Salvadori, la Progéniture des Succubes
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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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…HĂ©, regarde.
- Ouais, c’est elle. J’ai entendu les rumeurs…
Les regards des autres Ă©lèves posĂ©s sur elle Ă©taient toujours un mĂ©lange de peur et de jalousie…de curiositĂ© ou de dĂ©goĂ»t, et ce, depuis qu’Ophelia avait rejoint Kimberly.
— C’est comme si son odeur m’emportait…
- Whoa, ne t’approche pas trop près ! Elle va te kidnapper.
- C’est vrai qu’elle fait des enfants avec n’importe qui ?
- Seulement parce que c’est mieux que de le faire avec un monstre.
Ă€ l’Ă©poque, certains Ă©taient encore assez stupides pour parler d’elle Ă portĂ©e de voix. C’Ă©tait ennuyeux, mais elle l’ignorait comme un bruit de fond. Son dĂ©dain pour ses pairs grandissait Ă©galement ; elle supposait que plus la lignĂ©e de sang et l’intellect d’une personne Ă©taient de basse extraction et plus elle Ă©tait susceptible de faire des commĂ©rages dans de petits cercles.
- U-um, Miss Salvadori…
- Quoi ?
Parfois des gens l’appelaient, et elle rĂ©pondait de manière insolente. En consĂ©quence, la plupart s’enfuyaient après un regard glacial de sa part. Pendant la moitiĂ© de sa première annĂ©e Ă Kimberly, Ophelia n’avait parlĂ© Ă personne, Ă l’exception de Carlos.
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- Toujours sans amis, Lia ?
- …Tais-toi.
Carlos, qui avait intĂ©grĂ© l’école un an plus tĂ´t, passait autant de temps que possible avec elle. Ce jour-lĂ en particulier, ils avaient dĂ©jeunĂ© dans une salle de classe vide. Ophelia dĂ©testait par-dessus toute la cafĂ©tĂ©ria Ă cause de la foule, ainsi elle prĂ©fĂ©rait manger dans des endroits Ă l’abri du regard d’autrui.
- Je peux comprendre que le nom Salvadori puisse effrayer les gens, mais tu prends quand mĂŞme trop tes distances. Pourquoi t’essayerais pas d’ĂŞtre un peu plus amicale ? Cela devrait plaire Ă quelqu’un d’original.
- Je n’ai pas besoin d’amis. Je peux attirer autant d’hommes que je veux. C’est bien assez.
Elle grignota un muffin soufflĂ© au fromage. Le faible espoir que Carlos avait eu pour elle avant qu’elle ne commence l’Ă©cole s’Ă©tait complètement Ă©teint au cours des six derniers mois. Elle s’Ă©tait isolĂ©e de presque tout contact avec les autres. Carlos secoua la tĂŞte, troublĂ©.
- Tu dis que ça te va, mais moi non. Je veux te voir rire au milieu d’un groupe d’amis. C’est devenu un rĂŞve depuis le jour oĂą nous nous sommes rencontrĂ©s.
- Garde tes rĂŞves glauques pour toi… De toute façon, je m’en fiche. Je ne me ferais pas d’amis.
Elle jeta son muffin à moitié mangé dans la poubelle et se détourna de lui en faisant la moue. Carlos observa son profil et se mit à réfléchir.
- …D’accord. Mais qu’en est-il de mes amis ? Je peux au moins te prĂ©senter, non ?
- Fais ce que tu veux. Je vais juste les ignorer, dit-elle froidement, sans regarder Carlos.
Mais Carlos sourit en ayant eu son approbation. Il se retourna rapidement et quitta la classe, puis revint en trainant un autre Ă©lève avant qu’Ophelia n’ait eu le temps de comprendre quoi que ce soit.
- C’est parti. Al, voici Ophelia. PrĂ©sente-toi.
- Bien.
Sous l’impulsion de Carlos, le garçon s’avança devant elle. Il Ă©tait grand, avec des Ă©paules larges et musclĂ©es ; ses cheveux noirs Ă©taient si raides qu’ils semblaient rĂ©sister Ă toute frisure ; et ses yeux sombres la fixaient inconfortablement. IntimidĂ©e par sa pression silencieuse, Ophelia se retrouva Ă reculer sur son siège.
- Je m’appelle Alvin Godfrey, je suis en deuxième annĂ©e. C’est un plaisir de te rencontrer, Ophelia. J’espère que tu pardonneras mon audace. On m’a dit que tu dĂ©testais ĂŞtre appelĂ©e par ton nom de famille.
Godfrey se présenta de manière tout à fait formelle, puis afficha un sourire étonnamment doux. Il tendit immédiatement sa main droite pour initier une poignée de main ; Ophelia la regarda comme si c’était une créature rare.
- ……
- Carlos m’a beaucoup parlĂ© de toi. Je rĂ©alise que je n’ai qu’un an de plus, mais ça fait de moi ton ainĂ© alors n’hĂ©site pas Ă me contacter si tu as du mal Ă t’adapter—— Hmm ?
Son discours fluide jusque-lĂ s’arrĂŞta brusquement. Quelques secondes de silence s’Ă©coulèrent, puis le garçon fit calmement volte-face et dĂ©gaina sa baguette.
- DOLOR !
Le dos tournĂ© Ă Ophelia, il lança le sort sur son entrejambe. Sa grande taille s’effondra aussitĂ´t sur ses genoux.
- …Guh… Haaa… !
- …Huh ? …Quoi ?! A-attends, qu’est-ce que tu fais ?!
Ophelia sauta de sa chaise dans une lĂ©gère panique, ne comprenant pas ce qui venait de se passer. Godfrey Ă©tait au sol, serrant les dents avec les bras tremblants autour de la taille. De la sueur coulait sur son front alors qu’il luttait pour se relever.
- …Je suis terriblement dĂ©solĂ©. Une sensation ignoble a surgi en moi, mais j’ai rĂ©ussi Ă l’Ă©touffer avec la douleur d’un coup de pied dans l’entrejambe. Pardonne-moi.
Elle le regarda fixement. Était-il un idiot ? Personne ne lui avait demandĂ© d’aller jusqu’Ă de telles extrĂ©mitĂ©s. Godfrey se releva en titubant et prit de profondes inspirations pour se remettre de la punition qu’il s’Ă©tait infligĂ©e. Alors qu’Ophelia le regardait avec Ă©tonnement, Carlos lui chuchota Ă l’oreille :
- …Tu vois ? Original, n’est-ce pas ?
- ……
En effet, elle Ă©tait prĂŞte Ă l’admettre. Tout le reste mis Ă part, il n’y avait aucun doute sur ce point.
Il Ă©tait peu probable que l’on trouve une seule autre personne dans le monde magique assez stupide pour se punir avec un tel sort aussi spontanĂ©ment. Godfrey laissa Ă©chapper une grande inspiration, puis se retourna vers Ophelia, avec une expression calme sur le visage. Il tendit Ă nouveau sa main comme si rien ne s’Ă©tait passĂ©.
- Ton Parfum Ă©tait plus intense que je ne l’avais prĂ©vu… Mais un peu de force mentale le rend impuissant. C’est un plaisir de te rencontrer, Ophelia.
Il eut une mine renfrognée et bomba le torse, comme pour dire : « Allez-viens ». Ophelia en fut si surprise qu’elle éclata de rire pour la première fois de sa vie.
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Sa première impression de lui Ă©tait qu’il Ă©tait un idiot comme elle en avait rarement vu. Mais il s’Ă©tait avĂ©rĂ© qu’elle avait tort. Elle allait dĂ©couvrir qu’Alvin Godfrey Ă©tait un idiot inĂ©galĂ©.
- Bonjour, Ophelia. Cela te dérangerait de prendre le petit-déj——DOLOR !
- Bonsoir, Ophelia. As-tu trouvé comment utiliser la biblio——DOLOR !
- Ophelia, regarde ! Un nid de fées, ici même——DOLOR !
Depuis qu’il avait fait connaissance, Godfrey rĂ©pĂ©tait cette routine sans faute chaque fois qu’ils se croisaient sur le campus. Cela ne le dĂ©rangeait pas que d’autres puissent regarder. Et bien sĂ»r, il terminait toujours sa routine en tombant Ă genoux. Ophelia comprit que c’Ă©tait sa façon de rĂ©primer le dĂ©sir que lui inspirait son parfum, mais ses mĂ©thodes et sa persistance Ă©taient clairement anormales. Il savait que le fait de la voir le ferait se tordre de douleur, mais c’est pourtant ce qu’il faisait une fois tous les deux jours.
Il Ă©tait si coutumier du fait qu’elle avait commencĂ© Ă soupçonner que c’Ă©tait l’un de ses fĂ©tiches. Chaque fois qu’il le faisait, cela provoquait un tumulte parmi les Ă©lèves voisins, attirant inutilement l’attention sur elle. Alors bien sĂ»r, Ophelia trouvait ses singeries très gĂŞnantes, mais elle ne l’avait jamais arrĂŞtĂ©.
Peut-ĂŞtre Ă©tait-elle curieuse de voir jusqu’oĂą cet idiot irait, voir quels sommets sa bĂŞtise atteindrait.
- Bonjour, Ophelia. Tu déjeunes ?
- Euh, oui…
Environ deux mois s’Ă©taient Ă©coulĂ©s depuis qu’ils avaient Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©s. Ophelia Ă©tait assise sur un banc dans un coin de la cour de l’Ă©cole. C’Ă©tait leur trentième rencontre, et elle se prĂ©parait une fois de plus Ă ce qui allait arriver Ă coup sĂ»r.
- …Heh-heh-heh-heh-heh…
- … ?
Mais cela n’arriva pas. Godfrey s’assit Ă cĂ´tĂ© d’elle et commença Ă glousser de manière glauque. Elle le regarda d’un air suspicieux alors qu’il formait des poings avec ses mains.
- …J’ai gagnĂ©. J’ai enfin vaincu mes instincts par la douleur ! dit-il avec satisfaction.
Ophelia le regarda avec des yeux Ă©carquillĂ©s. Elle n’arrivait pas Ă croire que cet idiot avait enfin rĂ©ussi. Ce qu’il avait prĂ©cisĂ©ment fait Ă©tait de s’imprimer un rĂ©flexe conditionnĂ©. Chaque fois qu’ils se rencontraient et que l’excitation sexuelle montait en lui, il Ă©teignait le dĂ©sir avec un sort de douleur.
En répétant ce processus sur une longue période, son corps se souvenait que ressentir des désirs sexuels pour elle entraînerait une douleur extrême.
- Maintenant, on peut apprendre Ă mieux nous connaĂ®tre, et je serai en mesure de te donner des conseils. Parle-moi de tout, Ophelia. L’homme qui s’Ă©vanouissait de douleur en se saisissant l’entrejambe après t’avoir regardĂ© a disparu depuis longtemps. Devant toi se trouve maintenant un nouvel homme, Alvin Godfrey !
- U-um…
Il saisit sa main et la secoua vigoureusement; le cerveau d’Ophelia sembla Ă l’arrĂŞt. RĂ©alisant ce qu’il faisait, Godfrey la lâcha rapidement.
- DĂ©solĂ©. J’ai laissĂ© mon exaltation prendre le dessus. Recommençons. Puis-je dĂ©jeuner avec toi ? Tu peux refuser si tu prĂ©fères ĂŞtre seule.
Avec sa candeur habituelle, il demanda à la rejoindre. Il était on ne peut plus sérieux ce qui fit déglutir Ophelia. Elle réussit ainsi à lâcher une question.
- …Pourquoi… ?
- Hmm ?
