, les autres joueurs parurent surpris.

  • Hey ?!
  • Qu’est-ce que tu fais ?!
  • D-désolé… ! …Huh ? Qu’est-ce… qu’est-ce que c’était ?

Le joueur Hirondelle était déconcerté, mais il continuait à voler. Jusqu’à ce qu’il retrouve de l’altitude et de la vitesse, ses coéquipiers étaient livrés à eux-mêmes. Ils se regardèrent l’un et l’autre.

  • Je n’aime pas ça. Assurons-nous qu’elle tombe cette fois ! Suis-moi !
  • Deux charges d’un coup sur une recrue ? C’est un peu…
  • Fais-le ! Si on la laisse s’enfuir, Ashbury va vraiment nous tuer.

Ils devenaient insistants maintenant. La fille aziane était peut-être talentueuse, mais elle était en deuxième année, fraîchement sortie de la ligue junior. Ils ne pouvaient pas la laisser gagner. Nanao atteignit l’extrémité du terrain et entama un énième virage. Ils lurent tous les deux la trajectoire et l’attaquèrent par le haut et par le bas en même temps. Même si elle esquivait un coup, l’autre l’atteindrait. Un combo impeccable qui témoignait de leurs années d’expérience.

  • C’est fini pour toi la recrue !

Il était sûr de l’avoir. Le joueur du dessus balança son club en arrière, visant la tête. Le joueur du dessous visait le corps. Mais juste avant l’impact, Nanao bondit en avant.

  • Huh ?
  • Qu… ?!

L’accélération inattendue de la jeune fille aziane cassa leur timing. Le joueur du dessus ne put réussir à prendre de l’élan, et celui du dessous se heurta à elle un peu plus tôt que prévu. Elle était d’abord sur lui, puis…

  • Gah- !

Son ajustement arriva trop tard. Le club Nanao le frappa en pleine poitrine, et il tomba de son balai, plongeant la tête la première vers le sol.

  • Ohhhhhhh ! Il tombe ! Hibiya a brisé le marquage de trois personnes !
  • Ils se sont trop précipités pour la finir et ont raté le timing, grommela Hedges. —— Ils auraient dû savoir qu’elle n’avait pas encore atteint sa vitesse maximale. C’est ce qui arrive quand on sous-estime un débutant.
  • Professeur Hedges, pouvez-vous nous dire ce que Hibiya vient de faire ?
  • Tu l’as vu toi-même ! Elle est meilleure avec un club que cet idiot qui vient de tomber. C’est tout.

Un petit sourire se dessina sur son visage. Il ne s’en rendait peut-être pas compte, mais ce regard en disait long. C’est ce qu’une vraie star apportait au jeu.

  • De là à penser que j’emploierais le style de sabre monté Hibiya dans le ciel, marmonna Nanao…

Elle pouvait sentir ce coup dans ses deux mains, ne pouvant nier l’impact. Elle regarda autour d’elle à la recherche de son prochain adversaire et enfin, la capitaine des Oies sauvages laissa ses coéquipiers la rejoindre.

  • Beau travail, Nanao. Tu as bien répondu à cette salutation.
  • En effet ! répondit Nanao en souriant joyeusement. —— La ligue senior ne déçoit pas. On ne peut pas faire n’importe quoi.
  • Je pense que tu leur as coupé l’herbe sous le pied, déclara son capitaine en riant. —— C’est l’arroseur arrosé.

Il jeta un coup d’œil vers les Hirondelles bleues, dont l’atmosphère avait changé. Leur formation se modifiait, dégageant de la prudence. Cette scène avait complètement changé leur opinion sur Nanao. Très satisfait, le capitaine se tourne vers elle.

  • Continue comme ça, dit-il. —— Prends qui tu veux. Mais sache qu’ils te prendront au sérieux maintenant.
  • Je ne voudrais pas qu’il en soit autrement.

Avec un hochement de tête, Nanao partit comme une flèche. C’était à son tour d’attaquer.

  • Wow, wow, wowww ! cria Katie. —— Nanao est encore dans le coup ! Elle a mis à terre un joueur de la ligue senior !

