REIGN OF V4 : CHAPITRE 2

La Garde du campus

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Traduction : Raitei
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La capacité de voler est l’une des choses les plus importantes qui différenciaient les mages des gens ordinaires. La créature magique du genre Besom, sous-famille des Scopae, également connue sous le nom de « balai », a été découverte avant que l’histoire ne soit inscrite et la pratique du balai est bien plus ancienne que celle des arts de l’épée. Les non-mages ont un dicton : « Même les sorcières tombent de leur balai ». Naturellement, des chutes en plein vol se produisent.

Et pourtant, puisque le vol est possible, il est tout aussi naturel que certains veuillent rivaliser en vitesse. Ajoutez à cela l’idée digne de la mentalité de mage que les sorts de guérison peuvent soigner la plupart des blessures, et vous obtenez non seulement des courses de balais, mais aussi des jeux consistant à se faire tomber les uns les autres des balais. Les sensations fortes et la sauvagerie ont rapidement captivé le cœur des mages du monde entier.

Ce qui n’était au départ qu’un jeu s’est rapidement doté de règles standardisées et est devenu un sport codifié il y a près d’un millier d’années. Le jeu a évolué : il y a 800 ans, il est devenu un sport d’équipe. « Brutal, mais beau » était déjà la devise de l’époque, utilisée dans toute l’Union. Aujourd’hui, de nombreux mages passent leurs week-ends à jouer au sport de balai, une pinte de bière à la main.

  • Rapide ! rapide ! rapide ! Plus rapide que n’importeeeee qui ! Elle n’est encore qu’en deuxième année pourtant ! Comment Nanao Hibiya peut- elle voler comme ça ? Elle est trop bonne pour ce jeu ! Tous les autres ne font que bouffer la poussière qu’elle laisse derrière !

Des mages vêtus de deux types d’uniformes voltigeaient dans le ciel au- dessus des tribunes bondées. Ils s’élançaient vers l’avant et l’arrière ou bien perçaient les flancs de chaque côté, utilisant des sortes de clubs de golf qu’ils avaient dans le dos pour faire tomber leurs adversaires au sol. La chute de chaque joueur faisait rugir la foule. Et au milieu de tout cela, il y avait cette fille bien plus petite que les autres dans les airs.

  • Sa vitesse seule était déjà une prouesse en soi, mais avec un club dans les mains, elle est vraiment inarrêtable ! Comment est-ce possible ? Tous les samouraïs d’Azia sont-ils aussi doués ? Cela pourrait bien sonner le glas de notre Union ! Très chers compatriotes, préparez vos ablutions rituelles avant de vous faire hara-kiri !

Les commentaires des élèves n’étaient pas près de se calmer. Ce n’était pas un match comme les autres. Dans une équipe, une seule joueuse contrôlait complètement le déroulement du match. Utilisant des manœuvres inédites dans cette ligue junior, elle tournait en rond autour de tout le monde. L’autre équipe essayait tous les stratagèmes possibles pour riposter.

  • Whoaaa ! Ses adversaires ne font plus attention et attaquent tous en même temps ! Hibiya a huit joueurs à ses trousses ! Ce n’est pas très sportif, mais c’est tout à fait compréhensible ! Arrivera-t-elle s‘en sortir

? Ou est-ce que ce sera trop pour elle ?

C’était leur dernier effort. Les joueurs l’avaient cernée de toute part. Conscients que ses coéquipiers allaient la suivre de près, ils ne pensaient qu’à faire tomber l’as. Ce n’était pas la meilleure tactique, mais il n’y avait guère mieux. Ils ne pouvaient pas se permettre de la laisser s’envoler. Pas de mots échangés, mais tous sur la même longueur d’onde, ils atteignent leur cible ensemble et les huit clubs fendirent l‘air. Pas un seul n’avait réussi à l’égratigner.

  • Ohhhhhhh ! Elle a réussi ! Elle s’en est sortie avec un mouvement que je n’ai même pas compris ! Qu’est-ce que c’était ? Comment a-t-elle trouvé un espace aussi étroit ? Bon, j’en ai marre de commenter ! Tout ce que je veux, c’est te regarder voler ! Je t’en prie, Hibiya, n’arrête pas ce plaisir pour les yeuuuuuuux !

Le commentateur avait hurlé, mais la foule avait rugi tout aussi fort. La bière coula des gobelets sur la rangée d‘avant, mais tout le monde ne s’en souciait plus. Tous les regards étaient tournés vers le ciel, fixés sur la fille qui volait dans les airs.

— …Peu importe le nombre de fois qu’elle le fait, je n’en crois toujours pas mes yeux, chuchota Chela. —— L’aisance dans le maniement du balai de Nanao est vraiment quelque chose !

Ils regardaient depuis un coin des tribunes. Toute la foule était debout, personne n’osant s’asseoir.

  • La ligue junior cible les étudiants des trois premières années, dit Guy, debout à côté d’elle. ——, Mais elle a déjà écrasé toute la concurrence. Elle n‘a joué que six matches, mais elle a une moyenne étonnante de 5,8. Ça signifie qu’elle bat à chaque fois la moitié de l’équipe adverse d’un revers de la main. La victoire est assurée à chaque fois. Y’a pas un monde où le club des Oies Sauvages n’arrive pas premier cette saison.
  • …Nanao casse clairement leur équilibre, ajouta Pete. —— Elle est clairement une ligue au-dessus de tous. Regardez les supporters de l’équipe adverse. Ils ont dépassé le stade de la frustration pour se résigner.

Il désigna les tribunes d’en face. Les trois autres regardèrent et découvrirent des supporters immobiles, n’agitant même pas leurs drapeaux. Personne ne pouvait les accuser de se relâcher non plus. Dans un match à sens unique comme celui-ci, les supporters s’épuisaient souvent bien avant les joueurs.

  • C’est un tel problème que la direction envisage de la retirer de la ligue junior, expliqua Guy en riant. —— Seules deux autres joueuses dans l’histoire ont fait leurs débuts en deuxième année pour être promues en ligue senior la même année.

Katie écoutait tout cela, mais regardait en silence, son expression étant beaucoup plus sombre que celle des autres. Ironique, pensa-t-elle. Elle était telle une lumière aveuglante que tout le monde voulait, mais rien n’allait étancher sa soif. Elle ne le savait que trop bien désormais.

  • Whoaaaaaaa ! …Uh-h-huh ?

Nanao avait fait tomber un joueur de son balai, mais juste avant qu’il ne touche la pelouse, il oscilla un instant avant d’être déposé délicatement sur le sol. Le receveur tout proche l‘interpela, les yeux ne quittant pas le ciel.