- …Pourquoi avoir forcĂ© comme ça ? Il devait y avoir des centaines de façons plus faciles, demanda-t-elle.
Le plus idiot pour elle dans tout ça Ă©tait que ses efforts n’avaient aucun sens. Il existait des moyens beaucoup plus simples et plus logiques pour obtenir les mĂŞmes rĂ©sultats. Des potions ou des sorts qui augmenteraient sa rĂ©sistance, par exemple. En fait, mĂŞme s’il Ă©tait excitĂ©, il pouvait simplement garder un visage impassible. Personne ne verrait la diffĂ©rence.
Et si le fait de la dĂ©sirer Ă©tait le problème, alors il pouvait simplement rester loin d’elle pour commencer. Peu importe comment on voyait les choses, il avait choisi la voie la plus douloureuse et la plus inutile de son plein grĂ©. C’est tout ce qu’elle pouvait penser. Godfrey croisa les bras, faisant un « hmmm ».
- …En effet, je vois ce que tu veux dire. Je ne pense pas non plus avoir choisi la meilleure mĂ©thode. Je veux dire, chaque fois que je pensais Ă aller te voir ces deux derniers mois, mon corps frissonnait. Si je voyais un ami faire la mĂŞme chose, je l’arrĂŞterais certainement.
Elle Ă©tait surprise d’entendre qu’il en Ă©tait conscient. L’expression de Godfrey devient solennelle.
- Mais la douleur que j’ai Ă©prouvĂ©e ces deux derniers mois, ce n’est rien comparĂ© Ă ce que tu as dĂ» endurer toute ta vie.
- …Â !
C’Ă©tait comme un coup au cĹ“ur. Tant de personnes l’avaient Ă©vitĂ© parce qu’ils n’aimaient pas les effets de son Parfum. Pendant ce temps, Godfrey Ă©tait la première personne autre que Carlos Ă considĂ©rer la douleur qu’elle vivait, Ă©tant nĂ©e de cette façon.
- Alors ça ne me dĂ©range pas. La douleur ne me dĂ©range pas si cela me permet de m’asseoir fièrement Ă cĂ´tĂ© de toi.
Il afficha un sourire amical. Après un long silence, Ophelia reprit la parole.
- …Alors que cherches-tu en approchant fille aussi problĂ©matique que moi ?
C’Ă©tait une question mesquine ce qui surprit Godfrey.
- ProblĂ©matique ? Toi ? …Ha-ha-ha ! C’est hilarant !
Il éclata de rire et se tapa le genou. Ophelia le regarda avec méfiance, alors il étouffa son rire et lui fit de nouveau face.
- Écoute, Ophelia. Une personne vraiment problĂ©matique ne penserait jamais une telle chose. Elle se contenterait de rire et de prendre avantage de la situation. J’ai eu trois expĂ©riences de ce genre dans la seconde moitiĂ© de l’annĂ©e dernière. Deux de ces fois, j’ai failli mourir ! Mon sang bouillonne rien que d’y penser.
Une colère forte apparut soudainement sur le visage du jeune homme. Elle voulut demander ce qui s’Ă©tait passĂ©, mais il se calma avant de la fixer.
- C’est donc pour ça que tu Ă©tais distante, alors ? Eh bien, je suppose que tu m’as vu sous mon pire jour Ă plusieurs reprises. Mais c’Ă©tait de mon plein grĂ©. Tu n’as aucune raison de te sentir coupable. Donc pour la troisième fois : On dĂ©jeune ensemble ?
Elle hĂ©sita une seconde, puis hocha la tĂŞte. Godfrey sourit. Il ramassa le panier qu’il avait posĂ© sur le banc et le posa sur ses genoux.
- Alors, discutons. Comment se passent tes cours ? La prof de biologie magique est un monstre, n’est-ce pas ?
Ils se mirent Ă bavarder. Le garçon assis Ă cĂ´tĂ© d’elle Ă©tait censĂ© ĂŞtre un idiot qui n’apprenait jamais. Pourtant, pour une raison quelconque, la pause du dĂ©jeuner ce jour-lĂ sembla bien trop courte pour Ophelia.
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Pete envisagea les moyens de s’Ă©chapper de la sombre cellule, mais il Ă©tait vite apparu que cette tâche Ă©tait impossible. Il n’avait aucune arme Ă disposition. Il n’y avait donc aucun moyen logique de s’Ă©chapper de la prison de son aĂ®nĂ©e. Avec cela Ă l’esprit, il dĂ©cida de son prochain plan d’action.
- …HĂ©. HĂ©, rĂ©veille-toi… !
Il essayait de secouer ses camarades prisonniers pour les réveiller. Avoir un allié pouvait créer une opportunité aussi infime soit-elle. Il fallait parier dessus. Malheureusement, ses efforts furent vains. Ils refusaient de se réveiller, même en leur pinçant les fesses ou en les giflant au visage. Au bout de dix tentatives, il en eut assez. Il faillit désespérer, mais fut convaincu que la onzième fois serait la bonne. Il pinça finalement quelqu’un sur sa joue de toutes ses forces. Quelque chose finit par changer.
- …Mm… ?
- Oh… Tu es rĂ©veillĂ© ?! Oui ! Ne te rendors pas ! Ne te rendors pas !
Pete eut une voix teintée d’espoir et de désespoir à la fois. C’était le premier étudiant à montrer une sorte de réaction. Cela semblait fonctionner, car il commençait à émerger avant de fixer son regard sur le visage de Pete.
- Tu es… l’un de ces bons Ă rien… du groupe d’Oliver. OĂą… ?
Pete sursauta en entendant ces mots. Il n’avait pas rĂ©alisĂ©, Ă cause de l’obscuritĂ© et du dĂ©sespoir qu’il s’agissait de Joseph Albright, le garçon qu’Oliver avait combattu lors du petit tournoi. Le souvenir de l’essaim d’abeilles Ă©tait encore frais dans son esprit. Pete n’Ă©tait soudainement plus aussi soulagĂ©. Albright se releva et regarda autour de lui, son expression devenant sinistre.
- … L’atelier de Salvadori, huh ? Bordel, quel merdier !
RĂ©alisant la situation, il fouilla tout son corps.
- Elle a pris nos athamés et nos baguettes bien sûr. Tout le reste… Ugh !
- T-tout va bien ?!
Albright s’arrĂŞta soudainement et se tint la tĂŞte. Pete sauta plus près, mais Albright l’arrĂŞta d’une main.
- Ne braille pas. Je vais très bien, dit Albright. —— On est en train de respirer son parfum. Même mon extraordinaire résistance au poison et aux charmes ne suffit pas, expliqua-t-il en calmant sa respiration.
Il regarda Pete avec méfiance.
- …HĂ©, la crevette. Comment tu peux arriver Ă bouger ?
- Huh… ?
- Tu ne t’en rends pas compte, n’est-ce pas ? …Regarde les autres idiots endormis. Tu aurais dĂ» ĂŞtre dans le mĂŞme Ă©tat. Aucun homme ne peut rĂ©sister Ă son parfum. MĂŞme moi, je ne me serais pas rĂ©veillĂ© si tu ne m’avais pas perturbĂ©. Et pourtant, tu es lĂ , Ă bouger sans encombre dans ce miasme. Je trouve cela difficile Ă croire.
Pete n’était pas sĂ»r de comment rĂ©pondre. Il pouvait sentir l’odeur particulière dans l’air, mais cela ne l’endormait pas pour autant. Si les autres Ă©tudiants avaient succombĂ© aux effets naturels du parfum, alors pourquoi Ă©tait-il le seul Ă ne pas ĂŞtre affectĂ© ? Soudainement, il se mit Ă haleter.
- …Oh…
Inconsciemment, il fouilla son corps. Trouvant que sa supposition Ă©tait juste, il se raidit. Albright, qui assistait au dĂ©roulement de l’Ă©vĂ©nement, plissa les yeux en signe de comprĂ©hension.
- Ah, je vois. Tu n’es pas un homme, n’est-ce pas ?
Une grande panique s’empara de Pete. Mais après un moment, il rĂ©alisa que ce n’Ă©tait pas le moment de garder des secrets. Il hĂ©sita, puis rĂ©vĂ©la ce qui se passait avec son corps. Albright ricana.
- Hmph, un reversi. Pas quelque chose que j’attendais d’un bon Ă rien. Mais je comprends mieux. La chimère de Salvadori t’a pris pour un mâle et t’a capturĂ©. Puis, après avoir Ă©tĂ© amenĂ© ici et endormi, tu t’es transformĂ© en femme. Comme l’effet du charme est plus faible sur quelqu’un du mĂŞme sexe, tu t’es rĂ©veillĂ©. Ça rĂ©sume bien la situation.
- S-si vous comprenez ce qui se passe, alors il faut qu’on sorte d’ici ! Il doit y avoir un moyen— Mgh ?!
Pete commença Ă Ă©lever la voix dans l’excitation, mais Albright couvrit sa bouche d’une main.
- Ferme là . Tu ne comprends pas dans quel pétrin tu te trouves. Si on te trouve, tu seras tué.
- … !
- Ta présence est un problème inattendu pour Salvadori. Si on a de la valeur pour elle, c’est parce que nous sommes des hommes.
Albright expliqua calmement, en couvrant toujours la bouche de Pete. Il Ă©coutait en silence, comme si on lui avait versĂ© de l’eau glacĂ©e sur la tĂŞte.
- Vu ses mĂ©thodes peu rudimentaires, Salvadori a probablement perdu la raison. Il ne faut pas s’attendre Ă ce que la raretĂ© d’un reversi incite sa curiositĂ©, ni qu’elle fasse preuve d’une quelconque compassion pour ses cadets. La preuve de la chose est sous nos yeux.
Albright retira finalement sa main de la bouche de Pete et jeta un regard Ă l’extĂ©rieur de la cage de chair. Pete tourna la tĂŞte dans la mĂŞme direction et vit ce qui l’avait fait frissonner un peu plus tĂ´t Ă savoir, un groupe d’Ă©tudiants clouĂ© au mur avec des vĂŞtements dĂ©chiquetĂ©s et des « tuyaux » de chair reliĂ©s Ă divers points de leur corps. Parmi eux se trouvait l’un de ceux que ses amis avaient combattus rĂ©cemment.
- …Mr. Willock…
- Contrairement Ă toi, la vitalitĂ© d’un demi-loup-garou en fait une cible parfaite. On est tous ici pour finir comme lui, puis Ă©liminĂ©s quand on ne sera plus utiles.
Quand Albright énonça la vérité crue, Pete déglutit et se tut.
- Tu comprends maintenant ? Si on prend l’initiative, on peut renverser la situation. Personne n’aurait pu prĂ©voir que tu serais capable de te dĂ©placer librement dans ce miasme. Tu es notre carte maĂ®tresse.
Maintenant qu’ils Ă©taient tous deux sur la mĂŞme longueur d’onde, Albright avait commencĂ© Ă discuter de la façon dont ils pouvaient s’Ă©chapper. Pete le regarda avec espoir ; puis Albright planta calmement ses doigts dans ses cĂ´tes et grimaça.
- Qu-qu’est-ce que… ?! s’exclama Pete
- Tais-toi et regarde !
Albright fouilla dans ses propres entrailles, et finit par trouver plusieurs petites sphères. Quelque chose semblait ĂŞtre scellĂ© dans les boules de verre qui Ă©taient de quatre couleurs diffĂ©rentes. Les boules sanglantes se trouvaient maintenant dans la paume d’Albright.
