L’hymne Final
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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Quand on s’entiche complètement de quelque chose, on est souvent l’un des derniers à s’en rendre compte.
- …Laquelle tu préfères ? Dis-moi, Carlos !
Et c’était précisément la situation difficile dans laquelle se trouvait Ophelia. Elle avait posé la question à Carlos six fois, en tenant les mêmes accessoires dans les mains. Mais ce qui fut encore plus impressionnant, c’est qu’il avait réussi à donner une réponse unique à chaque fois, sans sourciller.
- Les deux sont jolies, mais si tu demandais à Al, ce serait celle de gauche. Il n’est pas fan des choses flashy.
- Je…je vois… Alors je vais prendre celui-là.
Elle suivit ses conseils et choisit la barrette de gauche. Elle la plaça avec enthousiasme. Après avoir réalisé la situation, elle se retourna vite vers lui.
- C…Comment ça ? ! Je n’ai jamais demandé les préférences de Godfrey !
- Oh, vraiment ? Désolé, je suppose que j’ai tiré des conclusions hâtives.
- N’est-ce pas évident ? C’est juste normal d’avoir un avis pour ça.
Ophelia se détourna de lui d’un air hautain, le visage rouge vif. Carlos sourit et haussa les épaules en étudiant son profil.
- Ne t’énerve pas trop. Al est un homme simple. Une longue relation honnête est la clé pour se rapprocher de lui. Tu ferais bien de te rappeler que précipiter les choses ne peut que se retourner contre toi.
- Je t’ai dit qu…
Elle se retourna pour essayer de trouver d’autres excuses, mais Carlos l’a prise dans ses bras par surprise. La fin de sa phrase ne put que mourir sur ses lèvres.
- Ne sois pas si timide. Tu es très mignonne, Lia.
C’était incroyablement déroutant. Pourquoi pensait-elle toujours à lui ? Pourquoi était-elle si morose quand elle ne le voyait pas ? Les six mois passés avec le groupe étaient très confus. Elle le suivait partout sans objectif précis. Chaque mot qu’il prononçait avait le potentiel de lui apporter la plus grande joie ou la plus grande tristesse, et il n’y avait rien de plus excitant au monde pour elle. En y repensant, elle était une véritable enfant.
- Ow-ow-ow-ow-ow-ow ! Je suis coincé ! À l’aide !
- Combien de fois dois-je te le dire ? Ne mets pas ta main n’importe où !
Et c’est ainsi qu’elle se retrouva, ce jour-là, à soigner le bras de Tim après sa rencontre avec un Clacrabe. Au début, elle était effrayée par ces moments, mais maintenant, c’était une journée de travail lambda.
- Merci…
- Ne te pince pas le nez, somma Godfrey. —— Tu es rude avec elle !
- C’est une preuve de ma loyauté ! se vanta Tim.
- Je jure que mes entrailles ne désireront jamais personne d’autre que toi, Godfrey—Gyaaaaaaa ! La douleur !
Elle avait réalisé qu’il n’y avait pas besoin de pitié ou de compassion avec quelqu’un comme lui. On s’était déjà moqué de son Parfum plus d’une fois.
Mais Tim était le seul idiot à se pincer le nez devant elle. Alors, pour ses tripes, elle s’assura une fois de plus de le guérir de la manière la plus douloureuse possible. Ses cris aigus résonnèrent dans l’obscurité du labyrinthe.
- …Désolé pour ça, Ophelia, dit Godfrey.
- Peut-on être plus effronté ? s’écria Lesedi. —— Vous polluez tous les deux l’air, mais au moins, elle ne le fait pas exprès.
Ils soupiraient tous les deux en faisant la leçon à Tim, comme d’habitude. En fait, c’était devenu si habituel parce qu’Ophelia faisait maintenant partie du groupe. Elle était parmi des gens qui ne la rejetaient pas. C’était une expérience si incroyablement rafraîchissante pour Ophelia qu’elle se sentait comme une nouvelle personne.
- Encore toi… Hmm ? Je vois que c’est un morceau intéressant cette fois.
Bien sûr, ils devaient aussi faire face au danger. Non seulement il était tout à fait normal que des étudiants mènent des combats secrets au sein du labyrinthe, mais le groupe de surveillance de Godfrey lui avait également valu beaucoup d’ennemis. Où qu’ils aillent, il y avait forcément des étincelles.
- Fascinant. Voyons ce qu’elle peut faire. CONGREGANTA !
- Aux armes ! FLAMMA !
Godfrey envoya une boule de feu sur la bête squelettique qui chargeait. Alors que les flammes s’éparpillaient sur son bras après un nouvel échec dans le contrôle du sortilège, il se mit à rugir.
- Pourquoi ne peux-tu pas accorder plus de valeur à la vie ?! Pas seulement la vie des autres ! La tienne aussi !
Dans tous les coins du campus, dans toutes les cavernes sombres du labyrinthe, ils avaient combattu toutes sortes d’adversaires : des camarades de classe, des élèves de première année, et parfois même de monstrueux élèves des classes supérieures. Et à travers leurs batailles, ils avaient instauré un semblant d’ordre dans cet univers impitoyable, essayant de créer un refuge pour les faibles et les blessés. Ils étaient peut-être les premiers dans l’histoire de Kimberly à essayer de le faire. Quant à savoir pourquoi ils tentaient une telle folie, Ophelia n’en avait aucune idée.
Elle n’était pas non plus près de comprendre la rage constante d’Alvin Godfrey. Son comportement défiait toute logique. Depuis son enrôlement à Kimberly, Ophelia n’avait jamais eu l’impression que quelque chose clochait dans cette école. Les étudiants consacraient leur vie à la poursuite de la magie, piétinant par conséquent tout le reste et s’entretuant. C’était comme à la maison, mais surtout, c’était la même façon dont sa mère lui avait appris que le monde fonctionnait.
- Je veux juste faire de Kimberly un endroit où on peut se détendre un peu, disait parfois Godfrey avec un soupir.
Ophelia répondit toujours par la négative, sans jamais vraiment comprendre. Parlait-il d’un endroit comme son jardin ? Elle essayait de l’imaginer, mais se rendit vite compte que c’était faux. Piétiner les fleurs, c’était tout ce à quoi servait un jardin. Curieusement, Godfrey ne voulait apparemment pas qu’une personne soit opprimée. En fait, il rejetait la notion commune selon laquelle piétiner les autres était naturel.
Il voulait que les activités au sein du labyrinthe soient régies par des règles afin de réduire les affrontements et les dangers. Les autres le prenaient pour un fou et honnêtement, Ophelia avait ressenti la même chose au début. Mais de manière assez choquante, alors qu’il continuait de montrer à quel point il était sérieux, petit à petit, des sympathisants avaient commencé à rejoindre sa cause.
- Vous êtes du groupe de Godfrey ? Hey, laissez-moi vous rejoindre !
- Ça a l’air sympa. Et si vous me laissiez entrer ? Je peux vous donner un coup de main.
Au fil des années, les élèves avaient appris à s’adapter à Kimberly. Cependant, s’ils appréciaient la vie là-bas était une tout autre question. Tous les déçus furent attirés par Godfrey, non pas parce qu’ils partageaient ses idéaux, mais simplement parce que ceux qui étaient forcés à vivre dans un environnement aussi sanguinaire préféraient l’ambiance relax de Godfrey. Certains étudiants avouaient même qu’ils pensaient avoir fait le mauvais choix en venant à Kimberly, mais que leur avis changerait si Godfrey gérait les choses.
Ophelia, qui ne pouvait pas comprendre la plupart des sentiments de ses camarades, comprenait très bien cela. Quand elle était aux côtés d’Alvin Godfrey, elle avait l’esprit tranquille. Quand ils interagissaient, elle était capable d’oublier pendant un instant qu’elle était mage. Mais aussi naïve qu’elle fût, Ophelia savait la dure vérité, que cette période fantastique ne pouvait pas durer éternellement.
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Chaque fois que Godfrey se mettait dans le pétrin et revenait sain et sauf, la popularité de leur groupe augmentait ce qui attirait des nouveaux à chaque fois. C’était comme s’ils avaient établi un feu de camp, laissant venir tout le monde se réchauffer près d’eux. Kimberly était un endroit dépourvu de chaleur, notamment pour ceux qui étaient amicaux ou qui ne voulaient aucune discrimination. La moindre petite étincelle était immédiatement éteinte.
Mais ce feu fut d’une obstination sans précédent. Quand les gens commencèrent à réaliser cela, les regards passèrent lentement de la perplexité au respect. Même les élèves des classes supérieures respectaient Godfrey. En peu de temps, son nom fut connu à travers toute l’école.
- ……
Et plus il brillait, plus les ombres autour de lui ressortaient. Elle avait beau essayer de rester en dehors de la lumière, le Parfum d’Ophelia ne le permettait pas. Tout le monde n’était pas capable de surmonter son arôme comme Godfrey l’avait fait. Sans surprise, les nouveaux membres commencèrent à lui en vouloir.
- Quelqu’un devrait faire quelque chose à son sujet. C’est juste indécent.
- Arrête ça. Tu sais qu’elle est la favorite de Godfrey.
- Tu le penses vraiment ? Ça ne me plait pas de dire ça, mais peut-être qu’il est aussi sous son emprise, non ?
La discorde venait de toutes parts, lui rongeant le cœur petit à petit. L’afflux de membres signifiait également que le rôle de guérisseuse d’Ophelia n’était plus aussi unique. Cela aurait dû être une bonne chose ; plus de partisans signifiaient que les initiatives de Godfrey faisaient de réels progrès.
- Notre petite famille a grandi si vite… C’est grâce à toi, Ophelia. Si Carlos et toi n’étiez pas là pour soigner mes blessures, je serais mort dans le labyrinthe depuis longtemps.
Par-dessus tout, cela la rendait incroyablement heureuse de l’entendre dire ces mots. Elle voulait tellement les entendre qu’elle détestait l’idée de céder son rôle à quelqu’un d’autre. C’était son seul moyen de rester à ses côtés.
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- Il n’atteindra jamais son plein potentiel avec toi dans les parages. Tu t’en rends compte, n’est-ce pas ?
Les frictions entre elle et les nouveaux membres étaient sans fin. Ils venaient en privé, la suppliant sincèrement. Ils venaient en groupe, la menaçant. À chaque fois toutes ces personnes voulaient qu’elle reste loin de Godfrey.
— Ton Parfum envoûte tous les hommes qui s’en approchent. C’est suffisant pour nuire au groupe dans son ensemble, mais le pire, c’est que tu es trop proche de notre chef. La plus grande force de Godfrey est sa capacité à interagir avec tout le monde, peu importe leur statut. Mais tant que tu seras là, les gens douteront de ses motivations.
— Tout le monde le pense. Il n’y a qu’une seule raison pour qu’il ait gardé une nuisance comme toi dans les parages : Tu as dû le séduire.
- …Allez au diable !
Il était rare que sa voix tremble de colère. Elle avait l’habitude d’être moquée pour son Parfum, mais elle ne pouvait pas permettre aux gens de penser que Godfrey avait été séduit par celui-ci. Tout ce qu’il avait enduré pour pouvoir juste la regarder dans les yeux, la douleur qu’il avait subie, le temps qu’il y avait consacré, la sincérité dont il avait fait preuve… tout cela était des trésors irremplaçables pour Ophelia.
- Tu crois vraiment que ton Parfum n’a rien à voir dans l’histoire ? Très bien, alors laisse-moi te demander : qu’est-ce qui te rend si précieuse pour que tu mérites une telle place ?
— …!
— On sait que tu étais là au début parce que les guérisseurs étaient limités. Personne n’essaie de t’enlever ça. Mais les choses sont différentes désormais. Beaucoup d’entre nous peuvent soigner aussi bien que toi. Et contrairement à toi, on ne rejette rien dans l’atmosphère.
Leur argument se résumait au fait qu’elle n’avait plus son utilité première, ce qui était cohérent. Ophelia se rendit compte que ses talents de guérisseuse ne suffisaient pas à compenser les effets négatifs de son Parfum et à protéger sa position actuelle. Elle paniqua, incapable de trouver une issue à ce conflit. Que devait-elle faire ? Que pouvait-elle montrer à ces gens qui prouveraient que sa place était aux côtés de Godfrey ? Tout ce dont elle était sûre, c’est qu’elle ne comptait pas abandonner.
- …Vous pensez être plus forts que moi ?
Alors elle changea de ton et riposta. Elle comptait maintenant aider le groupe en combattant également. Les étudiants gloussèrent.
- Tu veux vraiment nous tester maintenant, Salvadorible ?