  • Si tu as mal, ne bouge pas. L’équipe médicale est en route.

C’était Oliver Horn, baguette blanche à la main, prêt à agir rapidement. Il n’était qu’un des attrapeurs qui surveillaient le déroulement de la rencontre, mais ses compétences avaient attiré l’attention du commentateur.

  • Whoa, belle prise d’Oliver Horn ! Le gardien de Hibiya ! Avec une joueuse qui vole comme elle le fait, vous avez besoin d’un attrapeur en or en bas

! Un contrôle magique délicat qui donne à chaque tombeur un atterrissage en douceur – ils l’adorent ! Il pourrait bien remporter le titre de meilleur receveur de la saison ! Wooo ! Tu peux m’attraper n’importe quand, Oliver !

Grimaçant devant ces louanges excessives, Oliver s’en tint à son rôle. Il n’avait pas une seconde de répit. Il savait pertinemment qu’elle pouvait faire tomber un autre joueur à tout moment.

  • Ce commentateur a compris ! dit Chela, ravie. —— Oliver mérite absolument cet éloge !
  • Ouais, répondit doucement Pete.

Guy regarda ses deux amis. L’une situé dans les airs et l’autre, au sol.

  • Nanao n’est même pas tombée une fois pourtant…
  • Oui, mais même, le fait d’avoir son propre attrapeur fait toute la différence. Elle sait qu’il la rattrapera si elle tombe, et cette confiance lui permet de voler sans crainte. Une grande partie des performances de Nanao est due à la présence d’Oliver. Je n’ai aucun doute à ce sujet.

Chela fut convaincante, mais alors même qu’elle parlait, le son du cor signa la

fin du match. Non pas parce que le temps était écoulé, mais parce que l’équipe de Nanao avait éliminé tous ses adversaires. Alors que les vainqueurs formèrent un cercle dans les airs, Guy se tourna vers les autres.

  • C’est terminé. Devrions-nous aller les féliciter ? Katie, tu es terriblement silencieuse. Ça va ?
  • Mm, je vais bien. J’ai juste… quelque chose en tête. Allez, on va fêter ça !

Katie retrouva le sourire en sortant. Il ne servait à rien de jouer la carte de la morosité. Si elle voulait guider son amie, elle devait être lumineuse.

  • Bravo, Nanao ! Tu as été tout simplement fabuleuse, comme toujours !

Nanao se trouvait dans la salle de son équipe et recevait une pluie d’éloges de toute part. Une coéquipière plus âgée l’entourait de ses bras, et les autres s’approchaient les uns après les autres.

  • Sérieux, tu as été géniale ! Je t’ai vu t’échapper du piège à 1 contre 8 !

Ils n’en croyaient pas leurs yeux !

  • Tu devrais nous en laisser bordel ! J’en ai fait tomber aucun !

Au milieu des louanges, il y avait aussi de fausses plaintes. Alors qu’Oliver observait la scène depuis le coin, un autre joueur plus âgé lui tapa sur l’épaule.

  • Tu as fait du bon travail aussi, Oliver. Courage. Ce commentateur n’est pas souvent élogieux à l’égard des deuxième année.
  • Certes, mais je pense qu’au moins la moitié était des paroles en l’air.

Il avait fait son travail d’attrapeur, mais c’était loin d’être comparable au spectacle offert par Nanao. Le talent de la jeune fille sur un balai était bien supérieur au sien, et chaque nouveau match le confirmait.

  • Nanao Hibiya est-elle ici ?

La porte des vestiaires s‘ouvrit et une fille plus âgée entra.

Les yeux aiguisés, elle se déplaçait comme une panthère. Alors que tous les regards se tournaient vers elle, elle fixa la jeune aziane.

  • Je suppose que tu as entendu les rumeurs, mais ceci est une sorte d’annonce officielle dans le cadre privé, dit sèchement la nouvelle venue. —— Au prochain match, tu passeras en ligue sénior. Réjouis-toi de la nouvelle.

Une   agitation   se   répandit   dans   la   salle,   qui   fit   bientôt   place   à   des acclamations.

  • Whoaaa, enfin !!
  • Je savais que cela arriverait avant la fin de la saison, mais je ne pensais pas que ça arriverait aussi vite.
  • Awww, c’était notre dernier match ensemble !
  • Hé, ne pleure pas ! Tu n’as qu’à aller en ligue sénior toi aussi !

Certains furent heureux pour elle et d’autres, tristes d’être laissés pour compte. Mais plus l’agitation augmentait et plus la nouvelle s’agaçait.

  • …Taisez-vous ! grogna-t-elle. —— Vous vous rendez compte qu’un jeune talent vient de vous quitter là ? Et vous êtes contents ? Tss…

Son commentaire était suffisamment cinglant pour jeter un froid dans la salle. Le garçon à côté d’Oliver, un joueur plus âgé, fit son apparition.

  • Toujours aussi dure, Ashbury… Mais je ne peux pas être d’accord avec toi. La promotion d’un coéquipier doit être célébrée.
  • Quoi ? Tu crois y être pour quelque chose ? Ne me fais pas rire.

Sa tentative de calmer les choses ne fit que provoquer davantage Ashbury.

  • Ce match, c’est elle qui l’a gagné, comme tous les autres cette saison, s’insurgea-t-elle en jetant un coup d’œil à la salle. —— Y a-t-il eu une seule seconde un travail d’équipe dans cette rencontre ? Je n’ai rien vu de tel. C’est ce qui arrive quand une hirondelle partage le ciel avec des moucherons.

Cette évaluation plus que brutale fit taire tout le monde. Ils étaient bien conscients que la victoire d’aujourd‘hui était quasiment due à Nanao. Ashbury détourna son regard d’eux et se tourna vers Oliver.

  • Si quelqu’un d’autre mérite d’être félicité, c’est bien le receveur. Tu as fait un bien meilleur travail que n’importe lequel de ces moucherons.
  • …Merci.

Ce n’était pas le moment de se réjouir d’un compliment alors Oliver s’en tint au strict minimum. Le regard d’Ashbury fut de retour sur Nanao.

  • Quoi qu’il en soit, le temps de l’amusement est terminé. Viens dans le ciel, là où tu dois être, Nanao Hibiya. Pour que je puisse t’assommer.
  • Volontiers. Ce serait un honneur.