- C’est dans le cas oĂą l’on me confisquerait ma baguette. Deux d’entre elles sont explosives. Infuse-les de mana et elles provoqueront une petite explosion, mais avec des effets destructeurs. On va les utiliser pour s’échapper de cette cellule. Les deux autres sont un Ă©cran de fumĂ©e, qui rĂ©duit la visibilitĂ©, nous donnant l’occasion de s’enfuir. C’est Ă©galement un signal de dĂ©tresse qui Ă©met un son fort et une dĂ©charge de mana appeler un alliĂ© au secours.
Pete écouta avec étonnement. Albright mit sa main devant le nez du garçon à lunettes.
- Je te les donne toutes. Il ne me sert Ă rien de les avoir dans cet Ă©tat.
- …Oh…
Par rĂ©flexe, Pete tendit les mains et accepta les huit sphères de verre. Il pouvait sentir sur elles la chaleur persistante des entrailles d’Albright. Pete se leva, sentant qu’on venait de lui confier une Ă©norme responsabilitĂ©.
- Attends une opportunitĂ©, continua Albright d’un ton strict. —— Jusqu’Ă ce que Salvadori quitte l’atelier, en espĂ©rant qu’elle s’Ă©loigne le plus loin possible. Je suis certain qu’une Ă©quipe de recherche composĂ©e d’Ă©lèves de classes supĂ©rieures a Ă©tĂ© envoyĂ©e dans cette couche du labyrinthe. Si on peut les alerter, on renverserait la tendance.
C’Ă©tait leur plus grand espoir. Maintenant que Pete connaissait le plan, Albright se souvint soudain de quelque chose.
- Je suppose que je dois te demander ton nom, petite crevette, puisque je te confie ma vie. Quel est-il ?
- …Pete Reston, rĂ©pondit le garçon Ă lunettes d’un ton raide. Albright renifla.
- Pete…Si on s’en sort vivants, je m’en souviendrai.
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La chimère gĂ©ante faisait gronder le sol de son poids tandis qu’elle avançait dans la forĂŞt, renversant les arbres sur son passage. Un peu plus loin, Ă l’ombre d’un arbre, deux Ă©tudiantes observaient la scène en retenant leur souffle.
- …Il est enfin parti. Woo, c’Ă©tait terrifiant !
L’une Ă©tait plus grande que l’autre et semblait ĂŞtre une ainĂ©e. La fille Ă cĂ´tĂ© d’elle se leva du sol, se mettant en route avec dĂ©termination, se ruant dans la forĂŞt. La grande fille l’avait rapidement poursuivie.
- Hé ! Fais un peu plus attention ! On aura de gros problèmes si on est repérées.
- Nous n’avons pas le temps ! Je dois sauver Fay !
La fille paniquĂ©e Ă©tait une des participantes du petit tournoi. Elle avait rĂ©ussi Ă donner du fil Ă retordre Ă Chela : Stacy Cornwallis. Tout comme Oliver et les autres avaient perdu Pete face Ă la chimère, elle avait perdu son partenaire demi-loup-garou, Fay Willock. Après l’avoir rattrapĂ©e, la grande fille poussa un soupir dramatique.
- Je suis dĂ©jĂ au courant, d’accord ? …Ugh, j’ai eu tort de t’emmener. J’aurais dĂ» savoir que quelque chose n’allait pas quand quelqu’un d’aussi irrespectueux que toi Ă©tait venu me demander de l’aide.
Les plaintes venaient d’une fille nommĂ©e Lynette Cornwallis, la sĹ“ur de Stacy, de trois ans son aĂ®nĂ©e. Lynette se pinça les lèvres, froissĂ©e par l’insistance de sa petite sĹ“ur Ă foncer vers le danger.
- Tu es bien attachĂ©e Ă ton petit animal de compagnie. Est-il vraiment si prĂ©cieux pour toi ? C’est juste un chiot errant que tu as trouvĂ© par hasard un jour. Tu pourrais facilement le rempla——
Stacy se retourna et lança un regard assassin à sa sœur. Lynette leva les mains en signe de capitulation.
- …Je suppose que non. Ouais, ça va. Je suis dĂ©solĂ©e.
Stacy fit silencieusement demi-tour et continua Ă avancer une fois de plus. C’Ă©tait l’occasion parfaite pour arrĂŞter de parler, mais Lynette ne semblait pas l’avoir compris.
- Ce que je ne comprends pas, c’est que peu importe Ă quel point tu tiens Ă lui, tu ne porteras jamais ses enfants. Tu pourrais avoir n’importe quel homme en tant que Cornwallis. Père peut ne pas t’aimer, mais tu es toujours la lueur d’espoir de notre famille.
- ……
- Ou bien penses-tu abandonner complètement la famille ? Nous lâcher pour devenir un McFarlane par exemple ? C’est pour ça que tu essayes de rester proche d’Oncle Theodore, n’est-ce pas ? …Eh bien, je te souhaite bonne chance. Aussi talentueuse que tu puisses ĂŞtre, tu ne pourras jamais faire tomber Miss Michela et la remplacer.
Elle se moquait clairement de Stacy, essayant de la provoquer, mais sa sœur refusa de répondre. Lynette fit claquer sa langue.
- Pourrais-tu arrĂŞter de m’ignorer pendant, disons, une seconde ? ….Aah. Tu es muette ou quoi ? J’ai toujours essayĂ© de te parler Ă la maison, mais tu ne rĂ©pondais quasiment jamais.
Elle se souvenait vaguement d’une fois, il y a longtemps, quand Michela McFarlane Ă©tait venue leur rendre visite. Sa petite sĹ“ur avait offert Ă ce prodige de la famille principale une couronne de fleurs. Michela semblait sincèrement ravie ce qui fit grandement rougir Stacy. Michela et elles formaient une bien belle paire fraternelle. Bien plus qu’avec Lynette qui ne saurait ĂŞtre au niveau.
- …Tu aurais pu m’en faire une aussi.
- … ?
Stacy capta les murmures de sa grande sĹ“ur et se retourna, intriguĂ©e. Lynette haussa les Ă©paules, dĂ©tournant les yeux pour tenter d’Ă©viter le regard de Stacy.
- Ce n’est rien. Allons-y. Tu es pressĂ©e, non ?
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Pendant ce temps, le groupe d’Oliver avait atteint le bout de la deuxième couche.
- Très bien, il est temps d’en finir avec ce niveau, déclara Miligan, en ouvrant la voie.
Ils avaient dĂ©jĂ traversĂ© la forĂŞt alors les arbustes se faisaient de plus en plus petits. En remarquant qu’il y avait de la terre sans herbe sous ses pieds, Chela leva les sourcils en signe de suspicion.
- La végétation a pratiquement disparu. Je ne sens aucun être vivant.
- Mais il y a encore de la terre. Bizarre… Miss Miligan, qu’est-ce qui se passe ? demanda Oliver, sentant lui aussi que quelque chose n’allait pas. Miligan s’arrĂŞta.
- Je pourrais expliquer, mais comme on dit, il faut le voir pour le croire.
L’instant suivant, le sol sous leurs pieds se mit Ă trembler lĂ©gèrement. Perplexe, Oliver baissa les yeux pour voir des bras d’os blancs percer le sol.
- Qu—— ?!
Il fit un bond en arrière sous le choc, mais ce n’Ă©tait que le dĂ©but. Des os pâles jaillirent du sol Ă perte de vue. De la terre mouvante apparurent des guerriers squelettes vĂŞtus d’armures fracassĂ©es et brandissant des Ă©pĂ©es et des lances. Ils y en avaient facilement des milliers. Chela regarda avec Ă©tonnement les dizaines de morts-vivants qui apparaissaient sans prĂ©venir.
- Des spartoi[1]… ?! Et si nombreux ! s’exclama-t-elle.
- Quel spectacle, n’est-ce pas ? DĂ©tendez-vous. Ils sont de notre cĂ´tĂ©.
Miligan Ă©tait Ă©tonnamment calme. Oliver et les filles n’avaient pas tout de suite compris ce qu’elle disait, mais la sorcière jeta un sort sur le sol, crĂ©ant une plateforme de taille moyenne avant de sauter dessus pour examiner le cĂ´tĂ© opposĂ© de l’armĂ©e de morts-vivants.
- Nos adversaires se mettent également en position. Étudiez attentivement les formations de combat de chaque côté, maintenant.
Confus, ils dĂ©cidèrent d’imiter Miligan en sautant sur la plate-forme crĂ©Ă©e par la magie pour avoir une meilleure vue. Au loin, au-delĂ de l’armĂ©e de squelettes, ils pouvaient voir un autre groupe de guerriers osseux Ă©merger de la terre. Les armures de chaque camp qui se faisaient face en formation ordonnĂ©e portaient des motifs diffĂ©rents.
- Ils forment des lignes de combat, armes Ă la main…c’est une bataille.
- Bonne rĂ©ponse, Nanao. C’est l’Ă©preuve finale de la deuxième couche, la bataille des armĂ©es de l’enfer.
Miligan révéla la chose avec enthousiasme, puis se retourna vers les trois autres.
- Laissez-moi vous rĂ©sumer les règles. Il y a deux armĂ©es de spartoi devant vous et vous allez combattre aux cĂ´tĂ©s de l’une d’entre elles. Votre objectif est de mener vos forces Ă la victoire. Plus prĂ©cisĂ©ment, le moment oĂą vous dĂ©truisez le gĂ©nĂ©ral ennemi est le moment oĂą vous gagnez. Si votre gĂ©nĂ©ral tombe, vous perdez.
Oliver déglutit. Ils étaient censés se lancer dans la bataille au milieu de cet océan de squelettes ? Miligan ignora son appréhension et continua.
- Il est cachĂ© derrière l’armĂ©e ennemie. Et c’est en gagnant que la porte de la troisième couche s’ouvre. Mais faites attention : Monter sur un balai est contraire aux règles. Si vous le faites, vous perdez immĂ©diatement, alors n’oubliez pas cela. Si vous perdez, la prochaine bataille ne commencera pas avant trois heures. De plus, si vous laissez votre armĂ©e se dĂ©brouiller seule, elle est assurĂ©e de perdre. Le but de ce jeu est de changer le rĂ©sultat avec votre propre force. RĂ©flĂ©chissez bien et bataillez dur !
Et avec cela, elle passa devant ses cadets stupĂ©faits. Ils la regardèrent partir, et quand elle parcourut vingt mètres, elle se retourna et s’installa pour observer.
- DĂ©solĂ©e, mais je ne peux pas aider. J’ai dĂ©jĂ rĂ©ussi cette Ă©preuve cette annĂ©e. Faites-le une fois, et vous ĂŞtes libre de passer pour l’annĂ©e entière. Mais en Ă©change, vous ne pourrez plus participer au jeu.
Une pointe d’inquiĂ©tude apparut sur le visage d’Oliver. Autrement dit, ils devaient tous les trois rĂ©ussir cette Ă©preuve par leurs propres moyens.
- Si ça tourne vraiment mal, j’interviendrai pour vous sauver. Ă€ ce moment-lĂ , vous devrez ignorer les règles et courir. Avant de vous faire tuer par les troupes ennemies, bien sĂ»r, ajouta-t-elle nonchalamment, au moment oĂą le son grave d’une corne retentit sur le champ de bataille.
- C’est la corne. Vous avez cinq minutes pour Ă©laborer une stratĂ©gie.
Et avec ce dernier conseil, elle se tut pour de bon. Les trois première année eurent immédiatement une discussion, ne voulant pas perdre une seconde.
- Si ce jeu est une simulation de bataille, alors c’est essentiellement comme aux Ă©checs, dit Chela. —— Nous devrions commencer par vĂ©rifier les pièces de chaque cĂ´tĂ© !