L’évasion audacieuse de Nanao faisait que la fille aux cheveux bouclés agitait les deux bras sauvagement. Chela était tout aussi excitée, mais essayait au moins de garder un semblant de sang-froid.

  • Attaquer avec une arme en main tout en chevauchant quelque chose n’est pas facile. Je suppose qu’elle applique des techniques apprises à cheval, dans son pays. Cette expérience lui donne un avantage clair.
  • Cela a fait son effet même en ligue senior ! Voyons voir combien d’autres elle va en éliminer !

Guy était plutôt optimiste, mais Chela secoua la tête.

  • Ce ne sera pas si facile, déclara-t-elle. —— Elle a profité de l’erreur de son adversaire, mais maintenant qu’ils savent que ses compétences ne sont pas celles d’une débutante, ils vont s’en prendre à elle de la même manière. C’est là que son vrai combat commence.

Ses yeux cherchaient la plus grande menace adverse : une sorcière si terrifiante qu’elle s’était débarrassée de trois Oies pendant que Nanao n’avait réussi qu’à neutraliser une Hirondelle.

  • N’oublie pas qui sont les Hirondelles.
  • Désolé, Ashbury, dit le joueur Hirondelle en se regroupant avec son équipe.

Des excuses, c’était tout ce qu’il pouvait offrir. Ils s’étaient attaqués à une nouvelle recrue à trois, et non seulement ils n’avaient pas réussi à la faire tomber, mais ils avaient perdu un coéquipier.

  • Tombe et tu es mort. On repart à zéro. C’est ce que je dirais d’habitude, mais…

Ashbury ne mâchait jamais ses mots, mais pour une fois, elle souriait. Son attention était clairement tournée vers autre chose que les échecs de ses coéquipiers.

  • Elle n’est pas mal du tout. Hé, les perdants, concentrez-vous sur le match. Je vais m’amuser avec elle.

Sur ce, Ashbury s’élança dans le ciel. Un coup d’éclat total, ignorant toute stratégie, mais personne ne s’en plaignit. C’est ainsi que fonctionnait l’as des Hirondelles bleues. En quelques secondes, elle arriva aux côtés de sa cible, volant coude à coude.

  • Comment se passe ta journée, Miss Hibiya ?
  • Lady Ashbury.
  • Merci d’avoir réveillé mes ânes. Je devais te remercier en personne.

Elle leva son club. Elle était à droite, Nanao à gauche. Comme elles étaient toutes les deux droitières, cette formation donnait à Nanao l’avantage.

  • Je te laisse le côté dominant. Ne t’inquiète pas, c’est notre duel.
  • Un duel ? dit Nanao, ravie. —— J’accepte volontiers !

Leur affrontement aérien commença.

  • Hibiya accepte le défi ! Ça va être une sacrée partie de jambes en l’air ! Le meilleur espoir contre la star de l’école, un duel éclatant !
  • Ce n’est pas une surprise, compte tenu de leurs personnalités. Mais cela reste un sport d’équipe !

Hedges secoua la tête. Puis il soupira, coupant son sort d’amplification.

  • Dommage. J’aurais aimé voir Miss Hibiya voler un peu plus longtemps.

Seul le commentateur l’entendit. Il coupa rapidement son sort d’amplification.

  • Professeur, vous voulez dire que…
  • Leurs talents sont peut-être égaux. Mais l’expérience sportive…

Pas de doute dans son esprit. Cela faisait des années qu’il observait la star.

  • Mettez-la sur un balai et elle sera plus rapide et plus forte que n’importe qui. Diana Ashbury est née avec ce talent, c’est ainsi qu’elle a vécu toute sa vie. Misss Hibiya est sur le point de l’apprendre.
  • Hahhhhh !

Avec un rugissement, Nanao envoya un coup de club. Cela s’entrechoqua comme si leurs corps entiers étaient des lames, se frappant l’une et l’autre, entendant leurs os « crier ».

  • Très bien ! s’écria Ashbury, en exultant. —— Je n’ai jamais vu une telle aisance ! Ne te retiens pas ! Montre-moi tout ce que tu as !