Nanao ne sourcilla pas devant la menace, mais ce n’était pas tout. Regardant son adversaire droit dans les yeux, elle ajouta :

  • Mais le mot moucheron est inapproprié. Nous avons partagé les airs et ce sont mes semblables. J’exige une rétractation immédiate.
  • …Hmmm ? Ce serait une perte de temps

Ashbury    rejeta  sa   demande   d‘un   revers   de   la   main.   Elle  fixa   Nanao quelques instants de plus, comme pour la jauger, puis reprit la parole.

  • Autant demander pendant que je suis là. C’est important alors réfléchis bien à ta réponse : Qu’est-ce qu’un balai pour toi ?

Une question terriblement abstraite. Nanao semblait déconcertée.

  • Mon partenaire, naturellement. Nous partageons le désir d’une vitesse de plus en plus grande, qui me portera vers des cieux lointains. N’est-ce pas le cas pour toi ?

Elle répondit avec son cœur, puis retourna la question, incapable de concevoir une autre position. La position d’Ashbury était tout aussi ferme.

  • Pas du tout. On ne peut pas être plus différent, répondit-elle. —— Un balai, c’est une partie de mon corps. Il vole comme je le veux et n’a pas de volonté propre.

Elle pointa son doigt par-dessus l‘épaule vers le balai qu’elle portait au dos. Puis elle s’approcha d’elle, face à face, fixant les yeux de Nanao.

  • Contente d’avoir demandé. Quel cliché ambulant, petite. Je te ferai tomber du ciel !

Avec une petite voix soulée, elle porta cette déclaration de guerre jusqu’à la menace physique. Puis elle détourna les talons et sortit de la pièce à grands pas. Aucun des joueurs qu’elle avait insultés ne tenta de l’arrêter. Pour les joueurs de la ligue junior, elle était tout simplement trop intense pour qu’on s’engage avec elle. Personne n’osait parler avant d’être absolument sûr qu’elle était bien partie.

  • …Tu es vraiment un aimant à ennuis, Nanao, dit le plus âgé des garçons de l’équipe.
  • On peut voir les choses ainsi. Elle semble avoir du tempérament, répondit Nanao, apparemment plus intrigué qu’autre chose.

Une fille plus âgée arriva par-derrière et posa ses mains sur les épaules de Nanao.

  • C’est Diana Ashbury, l’une des meilleures monteuses de balais de Kimberly. Être dans son collimateur est une mauvaise nouvelle, Nanao.

Nanao mis à part, tout le monde dans la salle était sur la même longueur d’onde. Des talents extraordinaires suscitaient un mécontentement extraordinaire. Oliver était une fois de plus contraint d’affronter la façon dont l’existence même de Nanao affectait le monde qui l’entourait. Et c’est alors qu’on frappa à la porte.

  • Excusez-nous   !   Nous   sommes   des   amis   de   Nanao   et   d’Oliver.

Pouvons-nous entrer ?

Les deux reconnaissent la voix de Guy.

  • Tes amis sont ici pour célébrer, dit la fille derrière Nanao avec un sourire. Allez vous amuser tous les deux.
  • Viens, Oliver !
  • Mmm.

Ils se dirigèrent vers la porte, se réjouissant de l’adulation de leurs amis, comme s’il s’agissait d’un événement de la vie quotidienne qui effaçait les turbulences de l’instant précédent Il n’y avait pas que les sports de balai. Le fait d’avoir progressé d’une année avait considérablement amélioré le statut de Nanao sur le campus. Sa première année avait été un véritable tourbillon : soumission des trolls, défaite du Garuda, performances impressionnantes lors de la battle royale des première année, et enfin son implication dans l’incident d’Ophelia Salvadori. Ses exploits parlaient d’eux-mêmes.

  • C’est ici ?
  • …Oui.

Nanao et Oliver se trouvaient devant une salle de réunion au quatrième étage. C’était le bureau du conseil des étudiants, mais le panneau sur la porte indiquait QG Garde du campus. Un nom imposant digne de Kimberly.

Excusez-nous, dit Oliver en frappant à la porte. —— Oliver Horn et Nanao Hibiya, en deuxième année. Nous sommes là suite à la convocation.

  • Entrez, répondit une voix masculine.

Ils franchirent la porte. De longues tables étaient disposées en carré au centre, et trois étudiants de deuxième année étaient assis autour, Godfrey au milieu.

  • Bienvenue dans les bureaux de la Garde de Kimberly, dit-il. —— Désolé de vous surprendre. Inutile d’avoir l’air si tendu. Asseyez-vous.

Le président leur fit signe de s’asseoir sur les chaises en face. Une fois assis, Godfrey se redressa et prit la parole de manière formelle.

  • Tout d’abord, permettez-moi de vous exprimer ma gratitude pour l’aide que vous avez apportée à Ophélia et à Carlos. C’est grâce à vos efforts que personne n’est mort dans cette histoire.
  • …Non, sans toi, nous aurions pu y passer, dit Oliver, regardant ses mains. C’était son opinion sincère.

Mais cela fit froncer les sourcils de la jeune fille à la peau foncée. À en juger par les couleurs de son uniforme, elle était en sixième année.

  • Et c’est pour cela que nous n‘allons pas dans des endroits qu’on ne peut pas gérer, s’emporta-t-elle. —— Godfrey ne voit que les résultats, mais je ne laisse pas les gens s’en tirer aussi facilement.

Oliver n’avait pas d’arguments à faire valoir. Il acquiesça simplement, sachant que c’était vrai. Mais le troisième élève éclata de rire, un homme en cinquième année, plus petit que les autres.

  • …L’hôpital qui se fout de la charité.
  • Tu peux répéter ça, Tim ?
  • Non, ça ira.

Elle le fixa d’un regard noir, mais Tim regarda soigneusement ailleurs.

  • Alors tais-toi, l‘empoisonneur fou, cracha-t-elle. —— C’est de ta faute si nous pouvons tous identifier la plupart des poisons par leur seule odeur.
  • Quelle dette vous avez tous envers moi ! Que d’éloges ! Je rougis.

Il pensait que l’audace était la meilleure réponse à la méchanceté, et les étincelles étaient manifestement en train de jaillir. Coincé entre les deux, Godfrey soupira. Il est clair qu’il avait depuis longtemps renoncé à la médiation.

  • On ne se prend pas la tête quand on a de la compagnie, dit-il. —— Je m’excuse en leur nom. Ils se chamaillent beaucoup, mais ils sont plus proches qu’il n’y paraît.
  • C’est l’impression que j’ai eue, répondit Nanao en souriant.