Ils se moquaient clairement d’elle. Elle n’avait jamais eu les meilleures notes en arts de l’épée ou en étude des sortilèges. Certes, c’était une grande guérisseuse, mais en dessous de la moyenne quand il s’agissait de se battre au front. Du moins, c’est ce que tout le monde croyait.
- Bien sûr. Procédons ainsi.
L’air devint soudainement lourd, la tension étant palpable. Les élèves s’étaient éloignés de sa distance de sortilège, puis dégainèrent leurs athamés. Ophelia les regarda avec pitié. Ils se trompaient lourdement. Ce n’était pas parce qu’elle manquait de puissance qu’elle évitait le champ de bataille, mais parce qu’elle ne voulait pas que Godfrey voie ce dont elle était réellement capable.
- PARTUS !
Et elle n’avait pas tort. Ce qui se déroula n’était même pas un combat, mais un massacre.
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« Je suis plus forte que n’importe lequel d’entre vous ». Afin de protéger sa place aux côtés de Godfrey, elle devait convaincre les gens de la chose une bonne fois pour toutes. La réaction du groupe avait clairement montré que sa position serait volée si elle restait une guérisseuse docile. Elle décida donc de changer du tout au tout. Depuis ce jour, elle mit un point d’honneur à accepter tous les combats qui se présentaient à elle. Quiconque se plaignait, se faisait réduire au silence par sa force écrasante. Une fois affaiblie, la personne était charmée et dominée intérieurement. C’est ce qui se passait quand elle devenait sérieuse.
Les adversaires de sa propre année étaient loin d’être un problème, mais elle ne pouvait pas baisser sa garde contre des étudiants plus rodés de deuxième et troisième année. Et ceux des années supérieures il ne valait mieux pas en parler. Elle gardait une puissante chimère dans son ventre afin de l’utiliser en cas de problème. Elle n’avait aucun scrupule à le faire.
- Lia, arrête ! Tu n’es pas obligée de faire ça. Al ne t’abandonnera pas…
Elle balaya même les tentatives de son amie d’enfance pour l’arrêter. Avec son nouvel état d’esprit, Ophelia dansa avec la vie comme jamais auparavant. Elle avait maintenant deux objectifs : protéger désespérément sa position aux côtés de Godfrey et éliminer les membres qui faisaient ralentir leur groupe. Plus rien ne la retenait. Elle était plus rusée et plus avide que quiconque ici, des qualités dignes d’un mage.
La nouvelle position d’Ophelia provoqua naturellement une réaction en chaîne parmi le reste du groupe. Afficher sa propre force tout en écrasant les autres afin d’obtenir une position désirée…. le conflit avait pris une nouvelle forme. L’expansion rapide du groupe, combinée à l’incapacité de Godfrey à garder un œil sur chaque membre, avait causé sa perte.
L’ambiance autrefois paisible s’était perdue avec le temps, et un changement définitif s’était opéré au sein ce de groupe de surveillance rapproché.
- Assez ! Cela sert à quoi de se battre les uns contre les autres ?!
Godfrey avait remarqué la situation et essaya d’arrêter les combats, mais il était encore trop inexpérimenté en tant que leader. Cela aurait été une chose avec cinq ou six membres comme au début, mais il était presque impossible de maîtriser des dizaines de personnes en même temps. Jour après jour, ses camarades devenaient de plus en plus désireux de la battre. Incapable de trouver une solution, il vit l’anxiété monter.
- C’est bon, Godfrey… Je n’ai pas changé du tout. Je serai toujours à tes côtés.
Pendant ce temps, Ophelia usait de cette tourmente comme une ouverture pour cimenter sa place aux côtés de Godfrey. C’était beaucoup plus pratique pour elle si le climat restait violent. Si le groupe restait pacifique, quelqu’un qui émettait constamment un Parfum aurait été immédiatement éliminé en tant que menace. Il n’y avait pas de place pour elle en eaux claires, mais en eaux troubles, une menace pouvait se cacher sans qu’on ne la remarque.
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- Arrête de provoquer les gens, Ophelia. Je ne peux plus fermer les yeux.
Cependant, à mesure que la situation s’aggravait, les gens avaient compris son plan. La première à parler était une autre étudiante et membre fondatrice du groupe de surveillance : Lesedi Ingwe. Elle prit Ophelia à part, lui donnant un avertissement, pas une accusation.
- …De quoi parles-tu ? Je n’ai rien fait.
- Ne fais pas l’idiote. Tu as charmé certains de nos membres pour en faire tes serviteurs. Je n’y aurais pas prêté attention si tu ne faisais que terminer des combats que d’autres ont provoqués à ton encontre, mais c’est clairement contre les règles. Si Godfrey le savait, il ne l’autoriserait en aucun cas.
Lesedi la fixa d’un regard sévère. Toute émotion disparut du visage d’Ophelia en un instant.
- Tu es donc d’accord ? Qu’une fille comme moi n’a pas sa place aux côtés de Godfrey ?
- Qu’est-ce que tu baragouines ? Je parle des règles du groupe.
- Tu penses que ce serait mieux si tu étais à ses côtés, c’est ça ?
Ophelia la coupa, ignorant ce qu’elle avait à dire. Lesedi lui attrapa immédiatement la joue avec une poignée de fer.
- Assez de caprices petite sotte. Tu ne peux même plus discerner lorsque quelqu’un est de ton côté ?
- ……
- C’est justement parce que je veux que tu restes avec Godfrey que je te dis ça, grogna Lesedi. —— Ce que tu penses faire, et ce que tu accomplis réellement, ne pourrait pas être plus différent. En ce moment, tu es sur la voie de la rupture. L’issue ne peut qu’être désastreuse. Dépêche-toi de t’en rendre compte avant qu’il ne soit trop tard !
Elle poussa Ophelia avant de détourner les talons. Ophelia la regarda partir jusqu’à ce qu’elle se retrouve toute seule.
- …Quel autre moyen ai-je ? murmura-t-elle.
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Ophelia ne savait pas comment interagir avec les autres, comment se faire des amis, ou même comment tomber amoureuse. Elle avait donc agi comme un mage l’aurait fait. Son but était de rester aux côtés de Godfrey, et elle comptait y parvenir par tous les moyens. C’était la voie la plus sûre d’obtenir ce qu’elle voulait, après tout.
- …Ton odeur est nauséabonde.
Naturellement, cette méthode signifiait beaucoup de dommages collatéraux, y compris les amitiés qu’elle avait mis si longtemps à forger.
- Dégoûtant ! Je pouvais le supporter avant, mais plus maintenant. Tu pues vraiment, cracha Tim alors qu’ils patrouillaient seuls dans le labyrinthe.
Son ton était froid, complètement différent de ses habituelles railleries amicales. Il la regarda avec un dédain débridé.
- Ton Parfum pollue complètement l’air… Tu n’essaies même pas de le contrôler. Je parie que ton but est de séduire le moindre homme autour de toi.
Ophelia ne nia pas. Au lieu de cela, ses yeux se dirigèrent vers l’entrejambe de Tim. Ses lèvres se tordirent en un sourire ensorceleur.
- …C’est tout dur, n’est-ce pas ?
- Va te faire foutre. Je ne bande pour personne d’autre que Mr. Godfrey. Je ne te laisserai jamais m’affecter.
Tim jura avec dégoût. Le Parfum sans entrave d’Ophelia était violent, il forçait les autres à un état d’excitation. Son charme oppressant pouvait même écraser l’orientation sexuelle d’un individu à l’occasion. Pour résister à cet assaut, Tim devait donc garder l’esprit affuté à tout moment.
- Mais tu piétines tous mes sentiments, tu les écrases dans la boue. Tout ce que tu veux, c’est me priver de ma volonté et me transformer en un mâle baveux, comme le reste de ton harem… n’est-ce pas ?
- ……
Son silence fut sa réponse. Les poings de Tim tremblèrent.
- Et à la fin, tu vas séduire Mr. Godfrey, aussi ? On a passé tellement de temps ensemble… On a cassé le jeûne ensemble, risqué la mort encore et encore, mais c’est ce que tu voulais vraiment depuis le début ?
Les yeux de Tim vacillaient de rage et de tristesse dans la même mesure. La poitrine d’Ophelia se bloqua un bref instant, ce qu’elle mit immédiatement sur le compte d’une coïncidence. Elle n’avait pas d’amis. Tout d’abord, elle n’avait jamais été assez proche de quelqu’un pour que son cœur souffre comme ça. Donc tout devait être son imagination.
- Au moins, nie-le… Dis-moi que j’ai tort, Opheliaaaa !
Avec un cri, Tim dégaina son athamé. Le visage d’Ophelia se figea en un rictus alors qu’elle interceptait l’attaque. L’instant d’après, le garçon fut étendu devant elle comme une poupée de chiffon. Godfrey arriva en courant. Elle n’oubliera jamais la colère, le regret et l’autoblâme sur son visage.
- Godfrey, je…
Elle tenta de dire quelque chose à la personne en face d’elle, puis réalisa que c’était juste un lointain souvenir. De retour à la réalité, Ophelia fut accueillie par la vue familière de son atelier et des chimères naissantes qui y rampaient. Ses mains tremblaient alors qu’elle regardait sa montre : Cinq heures s’étaient écoulées. Apparemment, elle était simplement restée assise à rêvasser.
- …Heh-heh-heh… Je n’arrive plus à faire la différence entre un rêve et la réalité désormais, huh ? … C’est enfin l’heure.
Son corps approchait rapidement de ses limites humaines. Elle pouvait être consumée par le sort à tout moment. Avec cette idée en tête, elle se leva en tremblant de sa chaise.
- …Je ne veux pas que ça commence ici… Non…dehors…
Elle se dirigea en boitant vers la porte, l’ouvrit et sortit de l’atelier. C’était le début de son dernier voyage d’errance en tant qu’humaine.
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- … Sa présence s’estompe.
Albright, qui écoutait attentivement depuis sa cellule voisine, capta le départ de la sorcière. Pete déglutit, réalisant ce que cela signifiait.
- C’est notre chance. Notre première et dernière. Es-tu prêt ?
- …O-Ouais.
Le garçon à lunettes acquiesça sans se laisser aller à trembler. Il avait pris sa décision il y a longtemps, s’il voulait survivre, il n’avait pas le temps d’avoir peur. Albright apprécia le regard de détermination sur le visage de Pete.
- Commençons. Je vais attirer les chimères vers moi.
C’était le signal. Pete passa à l’action, versant du mana dans les sphères explosives qu’ils avaient enterrées à deux endroits de la prison de chair. Puis il recula rapidement avant de se laisser tomber en se bouchant les oreilles. Quelques secondes plus tard, un BOOM fit vibrer ses tympans à travers les mains qui les recouvraient. Il se retourna pour voir un trou dans les barreaux.
- … !
Il lança une autre sphère, qui se mit à dégager de la fumée et bondit hors de la prison. Il ne disposait que de quelques instants précieux avant que les chimères ne réalisent ce qui se passait et que tout soit terminé. Comme il l’avait répété encore et encore dans son esprit, Pete courut vers la pièce suivante, utilisant la fumée comme couverture.
- Venez, misérables ! Je vais affronter chacune d’entre vous jusqu’au dernier !
Albright attirait l’attention des chimères qui débarquaient. Malheureusement, il avait donné ses précieux outils magiques à Pete et n’était pas du tout armé. S’il se déplaçait trop rapidement, il risquait d’inhaler davantage de Parfum, il ne pouvait donc même pas quitter la prison et se déplacer. Pete devait trouver rapidement la baguette d’Albright, sinon les chimères allaient le torturer à mort.
- Baguettes….baguettes… Où sont-elles ?!
Il balaya la pièce du regard et ouvrit tous les tiroirs qu’il put trouver. Ophelia pouvait déjà s’être débarrassée de leurs affaires, alors s’il ne trouvait rien tout, il allait devoir abandonner ce plan. Le délai de vingt secondes qu’il s’était donné approchait à grands pas.
- …Là !
La chance était de son côté. Ophelia avait placé les baguettes et les athamés de ses prisonniers dans une boîte située dans un coin, sans même s’inquiéter de la menace que cela pouvait représenter. Il commença par attraper la sienne, puis chercha celle d’Albright en se basant sur ses descriptions.
- La voilà ! Prenez-la !
Pete s’élança vers la pièce de la prison et lança l’athamé à travers les barreaux vers Albright, qui s’entêtait à repousser les chimères rampantes. Il l’attrapa, et avec une arme maintenant en sa possession, il sourit.
- Beau travail ! FRIGUS !
Albright lança immédiatement un sort, frappant les chimères qui arrivaient. Pete soupira de soulagement, mais Albright se mit à hausser le ton.