Tous ses mouvements terrestres ne s’appliquaient pas dans les airs, mais la rafale de Nanao était ininterrompue. Et Ashbury ne se contentait pas de bloquer, elle déviait chaque coup. Un exploit étonnant en soi. Depuis le premier affrontement, elle avait laissé Nanao s’entraîner avec elle.

  • Je ne pensais pas que tu serais aussi forte ! Ce serait dommage de te laisser tomber dans un combat annexe.

Ashbury para un coup et accéléra, augmentant sa vitesse jusqu’à s’envoler vers le ciel. Nanao suivit, montant de plus en plus haut. L’as des Hirondelles bleues l’interpela par-dessus son épaule.

  • Suis-moi. Tes efforts méritent une récompense, je vais te montrer la magie.

Une invitation à des cieux encore plus hauts. Cent mètres, cinq cents, mille, et elles montaient encore, laissant la foule et leurs coéquipiers loin derrière. Ashbury ne semblait pas s’en soucier et elles traversèrent les nuages, en direction de l’inconnu.

  • Ngh… !

Alors qu’ils franchissaient la barre des quatre mille mètres, Nanao sentit que quelque chose n’allait pas. Son balai devenait difficile à contrôler.

Plus elles montaient, plus son vol était irrégulier, et plus il lui fallait de mana pour lutter contre ce phénomène et maintenir sa vitesse. Et pour cause, plus elles montaient, moins il y avait d’air et moins il y avait de particules magiques. Les balais ne tirant aucune énergie de l’air, les réserves de la personne étaient d’autant plus sollicitées.

  • Huff… !

Une traînée d’haleine blanche s’échappa des lèvres de Nanao. La température se faisait depuis un moment basse tandis qu’elles étaient à mi-troposphère. Même pour un mage, c’était des conditions difficiles. Si elle continuait à grimper, sa vie allait être en danger. Son instinct lui disait de faire demi-tour maintenant. Mais elle ne s’arrêtait pas. Tant que son adversaire était encore devant elle, Nanao n’était pas prête à faire marche arrière. Ce n’était pas seulement de l’entêtement de sa part d’ailleurs. Si elle abandonnait et faisait demi-tour, Ashbury allait se retourner pour la frapper dans le dos ce qui annonçait une chute peu plaisante. Mais continuer à voler était synonyme de test d’endurance.

Son adversaire luttait tout autant contre l’altitude. Même le chevaucheur de balai le plus endurci ne pouvait pas s’élever indéfiniment. Et Ashbury devait, en théorie, arriver avant Nanao à une limite. C’était sa seule chance de gagner. Elle lut la trajectoire d’Ashbury et lui coupa la route en lui assénant un coup sur le côté. Vu la fatigue de cette ascension, il y avait de fortes chances qu’un coup comme celui-là fasse mouche.

  • Huff

Mais Ashbury savait que c’était ce que Nanao avait prévu. Et c’est pourquoi elle avait fait quelque chose que Nanao n’aurait jamais pu prévoir.

  • Allez, dit-elle.

Ses pieds quittèrent le balai. Elles étaient à plus de huit mille mètres dans les airs. Elles étaient à une hauteur que même les oiseaux n’osaient pas franchir. Mais Ashbury lâcha son balai malgré la distance lointaine du sol.

  • …?!

Son adversaire s’était divisée en deux. Cela n’avait aucun sens, laissant Nanao perplexe. Lancée dans les airs, l’inertie de la trajectoire ascendante d’Ashbury donna à la sorcière quelques secondes avant qu’elle ne commence à tomber, et elle les utilisa pour se retourner. Elle regardait maintenant Nanao. Leurs regards se croisèrent. Pendant ce temps, son balai montait toujours en flèche. Il lui fallut plusieurs secondes pour épuiser le mana dont Ashbury l’avait nourri. Libéré de son poids qui le ralentissait, le balai volait encore plus vite. À la fin de cette poussée de vitesse, il traça un arc de cercle dans le ciel et revint dans les mains d’Ashbury au moment où elle commençait enfin à tomber.