Les deux membres interrompirent leur concours de regards et Godfrey les présenta comme il se doit. La fille en sixième année s’appelle Lesedi Ingwe, et lui c’est Tim Linton, en cinquième année. Tous deux étaient des membres vétérans de la Garde et avaient combattu aux côtés de Godfrey depuis leurs premiers jours à Kimberly. En fait, ils avaient déjà rencontré Oliver et Nanao, après l’incident d’Ophélia, en remontant de la troisième couche du labyrinthe.

  • Maintenant, parlons affaires, commença Godfrey. —— Je suis sûr que vous avez deviné pourquoi je vous ai fait venir.

Il se pencha en avant, regardant tour à tour les yeux de chaque visiteur.

  • Mr Horn, Miss Hibiya, êtes-vous d’accord pour nous rejoindre ?

Oliver ne fut pas surpris d’entendre cela. Godfrey avait déjà fait son devoir et les avait réprimandés sur la forme pour avoir pénétré dans le labyrinthe durant l’état d‘alerte. Le recrutement était la seule option qui restait.

  • Je suis sûr que cet incident a fait comprendre à tous que nous manquons cruellement de personnel. Nous avons tout de même des membres, mais peu sont fiables pour des problèmes graves. Actuellement, nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter le fait que nous ne pouvons pas tout gérer nous-mêmes.

Il n’était pas du genre à cacher les défauts de la Garde. Oliver savait qu’il était franc et il avait eu confirmation cette fois-ci.

  • Mais pas de panique. Nous sommes certes encore loin du but, mais nous avons un plan clair pour répondre à nos préoccupations. Nous prévoyons de réglementer le labyrinthe. Limiter l’entrée aux élèves de troisième année et plus, et augmenter la surveillance pour réduire les conflits entre étudiants. Si nous parvenons à mettre en œuvre ces mesures pour les deux premières couches alors nous pensons que cela permettrait d’éliminer environ 2/3 des incidents du labyrinthe.

Les précisions qu’il donnait aidaient Oliver à comprendre comment fonctionnait l’actuel Conseil des étudiants de Kimberly.

Et la raison pour laquelle ils n’avaient pas pris le nom de Conseil des étudiants était pour ne pas rester dans le giron de l’administration. Ils voulaient briser le statu quo.

  • Je suis moi-même un mage. Je sais que la pratique de la sorcellerie dépasse les limites de la morale, et si les habitants des profondeurs choisissent de s’entretuer, je n’interviendrai pas. Mais je ne resterai pas les bras croisés lorsque leurs conflits impliquent des élèves inexpérimentés. C’est une position que je défends depuis longtemps.
  • Et les étudiants qui pensent la même chose ne manquent pas. Pour preuve, le nombre d’élèves de première année dans les bilans annuels des décès est toujours aussi faible. Les élèves expérimentés font ce qu’ils peuvent pour éviter la mort de leurs cadets. Autrement dit, mon intention de réglementer le labyrinthe ne fait que réaliser concrètement une pensée majoritaire.

Oliver acquiesça. Depuis sa venue, les problèmes de labyrinthe avaient été à la fois violents et sanglants. Sa propre implication avait été tour à tour due à la malchance et à une ingérence délibérée, mais faire face à autant de dangers dès la première année était clairement inacceptable. Son groupe était passé bien trop près de subir des pertes permanentes.

  • Étant donné que vous avez tous deux risqué votre vie pour sauver un ami, j’espérais que vous pourriez sympathiser. C’est l’une des raisons pour lesquelles je vous invite à nous rejoindre, mais ce n’est pas la seule. D’un point de vue plus pratique, nous avons besoin de gens qui se battent. Vous savez mieux que quiconque à quel point il faut être habile pour affronter une personne consumée par le sort. Vous devez être meilleur que n’importe qui d’autre et peu sont qualifiés. Mais vous deux êtes déjà très prometteurs.

Godfrey fit une pause, observant attentivement leurs visages.

  • J’apprécie les éloges, déclara Oliver. ——, Mais je pense que ce n’est pas mérité. Si nous avons survécu assez longtemps jusqu’à l’arrivée des renforts, c’est parce que Miss Miligan était avec nous.
  • Miligan a dit la même chose, qu’elle n’y aurait jamais survécu seule.

Oliver cligna des yeux. Il ne l’avait pas vu venir. L’aide de Vera Miligan avait été inestimable, et il n’avait pas eu l’impression qu’ils lui rendaient la pareille.

  • Naturellement, je ne vous mettrais pas encore en première ligne. Mais au cours de votre première année, vous avez combattu d’innombrables chimères, vous avez atteint la troisième couche et vous êtes sortis vivant du Grande Aria. Je ne pense pas une seconde que c’était une coïncidence. Compte tenu de votre potentiel de croissance, je ne pense pas du tout vous surestimer.

Entre les évaluations du président et celles de Miligan, toute hésitation supplémentaire serait perçue comme une impolitesse. Oliver cessa d’argumenter et écouta. Nanao n’avait pas encore répondu.

  • « t bien sûr, je n’ai pas l’intention d’exiger un travail unilatéral. Étant donné la nature de notre groupe, nous ne pouvons attendre aucun soutien de l’école, mais nous pouvons vous offrir bien d’autres choses, poursuivit Godfrey. —— Par exemple, les résultats des recherches menées par les étudiants de la Garde. Pas tous, mais nous en partageons une partie entre nous. Il existe d’autres groupes ayant des pratiques similaires, mais rien d’aussi gros que la Garde du Campus. Plus il y a de contributeurs, plus les avantages sont importants.

Oliver trouvait certainement l‘idée séduisante. Compte tenu de ses objectifs, il souhaitait bénéficier de tous les avantages possibles. Toutes les techniques qu’il pourrait glaner auprès des combattants expérimentés de la Garde s’avéreraient inestimables pour l’aider à combler l’écart entre ses compétences et les six cibles qu’il lui restait à atteindre. Après avoir révélé cet avantage, Godfrey croisa les bras, pensif.

  • Si je dois faire miroiter d’autres carottes… Miss Hibiya, j’ai entendu dire que tu aimais les duels, en particulier l’utilisation des arts de l’épée.
  • En effet, c’est le cas.
  • J’ai moi-même de l’expérience dans ce domaine. On dirait de la vantardise, mais on peut dire que je fais partie des meilleurs élèves de l’école. Est-ce que c’est une preuve suffisante ?

Godfrey se leva, tira son athamé et le tint à mi-hauteur. Un coup d’œil à sa forme et un craquement parcourut l’échine d’Oliver, ou plutôt un frisson. Nanao eut également un léger frémissement.