- Qu’est-ce que tu fais ? Va chercher de l’aide !
- Mais vous…
- Pars tout de suite ! Salvadori va revenir dès qu’elle aura remarqué que quelque chose ne va pas ! cria-t-il en repoussant les chimères.
Il se débarrassa de ses doutes et s’élança vers la porte. La sorcière n’avait pas pris la peine de la verrouiller. Il sortit de l’atelier et trouva un marais inconnu.
- Huff ! Huff… !
S’échapper n’était pas un si grand soulagement. Ophelia allait-elle revenir en premier ou bien les secours ? Tout dépendait du destin maintenant.
Pete versa du mana dans l’orbe de secours, envoyant un son strident et des vagues de mana se répercutant à travers la troisième couche.
- Je vous en prie, que quelqu’un vienne nous aider… !
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Un garçon en particulier avait immédiatement capté le cri de désespoir.
- Un SOS ! Il est proche ! cria Oliver dès qu’il entendit le signal de l’orbe.
Lui et les filles avaient déjà traversé le marais, laissant le bateau amarré pour commencer à fouiller la zone. Ses yeux se tournèrent vers la source du son comme les trois autres. Les chimères pouvaient aussi l’entendre alors c’était une course contre la montre pour le sauver.
- Ce n’est pas le moment de se méfier. Allons-y ! insista Miligan.
Oliver et les filles s’élancèrent sans attendre. Ils se dépêtrèrent de la boue avec la détermination que leur ami était proche.
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- C’est par là… L’ami de Noll est peut-être là. Dépêchons-nous, Shannon.
Au même moment, Gwyn et Shannon Sherwood, des proches d’Oliver en plus d’être ses vassaux, s’empressèrent de partir eux aussi. Le signal était à peine audible, bien que l’ouïe de Gwyn soit loin d’être aussi sensible que celle de Carlos. Cependant, les cousins d’Oliver ne savaient pas qu’il se trouvait également sur cette couche.
- Lia… ! murmura Shannon avec tristesse.
Ophelia était la source de tous ces conflits, mais elle n’était pas une ennemie comme les autres pour Shannon, ni pour Gwyn d’ailleurs. Pourtant, l’aîné des Sherwood restait calme.
- Ne suppose pas que tu seras capable de la raisonner. Si nous nous rencontrons, nous n’aurons pas d’autre choix que de nous battre.
- … !
Shannon se mordit la lèvre à la remarque insensible de son frère. Peu importe ses sentiments, ce fait n’allait pas changer. Cela faisait partie d’une confrontation face à quelqu’un qui avait été consumé par le sort.
- Mm ?
Soudain, Gwyn s’arrêta, tout comme Shannon. Le temps s’écoulait, mais ils étaient sûrs de leur décision.
- IMPETUS !
Gwyn dégaina son athamé et lança un sort de vent en direction du sol, à quelques dizaines de mètres de là. La boue autour de la cible s’envola dans les airs, révélant des os blancs.
- …Oh ? La fratrie Sherwood ?
La sphère squelettique se montra, et à l’intérieur se trouvait un homme. Gwyn, qui avait senti l’embuscade, fixa le visage familier.
- …Rivermoore ?
- Cela fait un moment, Gwyn. Je suis sûr que tu as entendu le bruit, mais je te suggère d’abandonner pendant qu’il est encore temps. Si vous allez dans cette direction, vous allez certainement tomber sur Salvadori. Et vous n’êtes pas les bienvenus auprès d’elle.
La capsule osseuse autour de Rivermoore se déploya comme une main, et il descendit sur la terre ferme. Les Sherwood serrèrent leurs athamés.
- Il y a vraiment trop d’intrus aujourd’hui, dit Rivermoore en haussant les épaules. —— Je suis là pour repousser toutes les personnes en dehors de Purgatoire et Hymne. Cela veut dire que je dois m’occuper de vous deux en plus d’Œil de Serpent et ses trois compagnons de première année… Après je suppose que je suis aussi un intrus dans l’absolu, marmonna-t-il avec un air d’autodérision.
Les Sherwood n’en croyaient pas leurs oreilles.
- Attends un peu. Qu’est-ce que tu viens de dire ? demanda rapidement Gwyn.
Rivermoore ricana.
- Exactement ce que tu as entendu. Œil de Serpent a amené trois première année avec elle ici. Ils voulaient sauver un de leur ami kidnappé.
- Qui étaient ces première année ?
Gwyn faisait attention à ne pas laisser transparaître sa panique. Rivermoore porta une main à son menton et réfléchit.
- La McFarlane, une samouraï téméraire et qui était l’autre, déjà ? …Ah, oui. Oliver Horn. Nous nous étions croisés dans la première couche peu après la cérémonie de rentrée. Je me suis donc souvenu de son visage.
Dès que le nom d’Oliver fut prononcé, Gwyn et Shannon s’élancèrent vers l’avant. Ils essayèrent de prendre Rivermoore par surprise et de le dépasser, mais deux serpents squelettiques surgirent de la boue derrière eux, leur barrant la route, comme s’il s’y attendait.
- Non, je ne peux pas vous laisser passer. Vous ne m’avez pas entendu ? Nous ne sommes pas les bienvenus.
- Bouge, Rivermoore ! grogna Gwyn, athamé en main.
Rivermoore pencha la tête avec curiosité devant sa réaction.
- Hmm ? Vous avez l’air étrangement passionné par cette affaire, n’est-ce pas ? Est-ce que cet Oliver est si important ?
Son rictus s’accentua. Bien sûr, son comportement n’avait pas changé un seul instant.
- Enfin, je dois quand même m’excuser. Si vous insistez pour passer, vous devrez le faire par la force. C’est la règle ici.
Aucun des deux camps ne comptait capituler. En parfaite harmonie, la fratrie Sherwood se jeta dans la bataille pour se frayer un chemin vers Oliver.
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— Huff ! Huff ! Huff… !
Les monstres rampaient hors du marais, attirés par le bruit alors Pete ne pouvait pas se permettre de rester immobile. Son athamé dans la main droite et l’orbe de sauvetage serré dans la gauche, il courait à travers le marais. Ses poumons brûlaient, et son pantalon était boueux jusqu’aux genoux.
— Où suis-je, bon sang ?! Ahhh, mes jambes… !
À chaque pas qu’il marchait, ses jambes s’enfonçaient plus profondément dans la boue en tanguant en avant. Pour Pete, qui était encore inexpérimenté dans son jeu de jambes, même traverser ce marécage était une tâche herculéenne. Néanmoins, il avait réussi à se frayer un chemin à travers la boue et la vase.
- …Ugh… ?!
Soudainement, il s’arrêta. Ses jambes furent couvertes jusqu’aux genoux et trop lourdes à soulever. Il se débattit, essayant de se dégager, mais ne parvint qu’à s’enliser encore plus. Son visage devint tout de suite pâle.
- C’est un marais sans fond… ?! On se fout de moi !
Il essaya désespérément de calmer son esprit paniqué. Il prit intensément conscience de l’athamé dans sa main droite. Quel était le sort qui pouvait le libérer de tout cela ? Il devait y en avoir plusieurs, mais il ne parvenait pas à y penser. La peur et la frustration montaient en lui. Pour quoi avait-il passé les six derniers mois à étudier ?!
- Gah… ! Q-quelqu’un ! À l’aide !
Alors que son esprit s’emballait, il continuait de s’enfoncer jusqu’à ce que sa main droite soit également dans la boue. Il ne pouvait plus lancer de sort. Le froid de la boue s’infiltrant dans ses vêtements lui faisait penser à la mort.
- Huff… Huff… Huff… !
Il avait envie de pleurer et de se débattre, mais parvenait à peine à contenir son envie. Bouger ne ferait qu’accélérer le naufrage. Il n’y avait rien qu’il puisse faire maintenant, donc sa meilleure option était de ne pas bouger et de continuer à respirer pour quelques minutes de plus.
- …Blergh… !
Le temps qu’il s’était accordé s’écoula vite, la boue commençant à pénétrer sa bouche. Dans ses derniers instants, il prit une énorme inspiration, puis fut aspiré impitoyablement. « C’est donc ici que je meurs ? », pensa-t-il. Curieusement, alors que le désespoir s’emparait de son cœur, il ne voyait rien d’autre dans son esprit que le visage de ce colocataire indiscret.
- Oliver… !
Au moment où il cria ce nom dans sa tête, quelque chose s’agrippa fermement à son poignet et le ramena, corps et esprit, à la vie.
- Tu vas bien, Pete ?!
En entendant la voix, il ouvrit prudemment ses yeux fermés. Le dernier visage qu’il avait imaginé était juste là devant lui.
- …Huh… ?
Il le regarda fixement, hébété. Oliver le tira sur ses pieds et serra le garçon couvert de boue dans une étreinte. Le froid de la boue avait fondu contre la chaleur d’Oliver, comme si elle n’avait jamais existé.
- …Tu as été génial, Pete. Tu as vraiment géré… !
Oliver sanglota en s’exprimant tout en le tenant dans ses bras. Soudainement, toutes sortes d’émotions éclatèrent à l’intérieur de Pete.
- Ungh… Ah-AAAAAH… !
Oliver jeta la plupart de ses affaires sur la terre ferme, puis souleva son ami en pleurs sur son dos en se mettant debout. Nanao, Chela et Miligan le suivirent de près. Ils se saluèrent mutuellement avant de se mettre vite en mouvement. Ce n’était ni le moment ni l’endroit pour des retrouvailles joyeuses.
- Dépêchons-nous ! Il faut que l’on se mette à l’abri ! cria Oliver.
Tous les quatre retenaient leur souffle alors qu’ils couraient à travers le marais. Même s’ils étaient pressés, il était hors de question de prendre des balais. Voler dans cette couche attirerait invariablement l’attention des créatures au sol, et avec un Pete diminué, il fallait monter avec lui sur un balai. S’ils étaient poursuivis, cela les rendrait facilement rattrapables.
- Une fois le marais passé, nous serons libres… ! Tiens bon encore un peu, Pete ! dit Chela à son ami alors qu’ils couraient.
Monter dans le bateau pour traverser le marais était juste le seul moyen pour eux d’échapper à l’ennemi. Il était difficile de croire qu’Ophelia elle-même viendrait de l’autre côté du marais pour récupérer le corps de Pete. Si tout se passait bien, ils pouvaient repartir par là où ils étaient venus tout en évitant d’être repérés par les chimères.
- Oliver… ! Oliverrr… !
Pete s’accrochait douloureusement aux épaules d’Oliver. S’ils en avaient eu le temps, Oliver aurait aimé le serrer dans ses bras aussi longtemps que possible. Cela avait dû être terrifiant de se faire enlever par cette sorcière, et il avait dû lui falloir beaucoup de courage pour s’échapper. Il avait vraiment frôlé la mort. Quand Oliver l’avait trouvé, Pete était à deux doigts de se noyer qui plus est.
- …Ah…
Ils traversaient les marécages aussi vite que possible quand Miligan s’arrêta devant eux. Oliver s’arrêta également, fronçant les sourcils. « Pourquoi ici ? On est pressés, non ? » Il était sur le point de demander cela…
- … Ça ne pouvait pas être aussi simple, je suppose.
Mais il réalisa avant pourquoi la sorcière à l’œil de serpent s’était arrêtée. Il était difficile de ne pas comprendre, car de nombreuses paires d’yeux brillaient dans l’obscurité du marais, bloquant complètement leur chemin. Il avait immédiatement su que ces créatures n’étaient pas originaires de cette région. Elles avaient la soif de sang extrême des chimères qu’ils avaient combattues plus tôt.
- …Beaucoup de visages surprenants ici. Est-ce un rêve ? Ou la réalité… ?
Une sorcière solitaire s’avançait vers eux, flanquée d’une dizaine de familiers. On pouvait la qualifier de lotus dans la boue, mais son regard était bien trop envoûtant pour une telle comparaison. Le corps entier d’Oliver frissonna de peur. Elle était là, la source de toute cette agitation, Ophelia Salvadori.
- …Oh, c’est donc ça. Je me demandais comment tu t’étais échappé. Tu n’es pas un mâle, n’est-ce pas ?
Dit la sorcière d’un ton feutré en direction de Pete qui était sur le dos d’Oliver, comme si une énigme venait d’être résolue.
— Tu as changé de sexe après ma capture… Un reversi ? J’ai vraiment attrapé un spécimen rare.
Elle semblait presque ne pas être de ce monde. Ophelia regarda les autres, Nanao, Chela, puis Oliver avant de pousser un soupir de fatigue.