  • C’est la magie d’Ashbury, Nanao Hibiya.

Le balai glissa entre ses cuisses et ses pieds s’y accrochèrent. Le balai et la cavalière se rejoignirent une fois de plus, et déjà à pleine vitesse. Elle avait inversé la direction beaucoup plus rapidement qu’un virage conventionnel ne l’aurait permis, laissant la sorcière prête à s’élancer sur son adversaire. Nanao était clairement désavantagée, tant au niveau de la vitesse que de la position.

C’était le fameux Renversement d’Ashbury. Dans l’histoire de ce sport, personne n’avait réussi à contrer ce coup.

  • C’est ta chute !

Les deux ombres se croisèrent et la sorcière porta un dernier coup. Nanao brandit son club et…un long moment plus tard, le public eu vent du résultat.

  • Ah !

Katie se mit la main sur la bouche.

  • Nanao !

Chela appela son amie par son nom. Guy et Pete ne pouvaient pas parler du tout. Une fille, tombait à travers les rideaux de nuages depuis le ciel. Pendant un temps atrocement long, tout ce qu’ils pouvaient faire était de regarder.

  • Mm… ?

L’air froid qui passait à toute vitesse s’évanouit lorsque quelque chose la souleva doucement. Une douce chaleur, suffisante pour la réveiller, et elle vit le visage d’un garçon qui regardait dans le sien.

  • Oliver…

Son nom s’échappa de ses lèvres. Il sourit.

  • Toujours avec nous, je vois. Des douleurs ? Des maux de tête ? Des nausées ?

Elle s’examina et secoua la tête. Les sensations revenaient dans ses membres et, s’en rendant compte, il la déposa sur le sol. Elle était stable à présent.

  • Il est temps de quitter le terrain. Tu as perdu ce combat, Nanao.

Il posa une main sur son épaule. Il y eut un long silence. La jeune fille aziane regarda la zone de combat et acquiesça.

  • Une adversaire magnifique. Elle ne laisse aucune place à la rancœur.
  • Awww, Hibiya est à terre ! Sa toute première défaite ! Même notre recrue la plus prometteuse n’arrive pas à maîtriser la fameuse magie d’Ashbury ! Le receveur, Mr Horn l’a rattrapé sans encombre et l’escorte hors du terrain. Diana Ashbury reste une terreur ! Son Renversement l’emporte ! N’y a-t-il personne qui puisse la vaincre ?!
  • Ne donne pas autant envie non plus. Bien sûr, c’est incroyable, mais le public ne peut pas voir la technique, grommela Hedges.

Lorsqu’il vit Ashbury percer les nuages, il grimaça.

  • C’est sa façon de montrer son respect. Elle aurait gagné dans un combat normal, mais elle a mis un point d’honneur à éliminer son adversaire avec son Renvserment. C’est dire à quel point le style de Miss Hibiya l’a impressionnée. Et je dirais que c’est plutôt prometteur pour ses débuts en ligue senior.
  • Tout à fait d’accord ! Il y a encore beaucoup d’action à venir, les super fans ! Applaudissons Miss Hibiya ! Nous savons qu’elle transformera cette défaite en inspiration et qu’elle reviendra encore plus forte qu’avant !

Bien que Nanao et Ashbury aient monopolisé l’attention, le match se déroula de manière relativement équilibrée.

  • Aww, si près du but.
  • Merde ! Il nous en fallait juste un de plus !

Les Oies sauvages se lamentèrent de leur défaite sur le chemin du vestiaire. En entrant, Nanao s’inclina devant eux.

  • Je n’ai été d’aucune utilité dans la seconde moitié. Mes excuses.
  • Qu’est-ce que tu racontes ? Tu as descendu une hirondelle.
  • Et tu as affronté Ashbury pour tes débuts en ligue senior. C’était littéralement fou.

Son humilité fut saluée. Comme elle semblait surprise, le capitaine vint la voir.