  • …Sans aucun doute, répondit-elle.
  • À vrai dire, j’ai envie de me retrouver face à vous, moi aussi.

Il sourit en rangeant sa lame. Puis il se rassit et tourna son regard vers Oliver.

  • La même offre s’adresse à toi, Mr Horn. Délicatesse et adresse sont deux mots qui n’ont rien à voir avec mon type de magie. Mes amis disent régulièrement que j’ai un canon à la place de la baguette. Si nous devions nous battre côte à côte, Dieu seul sait à quel point je me fierais à ton approche diamétralement opposée pour me soutenir.

Il ne s’agissait pas de promesses en l’air destinées à l’aider dans ses efforts de recrutement. Oliver décida que Godfrey était simplement clair sur ses forces et ses faiblesses. C’est souvent le cas des grands mages. Mais à ce stade, Godfrey s‘arrêta et poussa un long soupir, fronçant les sourcils en regardant ses mains.

  • Enfin, et c’est purement personnel, j’ai perdu un ami précieux et je suis au plus bas. Je soupçonne que c’est le cas de tous les membres de la Garde.

C’est comme si une lumière s’était éteinte à l’intérieur. La prestance qu’il avait gardée jusque là s’était évanouie. Même sa voix s’était réduite à un murmure. Il avait visiblement rapetissé, et les amis silencieux qui se trouvaient de part et d’autre firent de même.

  • Nous avons besoin de votre aide, insista Godfrey. —— Voilà.

Le cœur d’Oliver bascula sous le coup de l’émotion. Il pouvait sentir à quel point ces trois-là étaient déprimés. Ce qu’ils avaient perdu était irremplaçable. Et Godfrey ne dissimulait pas cette faiblesse en se cachant derrière une quelconque fierté ou dignité. Il souffrait tellement que même deux nouveaux lui étaient salutaires. Rien de ce qu’il aurait pu dire n’aurait pu toucher Oliver davantage. Il sentait monter l’envie d‘accepter sur-le-champ. Une raison valable serait qu’il avait plusieurs dettes envers Godfrey. Et pas seulement lui, feu Carlos Whitrow aussi.

  • …Je crains ne pas pouvoir.

Mais il avait une très bonne raison de refuser malgré l‘envie.

  • Je vois. Puis-je savoir pourquoi ? demanda Godfrey, sans une once de ressentiment dans la voix.

Oliver choisit ses mots avec soin.

  • Je suis tout à fait favorable à tes objectifs. Pour l’instant, je n’ai rien à redire à ton projet de régulation du labyrinthe. Je soutiens même le principe. Mais en même temps, pourrais-je me joindre à vous pour les imposer ? Pour l’instant, non. Je suis moi-même un mage et j’ai à faire.

Il pouvait comprendre cet idéal de campus ordonné et sécuritaire, mais tous les objectifs de Godfrey étaient défensifs. Pour Oliver, il restait en effet six cibles à abattre. Ils avaient certes la même vision, mais deux méthodes opposées pour la concrétiser. Godfrey ne pouvait rien savoir de tout cela, mais il pouvait voir qu’Oliver était sincère. Un sourire fut esquissé et il acquiesça.

  • Très bien, dit-il. —— C’est dommage. Merci pour ton temps.
  • Merci à toi. Mais je n’aime pas prendre tes compliments et m’enfuir. Je ne rejoindrai pas la Garde, mais si tu as besoin de moi, je serai heureux d‘aider comme je peux, répondit Oliver. —— Je ferais mieux d’y aller. Nanao… c’est à toi de choisir.

Il se leva. Il n’y avait plus rien à dire. Il aurait été malhonnête de chercher à rallonger la discussion plus longtemps. Il ouvrit la porte, s’inclina une fois et partit, laissant le silence dans son sillage.

  • Alors, je dois moi aussi prendre congé, dit la jeune aziane en se levant.
  • Tu refuses toi aussi, miss Hibiya ? demanda Godfrey, le sourire de plus en plus amer —— Mon épée ne suffit pas ?
  • C’était plus que suffisant. Mais ma place est aux côtés d’Oliver.

Elle sourit vivement, montrant clairement sa sincérité. Godfrey faillit rire à haute voix. Qui pouvait se plaindre d‘un tel sérieux ? Nanao s’inclina à son tour. Lorsque la porte se referma, les épaules de Godfrey s’affaissèrent, comme si ses cordes s’étaient rompues.

  • …Abattu deux fois ! C’était brutal.
  • Il n’y a rien d’étonnant à cela. La plupart des gens ne sont pas aussi bêtes que toi, dit Lesedi. ——, Mais les samouraïs sont peut-être bêtes d’une tout autre manière…

Elle avait réfléchi à leurs refus et dans les deux cas, il n’y avait pas plus humble comme manière de dire non. Tous deux étaient manifestement conscients de la position de la Garde du campus et s’efforçaient de faire preuve de la même franchise. Il était rare qu’elle rencontre quelqu’un d’aussi admirable au sein de Kimberly. Et pourtant…

  • Pas le garçon, cependant. Il avait le visage d’un mage.
  • Attends, Oliver !

Luttant contre des émotions persistantes, Oliver entendit une voix joyeuse derrière lui. Il se retourna pour se retrouver face à un sourire éclatant.

  • C’est déjà fini, Nanao ? Tu as refusé, je suppose ?
  • Oui. C’était une offre tentante, mais ma place est à tes côtés.
  • …!

Nanao s’exprima comme si c’était l’évidence même. Cela l’avait laissé à bout de souffle. Elle fit deux pas de plus et le regarda droit dans les yeux.

  • Sans vouloir te rendre la pareille… commença-t-elle.
  • … ?
  • Puis-je emprunter ta main ?

Elle avait l’air si déterminée. Hésitant, il tendit la main et elle la prit dans les siennes, la serrant contre sa poitrine. Elle ferma les yeux, comme pour prier.

  • Pardonne ce que je porte. Je ne sais si ces sentiments sont véridiques.
  • …Quoi ?

Ces mots qu’il ne put comprendre ne faisaient que l’ébranler davantage. Son sourire revint, chassant la confusion. Elle l’entraîna dans le couloir.

  • Ne t‘en préoccupe pas, dit-elle. —— Nous devons nous hâter vers notre prochain cours !

Il y avait cours d’alchimie. En attendant le début du cours, tous les élèves se posaient la même question.