- D’accord, rĂ©pondit Oliver. —— N’oubliez pas de noter les formations de chaque camp et la typographie du terrain !
Ils hochèrent la tête et se séparèrent. Après avoir fait le tour du champ de bataille, le trio se regroupa.
- C’est un terrain plat. Aucune formation gĂ©ographique notable. Les deux camps semblent de force Ă©gale, mais j’ai comptĂ© plus de soldats Ă cheval sur leurs flancs.
- En Ă©change, nous avons un autre type d’unitĂ© sur notre ligne de front…
- À en juger par leur taille et leur structure squelettique, je dirais que ce sont des Swordrhinos[2], un type de créature magique, déclara Oliver.
- On peut les utiliser pour faucher l’avant-garde de l’ennemi et, une fois leur formation brisĂ©e, poursuivre avec notre infanterie… Du moins, c’est mon analyse de profane.
Oliver n’avait guère confiance en lui, mais il offrait son opinion. Un duel de mages n’Ă©tait rien comparĂ© Ă une bataille de cette ampleur, il Ă©tait donc complètement hors de son Ă©lĂ©ment. Il ne savait mĂŞme pas si son analyse Ă©tait correcte. Chela semblait tout aussi incertaine.
- On semble manquer de chevaux. Je n’ai aucune connaissance des batailles des non-mages, donc je ne peux pas dire avec certitude si c’est un dĂ©savantage certain. Miss Miligan a dit que nous Ă©tions assurĂ©s de perdre si on ne faisait rien. Nanao, tu as une idĂ©e de la raison pour laquelle c’est le cas ?
- Mm…
La seule personne sur laquelle ils pouvaient compter Ă©tait Nanao, qui avait de l’expĂ©rience dans des batailles similaires. Ses amis dĂ©chantèrent et la regardèrent croiser les bras et rĂ©flĂ©chir pendant dix bonnes secondes.
- …Mm, je n’en ai pas la moindre idĂ©e ! Je n’ai jamais Ă©tĂ© gĂ©nĂ©ral, après tout ! finit-elle par dire, l’expression brillante.
Les Ă©paules d’Oliver s’affaissèrent en signe de dĂ©ception, mais Chela se reprit rapidement.
- Nous n’avons pas besoin de faire semblant d’ĂŞtre des gĂ©nĂ©raux, expliqua-t-elle. —— Notre objectif est simple : tuer le gĂ©nĂ©ral ennemi. C’est tout ce Ă quoi nous devons penser.
Cela donna de l’espoir Ă Oliver. Elle avait raison, il ne fallait pas se laisser distraire les futilitĂ©s. Ils restaient des mages, après tout.
- …D’après ce que j’ai vu, les soldats qui entourent le gĂ©nĂ©ral sont coriaces, dit Oliver. —— Ce sont très probablement des gardes impĂ©riaux. Leur Ă©quipement est diffĂ©rent de celui des autres et ils ont une quantitĂ© folle de mana. Si on attaque sans rĂ©flĂ©chir, on se fera certainement repousser.
- Notre seule chance est d’attaquer une fois que les deux camps s’affrontent et que la bataille devient une mĂŞlĂ©e gĂ©nĂ©rale. Si on peut se mettre Ă portĂ©e de sorts, je finirai ça en un seul coup, annonça Chela avec confiance. Les deux autres acquiescèrent, et la corne retentit Ă nouveau.
- Nous n’avons plus le temps… Suivons le plan de Chela. Fais attention Ă ne pas ĂŞtre pris dans l’affrontement de la ligne de front. Garde tes distances et attends l’occasion parfaite pour abattre le gĂ©nĂ©ral ennemi. Compris, Nanao ?
La jeune fille aziane hocha la tête. Au même moment, les Swordrhinos squelettiques de leur avant-garde commencèrent à charger.
- Ça a commencĂ©… !
Les bĂŞtes squelettiques se ruèrent vers l’avant en soulevant des nuages de poussière dans leur sillage. Leur charge Ă©tait clairement une tentative de premier choc comme Oliver l’avait prĂ©dit. Mais l’instant d’après, ses attentes s’évanouirent. Les lignes ennemies qui auraient dĂ» ĂŞtre Ă©crasĂ©es par l’attaque des Swordrhinos s’étaient dĂ©placĂ©s rapidement pour laisser un chemin. Ces derniers avaient ainsi chargĂ© dans le vide et finirent du cĂ´tĂ© opposĂ© de l’armĂ©e ennemie, sans infliger aucun dommage.
- …Ma parole ! Ils sont passĂ©s au travers !
- En effet, ils avaient anticipĂ© la charge. De telles tactiques sont rĂ©vĂ©latrices d’un gĂ©nĂ©ral talentueux.
Chela fut choquĂ©e, mais Nanao semblait Ă©trangement impressionnĂ©e. Oliver, cependant, avait un sentiment assez similaire Ă celui de Chela. Dans le mĂŞme temps, il y avait un sentiment tenace Ă l’arrière de son esprit qui disait que quelque chose n’allait pas.
- … ?
Alors qu’il se dĂ©battait avec cette incertitude, cette fois, les unitĂ©s montĂ©es des deux camps s’affrontèrent. MĂŞme Oliver savait que leur cĂ´tĂ© Ă©tait dĂ©savantagĂ©, en termes de nombre, mais la rĂ©alitĂ© Ă©tait encore plus terrible. Leurs unitĂ©s avaient Ă©tĂ© repoussĂ©es lors de l’affrontement initial, ce qui sembla les dĂ©moraliser, car ils avaient dĂ©talĂ© du champ de bataille.
- Nos unitĂ©s montĂ©es ont Ă©galement Ă©tĂ© repoussĂ©es… ! Est-ce qu’on peut faire pire niveau scĂ©nario ?
- On ne peut pas continuer Ă observer depuis nos lignes, cria Chela.
- Je vais soutenir nos troupes, FRAGOR !
Avec la charge des Swordrhinos ratĂ©e et leur cavalerie vaincue, tout ce sur quoi ils pouvaient compter maintenant Ă©tait leur force principale de fantassins. Les deux camps s’affrontaient avec des lances et des boucliers. Pendant ce temps, des sortilèges furent lancĂ©s au-dessus de leurs tĂŞtes alors que Chela et Oliver offraient leur soutien. Les sorts d’explosion atterrissaient au milieu des lignes ennemi pour pulvĂ©riser un groupe de soldats squelettiques. Malheureusement, le trou laissĂ© par l’explosion fut immĂ©diatement rempli par d’autres soldats venant de l’arrière. Cela n’avait donc eu aucun effet.
- …Inutile ! Une bataille de cette ampleur ne peut pas ĂŞtre affectĂ©e par de petits sorts ! dit Oliver.
- Alors dois-je me joindre au front ?
- Stop, Nanao ! Si la situation est si mauvaise, alors nous devrions juste courir ! cria Chela.
La jeune fille aziane tenta de rejoindre la bataille comme si c’Ă©tait une seconde nature, mais ses amis l’attrapèrent par les Ă©paules et l’arrĂŞtèrent. Mais alors qu’ils tâtonnaient pour trouver leur prochain mouvement, l’Ă©tat de la bataille changea sous leurs yeux. Leur ligne de front complètement fauchĂ©e, la ligne arrière avança pour remplir l’espace vide, stoppant l’avancĂ©e de l’ennemi.
- Attendez, dit Oliver —— Quelque chose cloche.
- La ligne avant s’est effondrĂ©e, mais la ligne arrière ne cède pas de terrain, expliqua Nanao. Nos meilleurs soldats ont dĂ» ĂŞtre placĂ©s lĂ Ă l’avance.
Et comme elle l’avait dĂ©crit, les nouvelles lignes de soldats se battaient avec acharnement. Leurs boucliers ronds fermement verrouillĂ©s, ils tenaient bon face Ă l’ennemi, ne le laissant pas faire un seul pas en avant.
- Ils les repoussent ! cria Chela, excitée.
- Ce n’est pas encore fini !
- ……
Oliver, cependant, nourrissait toujours ce sentiment persistant de tout Ă l’heure. Il devenait de plus en plus fort, passant d’un tic tac inconnu Ă une rĂ©ponse unique et cohĂ©rente.
- …La bataille de Diama, murmura-t-il.
Les filles se sont tournées vers lui.
- …Qu’est-ce que tu viens de dire, Oliver ?
- La fameuse bataille de Diama, en l’an 300 de l’Ancien Calendrier. Ce fut une bataille dĂ©cisive de la longue guerre qui opposa les deux grandes nations de Rumoa et Kurtoga. Je me souviens que Pete m’en avait parlĂ©.
Oliver chercha dans ses souvenirs pendant qu’il parlait. Il ne se souvenait que de bribes d’informations concernant la bataille alors il Ă©tait difficile de se rappeler ce que Pete avait dit exactement Ă ce sujet.
— Je connais ces deux noms, rĂ©pondit Chela. Ils sont tous deux tombĂ©s avant la formation de l’Union.
— Ouais. Peu de mages sont familiers avec l’histoire militaire, mais parmi les non-mages, c’est apparemment assez populaire.
Oliver hocha la tĂŞte en se rappelant ce dĂ©tail particulier. Dans les temps anciens, quand il y avait beaucoup moins de mages, les guerres entre nations Ă©taient souvent dĂ©cidĂ©es en fonction de l’utilisation de soldats non-mages. La bataille de Diama, en particulier, fut un affrontement entre deux cĂ©lèbres gĂ©nĂ©raux profondĂ©ment liĂ©s par le destin.
- Le dĂ©roulement de cette bataille correspond parfaitement Ă ce qu’on vient de voir. Si ce n’est pas une coĂŻncidence, alors c’est une reproduction.
Oliver ferma les yeux et se concentra sur la recherche de ses souvenirs. La voix de Pete, inhabituellement bavarde, refit surface Ă ses oreilles.
- Le gĂ©nĂ©ral de Rumoa, après avoir subi de lourdes pertes dans les batailles prĂ©cĂ©dentes Ă cause des manĹ“uvres de flanc de la cavalerie de Kurtoga, tenta de les attirer dans un piège. Sachant cela, le gĂ©nĂ©ral de Kurtoga plaça ses Swordrhinos en première ligne, mais grâce Ă une excellente manĹ“uvre de la part de Rumoa, la charge avait Ă©tĂ© esquivĂ©e en crĂ©ant simplement un espace pour les laisser avancer. Vois-tu, il est presque impossible pour les Swordrhinos de changer de direction une fois qu’ils prennent leur vitesse de croisière. Et avec leur manque d’entraĂ®nement, la plupart des Swordrhinos n’avaient mĂŞme pas pu retourner au combat.
Oliver relaya tout ce dont il pouvait se souvenir Ă Nanao et Chela, qui l’Ă©coutèrent en silence.
- Cependant, le gĂ©nĂ©ral de Kurtoga ne se laissa pas faire. Afin d’Ă©viter un affrontement frontal alors que sa cavalerie Ă©tait en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique, il choisit de la retirer en premier. C’Ă©tait pour attirer la plus grande menace de l’ennemi, Ă savoir sa cavalerie, sur les cĂ´tĂ©s.
- Ah, c’Ă©tait donc une stratĂ©gie, dit Nanao convaincue, en hochant la tĂŞte.
Leur retraite rapide et dĂ©cevante Ă©tait une ruse pour attirer la cavalerie de l’ennemi loin de sa force principale. Oliver continua, partageant son opinion :
- En conséquence, la bataille se termina en un affrontement entre les fantassins restants. Kurtoga était sur la défensive, mais grâce aux efforts de leurs habiles soldats, ils avaient réussi à changer le cours de la bataille. Ainsi, la formation de combat s’étira en une longue ligne, là où nous sommes maintenant.