  • Ce n’est pas une guerre. Gagner des matches est certes important, mais le véritable objectif est de faire passer un bon moment au public.
  • Capitaine ?
  • Et dans ce sens, tu as été à la hauteur. Ne te décourage pas, Nanao. Perdre après le Renversement d’Ashbury est un honneur pour les cavaliers à balais que nous sommes.

Il lui fit un sourire et un clin d’œil. Oliver resta à ses côtés pendant tout ce temps, attendant manifestement ce genre de chose.

  • C’est une adversaire puissante, mais le match lui-même était gagnable, déclara Oliver. —— La prochaine fois, il faudra mettre Nanao dans une formation adéquate. Et j’ai quelques idées de stratégie…
  • Oh, Horn est tout feu tout flamme !
  • Sa femme a été éliminée ! Ça énerverait n’importe qui.
  • J’ai entendu dire que cette prise était très douce.
  • Eh bien, oui, normal. C’est sa femme qui est tombée du ciel !
  • Hum, peut-on reprendre notre sérieux ?
  • Oliver n’aime pas se faire taquiner.

Le capitaine lui donna un coup d’épaule et se retourna vers l’équipe. Ils avaient peut-être perdu le match, mais son travail n’est pas terminé.

  • Horn a raison. Il est temps de faire un bilan. La prochaine fois, elle sera un membre à part entière de l’équipe, déclara le capitaine. —— En regardant le match dans son ensemble, je pense que nous nous sommes un peu trop précipités pour passer à l’offensive…
  • Urp…
  • Eeeek…

Pendant ce temps, dans la chambre des Hirondelles, un garçon et une fille se tenaient debout, sans pouvoir s’asseoir, tremblant comme des prisonniers attendant leur exécution.

  • Pourquoi se recroquevillent-ils ?
  • En attendant le fouet d’Ashbury. Hibiya a failli faire tomber l’un et a fait tomber l’autre.
  • Ah.

Cela leur avait valu des regards d’une immense pitié. Mais un peu plus tard, un nouveau coéquipier arriva et leur épargna une nouvelle terreur.

  • Détendez-vous tous les deux. Ashbury est déjà partie.
  • Huh ?
  • Vraiment ?
  • Elle n’a pas fait l’analyse d’après-match et ne s’est même pas changée. Elle s’est juste envolée du terrain avec un sourire sur le visage. Elle a dû prendre beaucoup de plaisir à affronter cette débutante. On aurait dit qu’elle avait totalement oublié votre bourde.

Le coéquipier haussa les         épaules, et les deux joueurs condamnés s’effondrèrent sur le banc derrière eux.

  • Nous sommes sauvés… !
  • Merci, Hibiya… Merci… !
  • Ne remerciez pas nos ennemis ! Je veux dire, je comprends, mais…

Toute l’équipe acquiesça. Qu’ils gagnent ou qu’ils perdent, qu’ils soient bons ou mauvais, ils étaient toujours à la merci de l’humeur de leur championne. C’est ainsi que les Hirondelles bleues procédaient.

  • Nanao, Oliver, vous voilà ! Superbe match !
  • Ça s’est joué à rien ! Une élimination et il y aurait eu prolongation !

Une fois la réunion terminée, Oliver et Nanao trouvèrent leurs amis qui les attendaient à l’extérieur. La fille aziane sourit.

  • Un ennemi puissant qui a mis entraînement en péril. Je me perfectionnerai afin de pouvoir l’emporter la prochaine fois.
  • C’est ça l’esprit. Ton potentiel est illimité, Nanao, dit Chela en mettant son bras sur les épaules de la jeune fille.
  • Si vous vous joignez à nous, ça vous dérangerait d’aller à la cafétéria et de prendre une table ? demanda Oliver. —— On vous rattrape dès qu’on s’est changé.
  • Faisons comme ça, dit Pete. —— Faites vite !

Il se dirigea vers la sortie, et les trois autres suivirent. En les regardant partir, Nanao déclara :

  • Ils sont vraiment très gentils. Alors que l’on sort d’une défaite.

Elle baissa le ton en parlant. Oliver se tint silencieusement à côté d’elle, les poings serrés, tandis qu’elle baissait la tête.