  • Qui ce sera cette fois-ci ? dit Guy.
  • Depuis   que   le   premier  professeur   a   disparu,   les   remplaçants   se succèdent à tour de rôle, ajouta Katie.
  • Peu importe, tant que ce n’est pas mon père…, dit Chela en soupirant.

Théodore avait été remplaçant alors son comportement excentrique avait causé à sa fille de nombreux maux de tête. Oliver jeta un coup d’œil au profil de Chela et espéra pour son bien qu’ils avaient choisi un vrai remplaçant.

  • Booon, booon… j’ai réussi à venir ici d’une manière ou d’une autre.

Un homme mince portant une boîte remplie de matériel pédagogique franchit la porte. Tous les regards se tournèrent vers lui. Il laissa la boîte s’écraser sur l’estrade et s’essuya le front.

  • Pfiou… Heu… hmm.

Remarquant que sa robe était froissée, il tenta de la tapoter d’une main et sourit maladroitement avant de se présenter.

  • Je suis votre nouveau professeur d’alchimie, Ted Williams. Dieu sait si je peux vraiment prendre la relève de Darius, mais faisons au mieux !

La main de Chela se leva.

  • Si je peux me permettre professeur, êtes-vous un remplaçant officiel ?

Nous avons eu un certain nombre d’intervenants jusqu’à maintenant.

  • Mmm ? Oh, c’est vrai. À partir d’aujourd’hui, votre classe est mienne.

Son visage s’assombrit. —— À moins que vous ne vous y opposiez ?

  • Pas du tout ! Nous sommes heureux de vous accueillir, professeur Williams !

Le sourire de Chela était aussi ensoleillé que le sien ne l’était pas. Oliver étouffa un sourire, mais Ted avait l’air incroyablement soulagé.

  • C’est une bénédiction, répondit-il. —— Alors, heu… Commençons, voulez-vous ? Page 8, je vous prie.

Au lieu de se présenter encore plus, le nouvel instructeur se lança directement dans sa leçon. Il vérifia brièvement les progrès réalisés par les élèves, puis décida d’évaluer leur niveau de compétence. Il demanda à chacun de mettre son chaudron sur le feu et, tandis que les élèves commençaient à préparer les potions, il fit les cent pas dans la pièce, prenant tout en compte.

  • Oh, petit malentendu. Par « pleine lune » ici, on ne parle pas de la plante du même nom. Regardez la page précédente et vous verrez les plantes qui ont des feuilles rondes et jaunes. Cette explication est vraiment déroutante. J’enverrai un mot à l’éditeur plus tard.
  • Il faut laver son couteau à chaque fois ! Je sais que c’est pénible, mais si les ingrédients se mélangent pendant que vous les hachez, le mélange final sera raté. Entre nous, en tant qu’étudiant, j’ai fait des recherches sur l’efficacité de ce procédé, pensant que cela ne changerait pas grand- chose, mais l’efficacité de la potion obtenue a augmenté de 50% ! J’ai dû m’avouer vaincu, car ce n’est pas négligeable.
  • Vous êtes très rigoureux avec le chaudron. J’oubliais toujours de nettoyer le mien, il devenait rouillé à force et je passais des heures à le récurer. Je savais qu’il suffisait de passer de l’huile dessus une fois l’infusion terminée, mais je devenais paresseux… et tout ce récurage rendait les parois du chaudron de plus en plus minces. Un jour, je l’ai mis sur une forte flamme, et le fond s’était effondré. Pour couronner le tout, c’était du tonus capillaire, alors tout le monde autour de moi a eu une barbe qui a poussé d’un coup. Nous étions devenus des sortes de montagnards ! Je me suis bien entendu excusé, mais sur le moment, nous étions tous tombés à la renverse en riant !

Ted ne se contentait pas de signaler les erreurs, il félicitait aussi lorsque les choses étaient bien faites et mêlait des anecdotes pour que l’ambiance reste moins pesante. Le cours d’alchimie n’avait jamais été aussi paisible, et il se termina sans qu’ils s’en rendent compte. Lorsque la cloche sonna, Ted cessa de faire les cent pas et revint sur l’estrade en souriant à ses élèves.

  • C’est tout pour aujourd’hui. Je suis soulagé de voir des élèves aussi dévoués. N’oubliez pas de réviser les dix pages que j’ai mentionnées – il n’y en a pas tant que ça, donc vous devriez y arriver facilement après le dîner. À la prochaine fois !

Une fois les devoirs assignés, il quitta la salle. Les élèves le regardèrent partir, incrédules.

  • …Est-ce que je rêve ? C’était… un cours normal ?
  • …Pareil pour moi. Il était comme un prof d’une école de non-mages.

Katie et Pete avaient tout dit. Pas d’égo étalé, pas de plans de cours conçus pour provoquer des blessures graves au moindre faux pas, aucun d’entre eux ne se souvenait d’un cours comme celui-là. Guy se gratta l’arrière de la tête, ne sachant pas s’il rêvait.

  • Je   suppose   qu’on   en   a   eu   un   bon   ?   C‘est   bien   de   voir   qu’ils n’embauchent pas que des trous du cul ici. Pas vrai, Oliver ?
  • Oui. Mais ce n’est que le premier jour, répondit Olivier avec prudence, en rangeant ses outils.

Une première impression n’était pas suffisante pour qu’il baisse sa garde. C’était Kimberly. Si un professeur semblait ne pas avoir de griffes ou de crocs, cela signifiait seulement qu’il les cachait.

  • Je vais poser une question, juste un petit truc qui me tracasse. Allez- y, les gars.

Plus une personne faisait bonne impression, plus Oliver était nerveux. Estimant qu’il valait mieux se faire une idée de l’homme tout de suite, il quitta rapidement la pièce, essayant de rattraper Ted. Alors qu’il atteignait le virage du hall, il entendit des voix venant du coin.

  • Comment s’est passé ton premier jour, Ted ?
  • J’ai été stressé tout le temps, Luther. Certain de décevoir mes étudiants.
  • Je suis sûr que ce n’était pas le cas . Garde la tête haute ! Darius lui- même t‘a recommandé.

L’une des voix était celle de Ted, et Oliver connaissait aussi la seconde, celle du maître épéiste, Luther Garland. Oliver s’arrêta dans son élan, se cachant pour écouter attentivement.

Cela a été le plus grand choc, a déclaré Ted. —— Je n’avais jamais imaginé que Darius me désignerait comme son successeur. Il n’en a jamais parlé.