— Oh, Mr. Horn… Combien de fois comptes-tu ignorer mes avertissements ? Tu aurais dû abandonner ton ami. Mais tu te tiens là, avec ta bande en plus.
C’était une chose insupportable à entendre, mais personne ne protesta. Fermement conscient des tremblements de Pete, Oliver cherchait désespérément un moyen de s’échapper malgré de cette situation critique. Ophelia, qui n’était pas au courant de tout cela, regarda la dernière personne restante, la seule autre élève de son année.
— Je suis impressionnée que vous ayez tous réussi à venir jusqu’ici… Œil de Serpent, à quoi joues-tu ?
— Ils m’ont supplié de sauver leur ami. Et je ne peux pas refuser les demandes de mes adorables cadets.
Peut-être qu’en tant que camarade de quatrième année, Miligan était capable de converser avec Ophelia comme si de rien n’était. Mais sa réponse fit froncer les sourcils de la sorcière au Parfum.
— J’ai toujours détesté ça chez toi. Qui se soucie de ces relations ? Sors de ta mue, tu es comme moi au fond.
— Ha-ha-ha ! Tu n’as pas tort.
Miligan haussa les épaules, ricanant en autodérision. Elle changea de sujet.
— Cela mis à part, j’ai quelque chose à te demander. Peux-tu nous laisser partir ? Notre seule mission ici est de sauver Pete. Je ne voudrais pas te déranger à un moment aussi crucial de ta vie, alors pourquoi ne pas nous laisser et juste oublier que nous sommes ici ?
- ……
— Perdre Pete ne va pas affecter tes efforts, n’est-ce pas ? Nous n’avons aucune raison d’interférer et tu as des choses bien plus importantes à faire que de te chamailler avec nous. C’est totalement gagnant-gagnant, tu ne penses pas ?
Le ton de Miligan était optimiste, mais Oliver écoutait en retenant son souffle. Le seul espoir qui leur restait était qu’Ophelia les laisse partir. Maintenant qu’ils étaient face à face, leurs destins étaient presque entièrement entre ses mains. La seule chose qu’ils devaient éviter était de s’impliquer dans un combat.
— Séparons-nous amicalement, d’accord ? Oh, mais tu mérites bien quelque chose pour compenser la perte de Pete. Je peux te donner une potion magique rare. Qu’en dis-tu ?
Miligan essayait clairement d’orienter les choses dans cette direction également. Oliver n’avait aucune idée de ses chances de réussite. Tout ce qu’il savait, c’est qu’il ne ressentait pas le moindre signe d’optimisme.
- C’est absurde Œil de Serpent. Tu crois encore parler à une humaine ?
Ophelia eut un sourire de pitié, comme pour donner raison à l’intuition d’Oliver. Maintenant, Chela et lui en étaient sûrs, cette conversation était inutile depuis le début.
- Ne vous méprenez pas. Je ne suis pas venue ici pour ramener spécifiquement un évadé, expliqua Ophelia. —— Je sentais des présences, alors je me suis mis à tranquillement les chercher. Il se trouve qu’en commençant dans cette zone, je suis tombé sur vous.
Personne ne pouvait l’arrêter, tout comme l’Humanité ne pouvait empêcher le soleil de descendre sous l’horizon.
- Bestia alas petito, avis manus invidus, piscis pedes cupiditas, planta carnem desiderat[1].
Et c’est ainsi que tout commença. Comme une coupe débordant de vin, les mots se déversèrent de sa bouche.
- Arrête cette psalmodie !
Miligan hurla. Tout son calme disparut. Nanao et Chela avaient immédiatement dégainé leurs athamés, et Oliver fit de même une fois qu’il eut déposé Pete. Les chimères derrière Ophelia s’avancèrent pour protéger leur maître.
- Quamquam decem milia fient semina, quae sata sunt sed tamen nemo, nostrum vitium non habet (Les graines éparpillées atteignent l’horizon, pourtant nous en possédons tous un morceau).
À ce stade, il n’y avait pas le temps d’analyser chaque chimère pour trouver une faiblesse à exploiter. Chela passa sous sa forme elfique et lança une double incantation sur le mur de monstres, essayant de percer un trou. Elle brûla la tête de l’un d’entre eux, mais le vide ainsi créé fut comblé par une autre en quelques secondes. Nanao et Oliver, qui avaient chargé vers la brèche, furent forcés de s’arrêter.
- Congregans fragmenta et continuans de incubus haec volebam scire, ubi solutio vitae est (Rassemblez les morceaux pour les recoller. Est-ce là où se trouve la réponse de la vie) ?
Miligan répliqua avec un sort digne d’elle. Des lances de feu et de glace se dirigèrent tout droit vers Ophelia. Les tentacules des chimères s’étendirent et bloquèrent l’attaque, repoussant Nanao et Oliver, qui se précipitaient avec leurs balais. Les capacités anti-aériennes des créatures étaient solides comme le roc et empêchaient tout assaut aérien improvisé.
- Quaestio infinita quamvis per multos annos haec investigatio de anima facta esset non dum exitum in veniat (Même si la question trouve une réponse et que l’éternité est surmontée, les recherches de la vie ne s’arrêteront jamais).
Le mana traversa tout le corps de Miligan. Libérant la réserve de mana dans ses entrailles et amplifiant sa puissance, elle lança un autre sort. Non pas une double-incantation, mais un sort de feu à triple-incantation. Elle avait parié sa victoire sur la puissance brute d’un sort impossible à lancer hormis pour un mage expert. Oliver et ses amis regardèrent, alors que trois chimères se firent avaler par des vagues de flammes en un instant.
- Si tacito bene est. Respondebo igitur a deam qua excitam per hunc rituum infinitum (Mais qu’importe. Trouve la solution dans la formule sans fin).
Ils savaient que c’était leur dernière chance et ils tentèrent de décamper. Se cachant parmi les flammes, ils se glissèrent à travers le mur de chimères. Dès qu’ils l’eurent franchi, une nouvelle chimère tomba des hauteurs pour leur barrer la route. Son corps était couvert de roche et ne ressemblait à rien de ce qu’ils avaient vu auparavant.
- Liquamini miscenimi que inter sese animi hic vobis licet temptare et errare in perpetuum (En entremêlant les vies, je te permets une expérimentation infinie ici et maintenant).
Les quatre étudiants s’arrêtèrent. S’il y avait ne serait-ce qu’une minuscule ouverture, ils étaient tous prêts à s’y insérer. Malheureusement, il n’y avait rien. Ils ne pouvaient pas imaginer un seul moyen de trouver la faille. La seule chose qu’Oliver pouvait faire était de battre en retraite vers Miligan avec Nanao et Chela afin d’éviter d’être piégés par les chimères.
- Ludite in mea placenta amabili fetus quotiens moriemini totiens ego ipsa concipiam (Prélasse-toi dans une débauche infinie si c’est là que réside la formule de la vie).
La psalmodie d’Ophelia continuait sans interruption, résonnant haut et fort. Oliver se creusait la tête pour trouver une issue.
Sans plan, il ne pouvait faire que des suppositions. Il en allait de même pour Nanao, Chela, et même Miligan.
- Ludite in mea placenta amabili fetus quotiens moriemini totiens ego ipsa concipiam (Enfants bien-aimés qui dansent dans mon ventre, si nous devons mourir, alors nous devons donner naissance plusieurs fois en retour).
Un terrible bourdonnement assaillit leurs oreilles. Toutes les images et tous les sons se déformèrent. Les lois qui maintenaient ce monde en ordre se fissurèrent jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien. Pete, effrayé à l’idée de voir cela de ses propres yeux, saisit sa tête et se recroquevilla sur le sol, doutant que sa santé mentale puisse survivre autrement.
- Utinam tu clamoribus nativitates iugiter impleariso (Remplis l’air de cris sans fin de naissances). PALATIUM ANIMALUM !
C’était la base sur laquelle le chant avait été construit. Tout disparut et fut remplacé. Tout à coup, les quatre regardèrent un ciel couvert de chair palpitante. De nombreuses veines de tailles différentes apparaissaient le long du sol, se contractant et se dilatant avec l’afflux sanguin. Ils pouvaient sentir la chaleur d’un être vivant.
- … !
La vue était à la fois dégoûtante et étrangement familière. Ils semblaient savoir instinctivement où ils étaient. Peut-être que leur esprit ne s’en souvenait pas, mais leur corps oui, c’était l’endroit où la vie commençait. Ils se trouvèrent enfermés dans un utérus massif construit à partir de mana.
- …Oliver, c’est quoi tout ça ? demanda Nanao.
- C’est… une Aria, dit Oliver, ayant eu du mal à répondre.
L’odeur pesante du Parfum s’écoulait dans ses narines et dans son cerveau. Il avait l’impression qu’il allait perdre la tête rien qu’en respirant. Il se mordit rapidement la joue, utilisant la douleur pour se maintenir au sol pendant que Chela reprenait là où il s’était arrêté.
- Grande Aria… La destination finale pour un mage au sommet de son art, poursuivit-elle. —— Contrairement aux sorts qui activent simplement des phénomènes magiques dans le monde réel, le mana libéré par un Grande Aria réécrit complètement la réalité. C’était comme peindre quelque chose de nouveau sur une vieille peinture…
On pouvait entendre les trémolos dans la voix de Chela, de la crainte avec un soupçon d’admiration. Être consumé par le sort n’était pas si rare, mais atteindre cet état au travers d’un Grande Aria l’était extrêmement. Seuls les individus les plus spéciaux, peut-être les descendants des plus anciennes familles ou les individus qui ont su surmonter la raison dans la solitude, se voyaient accorder un tel privilège. Personne ne s’opposerait à l’idée que l’on pouvait considérer la chose comme la forme ultime d’un mage.
- C’est exact. À seulement dix-huit ans, elle a accompli la quête magique ultime de la lignée Salvadori. C’est sans aucun doute, un génie.
Miligan réprima rapidement l’envie qui s’était infiltrée dans sa voix et observa attentivement leur environnement. À première vue, il ne semblait pas y avoir de porte de sortie dans ce monde qui les avait engloutis tous les quatre. S’il s’agissait vraiment d’un ventre de mana alors il était logique qu’un canal les reliait au monde extérieur. Mais compter là-dessus n’était pas de l’optimisme, mais du délire.
- Nous avons été arrachés du monde réel pour nous trouver dans un univers avec ses règles. Nous ne pouvons pas sortir par nos propres moyens et personne ne viendra de l’extérieur pour nous sauver. Soit le mage annule le sort, soit on meurt ici, poursuivit Miligan, comme pour leur faire comprendre que c’était vraiment leur seul et unique « espoir ».
- C’est…
Plusieurs protubérances poussèrent du sol charnu tandis qu’Oliver et les filles essayaient de comprendre ce qui se passait. Elles gonflèrent comme des tumeurs géantes avant de s’ouvrir, tandis que des créatures d’un autre monde en sortaient en hurlant comme des nouveau-nés. Chaque bébé chimère était unique dans sa composition.
- …Trouver la solution dans la formule sans fin…
Oliver murmura cette phrase qui résonnait encore dans ses oreilles. Maintenant, il commençait à comprendre vaguement ce que cela signifiait. Une chimère était une expérience visant à créer le « spécimen parfait ». Chaque être vivant sur cette planète a une sorte de défaut cependant, certains croyaient que parmi les combinaisons finies de tous les êtres vivants, il y avait une « réponse finale ». Ces individus recherchaient une combinaison qui n’existait pas dans la nature. Les géniteurs Salvadori, des succubes au sang pur, faisaient partie de ce groupe selon certains, cherchant la réponse ultime à travers la semence masculine. Malheureusement, ils furent exterminés avant d’avoir pu atteindre leur but parce qu’ils s’étaient tellement concentrés sur cette quête de réponse ultime. La lignée s’était éteinte sans pouvoir finalement la trouver.
- … !
Oliver força les engrenages de son esprit à tourner afin de résister aux effets du Parfum envahissant et de maintenir sa capacité à raisonner. Les Salvadori n’étaient-ils pas opposés à l’idée même d’une forme de vie parfaite, résultat de leurs échecs ? Ils considéraient le changement, l’évolution et la méthode essai-erreur comme éternels, tout comme l’essence de la vie.
C’est ce qui les avait amenés à décider que la diversité illimitée produite par ces méthodes était la clé de la longévité…
- Qu’est-ce que c’est que… ?! Oh mon Dieu, ça ne peut pas arriver… !
Une voix paniquée interrompit le cours de ses pensées. Oliver se tourna instinctivement vers la source. À vingt mètres de leur groupe se trouvaient deux étudiantes, l’une regardant frénétiquement la scène et l’autre, plus jeune, la suivant. Dès qu’elle les aperçut, Chela eut l’air d’avoir reçu un coup de poing.