  • Une défaite abjecte. Je n’ai pas eu la moindre chance…

Il ne l’avait jamais vue regretter quoi que ce soit à ce point, pas depuis leur première rencontre. Oliver s’était avancé devant elle et posa les mains sur ses épaules. Il avait déjà préparé ce qu’il devait dire dans cette situation depuis longtemps.

  • Ce qui compte, ce n’est pas de gagner ou de perdre. Ce qui compte, c’est que tu sois saine et sauve, Nanao.

C’est ce qu’il ressentait vraiment. Pas seulement en tant qu’attrapeur, mais en tant qu’ami.

  • Tu n’as pas fait de vols bizarres, et tu es tombée droit sur moi. Tu t’en es sortie sans blessures graves. Pour moi, c’est une bonne note pour toi.

Nanao ne dit pas un mot et se contente de le regarder. Ils restèrent seuls dans le hall et un long silence s’installa. Puis ses lèvres s’entrouvrirent.

  • Alors…
  • …?
  • Je pense que les bonnes notes méritent une récompense, Oliver.

Elle parlait sérieusement. Conscient de cela, il réfléchit longuement, puis se racla la gorge. La décision prise, il l’entoura de ses bras. Le parfum persistant avait disparu depuis longtemps. Pourtant, son pouls s’accéléra et il dut se contrôler.

  • …C’est assez ? demanda-t-il
  • Heh-heh-heh.

Avec un éclat de rire, Nanao l’attira près de lui. Le confort de la chaleur de l’un et de l’autre rendait difficile la volonté de se défaire.

  • Un peu plus longtemps encore…

Et avant qu’il ne s’en rende compte, il avait laissé passer sa chance de mettre fin à l’étreinte. Ils restèrent silencieusement dans les bras l’un de l’autre pendant dix bonnes minutes.

Le dîner fut joyeux, animé par les discussions sur le match de la journée. Lorsqu’ils retournèrent aux dortoirs, il était tard. Pete s’était endormi devant un livre et Oliver le porta jusqu’à son lit, tirant les couvertures sur lui.

  • …Bonne nuit, Pete, dit-il en effleurant doucement la tête du garçon.

Certain que son ami était endormi, il quitta la chambre, puis le dortoir, et se dirigea vers le bâtiment sombre de l’école. À cette heure, l’Empiètement avait rendu la frontière entre le labyrinthe et l’école mal définie. Il choisit rapidement une entrée et plongea dans la première couche. L’obscurité qui régnait dans ces couloirs l’empêchait de rester calme.

  • Je suis très en retard, je devrais me dépêcher.

Il consulta sa montre et accéléra le pas. Il sentait le masque dans sa poche. Il avait l’intention de le mettre une fois qu’il aurait rencontré ses compatriotes, mais comme il risquait d’être vu avant de les rejoindre, il devait peut-être le mettre maintenant.

  • …Voilà qui devrait faire l’affaire.

Il trouva un coin isolé et fouilla dans sa poche. Ses doigts se refermèrent sur le masque…

  • Mm ? Oliver… ?

Une voix derrière lui. Son cœur fit un bond et il se retourna. Ce serait… ?  Mais non, c’était un grand garçon, dans un sac de couchage, à l’intérieur de ce qui semblait être une barrière basique.

  • Guy ?! Qu’est-ce que tu… ?!
  • Oh… c’est toi, Oliver, répondit Guy à moitié endormi. —— C’était la suggestion de Kevin. Une bonne façon de s’habituer au camping dans le labyrinthe… Hé… tu viens de cacher quelque chose ?

Guy se frottait les yeux, mais avait repéré le mouvement précipité d’Oliver. Pour se couvrir, il échangea rapidement le masque contre quelque chose d’autre, sortant un paquet de biscuits.

  • Je grignote juste un peu de provisions. Tu en veux un ?
  • Oh…non, ça va… Je suis trop…fatigué…

Guy s’endormit à nouveau, mais quelque chose dans la façon dont il s’était retourné, dérangea Oliver. Il s’agenouilla à côté de son ami.

  • Attends, Guy, laisse-moi voir ton dos.
  • Mmm… ?