Il fit une pause pour reprendre son souffle. Chela, comprenant ce que cela signifiait, reprit lĂ oĂą il s’Ă©tait arrĂŞtĂ©.
- Donc nos forces sont celles de Kurtoga. Mais que se passe-t-il après ?
C’Ă©tait la partie la plus importante. Oliver chercha un peu plus dans sa mĂ©moire.
- Nos forces ont failli conduire Rumoa à la défaite. Cela s’est joué à rien. La cavalerie de Kurtoga était vaincue et la cavalerie de Rumoa revint batailler, perçant les rangs par-derrière. En quelques secondes, les formations de Kurtoga furent brisées et la bataille fut décidée.
La leçon d’histoire s’arrĂŞta lĂ . Avec toutes les informations dont ils disposaient maintenant, il tenta de les relier Ă leur situation actuelle.
- Autrement dit, si on n’empĂŞche pas la cavalerie ennemie de revenir, l’histoire se rĂ©pĂ©tera, et nous perdrons.
La conclusion Ă©tait assez simple. Tous trois se retournèrent les yeux fixĂ©s sur la cavalerie positionnĂ©e Ă l’Ă©cart du champ de bataille principal. Bien qu’en infĂ©rioritĂ© numĂ©rique, leurs forces remplissaient fidèlement leurs ordres pour attirer la cavalerie ennemie. Cependant, elles allaient bientĂ´t ĂŞtre dĂ©cimĂ©es.
- Comment peut-on renverser la situation ?
- Rien ne me vient Ă l’esprit dans l’immĂ©diat. Nanao, des idĂ©es ?!
- Hmm. Avec seulement trois d’entre nous, le seul moyen d’arrĂŞter la charge adverse est d’utiliser, j’ose le dire, la magie, rĂ©pondit honnĂŞtement Nanao, puisant de son expĂ©rience en situation rĂ©elle.
La situation Ă©tait suffisamment tendue pour que mĂŞme le plus grand stratège jette l’Ă©ponge, mais Oliver serra le poing. Il n’allait pas capituler aussi facilement.
- Ouais. Nous sommes des mages. Il doit y avoir un moyen, dit-il fermement.
Les filles partagèrent rapidement sa résolution.
— Qu’en est-il de la corne du dragon utilisée pendant la cérémonie de rentrée ? demanda Nanao.
- Elle ne serait pas assez puissante avec seulement trois d’entre nous. Et mĂŞme si elle l’Ă©tait, c’est une technique pour jouer sur les instincts d’une crĂ©ature vivante. Je doute que ça marche sur des morts-vivants.
- Ma double incantation ne serait pas non plus capable d’anĂ©antir l’ensemble des forces ennemies, ajouta Chela. —— Une intervention directe ne semblerait pas fructueuse pour nous. S’il faut juste ralentir la cavalerie, alors pourquoi ne pas changer le terrain ?
- Je vois ce que tu veux dire, mais les murs créés avec la magie de terrestre seraient trop faibles. Nous n’avons pas assez de temps pour en construire un assez long, non plus.
Si le mur n’Ă©tait pas assez solide, l’ennemi passerait au travers. S’il n’Ă©tait pas assez long, il se contenterait de le contourner. Le temps permettait difficilement d’atteindre un seul de ces objectifs alors que le trio devait rĂ©ussir Ă remplir les deux en mĂŞme temps. Il n’y avait plus beaucoup de temps pour rĂ©flĂ©chir. La cavalerie alliĂ©e survivante diminuait de seconde en seconde.
- « C’est un jeu de dupes que de livrer bataille sur un champ ouvert. La cavalerie doit ĂŞtre combattue dans la forĂŞt. » Je ne sais pas si c’est utile dans cette situation, mais mon père avait l’habitude de dire ça assez souvent, marmonna Nanao.
Ă€ l’instant oĂą Oliver entendit cela, une seule idĂ©e Ă©mergea dans son esprit.
— La forĂŞt…Mais oui, c’est ça ! Les arbres !
Il avait simultanément fouillé dans son sac, attrapant le sachet rempli de graines de Plantoutils, puis lança un regard à Chela. Elle comprit instantanément et ouvrit son sac pour prendre une pochette similaire.
- Chela, tu sais quoi faire, non ?
- Oui ! Utilisons des incantations Ă retardement.
- Exactement cent secondes ! Nanao, attends ici ! cria Oliver.
Chela et lui prirent ensuite des directions opposées. Ils éparpillèrent les graines sur le sol avant de dégainer les athamés et lancer un sort.
- BROGOROCCIOÂ !
Ils repartirent en Ă©parpillant d’autres graines et lancèrent le sort une fois de plus. Oliver et Chela continuèrent ce schĂ©ma encore et encore, courant sur cinquante mètres dans des directions opposĂ©es. Oliver leva les yeux pour voir leur propre cavalerie vaincue et l’ennemi revenir en lignes verticales. D’après leur distance, il leur restait environ dix secondes.
- Allez ! BROGOROCCIO !
Oliver lança son sort final au moment oĂą Chela terminait sa tâche. Soudainement, des arbres avaient commencĂ© Ă pousser tout le long de la ligne droite qu’ils avaient parcourue. Les tiges s’arquèrent en grandissant, s’enfonçant dans le sol. Elles finirent par se rejoindre, formant une barrière temporaire de cent mètres de long. La cavalerie ennemie n’avait pas pu rĂ©agir Ă l’obstacle soudain apparu sur son chemin. N’ayant pas le temps de ralentir la charge de leurs chevaux, les troupes de tĂŞte s’Ă©crasèrent contre la barrière de Plantoutils, tombant en morceaux et Ă©parpillant d’innombrables os partout. Cela avait Ă©galement fait tomber la cavalerie suivante, les conduisant au mĂŞme sort. Chela poussa un cri de joie en voyant les rĂ©sultats.
- On a rĂ©ussi de justesse… ! C’est un succès, Oliver !
Oliver, incapable de contenir son excitation lui aussi, leva le poing en l’air. Tout cela c’Ă©tait grâce Ă Guy. Ses Plantoutils Ă©taient excellentes, tant par leur facilitĂ© d’utilisation que par leur faible coĂ»t en mana. Un mage n’avait besoin que de les imprĂ©gner d’un peu de mana pour que les graines commencent Ă absorber les nutriments du sol. Cela nĂ©cessitait que la terre soit riche, bien sĂ»r, mais tant qu’elle l’Ă©tait, l’utilisateur pouvait crĂ©er un mur bien plus solide qu’avec de la magie terrestre.
Le paysage semblait ravagé à première vue, mais cela était dû aux guerriers squelettiques qui avaient soudainement jailli du sol. Cela ne signifiait pas que ce dernier était dépourvu de nutriments. Et au vu la verdure de la deuxième couche, il y avait fort à parier que la fertilité était de mise dans cette zone ici. De plus, les Plantoutils de Guy furent également bien utiles lors de leur précédente bataille contre la chimère. Avec tout cela en tête, ça valait le coup d’essayer.
- Super ! Allons-y, Nanao ! Vise le général ennemi avant le retour de la cavalerie !
Le dĂ©sastre imminent Ă©vitĂ© pour le moment, Oliver se retourna pour lancer une contre-attaque. Mais Nanao n’Ă©tait nulle part.
——————————————————————
L’histoire changea de cours dans cette bataille de squelettes au moment oĂą la cavalerie Rumoanne Ă©choua dans sa charge de l’arrière-garde Kurtoganne. Kurtoga, connu pour sa dextĂ©ritĂ© dans l’infanterie, Ă©tait en train de gagner.
En consĂ©quence, la garde principale de Rumoa fut forcĂ©e de se joindre Ă la bataille afin de repousser l’offensive de leur ennemi.
- …?
Le gĂ©nĂ©ral mort-vivant s’arrĂŞta et scruta son environnement, sentant quelque chose. L’escarmouche s’Ă©tait transformĂ©e en mĂŞlĂ©e gĂ©nĂ©rale, dĂ©pourvue de tactique. Leurs lignes de bataille Ă©taient effilochĂ©es par endroits, et ce n’Ă©tait qu’une question de temps avant que les troupes ennemies ne dĂ©bordent sur la position du gĂ©nĂ©ral. Sans aucune hĂ©sitation, ce dernier se focalisa sur l’Ă©pĂ©e qu’il tenait en main.
- Je suis lĂ pour votre tĂŞte, dit quelqu’un d’une voix digne.
TranchĂ©s au niveau du torse, les gardes du gĂ©nĂ©ral tombèrent. Une fille armĂ©e d’un sabre sauta dans l’espace ainsi crĂ©Ă©. La tĂŞte du gĂ©nĂ©ral tomba sur le sol, roulant aux pieds de la fille. Ses orbites sans yeux fixèrent son dos. Soudainement une voix lui parla :
- Joli. Si seulement nous avions pu nous rencontrer quand j’avais encore de la chair, petite hĂ©roĂŻne.
Au moment oĂą Nanao accepta ce compliment, les guerriers squelette de tout le champ de bataille s’Ă©croulèrent. Avec des bruits creux et fracassants, ils s’effondrèrent en un gigantesque tas d’os blancs. Les morts-vivants Ă©taient morts une fois de plus. Chela baissa son athamĂ© dans un Ă©tat de sidĂ©ration.
- C…C’est… fini ? demanda-t-elle.
Oliver Ă©tait lĂ , lui aussi stupĂ©fait. Nanao rengaina son Ă©pĂ©e, puis courut jusqu’Ă eux.
- Je m’excuse, Oliver. J’avais repĂ©rĂ© une brèche dans les dĂ©fenses ennemies alors j’ai tentĂ© ma chance.
- ……
Elle s’Ă©tait excusĂ©e avant qu’il ne puisse dire un mot. Il fixa son visage pendant un moment, puis lui pinça silencieusement les joues.
- Hyeek !
- …J’ai toute confiance en ton instinct. Mais quand mĂŞme, ça n’aurait pas fait de mal d’attendre qu’on soit tous regroupĂ©s.
Nanao écouta son discours hésitant, sans essayer de résister à son pincement. Il finit par lâcher prise, empoignant fermement ses épaules à la place. Son inquiétude était palpable.
- S’il te plaĂ®t, Nanao, ne te jette pas dans le danger toute seule. Ta sĂ©curitĂ© est un million de fois plus importante que ta victoire.
- Oliver…
Elle l’avait fixĂ© dans les yeux, absorbant chacun de ses mots. Chela accourut, et Miligan commença Ă les applaudir.
- FĂ©licitations pour avoir passĂ© la deuxième couche. C’est un exploit rare pour trois première annĂ©e, surtout dès leur premier essai. Vous ĂŞtes vraiment des enfants stupĂ©fiants.
Oliver lâcha Nanao et se tourna vers Miligan. Chela regarda le tas d’os.
- …D’oĂą viennent ces spartoi ?
- Qui sait ? La nĂ©cromancie n’est pas mon domaine d’expertise, donc je ne peux pas le dire. Je n’ai aucune idĂ©e de la raison pour laquelle ils continuent Ă recrĂ©er cette ancienne bataille encore et encore. Mr. Rivermoore pourrait savoir quelque chose Ă ce sujet, cependant.
Miligan ne semblait pas préoccupée plus que ça. Une seconde plus tard, un sourire étrange se glissa sur son visage.
- Mais si je laissais cela à mon imagination…On ne sait jamais. Ça pourrait être les généraux eux-mêmes.