  • Vraiment ? Lorsque j’étais étudiant ici, il mentionnait souvent tes compétences. Il disait que tu étais du genre trop conservateur, mais que tu avais un vrai talent, disant que tes potions étaient toujours efficaces.
  • C’est la première fois que j’en entends parler ! Il n’a jamais rien fait d’autre que de me ridiculiser. Il disait que mes idées manquaient d’inspiration, que n’importe quel imbécile pouvait se tenir là et remuer un chaudron et ainsi de suite…

Ted avait l’air de se flétrir sur place.

  • Je n’ai pas fait beaucoup mieux, déclara Garland, son rire étant plutôt creux. —— Il m’a surpassé dans tous les domaines, sauf là où j’avais du talent. J’avais décidé de perfectionner encore plus mon point fort, à savoir mon art de l‘épée… Et j’ai pris pour acquis que notre relation n’allait jamais changer.

Garland était habituellement chalereux, mais toute trace de la chose avait quitté son ton. Il y eut un long et sombre silence, puis Ted murmura :

  • …Tu crois vraiment qu’il ne reviendra pas ?
  • La directrice semble certaine. Elle a interrompu les recherches il y a quelque temps.
  • Oof… Je n’arrive pas à croire qu’il soit tombé si facilement. Je veux dire… Darius n’était pas une mauviette. Il pouvait même s’occuper de chasseurs gnostiques en service actif…
  • Je suis d’accord, dit Garland, comme si cela le rongeait. —— Et c’est exactement pour cela que je dois savoir ce qui s’est passé.

Puis il s’interrompit.

  • Qui est là ?
  • ?!

Le cœur d’Oliver commença à battre fort. Comment, à cette distance avait-il pu être repéré ? Malgré la confusion totale de son esprit, il essaya de se calmer, se disant à lui-même de ne pas paniquer. Il devait seulement dire qu’il était venu demander plus d’informations au professeur Ted sur le cours et qu’il attendait qu’ils terminent. Mais cette explication allait-elle fonctionner ? Et s’ils lui demandaient pourquoi il s’était caché si soigneusement ? Devait-il dire qu’il était curieux de la disparition de Darius, admettre qu’il avait écouté aux portes et s’excuser afin de minimiser le mensonge ? Allait-il y parvenir vu que Garland était préoccupé par le sort de son ami disparu. Il avait tué Darius Grenville de ses propres mains. Pouvait-il maintenir son innocence ici ? Ou allait-il commettre une erreur fatale ?

  • …!

Il ne pouvait pas en être certain et cette absence de certitude lui força la main. Oliver scruta le sol à ses pieds. Dans un coin, il aperçut une souris en forme de boule, ce qui n’était pas inhabituel ici. C‘était mieux que rien, pensa-t-il, en sortant sa baguette blanche et en envoyant une vague de mana vers elle. Lorsque la souris se tourna vers lui, il donna un coup de baguette sur le côté, utilisant le sens du mana de la créature pour la guider. La souriboule se précipita au coin de la rue. Ce faisant, Oliver s’enfuit dans l’autre direction, prenant soin de rester en mode furtif. Ses yeux se posèrent sur la porte de la salle de classe la plus proche, mais il l’ignora et se glissa dans la deuxième salle, où le cours venait de se terminer et où il y avait encore beaucoup d’élèves qui s’attardaient. Comme on cache un arbre dans une forêt, il se dissimula dans la foule des élèves qui bavardaient… Au fond du couloir, les deux professeurs regardaient fixement la souriboule. Après un long silence, un sourire se dessina sur les lèvres de Ted.

  • Haha. Incroyable Luther, dit-il. —— Tu peux même sentir qu’une souriboule te regarde.
  • …Ce n’était pas un animal.
  • Alors un élève qui fait une farce ? C’est ce que nous faisions tout le temps. Nous pratiquions nos techniques de furtivité sur les professeurs.

Ted plaisanta sur leurs propres frasques d’écoliers, ce qui avait finalement apaisé la tension de Garland.

  • …C’est vrai, admit-il. —— Cela ne vaut probablement pas la peine de s’inquiéter.

Il se retourna et partit dans le couloir avec Ted, tout en se disant qu’il devenait un peu trop tendu. Oliver sortit à nouveau dans le hall, en compagnie d’un groupe d’autres élèves. Il continua d’avancer pendant cinq bonnes minutes, jusqu’à ce qu’il soit sûr qu’il n’y avait personne d’autre dans les parages. Ce n’est qu’à ce moment-là qu’il se détendit.

  • …Hah…hah… !

Il s’affaissa contre le mur, respirant bruyamment. Il était tellement tendu que tous les nerfs de son corps hurlaient. Ce fut un rappel brutal que l’espionnage des professeurs de Kimberly pouvait se retourner contre nous.

  • Qu’est-ce qui ne va pas ?
  • ?!

Une voix se fit entendre juste à côté de lui. Il n’y avait pas un instant à perdre. Oliver dégaina son athamé et trancha l‘air sur sa droite. Lorsqu’il regarda la pointe de sa lame, il vit qu’elle était à 5cm du visage d’une petite fille familière. Après plusieurs longues secondes, il soupira.

  • …Encore toi, Miss Carste ? Pourquoi me surprendre comme ça ?
  • Mes excuses. Je me faufile par habitude maintenant.

Teresa Carste n’avait pas sourcillé et il rengaina sa lame. Le coup de fouet émotionnel entre le stress et le soulagement l’avait privé de l’énergie nécessaire pour se mettre en colère contre elle.

  • Épargne-moi tes excuses. Que veux-tu ?
  • Dois-je vouloir quelque chose ? L’idée était de vous suivre comme un chiot.

Alors qu’elle se contentait de le taquiner, il avait cette fois-ci jeté un regard noir. Elle baissa les yeux, contrariée, et essaya à nouveau.

  • Blague à part, voici un peu de sagesse. Je vous déconseille d’approcher Luther Garland de cette façon. Il dépasse de loin les autres professeurs. Il m’a même détecté alors que je me cachais dans des conditions optimales. Cela traduit à quel point il est dangereux.
  • … Oui. Très. Même si ça me fait mal de le dire

Cela ne faisait que confirmer l’imprudence dont il avait fait preuve. Compte tenu de leurs opérations ici, il avait été bien formé à l’art de la furtivité. Cette expérience l’avait amené à penser qu’il se trouvait à une distance sûre et qu’il devrait pouvoir écouter sans être détecté. Et voilà le résultat. Le « devrait » ne s’applique pas à l’exceptionnel. C’est précisément pour cette raison qu’il avait choisi Teresa comme spécialiste de la dissimulation. Et s’il se montrait sévère envers lui-même, s’arrêter pour parler ainsi pouvait aussi attirer une attention non désirée. Il lança un regard à Teresa et ils commencèrent à avancer ensemble dans le couloir. Elle resta silencieuse un moment.