- Stacy ? ! Qu’est-ce que tu fais ici ?
- …Dommage collatéral, hein ? Pas de chance, dit Miligan.
Oliver se dit qu’elle avait raison. Ces deux-là s’étaient probablement dirigées vers le signal SOS, restant assez loin pour ne pas être impliquées avec Ophelia. Elles avaient juste été happées malencontreusement dans sa Grande Aria.
- Je déteste dire ça, mais nous n’avons pas beaucoup d’options… Vous trois, vous savez ce qu’on à faire ? demanda Miligan à Oliver et aux filles. Ils tirèrent silencieusement leurs athamés.
Ils avaient promis à leurs amis du campus qu’ils reviendraient tous sains et saufs. Donc…
- …Bonne réponse. Les mages n’ont pas le privilège du désespoir !
Les lèvres de la sorcière à l’œil de serpent se retroussèrent en un rictus, l’image même de sa volonté indomptable. Cela encouragea Nanao à batailler, et ses cheveux se teintèrent d’un blanc immaculé, brillant grâce au mana. Ainsi commença leur ultime résistance.
- FORTIS FLAMMA !
Un déluge de flammes intenses sonna le début de la bataille. Miligan commença avec une puissance de feu massive, tenant à distance les chimères qui furent emportées par la Grande Aria d’Ophelia. Il était impératif de disperser les forces de l’ennemi et c’est avec un calme absolu qu’elle fit les choses.
- Lynette, mets une barrière ! Quelqu’un doit superviser la défense ! Tu as toujours été douée pour la magie spatiale, n’est-ce pas ?!
- Ici ?! Ça durera à peine quelques instants !
Soudainement appelée à l’aide, la sœur de Stacy, Lynette Cornwallis, se jeta à terre et commença à dessiner un cercle magique, pratiquement hors d’elle. Oliver ne pouvait qu’en être reconnaissant. Une barrière maintenue par une quatrième année devait être capable de résister un petit peu aux chimères. Ça donnait à leur groupe un refuge temporaire leur permettant de survivre quelques minutes de plus.
- O-Oliver… !
- Attends ici, Pete ! Je te jure qu’on va trouver une solution !
Une fois que Pete évacua vers le cercle magique encore en formation, Oliver porta son attention sur les chimères qui arrivaient. Laquelle devait-il combattre en premier ? Comment devrait-il les combattre ? Il avait beau élaborer des stratégies, il n’y arrivait toujours pas. Pour abattre une chimère, il avait dû risquer sa vie et maintenant il en voyait plein devant lui.
- Où est Fay ? ! Rends-moi Fayyyy !
- Calme-toi, Stacy ! Faisons ça ensemble !
Chela se plaça à côté de son amie d’enfance, sur le point de rompre leurs rangs à tout moment, en commençant par incanter un sortilège sous sa forme elfe. Repousser les chimères reposait sur Miligan et elle, les plus fortes dans le domaine des sortilèges. Oliver et Nanao avaient pour mission d’éloigner les chimères d’elles à tout prix.
- Haaaaaah !
- Ohhhhhh !
Et c’est ainsi qu’ils commencèrent leur bataille sans fin, repoussant les vagues infinies qui arrivaient. Des tentacules s’élançaient inlassablement, des faux se balançaient, des fluides empoisonnés étaient crachés. Nanao évitait, paraît et esquivait chaque attaque, sa lame trouvant souvent sa place dans la chair de l’ennemi. Pendant ce temps, les sorts d’Oliver occupaient les ennemis en les aveuglant avec de la lumière, en les brûlant avec des flammes et en invoquant des leurres pour les distraire avec des sons.
Les techniques qu’ils avaient apprises de Miligan étaient pleinement exposées ici. S’ils ne les avaient pas utilisées, ils n’auraient pas tenu plus d’une seconde. Une seule erreur, une seule décision retardée d’une seconde pouvait entraîner une mort instantanée. Si l’un d’entre eux tombait, le groupe entier s’effondrait. Ils devaient se battre avec littéralement tout ce qu’ils avaient ou il n’y aurait pas de survivant.
- …C’est merveilleux… Je ne savais pas que vous pouviez… vous battre aussi bien, dit une voix.
Dans la masse des chimères qui se multipliaient à l’infini, une femme à la fois belle et repoussante s’éleva. En dessous de la taille, elle n’était plus humaine, il était plus juste de dire que c’était un buste sorti du sol charnu. C’était Ophelia Salvadori, maître de ce monde, ou peut-être le monde lui-même.
- Je suis surprise que ta personnalité soit toujours intacte ! Alors, cela fait quoi d’être consumée par le sort, Salvadori ? s’écria Miligan dès qu’elle l’eut remarquée.
Ophelia baissa les yeux sur sa forme complètement métamorphosée, ouvrant et fermant ses mains à plusieurs reprises comme pour la tester. Elle sourit.
- C’est… vraiment la pire chose. Je m’en doutais… Mais je pense que je peux tenir encore un peu jusqu’à ce que je vous voie tous morts… !
- Ha-ha ! Quel sens de l’hospitalité !
Répondit Miligan avant de rôtir l’un des ennemis chimériques de Nanao avec une double incantation. Ce n’était vraiment pas le moment de plaisanter, mais Miligan avait trouvé le temps de taquiner la sorcière en se focalisant sur elle.
- Tu ne peux pas t’allonger et mourir tranquillement ?! Je suppose que tu dois avoir des regrets !
Elle lâcha ce commentaire pointu assimilable à une dague lancée. Les épaules d’Ophelia se contractèrent momentanément.
- …Qu’est-ce…que tu as dit ?
- J’ai raison, n’est-ce pas ? Sinon, tu ne te serais pas enfoncée si profondément. Y a-t-il un trou en toi qui n’a pas été comblé après quatre ans à l’école ? Ha-ha-ha-je peux difficilement te blâmer ! Ton premier amour a été une véritable tragédie, après tout !
Miligan gloussa fortement. Les poings d’Ophelia tremblèrent devant la provocation évidente.
- Ferme…-la…
- Oh, j’avais raison ? Désolée pour ça. Toujours est-il que la jeunesse n’est pas une excuse pour l’ignorance. Le président Godfrey a toujours été hors de ta portée. C’est comme un serpent des marais qui tombe amoureux d’une licorne : Cela ne marchera jamais. Même un enfant pourrait le dire.
C’est à ce moment qu’Oliver réalisa ce que Miligan était en train de faire. Elle attisait les perturbations dans l’esprit d’Ophelia. Si elle avait encore sa personnalité humaine, cela pouvait être leur chance pour briser son armure. Enfin, si cette redoutable maîtresse de leur nouvelle réalité avait encore un cœur capable de vaciller.
- Le mieux que tu pouvais espérer était de le séduire avec ton Parfum et de voler sa semence. Ignorer les sentiments des gens et donner la priorité aux résultats, n’est-ce pas comme ça que ta famille procédait ? C’est ce qui arrive quand on descend des succubes. Je suis impressionnée, je ne pourrais jamais faire ça personnellement. En tant que mage digne de ce nom, je ne me rabaisserais jamais à cela !
- TAIS-TOOOOOOOOOOI !
Ses provocations avaient finalement porté leurs fruits. Les chimères changèrent de tactique, passant d’une répartition égale à un attroupement vers Miligan avec la ferme intention de la tuer. C’était comme s’ils partageaient la fureur brute de leur mère.
- MAGNUS FRAGOR !
Mais c’était le but de Miligan. Au moment où tous les organes sensoriels des chimères se concentrèrent sur elle, Miligan et Chela lancèrent un sort à leurs capacités maximales, couvrant complètement la zone de lumière et de bruit explosif.
- Ugh… ?!
Pour Ophelia et les chimères, c’était comme si on leur avait jeté de la terre directement dans les yeux. Pendant un moment, ils furent incapables de percevoir quoi que ce soit dans le flash aveuglant qui suivit. Cela ne dura que quelques secondes, mais ce fut suffisant pour que la sorcière à l’œil de serpent agisse. Miligan enfourcha son balai au milieu de la tempête, utilisant le peu de répit des attaques tentaculaires pour voler au-dessus de la tête d’Ophelia. Elle sauta immédiatement de son balai ensuite.
- … !
Ophelia retrouva sa vision juste avant que Miligan n’atterrisse et ne s’élance aussitôt sur elle. Des tentacules s’étendirent de sa moitié inférieure, retenant rapidement les mains et les pieds de Miligan.
- Guh !
Elle était à peine à distance de bras de transpercer Ophelia de sa lame. Elles étaient assez proches pour regarder dans les yeux, mais derrière la frange ébouriffée de Miligan émanait la lumière de son œil de basilic. Ophelia, la mine assombrie, fut complètement immobilisée.
- Ça t’a vraiment secouée, hein ? Même encore, tu es aussi humaine que nous, Salvadori !
Fixant toujours son adversaire, Miligan se débarrassa rapidement de sa robe, se libérant des tentacules. Ses jambes étaient prises, mais avec sa baguette et sa bouche encore disponibles, elle pouvait lancer un sort. Il ne pouvait pas y avoir de raté à cette distance. Elle s’apprêtait à en lancer un qui mettrait fin à tout ça quand…
- Gah !
- Un nouveau tentacule sortit de sa poitrine et transperça Miligan par l’arrière au niveau des poumons.
- …Idiote. J’ai surmonté la malédiction du basilic il y a déjà longtemps, cracha Ophelia.
- Miss Miligan ! cria Oliver, réalisant que leur plan avait échoué.
Ophelia ne lui accorda même pas un regard, continuant à étudier la proie prise dans ses tentacules.
- Répète un peu ? Qu’en est-il de moi ?
Le tentacule autour du bras de Miligan se resserra jusqu’à briser l’os, laissant tomber son épée au sol. Avec un poumon perforé, il n’y avait aucun espoir de se défendre, mais elle refusait de se taire. Elle refusa de s’arrêter de rire de son adversaire.
- …Tu ne m’as pas…entendue la première…fois ? demanda Miligan. ——J’ai dit que tu ne pouvais toujours pas lâcher prise. Même après avoir atteint le sommet de ton art, tu t’accroches toujours à tes regrets de gentille jeune fille. Pour une Salvadori, famille connue pour se délecter d’obscénités et de désirs charnels ! …Ha-ha-ha-ha-ha ! Il n’y a rien de plus hilarant.
Deux autres tentacules s’enfoncèrent dans l’abdomen de Miligan. Ophelia n’essaya pas de couvrir la bouche de son adversaire, cela n’aurait fait qu’étouffer les cris qu’elle voulait entendre. Elle regarda sa proie se tordre de douleur.
- …Alors tu veux avoir la pire des morts ? dit-elle froidement.
- Je vais te donner le privilège du choix : Par quoi voudrais-tu te faire empaler ensuite ?
- Kah—ahhhh !
Miligan se débattit alors que ses entrailles percées lui faisaient ressentir une douleur atroce. Ophelia observait sa victime de près, mais son regard n’était guère empreint de sadisme. Avec une mine déplaisante, elle grinçait des dents.
- Je n’ai… Je n’ai… Je n’ai aucun regret.
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En fuyant la lumière, ses pieds l’avaient naturellement amenée dans l’obscurité profonde du labyrinthe. La deuxième couche était encore trop lumineuse à son goût. La troisième en revanche, était merveilleuse. L’humidité et la crasse se perdaient à l’horizon et la tranquillité était de mise, car presque personne ne passait par là. Tout le monde évitait cette zone ou bien essayait de la traverser le plus rapidement possible. C’était l’endroit parfait pour son atelier.
- …Lia.
Pourtant, il y avait un excentrique qui la poursuivait quand même. À leur jeune âge, il était incroyablement dangereux de s’enfoncer aussi profondément dans le labyrinthe, mais ça ne l’empêchait pas de venir quand même. Bien sûr, il savait qu’elle ne voulait voir personne, peu importe son identité.
- …Va-t-en, Carlos. C’est mon territoire.
Le dos toujours tourné devant son ami d’enfance, elle le rejeta froidement. Il n’y avait pas d’autre moyen. Elle ne voulait pas que Carlos soit mis en danger, et ne voulait pas non plus être vue dans son état actuel. Carlos Whitrow, cependant, avait d’autres idées.
- Retournons à l’école. Je vais arranger les choses avec tout le monde.
- Ne sois pas stupide.