Un frisson parcourut l’Ă©chine d’Oliver. MĂŞme après que leur chair ait pourri et qu’ils ne soient plus que des os, les deux anciens gĂ©nĂ©raux cherchaient toujours Ă rĂ©gler leur compte, continuant Ă diriger des armĂ©es de morts pour l’Ă©ternitĂ©. Si Miligan avait raison, alors c’était sans fin.
- Vous devez ĂŞtre fatiguĂ©s, dit Miligan. —— Il y a un terrain pour camper relativement sĂ»r plus loin. On a beaucoup marchĂ©, alors une longue pause s’impose lĂ -bas.Â
Tandis que Miligan s’Ă©loignait, l’Ă©puisement s’installa dans tout le corps d’Oliver. Les Ă©chos de la victoire toujours dans leur esprit, ils suivirent la sorcière Ă la recherche de repos.
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Ils trouvèrent une grotte situĂ©e entre la deuxième et troisième couche, lĂ oĂą ils purent avoir leur première pause significative depuis leur entrĂ©e dans le labyrinthe. Ils allumèrent un feu au milieu du camp, faisant bouillir de l’eau et prĂ©parant du thĂ©. Miligan avait Ă©galement sorti les fruits qu’elle avait ramassĂ©s en errant dans la deuxième couche. Tout le monde Ă©tait trop fatiguĂ© pour discuter.
- Ces deux-lĂ se sont vite assoupies. Elles sont si mignonnes quand elles dorment, marmonna Miligan en regardant Nanao et Chela dormir cĂ´te Ă cĂ´te.
De l’autre cĂ´tĂ© du feu, le sommeil n’avait pas rĂ©ussi Ă saisir Oliver. Il observait les flammes en silence.
- Tu devrais te reposer aussi, Oliver, dit gentiment Miligan. Nous avons pris le chemin le plus direct Ă travers le deuxième niveau, mais nous allons devoir fouiller toute la troisième couche pour trouver l’atelier d’Ophelia. Tu ne feras pas long feu si tu ne dors pas maintenant.
- …D’accord. Peut-ĂŞtre après avoir regardĂ© le feu un peu plus longtemps.
Il continua Ă regarder fixement les flammes. Oliver savait qu’il devait dormir dès que possible, mais ses yeux ne voulaient pas se fermer. Après avoir Ă©chappĂ© de peu Ă la mort, son corps n’acceptait pas le repos.
- Trop nerveux, hein ? Je comprends. Tiens, prends une autre tasse de thé aux herbes.
- …Merci.
Oliver ne leva pas ses yeux, se sentant coupable d’avoir causĂ© son inquiĂ©tude. Miligan sĂ©lectionna quelques herbes pour leurs propriĂ©tĂ©s calmantes, les avait mĂ©langĂ©es et versa de l’eau chaude sur les feuilles.
- Au fait, commença-t-elle. —— Puis-je poser une question ?
- Je t’écoute. Tu n’as pas besoin de ma permission.
- Cela peut paraître impoli, mais vous vous êtes tous rencontrés à votre arrivée à Kimberly non ? Vous ne connaissez donc Pete que depuis peu.
Oliver hocha la tĂŞte. Miligan regarda les feuilles se dĂ©rouler Ă l’intĂ©rieur de la tasse et continua doucement.
- J’aurais peut-ĂŞtre dĂ» le demander avant de venir ici, mais… Pourquoi aller si loin ? Je ne dis pas qu’il faut complètement l’abandonner, mais vous auriez pu laisser tout ça au prĂ©sident Godfrey et aux autres. Personne ne vous aurait reprochĂ© quoi que ce soit.
- ……
- Les Reversi sont rares, c’est certain, mais ce n’est pas une raison pour risquer sa vie si tu veux mon avis. Alors pourquoi ĂŞtes-vous tous si dĂ©sespĂ©rĂ©s Ă sauver Pete ?
Un sourire maladroit se dessina sur les lèvres d’Oliver. Rossi lui avait demandĂ© la mĂŞme chose il n’y a pas si longtemps.
- …Vous vous souvenez de l’incident lors de la cĂ©rĂ©monie, n’est-ce pas ? Enfin oui, c’est sĂ»r que vous vous en souvenez.
- Oui. Je n’oublierai jamais le troll qui s’est dĂ©chaĂ®nĂ© après une manipulation mentale.
- C’est lĂ que tout a commencĂ© pour nous. Quand nous avons travaillĂ© tous les cinq pour sauver Katie de ce troll.
- Hmm.
- De notre groupe, Pete Ă©tait le seul nĂ© de non-mages. Il avait un manuel de magie pour dĂ©butants sous le bras, et il a fait de son mieux pour ne pas s’effondrer sous la pression de son nouvel environnement. Il devait ĂŞtre plus nerveux que nous tous rĂ©unis. Il venait juste de rĂ©aliser qu’il Ă©tait un mage et qu’il Ă©tait sur le point d’entrer dans une Ă©cole de magie.
Alors qu’il parlait, Oliver rĂ©flĂ©chit Ă ses souvenirs de l’Ă©poque. Il ne s’Ă©tait jamais attendu Ă ce que Pete leur donne un coup de main. Il n’avait aucune raison de le faire. Pour Pete, ils n’Ă©taient qu’une bande d’Ă©trangers bruyants qui faisaient la queue Ă cĂ´tĂ© de lui.
- Mais Pete ne s’est pas enfui. Il aurait dĂ» ĂŞtre le plus effrayĂ© quand Marco a attaquĂ©. Personne ne lui aurait reprochĂ© de s’enfuir comme les autres nouveaux Ă©lèves, mais il a tenu bon et s’est battu avec nous.
C’Ă©tait sĂ»rement un acte des plus purs, sans aucune arrière-pensĂ©e et motivĂ© par l’incapacitĂ© d’abandonner quelqu’un en danger. Chez la plupart des mages, c’est la première Ă©motion qui s’Ă©teint.
- Ça m’a rendu tellement heureux. Et je parie qu’il en va de mĂŞme pour les autres. Nous sommes heureux d’avoir rencontrĂ© quelqu’un de pareil dès notre premier jour dans un endroit aussi horrible que Kimberly.
Oliver continua Ă fixer le feu alors qu’il rĂ©vĂ©lait ses sentiments en toute transparence. Miligan croisa les bras.
- Alors tu ne comptes pas reculer…Eh bien, n’est-ce pas magnifique ?
- C’est du sarcasme ?
- Pas du tout. C’est juste assez rare. HonnĂŞtement, c’est assez contre-intuitif. Kimberly est comme un conte de fĂ©es ici. Ça ne me dĂ©range pas d’avoir un peu des frissons, dit Miligan en souriant et en attrapant sa tasse sur le feu de camp.
Les feuilles de thĂ© s’Ă©taient complètement dĂ©roulĂ©es pendant leur discussion.
— D’ailleurs c’est toi qui me surprends le plus.
- … ?
Oliver Ă©tait confus par le changement de direction de leur conversation.
- Avec un peu d’effort, je peux comprendre Chela et Nanao. Tout en elles, de leur talent naturel Ă l’environnement dans laquelle elles ont Ă©tĂ© Ă©levĂ©es, est extraordinaire. Une demi-elfe McFarlane et une samouraĂŻ d’une Ă®le de l’ExtrĂŞme-Orient. Cela peut sembler lunaire, mais on s’attendait Ă quelque chose de spĂ©cial. Mais qu’en est-il de toi ? Je ne sais rien de ton passĂ©, bien que…
La sorcière leva les yeux vers Oliver en versant le liquide rouge fumant dans une tasse.
- Je peux dire que tu es ordinaire comparĂ© Ă ces deux-lĂ . Tes niveaux de mana et de puissance en sortilège sont dans la moyenne des première annĂ©e et il ne me semble pas que tu excelles dans un domaine particulier. Si on demandait l’avis de dix personnes, je suis sĂ»r qu’elles te dĂ©criraient toutes de la mĂŞme façon : un connaisseur en tout, mais un expert en rien, destinĂ© Ă un succès moyen, au mieux.
- ……
— Mais tu es lĂ , combattant cĂ´te Ă cĂ´te avec ces deux-lĂ . Et d’après ce que j’ai vu, tu arrives Ă ne pas ĂŞtre un poids. Cela, plus le fait que tu ne sois qu’un première annĂ©e, c’est vraiment mystĂ©rieux, tu sais ?
Elle lui tendit la tasse de thĂ©, qu’il accepta sans un mot. Son silence ne semblait pas la dĂ©ranger.
- Chela et Nanao ont aiguisĂ© leur corps et esprit dans des environnements parfaits pour leur talent exceptionnel. Il est inouĂŻ pour ceux qui n’ont pas les mĂŞmes chances de se retrouver dans le mĂŞme environnement au mĂŞme âge. C’est mĂŞme presque impossible de rĂ©unir toutes ces conditions optimales. Tu comprends ce que je veux dire ? Le fait que tu sois ici est assez magique.
Oliver sirota son thĂ© au lieu de rĂ©pondre. La sorcière avait compris qu’il n’y avait rien Ă dire.
— Tu pourrais dire que tu as travaillĂ© comme un fou pour compenser ton manque de talent, mais ça ne voudrait rien dire. Ce n’est pas suffisant. MĂŞme si tu trouvais le plus incroyable des professeurs et que tu consacrais toute ta vie Ă t’entraĂ®ner, ce serait loin d’ĂŞtre suffisant pour aller aussi loin. Du moins, pas avec les mĂ©thodes que je connais.
Elle l’étudia de nouveau avec ses yeux humains, ainsi que son œil de Basilic qu’elle laissait entrevoir de sa manche.
— Il doit y avoir quelque chose dans ton passé qui ferait même pâlir mon œil de basilic.
Oliver lui retourna son regard, luttant contre sa pression. Miligan rigola et se tapa dans les mains, laissant le regard glisser sur elle comme de l’eau.
— Je ne veux pas ĂŞtre indiscrète. C’est normal pour un mage d’avoir un passĂ© mouvementĂ©. En tant qu’aĂ®nĂ©e, je ne peux m’empĂŞcher d’ĂŞtre inquiète. Il y a comme quelque chose de dangereux qui gravite autour de toi. Katie et Nanao l’ont aussi, mais pas comme cela.
L’inquiĂ©tude soudaine de son mentor dans sa voix prit Oliver au dĂ©pourvu. Il dĂ©tourna le regard mĂŞme s’il avait toujours du mal Ă savoir si ce qu’elle faisait Ă©tait motivĂ© par la bontĂ© ou par d’autres arrière-pensĂ©es. Elle semblait très tolĂ©rante et attentionnĂ©e, ce qui la rendait encore plus compliquĂ©e Ă gĂ©rer. Il refusait de trop compter sur elle ou de baisser potentiellement sa garde.
— DĂ©solĂ©e, est-ce que je laisse trop parler ma langue de vipère ? Est-ce que je t’ai dĂ©jĂ ennuyĂ© au point de dormir ?
- …Je pense que le sommeil viendra si je m’allonge, dit-il, essayant de s’en convaincre.
S’il ne s’endormait pas rapidement, il serait certainement moins performant demain. Il avait donc bu la dernière gorgĂ©e de son thĂ©. Miligan eut une idĂ©e.
— Hmm… Si tu as du mal Ă dormir, je peux peut-ĂŞtre t’aider Ă te dĂ©tendre.
Elle se leva du rocher qui lui servait de siège, se dirigea vers Oliver et se plaça derrière lui. Elle glissa ses bras autour de ses épaules et lui chuchota à l’oreille :
- …Ou tu n’aimes pas les choses vilaines ?
— …!