Oliver lui enleva le sac de couchage avec force, puis lui retira sa chemise. Son corps était couvert de coupures et d’égratignures fraîches.

  • …Qu’est-ce que c’est ?!

Oliver sursauta.

  • Tu les as juste… enduits de pommade ? Aucun sort de guérison ?!
  • Ah… oui, c’est le problème. Je ne peux pas encore utiliser de sorts de guérison. Et avec mes compétences actuelles, je n’arriverai pas à traverser la deuxième couche indemne.
  • Alors ne pars pas en solo ! Reste tranquille, je vais te soigner !

Oliver sortit sa baguette, secouant la tête.

  • Sérieusement, toi, Pete ou Katie, vous avez toujours été comme ça. Vous osez vraiment faire les choses, mais ça va trop loin alors que rien n’est arrivé.
  • Mais une fois que c’est le cas, il est trop tard. On doit s’entraîner maintenant, ou l’on sera impuissant quand les choses iront mal.

Guy tournait le dos à Oliver, laissant la magie de la guérison opérer. Sa voix était sinistre.

  • Le fait d’être descendu à la deuxième couche me l’a fait comprendre. Je sais à quel point vous étiez tous en danger et à quel point c’est fou que vous soyez revenus sains et saufs… sans parler de ma faiblesse.
  • Je ne peux pas te rattraper en restant derrière. Alors laisse-moi aller trop loin. Tant que ça ne me tue pas, d’accord ? Et la prochaine fois…

Il passa un bras autour de la tête d’Oliver. Alors qu’il rapprochait son ami, la voix de Guy devint encore plus intense.

  • La prochaine fois, je ne te laisserai pas y aller seul !

C’était manifestement la principale motivation de Guy. Le bras autour de son cou fit douloureusement prendre conscience à Oliver, qui sourit.

  • …Tu deviens vraiment fiable Guy.
  • Ah, c’est un truc de mec, après tout.
  • Pas faux. Je ne suis pas du genre à rester passif.

Il acquiesça et se libéra doucement, se levant.

  • Désolé de t’avoir réveillé —— Quand même, si tu veux camper ici, mets la balise d’alarme plus loin. Et ne sois pas en retard en classe.
  • Ouais. Mais retracer les lignes c’est vraiment chiant.

Le garçon commença à réparer le cercle magique. Oliver s’en alla, furieux de ne pas avoir remarqué Guy allongé là. Reprends-toi bon sang. Une telle erreur peut te couter cher. Il marcha un bon moment, puis atteignit une pièce à l’écart du passage, le lieu de rendez-vous fixé à l’avance. Ses camarades étaient tous rassemblés.

  • Oh, vous voilà, Votre Majesté.

Le groupe de six personnes comprenait Gwyn, Shannon, Teresa et la jeune fille de septième année qui avait assisté à la dernière réunion. Elle le dévisagea.

  • Je ne suis pas de très bonne humeur, hein ? Ça ira ? On va passer une longue nuit. Ça peut être dur pour un deuxième année.

Une question brutale, à la fois préoccupante et condescendante. Il le savait, mais se contenta de secouer la tête, sans discuter. Il pensait qu’il était normal que les élèves les plus âgés aient ce sentiment. Et le meilleur moyen de les faire changer d’avis était de montrer ce dont il était capable.

  • Noll…, dit Shannon.

Sa voix était pleine d’inquiétude. Mais il ne pouvait pas se permettre de la laisser s’occuper de lui. Il n’était pas son frère ici, il était son maître. Même s’il devait encore se le rappeler. Lorsque la voie fut libre, il sortit le masque et l’enfila. Puis il prit place à la tête du groupe, parlant par-dessus son épaule.

  • Venez. Allons analyser le futur champ de bataille.

Il se mit en route et ses camarades le suivirent. Ils se fondirent dans les ténèbres du labyrinthe. Personne ici ne montrait d’hésitation, pas même si, dans un avenir plus ou moins proche, ces ténèbres risquaient de les consumer.

—————————————————
<= Précédent // Suivant =>
———————————————