Elle ne pouvait pas accepter ça. Comment était-elle supposée faire face à tout le monde maintenant ? Non seulement elle avait répandu son Parfum dans le groupe et l’avait plongé dans le chaos, mais elle avait aussi presque tué l’un de ses membres en s’étant enfuie. Elle avait détruit tout sentiment de confiance et d’amitié qu’ils avaient développé à son égard.
- Ne désespère pas. Si on en parle, Al te pardonnera. Tu devrais savoir que….
Elle savait qu’il allait en venir à ça… et il avait probablement raison. Alvin Godfrey n’aurait jamais abandonné quelqu’un tant qu’il était sincère avec lui. Peu importe le nombre de fois que cela prenait, il pardonnerait encore et encore.
- ……
C’est pour cette raison qu’elle ne pouvait pas lui faire face. Son cœur lui faisait mal à chaque fois qu’il lui pardonnait. Il en était même brisé. Peu importe à quel point elle se languissait de sa lumière, rien ne pouvait changer le sang de succube qui coulait dans ses veines. Plus elle s’attachait à lui, plus ils passaient de temps ensemble, plus elle avait envie de le posséder complètement. Elle se surprenait souvent à faire le plus beau de ses cauchemars où elle libérait son Parfum dans son intégralité pour le mettre sous son charme. Et à chaque fois, cela la désespérait. Alors, pour échapper à cette souffrance, pour rejeter sa gentillesse, elle ne se donnait aucune autre issue pour ne jamais revenir. Elle ne pensait même plus à revoir la lumière du jour.
- … ?!
Quand Ophelia se retourna, tout se mit en place pour Carlos. Son ventre était gonflé et à l’intérieur il y avait une vie, et non celle d’une chimère.
- Lia. Tu…
- …Un élève plus âgé me l’a demandé et je l’ai laissé me féconder. Rien d’important. C’est mon rôle dans la vie, n’est-ce pas ?
Ophelia dit cela sèchement alors que son ami d’enfance ne trouvait plus les mots. C’était un autre des devoirs de ceux qui naissaient dans la lignée des Salvadori : partager le sang familial entre des familles de longue date qui se montraient intéressées. Ce n’était pas un phénomène rare dans le monde magique, et Ophelia n’avait aucune raison de se dérober à son devoir. Son corps était habitué à donner naissance, elle l’avait déjà fait des dizaines de fois. Une de plus ne la ferait même pas tressaillir, ou c’est ce qu’elle avait dû penser lors de son accouplement.
- ……
Non, elle ne broncherait pas. La seule chose qui criait était son cœur. Dernièrement, cependant, elle avait commencé à s’en dissocier. Elle avait accepté depuis longtemps qu’elle fût un récipient pratique et que son cœur n’était rien de plus qu’un accessoire à sa fonction. Pourtant, pourquoi son ami d’enfance était-il si désemparé ? Elle lui avait dit que plus rien ne pouvait la blesser. Pourquoi souffrait-il à sa place ?
- …Je t’ai dit d’attendre au moins trois ans…
- Je sais. Et je n’ai aucune raison de t’écouter, répondit-elle froidement.
C’était son devoir en tant que mage. Un simple gardien n’avait pas le droit de se plaindre des affaires de la Maison Salvadori.
- Je vais le dire une dernière fois : va-t’en, Carlos. Ou bien vas-tu essayer de me tuer, ici et maintenant ? demanda Ophelia en posant une main sur son athamé.
Si Carlos tenait vraiment à ce qu’elle fasse ce qu’il voulait et qu’elle reste fidèle à son objectif, alors il allait devoir la combattre comme n’importe quel autre mage. Son seul choix aurait été d’écraser la fille devant lui et toute l’histoire des Salvadori qui venait avec elle.
- …… !
Bien sûr, il savait qu’il ne pouvait choisir cette voie.
- …Je reviendrai. Et je continuerai à revenir jusqu’à ce que tu m’écoutes, jura Carlos, avant de tourner les talons à contrecœur.
Il allait probablement revenir de nombreuses fois pour finir par être chassé. Ce qui ne manquerait pas de refroidir encore plus son cœur.
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- Hmph. Tu es tombée si bas, n’est-ce pas, succube ? Comme c’est risible en plus d’être prévisible.
Les profondeurs du labyrinthe étaient remplies d’un nombre surprenant d’histoires similaires. Un mage particulier qui rassemblait les os des morts pour en faire ses familiers la rabaissa avec ses tournures de phrases uniques, sourit avec pitié et l’accueillit dans sa nouvelle demeure :
- Réjouis-toi, car les eaux d’ici sont parfaites pour toi. C’est un endroit plus qu’approprié, bien plus agréable qu’à la surface.
Ophelia ne pouvait être plus d’accord. C’était un tel soulagement d’être entourée de gens comme elle. Maintenant, elle était libre de leur rendre leur aversion.
- PARTUS !
Elle répliqua aussitôt avec un sort. Le sourire moqueur de Cyrus Rivermoore s’accentua.
- Ha ! C’est la première chose que tu as à me dire ? Il semble que tu aies accumulé pas mal de ressentiment. Très bien, c’est aussi mon devoir en tant qu’aîné. Jouons, veux-tu ?
L’homme incanta un sort de son cru, encouragé par l’hostilité de la jeune femme. Les duels à morts étaient bons pour évacuer le stress. Ainsi, elle avait trouvé en lui un partenaire idéal.
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- …Je réalise que je me mêle peut-être de ce qui ne me regarde pas, mais je pense que tu devrais arrêter.
De temps en temps, elle tombait aussi sur Kevin Walker. Il était l’un des rares étudiants plus âgés en bons termes avec le groupe de Godfrey, les ayant personnellement sauvés d’innombrables fois.
- Les gens peuvent sonder les profondeurs du labyrinthe, mais ce n’est pas un endroit pour y vivre. Moi qui le fais souvent, je m’assure de ne jamais oublier cette limite. Mais nous étions à Kimberly, l’endroit le plus anarchique qui existe. C’est un endroit pour les bons et mauvais humains avec des moments aussi bien agréables qu’horribles. L’on pouvait pleurer ici autant de fois que nos rires.
Ophelia ne savait pas comment réagir. Il était clairement différent de ceux qui avaient élu domicile ici. C’était aussi lui qui avait survécu le plus longtemps dans le labyrinthe. Si elle essayait de l’attraper, il lui glisserait facilement entre les doigts. C’était vraiment une personne très ennuyeuse.
- Carlos fait toujours de son mieux pour créer un endroit pour toi. Il forme un groupe d’étudiants avec des idiosyncrasies basées sur le sexe pour que tu ne te démarques pas. Tu es vraiment d’accord pour laisser les choses continuer ainsi ?
Il ne mettait jamais son nez dans les affaires des autres trop longtemps, faisant généralement quelques commentaires avant de partir. Mais cela avait toujours réussi à piquer. C’était quelqu’un de vraiment exaspérant.
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- …Ça fait mal…n’est-ce pas ?
Mais la personne la plus troublante était cette fille. Elle avait interagi quelques fois quand Ophelia traînait encore à la surface, mais depuis qu’elle avait commencé à vivre dans le labyrinthe, cette fille essayait de lui parler à chaque fois qu’elles se rencontraient.
- …Que dirais-tu…d’un thé ? demanda-t-elle d’un ton hésitant.
- Je… hum, j’ai de belles feuilles… Je suis douée pour ça… Faire du thé, je veux dire.
Et puis elle avait l’audace de lancer une telle invitation avec un sourire. Ophelia ne savait pas du tout quoi faire de ce chiot qui s’était entiché d’elle. S’il s’agissait juste d’un peu de pitié, elle n’aurait eu aucun problème à la chasser, mais elle s’était rendu compte que cette fille, au moins, ne ressentait rien de la sorte.
- …Du thé ? Ici ? Ne me fais pas rire.
Cela faisait mal à Ophelia de se moquer froidement d’elle à chaque fois qu’elles se rencontraient. Comme d’habitude, la jeune fille était accompagnée de son frère aîné. Il était aussi un ami de Carlos, ce qui le rendait doublement ennuyeux.
- Si tu n’aimes pas être ici-bas, alors montons, dit le garçon.
- Pas à la surface, non. Mais la deuxième couche serait mieux, non ?
- Pourquoi ne pas m’attraper par le col pour m’y traîner, Sherwood ?
Quand Ophelia les rejetait, la fille avait toujours l’air si triste. Ophelia détestait voir ça alors c’était elle qui leur tournait le dos en premier.
- Si c’est tout, alors vous pouvez partir. Je passe mon tour pour ce qui est de lécher les blessures des autres.
Elle était sincère. Passer son temps avec quelqu’un qui portait la même douleur n’était pas mieux que de regarder un miroir brisé.
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- Tu vas me rendre mes camarades, Ophelia.
Il était inévitable que cet incident se produise après qu’elle ait choisi la vie de sorcière du labyrinthe. Elle enlevait des gens lorsque ses recherches l’exigeaient, les privait de leur vitalité et manipulait leur esprit et leur corps en toute impunité. Alors naturellement, elle avait finit par se heurter à lui.
- Tu as fait tout ce chemin juste pour me voir, Godfrey ? C’est parfait. Ceux-là viennent de perdre tous leurs jus.
Parce qu’elle savait que cette rencontre était inévitable, elle avait fait tout son possible pour s’y préparer. Ce n’était pas une coïncidence d’avoir enlevé les camarades de Godfrey. Elle l’avait obligé à regarder ses chimères transporter les corps sans vie des étudiants pour les jeter sans cérémonie sur le sol boueux.
- …Ah… A-ah…
- Tu vas bien maintenant ! Je suis juste là ! Reste avec moi… !
Godfrey avait bercé chaque élève tour à tour, les appelants. Leurs pupilles vacillantes parvenaient à peine à se concentrer sur lui.
- Ah—gyah—gaaaaaaaaaah !!
- … ?!
Soudain, des cris jaillirent de leurs lèvres. Trois des étudiants se cambrant le dos dans une douleur atroce. Godfrey regarda avec horreur des bras extraterrestres jaillir de leurs abdomens, déchirant la peau et les muscles.
- Qu— ?!
Trois chimères sortirent de leurs estomacs, se tortillant dans les mares de sang des hôtes qu’elles avaient dévorées. Godfrey était immobile comme une pierre. Ophelia lui offrit un sourire radieux.
- Des bébés en si bonne santé, n’est-ce pas ? Je pense que les garçons devraient eux aussi faire l’expérience du miracle de la naissance. Quoi qu’il en soit, tu es libre de les ramener à la maison maintenant. Ces trois-là sont devenus complètement fous à cause du processus, malheureusement. Mais ne serait-ce pas merveilleux s’ils pouvaient retrouver leur santé mentale ?
Elle prononça chaque mot de son discours préparé avec une précision minutieuse. Les alliés de Godfrey, qui se tenaient derrière lui, bondirent en voyant l’horreur. Ils brûlèrent les chimères rampant à leurs pieds avec de la magie, puis se mirent à essayer de sauver leurs camarades hurlants.
- …Ton cœur a été souillé par les ténèbres du labyrinthe.
La scène libéra l’esprit de Godfrey de tous les doutes restants. Il pouvait pardonner une erreur un nombre illimité de fois. Mais il n’y avait aucun pardon dans son cœur pour ceux qui blessaient et rabaissaient ses alliés avec une intention malveillante évidente. Godfrey sortit l’athamé de sa ceinture et pointa sa lame sur Ophelia. Avec un esprit inébranlable, il se prépara à combattre l’ennemi devant lui.
- Assez. Cela doit se terminer maintenant. Dégaine, Salvadori !
Pour la première fois depuis leur rencontre, il l’appela par son nom de famille.
- Bien entendu.
Le mot était comme une lame dans son cœur, et elle leva son athamé. Un étrange sentiment de paix se répandit dans le corps d’Ophelia. Elle n’avait plus besoin de souffrir. Elle n’avait pas à se débattre pathétiquement dans la lumière. C’était sa vraie forme. Elle était enfin devenue une ennemie de l’humanité.
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- ……Pas… de regrets……
La voix d’Ophelia était tremblante et faible. Son corps défiait la raison humaine, pourtant ses souvenirs humains la torturaient encore.
Et à cause de cette discorde interne, les chimères ralentissaient très clairement. Leur pression incessante se relâchant, Oliver fit un bond en arrière et appela ses amis.
- Les chimères perdent leur férocité, car leur mère est désorientée ! C’est notre dernière chance. Tout le monde peut bouger ?
- Oui !
- En effet, je peux.
Chela et Nanao acquiescèrent immédiatement. Elles devaient être à la limite de leur endurance et de leur mana, mais elles refusaient de montrer faiblesse.
- Je peux me battre, aussi… !