Oliver repoussa instantanĂ©ment ses bras et se leva. Il plaqua sa tasse vide sur le rocher sur lequel il Ă©tait assis, puis marcha d’un pas rapide jusqu’Ă l’autre cĂ´tĂ© du feu. Il s’allongea en silence, dos Ă la sorcière. Il n’aurait pas pu faire plus pour montrer son refus. Miligan grimaça en autodĂ©risation, sa main encore douloureuse de son rejet.
— Tu n’es pas fan de ces blagues, hein ? Pardonne-moi. C’est dans l’instinct d’un mage d’essayer de sĂ©duire ceux qui piquent leur curiositĂ©. Bonne nuit, Oliver. Fais de beaux rĂŞves.
Sa voix était aussi douce que jamais. Oliver ferma les yeux pour chasser son existence de son esprit et se força à dormir.
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Après leur première interaction sérieuse, les choses entre eux avaient commencé à changer progressivement.
- …Hum…
— Oh, Ophelia ! Excellent, tu es lĂ . Viens t’asseoir !
Cela faisait longtemps qu’elle n’Ă©tait pas entrĂ©e dans la cafĂ©tĂ©ria en soirĂ©e. Les Ă©tudiants environnants la dĂ©visageaient dĂ©sagrĂ©ablement, mais contrairement Ă avant, elle avait maintenant une table qui l’accueillait. EncouragĂ©e par la voix tonitruante de Godfrey, elle s’assit.
— Laisse-moi te présenter à mes amis. Ils peuvent sembler froids au début, mais une fois que tu auras passé le cap, tu verras que ce sont tous des gens bien.
Il y avait deux autres Ă©tudiants Ă la table en plus de Godfrey et Carlos. L’un Ă©tait un petit garçon dĂ©licat de première annĂ©e, et l’autre Ă©tait une fille de deuxième annĂ©e avec des boucles et un air vif. Le garçon semblait ĂŞtre originaire de l’Union, mais la peau sombre et les traits du visage de la fille suggĂ©raient qu’elle avait probablement des origines provenant d’un autre continent. Il Ă©tait rare de voir des personnes d’origine Ă©trangère Ă Kimberly.
- …Je reconnais que nous avons formĂ© un lien, mĂŞme si ce n’Ă©tait pas intentionnel. Mais nous ne sommes certainement pas des amies.
— Je ne me souviens certainement pas m’ĂŞtre liĂ© d’amitiĂ© avec toi.
La fille et le garçon le contredirent rapidement, puis se lancèrent des regards furieux. Ophelia s’Ă©tait raidie devant l’accueil inattendu et distant. Godfrey l’avait remarquĂ© et intervint.
— Hé maintenant, vous lui faites peur. Gardez vos remarques pour plus tard. Présentez-vous et sans vous interrompre.
Ils cessèrent à contrecœur leur concours de regards et se tournèrent vers la nouvelle fille pour se présenter.
— Je suis Lesedi Ingwe, en deuxième année. Appelle-moi quand tu veux.
— Tim Linton, première année. Tu es libre de ne pas t’en souvenir.
Leurs présentations étaient assez brutales. Ophelia se présenta prudemment, elle aussi, et fut surprise de les voir réagir à peine au nom de Salvadori. Godfrey hocha la tête en signe de satisfaction.
— Nous sommes le Groupe de Surveillance Rapproché de l’école. Bien sûr, nous ne sommes que des étudiants de deuxième année, mais cet endroit est trop dangereux. Notre but est d’enseigner des méthodes d’autodéfense efficaces ou bien tout simplement aider en général.
— Aider… ?
Ophelia ruminait des mots qui ne lui étaient pas familiers. Godfrey semblait habitué à cette réaction et haussa sèchement les épaules.
— Je ne nierai pas que la plupart des gens nous trouvent Ă©tranges. Mais c’est un monde vaste, avec des intĂ©rĂŞts variĂ©s. Tu peux toujours compter sur nous pour t’aider. Si tu avais l’amabilitĂ© de te joindre Ă nous, ça me ferait vraiment très plaisir.
Il la regarda droit dans les yeux en allant droit au but.
- …Cela dit, ajouta Carlos, —— nous avons complètement Ă©chouĂ© Ă attirer de jeunes Ă©tudiants. Tous les gens intĂ©ressĂ©s abandonnent rapidement.
— Non, non ! Je suis toujours là , Carlos !
Tim leva la main. Carlos grimaça un peu.
- Je t’apprĂ©cie, mais malheureusement, il semble que tu sois Ă 60% fautif de l’abandon des nouvelles recrues.
- Je suis très exigeant, c’est tout ! Nul besoin de camarades sans conviction.
- J’aime ton enthousiasme. Mais quelle est la vĂ©ritĂ© derrière ?
- L’attention de Mr. Godfrey ne devrait se porter sur moi et moi seul ! Tous les autres peuvent mourir !
Son honnêteté était rafraîchissante, même si Lesedi se tenait la tête avec une grimace. Ophelia les regarda tous tour à tour, déglutit nerveusement, puis ouvrit prudemment la bouche.
- …Puis-je vraiment ĂŞtre d’une quelconque aide ? demanda-t-elle.
Tim et Lesedi parurent surpris, comme s’ils ne s’attendaient pas Ă ce qu’elle rĂ©agisse de la sorte après avoir vu l’interaction prĂ©cĂ©dente. Lesedi se redressa un peu et regarda Ophelia.
- Laisse-moi plutĂ´t te demander ceci : Qu’est-ce que tu peux nous apporter ?
- Huh ?
Ophelia fut prise de court. C’Ă©tait la première fois qu’elle rejoignait un groupe, et donc aussi la première fois que quelqu’un lui demandait quelque chose. Alors qu’elle avait l’esprit vide, Carlos intervint pour l’aider.
- Ne t’inquiète pas pour ça, elle apporte beaucoup. Lia est une travailleuse acharnĂ©e.
Son ami d’enfance lui adressa un sourire et Ophelia se sentit un peu plus calme. Elle passa en revue les choses qu’elle venait d’entendre et dressa une liste de ce dont ils pourraient avoir besoin.
- Hum, si c’est de la magie de guĂ©rison ou des potions simples, alors…
Dès qu’elle eut entendu cela, Lesedi claqua ses mains sur la table et se pencha.
- Tu peux guérir les brûlures ?
- Huh ? O-oui…
- Et les brĂ»lures d’acide ? L’empoisonnement ?
- Ça dépend de la gravité, mais dans la plupart des cas, oui.
Les exemples Ă©trangement spĂ©cifiques avaient fait hĂ©siter Ophelia qui rĂ©pondit en se basant sur ses compĂ©tences. Lesedi sauta de sa chaise et l’attrapa par les Ă©paules.
— Je ne te laisserai pas t’Ă©chapper, la nouvelle.
- Hwuh… ?
- Laisse-moi te dire que l’une des personnes Ă cette table a un canon Ă la place de sa baguette et a plus de chances de toucher ses amis que ses ennemis. Un autre est obsĂ©dĂ© par les poisons, mais ne sait pas comment faire des antidotes pour ses propres concoctions, dit Lesedi avec irritation en regardant les autres de manière perçante.
Godfrey et Tim se défendirent aussitôt.
- Attends un peu ! Je n’ai pas Ă©tĂ© si mauvais ces derniers temps !
- Moi non plus ! J’ai Ă©vitĂ© tous poisons aĂ©rosol, n’est-ce pas ? Et tu sais Ă quel point j’aime leur potentiel de meurtre de masse !
- Taisez-vous, bande d’idiots ! Combien de fois croyez-vous que j’ai failli mourir Ă cause de vous deux ?
Ophelia les regardait se disputer, hĂ©bĂ©tĂ©e. Tout faisait sens maintenant : Les questions spĂ©cifiques de brĂ»lures, d’acide et de poison venaient de leurs expĂ©riences. Elle avait senti que ce qu’ils faisaient Ă©tait dangereux, mais elle ne s’attendait pas Ă quelque chose comme ça.
- U-um…
- S’il te plaĂ®t, tu dois m’aider ! Je ne suis pas douĂ©e en soin, et Carlos ne peut pas suivre le rythme tout seul !
Lesedi attrapa sa main, la suppliant pratiquement maintenant. C’Ă©tait la première fois qu’Ophelia ressentait un dĂ©sir aussi fort pour ses compĂ©tences alors elle ne sut pas comment refuser.
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Après avoir rejoint le groupe de surveillance rapprochĂ©e de Kimberly, Ophelia apprit beaucoup de choses sur ses nouveaux amis. Comme elle s’y attendait, ils avaient chacun leur personnalitĂ©, mais ce qui l’avait le plus marquĂ©e Ă©tait l’extrĂŞme maladresse d’Alvin Godfrey.
- FLAMMAÂ !
Ils avaient rĂ©servĂ© une salle de classe vide pour s’entraĂ®ner. Pour une raison quelconque, Godfrey avait enlevĂ© sa robe et puis retroussĂ© ses manches afin de lui faire une dĂ©monstration de sa magie. Une boule de feu d’une puissance aveuglante explosa du bout de sa baguette, mettant le feu Ă sa main.
- Guh… !
- Oh non !
Ophelia avait immĂ©diatement Ă©teint le feu avec un sort. L’odeur de chair brĂ»lĂ©e emplit la pièce. Godfrey finit par soupirer.
- Je vais bien… Et merci pour ton aide.
Ophelia fixa avec stupéfaction son bras, terriblement brûlé du coude jusqu’au bout de ses doigts. En même temps, elle comprit pourquoi il avait enlevé sa robe et remonté sa manche. Il savait que cela allait arriver.
- Depuis que j’ai appris ce sortilège, ça se passe toujours comme ça. Je suis incapable de le contrĂ´ler, alors non seulement le dĂ©bit est instable, mais il se rĂ©percute Ă©galement dans mon propre bras. Selon la prof Gilchrist, je ne suis pas capable de contrĂ´ler correctement ma rĂ©serve de mana innĂ©e. Je me suis quand mĂŞme un peu amĂ©liorĂ© avec le temps.
Il expliqua la chose avec une expression amère, comme si la douleur de ses brĂ»lures n’Ă©tait rien comparĂ©e Ă son incapacitĂ© Ă contrĂ´ler sa magie.
- Je me suis reposĂ© sur Carlos pour me soigner, mais il semble que je vais devoir compter sur toi aussi Ă partir de maintenant… PathĂ©tique, n’est-ce pas ? Si seulement je pouvais utiliser la magie de soin moi-mĂŞme et ne pas gaspiller autant les efforts de tout le monde…
- …N-ne t’inquiète pas pour ça.
Ophelia choisit soigneusement ses mots, puis pointa sa baguette sur le bras de Godfrey. Ce n’Ă©tait pas quelque chose qui pouvait ĂŞtre rĂ©parĂ© en un jour, d’autant plus que le contrĂ´le fin du mana de la magie de guĂ©rison aurait bien Ă©tĂ© au-dessus de ses moyens.
- Chaque fois que tu seras brûlé, je serai là . Je te soignerai…tout de suite.
Elle avait décidé d’accepter ce rôle et commença à traiter sa brûlure.
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- C’Ă©tait il y a trois ans, huh ? Comme le temps passe vite…
Marmonna Carlos, repensant Ă de vieux souvenirs alors qu’ils marchaient pĂ©niblement dans le marais sombre. Godfrey avait rapidement compris Ă quoi ils faisaient rĂ©fĂ©rence.
- Quand Ophelia Ă©tait encore avec nous, huh ? … Je n’étais pas encore assez mĂ»r et j’avais l’esprit libre. Je me jetais dans toutes les situations sans rĂ©flĂ©chir… Rien que de me souvenir de ces jours est embarrassant.