  • J’ai supposé que c’était sans importance, alors je ne l’ai pas dit, commença-t-elle. ——, Mais j’ai repéré Luther Garland dans le labyrinthe pendant l’incident avec Ophelia Salvadori.
  • Ah oui ?

Ses yeux s’écarquillèrent. Suivant son rythme, Teresa acquiesça.

  • Dans la troisième couche, après notre séparation pour traverser le marais. Je n’avais pas pu vous rattraper avant le début de l‘aria, mais après avoir atteint la rive opposée, j’avais suivi vos traces et l’ai vu en chemin. Il parcourait la troisième couche sans se cacher, abattant toutes les chimères qui se présentaient à lui.
  • Je n’ai pas besoin de souligner que ses actions furent une infraction au règlement qui stipule que les professeurs ne devaient agir que huit jours après la disparition d’un étudiant. Il ne semblait pas chercher l’atelier d’Ophélia Salvadori, donc je n’étais pas sûre de son but. Qu’en pensez- vous ?

Elle lui laissa le soin d’interpréter les faits, se contentant de les rapporter. À la lumière de ce qui précéda, il réfléchit à la question pendant un moment.

  • Peut-être a-t-il simplement choisi de ne pas attendre. Huit jours c’est bien long après tout.
  • …Ce qui veut dire ?
  • En tant que membre du corps professoral de Kimberly, il ne pouvait pas encore s’impliquer personnellement dans les recherches. Il a donc fait ce qu’il pouvait pour aider indirectement les troupes de Godfrey, en attirant la chimère de la troisième couche vers lui, sans que personne ne s’en aperçoive.

Il y avait plusieurs autres possibilités, mais c’est celle qui semblait la plus logique pour lui.

  • Cela ne m’était pas venu à l’esprit, dit Teresa en se caressant le menton.

—— …Puis-je vous demander votre source ?

  • Je n’en ai pas, répondit Oliver, la voix sombre. —— Je me fie à son caractère. Mais je ne peux pas nier qu’il puisse y avoir d’autres motifs.

Son vassal de l’ombre observait attentivement son expression.

  • Autrement dit, vous appréciez Luther Garland ?

Sa voix monocorde se glissa dans ses oreilles.

Son regard était froid, sans clins d’œil. Il semblait presque reptilien. Et ce n’était pas la première fois qu’il ressentait cette qualité chez elle. Pour Teresa Carste, Oliver Horn était son maître, mais aussi un sujet à observer.

  • Alors, que pensez-vous de leur conversation de tout à l’heure ?

Sa question le coupa dans son élan. Elle le testait. Il se retourna pour lui jeter un regard noir, mais elle n’était déjà plus là.

  • J’ai parlé comme ça, n’y prêtez pas attention. Je prends congé.

Il l’entendit parler, mais ne put dire d’où cette voix venait. Puis la dernière trace de sa présence s’estompa. Se donnant un nouveau coup de pied, Oliver serra les dents. Tous ceux qui n’étaient pas de son côté pouvaient facilement se retourner contre lui et il le savait. Comme les choses seraient plus simples si tous ces gens étaient facilement haïssables. En descendant les escaliers vers la cafétéria, Oliver n’avait pas le moral. Il avait tant de choses à penser, mais les émotions négatives les noyaient toutes. Il ne parvenait pas à les tenir à distance, même s’il savait qu’il ne devait pas se laisser abattre.

  • Tu es libre ce week-end ? Tu veux prendre une tasse de thé avec moi ?
  • Inutile de rejeter cette offre d’emblée ! Tu sais que tu es intéressé.

Oliver entra dans la cafétéria et trouva des gens qui discutaient à nouveau avec ses amis, leurs attitudes étaient aussi arrogantes que leurs liens étaient ténus. Une fois de plus, Nanao et Pete repoussaient les invitations d’élèves de leur âge dont ils connaissaient à peine le nom.

Une vague d’irritation l’envahit. Et le self-control qu’il avait d’ordinaire, s’était perdu dans le tourbillon des frustrations. En conséquence, il accéléra, se frayant un chemin à travers la foule jusqu’à la table de ses amis.

  • Oh, Oliver.
  • Ils se font encore harceler…

Katie et Chela se tournèrent vers lui, mais leurs paroles tombèrent dans une oreille et ressortirent par l’autre. Il se plaça devant Nanao et Pete, les protégeant physiquement.

  • Nous avons déjà des projets pour ce week-end, s’exclama-t-il en frappant la table de la paume de sa main.

La force qui se dégageait de ce geste était tellement inédite qu’elle alarma non seulement les intrus, mais aussi ses propres amis. Les regards se tournèrent vers lui dans toutes les directions, mais Oliver se focalisa sur les deux intrus.

  • Heu, heu…
  • Nous pourrions venir avec…

Ils essayèrent de tenir bon, mais c’était comme jeter de l’huile sur le feu. Ils sentirent qu’Oliver était sur le point d’attraper son athamé, et ils tressaillirent tous les deux, faisant déjà un pas en arrière.

  • D’accord, ce n’est pas une option ! Désolé !
  • Excusez-nous !

Ils tournèrent sur eux-mêmes et s’enfuirent en courant. Oliver les poursuivit un instant du regard, mais ils furent bientôt perdus dans la foule.

  • …Pfiou !

Sous le coup d’une colère qui refusait de s’apaiser, Oliver poussa un long soupir, oubliant de s’asseoir.

  • …Ce n’est pas ton genre, Oliver, dit Katie en le regardant fixement, semblant un peu dépassée par les événements. —— Tu n’élèves jamais la voix.
  • Quelqu’un est en colère à ce que je vois. Bois ça ! Tu as besoin d’un peu de jus de raisin blanc, vraiment.

Guy lui donna une tape sur l’épaule et lui glissa un verre dans la main. Oliver le prit et en avala le contenu d’une traite, se sentant enfin apaisé. Chela étudia la question un moment, puis dit :

  • …Eh bien, nous ne pouvons pas vraiment faire de lui un menteur.

Elle avait interprété sa crise comme le résultat d’un stress croissant, et elle n’était pas du genre à le laisser sans traitement. La jeune fille aux boucles anglaises proposa immédiatement le meilleur remède.

Nous avons tous besoin de nous amuser un peu. Que diriez-vous de rendre visite à Galatea ce week-end ?

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