- Tout ce que je peux faire est de maintenir cette barrière en place ! Tout le reste dépend de vous, compris ?!
- … !
Les sœurs Cornwallis indiquèrent qu’elles étaient également prêtes. Pete, quant à lui, fit de son mieux pour empêcher ses mains de trembler en serrant son athamé. Oliver ne pouvait pas être plus reconnaissant. Aucun d’entre eux n’avait abandonné malgré le chaos. En regardant vers l’avant, il put voir que Miligan était toujours sous l’emprise des tentacules d’Ophelia. Il ne pouvait pas dire si elle était consciente, mais il était clair comme le jour qu’elle avait risqué sa vie pour créer une ouverture pour eux.
- Nous servirons de leurres. Tout dépendra de toi, Nanao, dit Oliver, balai en main. Chela comprit rapidement ce qu’il voulait dire.
Normalement, il n’aurait jamais choisi une telle méthode. C’était un énorme pari, mais à ce stade, il n’y avait pas d’autre choix que d’ignorer les risques.
- Nous allons attirer les attaques des chimères, poursuivit-il. —— Pendant ce temps, vole aussi vite que possible vers Ophelia Salvadori et coupe-lui la tête. Ce sera notre coup fatal.
Oliver était frustré, car il n’y avait rien de grandiose dans son plan. C’était simplement une mission suicide à quatre et il n’assumait même pas la majeure partie du fardeau. Tout dépendait des capacités de Nanao en matière de balai.
- Je vois. J’ai compris.
Mais Nanao ne rechigna pas. Si Oliver proposait ce plan, alors elle y croyait à fond comme s’il était infaillible. Et cette bravoure qui émanait de sa pureté était une raison suffisante pour qu’Oliver mise tout sur elle.
- Alors c’est ça. On y va !
En tant qu’instigateur du plan, Oliver s’assura d’être le premier leurre dans les airs. Chela et Stacy montèrent rapidement sur leurs balais et volèrent après lui. Les chimères étaient désorganisées à cause de la confusion d’Ophelia, et elles réagirent instinctivement au mouvement. Celles qui avaient des capacités antiaériennes concentrèrent leurs efforts vers le ciel.
- Nous avons leur attention ! Maintenant, Nanao !
- Haaaaah !
Alors que les tentacules au sol se tendirent vers eux trois, Nanao sauta en dernier sur son balai et décolla. Elle prit de l’altitude en décrivant un arc de cercle, puis descendit comme un sortilège droit vers Ophelia.
- Uwah !
- Stacy !
Des tentacules infinis assaillirent les trois leurres. Après quelques secondes, l’un d’eux entra en contact avec le balai de Stacy. Elle perdit l’équilibre en plein vol, et Chela la regarda tomber au sol sans défense.
- Pas encore ! Pas encore… ! marmonna Oliver en se faufilant entre les tentacules qui venaient.
Il ne pouvait pas tomber. Pas avant que Nanao n’ait porté le coup final !
- Guh ?!
La férocité de l’attaque le prit au dépourvu. Au moment où il pensait avoir évité les trois tentacules, un fil collant vola par-derrière et s’accrocha au manche du balai. Alors qu’il luttait pour maintenir son équilibre, il remarqua du coin de l’œil une chimère arachnéenne qui crachait un fil. Le fil était plus rapide et plus difficile à voir que les tentacules alors même concentré, difficile d’esquiver.
- Gah… !
Il tomba quelques secondes après Stacy, se séparant de son balai, et dégringola sur le sol charnu. Heureusement, il réussit à amortir sa chute. Au moment où il se rétablit, il vit la dernière des leurres, Chela, s’emmêler dans le fil de l’araignée avant de tomber du balai. Ses yeux se tournèrent vers leur dernier espoir.
- Haaaaah !
Un déluge de tentacules que le groupe d’Oliver n’avait pas réussi à occuper se précipitait maintenant vers Nanao qui allait tout droit sur Ophelia.
Grâce à une incroyable manœuvre, elle parvint à les éviter, mais la deuxième attaque ne fut pas si tendre : Une toile d’araignée s’étendait devant son chemin, créant un mur infranchissable et inflexible.
- FLAMMA !
Mais l’instant d’après, le sort de feu de Nanao perça un trou dans ce mur. Elle s’était entraînée durement avec l’aide d’Oliver afin d’avoir plus que ses compétences à l’épée à disposition dans une bataille. Et ici, au moment le plus critique, son entraînement porta ses fruits.
- À ton tour !
Une fois la toile traversée, plus rien ne se dressait entre Ophelia et elle. Oliver retint son souffle en regardant tandis que Nanao profita de l’élan de son balai, sa lame se rapprochant du cou de son ennemie. C’est alors qu’elle commit une erreur fatale. Elle croisa le regard de la sorcière qui braillait comme une petite fille.
- …!
Son épée s’arrêta net à mi-chemin. Le coup qui aurait dû signaler la fin de la bataille glissa près du cou de la sorcière, ne tranchant rien d’autre que l’air.
- Nanao !
La jeune Aziane s’écrasa sur le sol, sans être préparée à l’atterrissage. Oliver suivit près du lieu de la chute et il se précipita vers elle, le visage pâle. Il trouva Nanao étendue là.
- Pardonne-moi, Oliver…
Incapable de se lever, elle avait tout de même réussi à présenter des excuses fermes. Oliver s’approcha d’elle, sans réfléchir. Il n’avait pas besoin d’être médecin pour voir qu’elle était blessée de partout. Ses bras, ses jambes et ses côtes étaient cassés, ainsi que de nombreux autres os. C’était un miracle qu’elle soit encore consciente.
- … !
Il s’agenouilla près d’elle et lança un sort de guérison. Il pouvait sentir les chimères se rapprocher d’eux, mais il chassa la chose de son esprit. Il n’avait ni le mana ni la force pour opposer une quelconque résistance. Plus important encore, il devait s’occuper de la fille en face de lui.
- …Pourquoi…ne l’as-tu pas tuée… ? C’était notre dernière chance… dit Oliver en soignant Nanao.
Ça aurait dû être la fin. La frappe de Nanao aurait parfaitement tranché la tête d’Ophelia. Si elle n’avait pas hésité, tout aurait été terminé maintenant.
- …Ce n’est qu’une…enfant…
Ce fut la réponse hésitante de Nanao, se souvenant du moment final. Elle s’était préparée à affronter un ennemi redoutable, à tuer instantanément un démon qui n’avait aucune considération pour les cœurs et les esprits humains. C’est ainsi que devait se dérouler son combat contre Ophelia Salvadori. Elle ne s’était pas attendue à quelqu’un d’aussi fragile et fugace, d’aussi infantile. Elle avait le visage baigné de larmes. C’était une petite fille sans défense.
- Je ne peux pas tuer un enfant qui pleure. C’est au-dessus de moi.
- … !
Oliver serra sa mâchoire fermement. Il avait tout compris. Sans réponse à lui offrir, il se pencha silencieusement vers elle. C’était une raison incroyable d’épargner l’ennemi, mais ça lui ressemblait tellement. La fin était proche. Chela était encore capable de bouger et traîna son corps endolori jusqu’à Stacy, qui s’était écrasée la première. Prenant la fille immobile dans ses bras, elle réussit à l’amener dans la barrière où se tenaient Pete et Lynette. C’était ici qu’elle allait faire son dernier pas. Elle tira avec détermination son athamé.
- …Je suis désolée, Pete, dit-elle.
- Huh… ?
- J’aurais aimé pouvoir te protéger jusqu’à la fin.
Au moment où il entendit ses excuses, quelque chose en Pete éclata.
- Qu… ? Attends, qu…qu’’est-ce que tu… ? bégaya Lynette.
Il ignora les tentatives de Lynette pour l’arrêter. Il s’approcha d’une Chela choquée en dégainant son athamé.
- Non !
Il savait que cela ne faisait guère de différence. Mais il devait le faire.
- Ne t’excuse pas. Vous êtes tous venus pour me sauver, n’est-ce pas… ?!
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Le cœur de la sorcière était envahi d’un pur chaos. Ses pensées et ses émotions en désordre, elle ne pouvait que se tordre de douleur et de solitude. Pourquoi était-elle si triste ? Elle ne le savait pas. Il n’y avait aucune raison de l’être. Elle était arrivée jusqu’ici en faisant ce qu’elle était censée faire. En tant que produit d’un millier d’années d’histoire, en tant que finalité d’une recherche millénaire, elle avait achevé la quête magique des Salvadori dans la plus grande forme possible. Comment pouvait-elle être malheureuse après une telle réussite ?
- Ah… Ahhh…
Au centre du cercle envahissant de chimères se trouvait ce garçon, risquant sa vie en tenant une fille blessée de la tête aux pieds dans un effort pour la protéger. En regardant la scène se dérouler, Ophelia se demanda à quand remontait la dernière fois où elle avait été tenue ainsi.
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- Regarde ça. Je vais t’apprendre à gérer un mâle.
Sa mère lui enseignait ses secrets, le corps enlacé avec un homme qu’elle avait charmé pour le rendre servile.
- Hee-hee-hee… Tu vois ? C’est facile, n’est-ce pas ? Appâte-les avec les plaisirs de la chair, et ils finiront comme ça.
Alors qu’elle bougeait ses hanches, seuls des gémissements sans signification s’échappaient des lèvres de l’homme. En échange de ce plaisir unilatéral, sa vitalité lui avait été enlevée de force. Ophelia se souvient avoir ressenti, même à un jeune âge, que cela semblait terriblement pathétique.
- Ce n’est pas du sexe, et certainement pas de l’amour. C’est de l’alimentation. Nous sommes des prédateurs, et ce sont nos proies. Les rapports sexuels peuvent être un peu impliqués, mais ce n’est jamais qu’un moyen de se procurer leur stock exceptionnel.
Elle avait accepté les affirmations de sa mère sans aucun doute. Mais avec le recul, elles n’étaient qu’à moitié vraies.
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- …Mère…où est Père ?
Une fois, alors qu’elle avait environ quatorze ans, elle avait erré deux jours dans la maison sur ses jambes flageolantes. C’était deux jours après une naissance difficile de chimère qui avait pris trois jours entiers. C’était là qu’elle s’était rendu compte que son père était introuvable. Quand elle avait demandé à sa mère, qui se noyait dans l’alcool dans le salon, la réponse fut immédiate :
- Je l’ai jeté dehors. Il a expulsé toute sa semence, alors je n’avais plus besoin de lui.
Ophelia n’avait ressenti ni choc ni tristesse. Elle avait accepté silencieusement la situation. Ça ne la choquait pas. Elle avait depuis longtemps compris le désir de son père de les quitter. Elle s’était toujours attendue à ce que ce jour arrive.
- Il avait l’air incroyablement soulagé de partir, poursuivit la mère d’Ophelia. —— Il était prometteur, mais finalement ce n’était qu’un mâle. Il n’a jamais pu suivre le rythme des Salvadori.
À l’exception de leur semence, les mâles étaient totalement inutiles à la sorcellerie des Salvadori. C’était une évidence, étant donné que leur ventre était la clé de leur art. Cependant, Ophelia s’était demandé pourquoi il était resté si longtemps. Pourquoi sa mère avait-elle gardé son père près d’elle ?
- …Pourquoi as-tu l’air si contrariée ? Ne me dis pas qu’il te manque.
Remarquant le regard dubitatif de sa fille, la mère lui lança un regard noir. Elle joua l’idiote. Ophelia aurait tout aussi bien pu parler à un miroir.
- Ne t’inquiète pas. Je suis peut-être débarrassée de lui, mais j’ai plein d’autres mâles. Oh ! Avec cette sale affaire en moins, je vais devoir partir à la chasse. Cela fait bien trop longtemps.
Et ainsi elle fuit la réalité. Elle avait ignoré les sentiments qui sommeillaient dans son cœur afin de détourner les yeux de la vérité et de maintenir la fierté de sa famille de pillards, se débarrassant des hommes une fois qu’elle en avait fini avec eux.
- Oui, faisons cela. Ophelia, tu viens avec moi. Tu pourras te moquer de ces pitoyables mâles qui ne parviennent pas à résister à leur propre luxure ! Cela va égayer ton humeur ! Oui, j’en suis sûre !
Le soupçon de folie dans le ton de sa mère révéla à Ophelia la vérité : « Oh, c’est nous qui avons été jetées ».
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- …Ah…ah……
Elle l’avait toujours su. Homme, femme, cela ne faisait aucune différence tant qu’il y avait du bois pour alimenter les feux qui alimentaient les poursuites des sorcières. Il n’y a jamais eu un seul humain dans cette maison. Pourquoi, alors, avaient-ils continué à jouer ce spectacle grossier ? Pourquoi sa mère se mariait-elle comme une humaine, tenait-elle un ménage comme une humaine, donnait-elle naissance à un enfant comme une humaine ? Pourquoi avait-elle donné à sa fille un nom humain comme Ophelia ?
- …Ahh…ahhhhh… !
Elle n’aurait jamais dû avoir de nom. Même un esprit capable de penser, c’était trop. Si elle était née pour n’être rien de plus qu’un utérus, alors il n’y avait aucune raison pour que son corps brûle avec une telle douleur. Elle n’aurait jamais eu à connaître la peur de l’amour ou à goûter l’amertume du chagrin. La fin serait arrivée avant qu’elle ne soit forcée d’accepter tout cela ou avec le fait qu’elle aurait compris sa solitude.
Où est cette fille solitaire ?
- … ?
Son cœur était sur le point d’éclater en hurlant dans un enfer sans fin, griffant sa poitrine. Pourtant elle s’y accrochait. Et puis soudainement, elle entendit une chanson familière.
Où est cette petite pleurnicharde ?
Au début, elle pensait que cela venait du plus profond de ses souvenirs. Mais non, ça ne venait pas de sa tête. Elle résonnait dans ses oreilles.
Ne te cache pas. Viens vers moi. Tes larmes ne vont pas sécher toutes seules.
La voix douce fit tout disparaître, relâchant les liens étroits dont ce monde était fait.
- Huh… ?
Oliver fut le premier à remarquer le changement. Une lumière pure brillait dans un espace près de lui avant de s’étendre lentement. Un pont entre leur monde fermé et l’extérieur était en train de se former.
- J’ai réussi…
Deux personnes traversèrent le pont : L’une, grande et musclée, était Alvin Godfrey. L’autre était également familier à Oliver et ses amis, un jeune androgyne mince.
- Carlos… ?!
Ophelia avait reconnu son ami d’enfance et appela son nom dans un état de sidération. Carlos la regarda droit dans les yeux et lui sourit doucement.
- Désolé, je suis en retard, dit-il. —— Je suis venu pour toi, Lia.
- Ne t’approche pas !!
Carlos s’approcha d’elle, et les chimères reculèrent comme des vagues dans son sillage. Des tentacules jaillirent sous Ophelia et se dirigèrent droit vers Carlos, tranchant sa peau et brisant ses os, perçant ses côtes et s’enfonçant dans la chair. L’impact fit tomber le corps mince du jeune homme en avant.
- Carlos… !
Incapable de regarder davantage, Oliver se leva, l’épée à la main, mais la carrure de Godfrey lui barra la route. Il secoua doucement la tête en regardant le garçon confus.
- Tout va bien, lui dit Godfrey. —— Laisse Carlos gérer ça.
Sa voix était pleine de conviction. Oliver ne pouvait rien dire à cela, même si Carlos était toujours attaqué par les tentacules. Il n’avait même pas essayé de dégainer son athamé et de se défendre. C’était comme si c’était son devoir.
- Tu es si pressée, Lia. Ne t’inquiète pas, je te donnerai tout.
Le ton de Carlos était d’une insondable gentillesse. Il pointa un doigt sur sa gorge, et soudainement, le tatouage autour de son cou se déroula comme un ruban et disparut. L’instinct d’Oliver lui disait qu’un sceau venait d’être défait. Il déglutit fortement avant que son chant ne s’amplifie.
Tu vois ? Tu es là, idiote. À pleurer toute seule.
Si tu pleures trop, tu finiras par te noyer dans une mer de larmes.
C’était une berceuse étrangement familière, chantée dans un yelglish simple. À chaque couplet que Carlos chantait, son environnement se transformait. Comme si on défaisait doucement un nœud, cette étrange réalité continuait à se défaire petit à petit.
Mais tout va bien désormais. Je suis là pour toi.
Tu n’es plus seule. Je vais mettre fin à ta solitude avec de la magie.
- …C’est…
Ce n’était pas un sort. La voix elle-même était remplie de pouvoir. Oliver comprit qu’elle avait été enchantée. Mais cela ne suffisait pas à l’expliquer complètement. La voix de Carlos s’efforçait clairement d’annuler le domaine qu’Ophelia avait créé. Sa voix résonnait distinctement, comme un parfait contrepoison à la sorcellerie des Salvadori.
- Attends…
Il ressentit une sorte de sacralisation dans ce moment. Soudain, toutes les pièces du puzzle se mirent en place. Oliver se souvint de la fête à laquelle Pete et lui avaient été invités ; Carlos avait dit que c’était un rassemblement d’étudiants ayant des traits magiques basés sur leur sexe.
Il était donc naturel que leur chef, Carlos, possède aussi quelque chose qui corresponde à cette description. Et si cette voix était ce quelque chose, cette voix d’alto, figée dans le temps avant que la puberté ne fasse son effet ? Tout le monde pouvait chanter dans cette gamme lorsqu’il était enfant, mais la plupart perdaient cette qualité pure et innocente une fois la puberté passée. Cependant, grâce à certaines méthodes, il était possible de conserver cette voix avec de nombreuses heures d’entraînement, afin d’y amener un développement magique : Un castrat. Ce n’est qu’en éliminant les traits masculins pendant la jeunesse d’un enfant que cette voix enchantée pouvait être produite. Son timbre était sacré, innocent, le contrepoids idéal à la magie qui se basait sur le sexe biologique d’une personne.
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- Une bien belle journée n’est-ce pas ? Quel beau temps.
Carlos se souvenait du jour où il l’avait rencontrée pour la première fois, dans le jardin de ce manoir sombre et froid.
- …Qui êtes-vous ?
Dès qu’il posa les yeux sur elle, il se sentit comme s’ils avaient été poignardés en plein cœur. Cette jeune fille était lourdement enceinte, une enfant née dans ce monde en tant que descendante de succubes, destinée à parfaire la magie de sa famille avec son ventre, émettant malgré elle ce Parfum qui attirait les hommes pour la ravager. Pas étonnant qu’elle se soit sentie incapable d’aimer ou d’être aimée en retour.
- Je pourrai être un ami, si tu le souhaites.
Carlos Whitrow avait été envoyé pour servir de valve de sécurité pour Ophelia. En tant que castrat, Carlos pouvait la garder sous contrôle quand sa magie devenait folle.
Et lorsque viendrait inévitablement la situation où elle serait consumée par le sort à cause de sa quête magique, il serait en mesure de la tuer sans faute. C’était le devoir de Carlos en tant que mage, qui lui avait été confié par le pacte de leur famille avec les Salvadori.
— Vais-je devoir porter votre enfant également ?
Cette question choquante en disait long sur l’environnement dans lequel elle avait été élevée. Pour elle, le seul but d’un homme était de planter sa graine dans son utérus. Elle pouvait difficilement envisager une autre interaction possible.
— Oh, non, ma puce. Ce n’est pas possible pour moi.
— C…Comment ça ?!
Alors il lui expliqua avec des termes très clairs. Bien sûr, elle en fut confuse au début. C’est bien, pensa Carlos. Petit à petit, il lui apprendrait qu’elle n’était pas une poulinière, qu’il y avait d’autres façons d’interagir avec les gens. Parce qu’il serait toujours à ses côtés.
Ah, mais…
— Bon, veux-tu quelqu’un avec qui discuter très chère Princesse râleuse ?
Si possible, ils voulaient la voir sourire. Ils voulaient que cette fille, désignée comme n’étant rien de plus qu’un réceptacle pour apporter la vie dans ce monde, obtienne un bonheur la rendant fière d’être née humaine. Il ne pouvait s’empêcher d’espérer que c’était possible. À ce moment-là, son espoir personnel se forma, défiant les ordres de leur famille. La vie et le destin de Carlos Whitrow étaient désormais scellés.
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- Je suis désolé, Ophelia… J’étais à tes côtés, mais je n’ai pas pu t’aider du tout, dit Godfrey, sa voix résonnant dans le ventre en ruine.
Son expression était remplie de culpabilité et de regret, mais l’instant d’après, il se força à en faire un sourire. Pas de remords lugubres, mais de la pure gratitude alors qu’il assistait aux derniers instants de son ami.
- Au revoir, Carlos… mon meilleur ami.
Oliver pouvait voir que Godfrey luttait pour ne pas briser sa voix. Mais c’était inutile. Sa gorge tremblait de façon incontrôlable. Les larmes coulaient de ses yeux sans discontinuer. Carlos savait mieux que quiconque que Godfrey n’était pas du genre à cacher ses émotions. Il afficha un dernier sourire aussi brillant que le soleil.
- Ouais. Au revoir, Al.
Après avoir dit adieu à son cher ami, Carlos se retourna vers Ophelia et reprit sa marche. Il s’était résolu d’être à ses côtés jusqu’au bout, et il s’exécuta sans hésiter.
Ouvre la porte et viens à moi. Je suis ta maison.
Assoupissons-nous un peu près de la cheminée, jusqu’à ce que ces yeux humides disparaissent.
La gorge de Carlos s’éleva en signe de protestation. Ses côtes étaient fêlées et cassées, et une douleur indescriptible se propageait de ses poumons à tout son corps. Plus il chantait, plus son corps se brisait de l’intérieur.
Le sceau de sa voix avait été brisé, et il chantait à pleine puissance, dépassant les limites que toute cantatrice aurait pu espérer atteindre.
S’il continuait ainsi, son corps ne survivrait pas face à l’effort. Mais il ne s’en souciait aucunement. Son chant, sa chair, ses pensées, tout ce qu’il avait existé pour le bien de la fille qui tremblait devant lui.
- Ne t’approche pas… Ne t’approche pas ! cria-t-elle.
Ses tentacules déchiraient la chair de Carlos, brisaient ses os, et ravageaient son corps mince encore et encore. Et pourtant, Carlos ne cessa pas d’avancer. Les tentacules faiblissaient, comme si elles hésitaient à tuer la personne qui se tenait là. Était-ce à cause de la voix ? Ou était-ce parce que la voix appartenait à Carlos Whitrow ?
Mon cœur t’enveloppera, cesse donc tes larmes.
La dernière parole relia tout. Et au moment où ces mots avaient quitté les lèvres de Carlos, ses bras s’étaient enroulés autour d’Ophelia.
- …Je suis désolé. J’ai promis de te faire sourire, et j’ai échoué, lui chuchota-t-il à l’oreille.
Les tentacules autour de Carlos tombèrent au sol sans vie. Dans ses bras, il pouvait sentir ses sanglots.
- …Tu es…stupide ? Personne ne t’a demandé de…
Sa voix tremblait tandis qu’elle réprimandait son ami. Carlos la tapota doucement sur la tête.
— Je t’aime, ma Lia. Je t’ai toujours aimée et je t’aimerai toujours. Pour toujours et à jamais.
Il lui révéla les sentiments qui n’avaient jamais faibli depuis le jour où ils s’étaient rencontrés.
Même maintenant, dans leurs derniers moments, Carlos resta inébranlable. C’était le plus beau cadeau… le plus intime, qu’il pouvait lui offrir.
- …Je te déteste…
Ophelia refusa de l’accepter avec joie. Cependant, elle ne le rejeta pas non plus. Comme un enfant rebelle recevant un cadeau d’un parent, elle le prit dans ses mains à contrecœur, le regardant avec méfiance, pour finir par s’enrouler avec ses bras.
- …Ne me laisse pas partir, supplia-t-elle, acceptant finalement l’étreinte amoureuse de Carlos.
Le jeune acquiesça silencieusement, la serrant aussi fort qu’il le pouvait, et recommença son hymne chaleureux une fois de plus. Défait par sa voix, le monde fermé s’effondra. Les chimères se désintégrèrent en sable sans combattre.
Ce fut une mort douce…
Les longs jours de souffrance de la jeune fille, et la solitude qui avait commencé dès sa naissance étaient maintenant terminés.
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En quelques secondes, Oliver et les autres se retrouvèrent assis et hébétés, de retour dans le monde réel au milieu du marais.
- Tu vas bien, Noll ?!
- Noll… !
Du coin de l’œil, il vit ses cousins accourir. Mais il resta silencieux.
- ……
La vision trouble, il regarda en direction d’un tas de sable. D’un blanc magnifique, c’est dans ce tas de sable qu’Ophelia et Carlos s’étaient enlacés plus tôt.
Ils avaient vécu dans ce monde en ayant formé un lien puissant…
Et cette scène était la dernière preuve de leur union.
[1] Du latin : La bête désirant des ailes, l’oiseau enviant les mains, le poisson cherchant des jambes, l’arbre idolâtrant la chaire.