- C’était cet esprit qui attirait les gens vers toi. Ce sont de beaux souvenirs.
Carlos lui sourit, mais un regret amer assombrit le visage de Godfrey.
- …Malheureusement, j’ai tout gâchĂ©. C’est pour ça qu’elle est partie. C’est pourquoi cela arrive.
- Ce n’Ă©tait pas ta faute.
Carlos secoua la tĂŞte et essaya de le nier, mais Godfrey ne pouvait pas l’accepter. Il n’Ă©tait pas arrogant au point de penser qu’il aurait pu faire quelque chose. Il Ă©tait conscient de sa propre maladresse, surtout Ă l’Ă©poque. Mais mĂŞme ainsi, il ne pouvait pas s’en empĂŞcher.
- Pourtant, j’aurais dĂ» faire quelque chose… J’Ă©tais son mentor.
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Pendant ce temps, Ă la surface, sous le soleil de midi, Katie et Guy attendaient le retour de leurs amis.
- …Oh, tu veux m’aider ? Merci, Milihand.
Ils étaient tous les deux terrés dans un coin du salon, faisant des copies de leurs notes de cours du matin pour leurs amis. Ils avaient aussi un assistant très utile qui tournait la page juste au moment où ils avaient fini de copier le texte : Milihand, la main de Miligan, coupée par Nanao, à laquelle Miligan avait donné vie artificiellement afin de l’utiliser comme familier. Katie caressa le dessus de la main ainsi que ses phalanges avant de la complimenter. Cela avait suscité du dégout de la part des élèves qui passaient par là .
- Je n’y crois pas, dit Guy exaspĂ©rĂ©. —— C’est sa main coupĂ©e, tu sais ?
- Je suis au courant, mais… c’est plutĂ´t charmant. Et elle semble vraiment m’apprĂ©cier.
En effet, Milihand Ă©tait partout sur le bras de Katie comme un chat. Le processus de transformation en familier signifiait qu’une grande partie de son comportement Ă©tait artificiel, mais Milihand semblait tout de mĂŞme très expressive. Elle pouvait manipuler les muscles de sa paume autour de l’Ĺ“il, crĂ©ant toutes sortes d’expressions. Guy regarda avec apprĂ©hension Milihand se promener joyeusement sur la table. Il poussa un profond soupir.
- …Tu crois qu’Oliver va s’en sortir ?
- J’ai foi en eux. Ils ont promis qu’ils reviendraient tous vivants, dit fermement Katie, en continuant Ă copier ses notes.
Le grand garçon secoua la tête.
- Je sais ce qu’ils ont dit… mais c’est un homme. Le seul.
Elle l’avait regardĂ©, confuse un petit moment.
- Et alors ?
- Aaah… Quoi, tu as oubliĂ© qu’ils affrontent Ophelia Salvadori ? Je n’ai pas ressenti ses effets, mais elle a son puissant Parfum qui fonctionne en continu, non ? Si on le respire trop longtemps, eh bien…ce sera plus facile de la faire rĂ©agir, rĂ©pondit maladroitement Guy, en dĂ©tournant le regard.
Après quelques instants de silence, Katie se leva d’un bond, toute rouge.
- Qu-qu…qu’est-ce que tu sous-entends ?!
- Je dis juste que… c’est, euh… difficile de ne pas se sentir concernĂ©…
- O-Oliver ne ferait jamais ça !
- Facile Ă dire pour toi. Ce n’est pas si facile pour nous quand il y a autant de pression, grommela Guy en plaçant ses mains sur ses joues.
Katie, qui n’avait pas du tout envisagĂ© cet angle, paniqua d’un coup.
- Et puis, Chela a l’air d’ĂŞtre sage Ă ce niveau. Il y a aussi Miligan, alors peut-ĂŞtre que j’ai aucune raison de m’inquiĂ©ter, ajouta Guy.
- S-sage ? ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que Miss Miligan va faire ?! Dis-le moi !!
Katie se prĂ©cipita vers lui, attrapa ses Ă©paules et le secoua. Juste Ă ce moment-lĂ , un Ă©lève poussant un grand chariot rempli d’articles Ă vendre passa.
- Extra, extra ! Le titre du jour : ‘RĂ©vĂ©lation ! La vie sexuelle Ă Kimberly’ !
- Donnez-m’en un !
- Un, s’il vous plaĂ®t !
Les deux demandèrent immĂ©diatement un exemplaire. Ils n’avaient jamais lu la rubrique des potins, mais aujourd’hui, ils avaient l’air bien concentrĂ©s.
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Alors qu’ils entraient dans la troisième couche, le labyrinthe changea Ă nouveau de tout au tout. L’odeur de verdure et de terre de la couche prĂ©cĂ©dente avait presque disparu, remplacĂ©e par un sol boueux qui dĂ©gageait une humiditĂ© dĂ©sagrĂ©able. Un seul faux pas vous faisait vous enfoncer jusqu’aux chevilles ; par endroits, c’Ă©tait mĂŞme un marĂ©cage sans fond. Le soleil artificiel de la deuxième couche maintenait les choses dans une lumière Ă©ternelle, mais ici, la seule source de lumière Ă©tait la mousse lumineuse qui recouvrait le plafond. Par consĂ©quent, le niveau entier Ă©tait obscur. De nombreuses crĂ©atures magiques marĂ©cageuses rĂ©sidaient Ă©galement ici, exigeant une extrĂŞme prudence de la part de tous ceux qui s’aventuraient dans ses profondeurs.
- Huff ! Huff… !
- … !
La chimère Ă l’agonie s’effondra dans la boue avec un bruit sourd. Le groupe d’Oliver fixa cette bĂŞte gĂ©ante rĂ©cemment tuĂ©e avant de pousser un soupir de soulagement. Cette fois, ils rencontraient beaucoup plus de chimères qu’auparavant. Ils analysaient leur adversaire, dĂ©couvraient leurs faiblesses pour les abattre efficacement tout en luttant dans une topographie complexe. Après seulement trois heures dans la troisième couche, ils avaient dĂ©jĂ rĂ©pĂ©tĂ© ce processus quatre fois. Si l’on incluait les cas oĂą ils avaient pu Ă©viter un combat grâce Ă un repĂ©rage, le nombre de chimères qu’ils avaient rencontrĂ©es Ă©tait montĂ© en flèche.
- Hmm, c’est donc la quatrième ? On aurait dĂ» s’attendre Ă beaucoup plus de chimères sur la troisième couche. Continuons Ă avancer.
Miligan les exhorta à poursuivre. Oliver reprit péniblement sa marche dans la boue tandis que la jeune aziane le rattrapait en trottinant derrière lui.
- Quelle excellente coordination, Oliver !
- …Ouais.
Nanao passa avec enthousiasme un bras autour de son Ă©paule, sans ĂŞtre particulièrement gĂŞnĂ©e par le terrain dĂ©licat. La pause qu’ils avaient faite avant de sortir de la deuxième couche avait dĂ» faire des merveilles pour elle, car elle Ă©tait encore plus Ă©nergique qu’avant. C’était mĂŞme une très bonne chose, mais Oliver avait un autre problème. Après s’ĂŞtre dĂ©battu un moment, il demanda calmement.
- …Nanao, tu pourrais essayer d’ĂŞtre moins tactile ?
- Huh ?
Elle se figea sur place, puis fit quelques pas tremblants en arrière dans la boue avant de se tourner vers Chela, les larmes aux yeux.
- …Oliver me dĂ©teste…
- Pas du tout ! s’empressa-t-il de dire.
Chela, voyant la vérité, intervint
- C’est vrai. Il ne te dĂ©teste pas, Nanao. Le Parfum est juste devenu trop difficile Ă supporter. Pas vrai, Oliver ?
Elle l’avait remarquĂ© il n’y a pas si longtemps. Le garçon dĂ©tourna les yeux en guise de honte, puis hocha la tĂŞte avec amertume.
- Je dĂ©teste l’admettre, mais oui… Depuis que nous sommes entrĂ©s dans la troisième couche, ça devient de plus en plus Ă©pais Ă chaque pas. Bien sĂ»r, je ne la laisserai jamais prendre le dessus sur mon esprit, mais dans notre situation, je prĂ©fère ne pas perdre ma concentration, dit Oliver avec un soupir.
Depuis qu’il avait mis les pieds dans cet Ă©chelon, le moindre bout de peau de filles pouvait l’attirer dangereusement. Chacun de leurs mouvements attirait son regard parce que l’air Ă©tait envahi d’un parfum. Il avait une bonne maĂ®trise de ses pulsions, mais quand une fille entrait en contact Ă©troit avec lui comme tout Ă l’heure, cela rendait les choses plus dĂ©licates. Il ne pouvait pas savoir quand il pouvait dĂ©raper et faire quelque chose qu’il regretterait. C’Ă©tait particulièrement vrai avec Nanao, qui avait tendance Ă ignorer l’espace personnel. Mais la fille semblait perplexe alors elle pencha la tĂŞte vers lui.
- En quoi est-ce difficile, Oliver ?
- Nanao, s’il te plaĂ®t, ce n’est pas…
- Il a la gaule, dit Miligan, en allant droit au but.  —— C’Ă©tait Ă prĂ©voir. C’est la consĂ©quence du parfum.
Oliver fronça les sourcils, mais Nanao croisa les bras, confuse.
- …Avoir la gaule ? Qu’est-ce que ça veut dire… ?
- Ne t’y attarde pas, Nanao. Je vais bien maintenant. Il n’y avait pas besoin d’intervenir, Miss Miligan.
Il se concentra sur sa respiration, éliminant ses pensées imprégnées de parfum. Miligan l’observa.
- Hmm… Tu sembles bien rĂ©sister, mais si ça devient trop, n’hĂ©site pas Ă en parler. Nous avons un long chemin Ă parcourir. Tu ne pourras pas te forcer Ă©ternellement.
- Je peux me dĂ©brouiller tout seul. Comme je l’ai dĂ©jĂ dit, votre aide n’est pas nĂ©cessaire, dĂ©clara-t-il platement en se remettant en route sans une once de tact en rejetant l’offre de Miligan.
La sorcière eut un sourire moqueur.
- Il est tĂŞtu. Je suppose que j’ai encore touchĂ© un point sensible.
- …Qu’avez-vous fait pendant notre sommeil ? demanda Chela
- Je lui ai juste fait une petite invitation coquine.
- C’est un première annĂ©e ! Ă€ quoi vous pensiez ?!!
Chela, outrĂ©e, continua de critiquer son ainĂ©e. Pendant ce temps, Nanao s’approchait prudemment d’Oliver qui continuait Ă avancer.
- …Ça te va comme ça, Oliver ?
- Oui, c’est très bien. Encore dĂ©solĂ©.
Nanao se tenait maintenant Ă distance de bras. Cependant, cela semblait la perturber, car elle levait et baissait son bras sans relâche, dĂ©rangĂ©e de ne pas pouvoir s’engager comme elles le faisaient auparavant.
- …C’est frustrant.
- Non, c’est normal. Tu es bien trop tactile.
- Donc tu détestes ça ?
- Je n’ai jamais dit ça, rĂ©pondit fermement Oliver.
Nanao continua de le suivre de près à cette étrange distance. Miligan, qui avait ignoré les complaintes de Chela, regardait la scène embarrassante se dérouler. Elle couvrit un œil de sa main.
- …Comment dĂ©crire la chose ? Ils sont si lumineux, c’est comme si mon Ĺ“il allait finir par ĂŞtre dĂ©truit.
- Si vous pensez vraiment ça, alors veuillez garder vos flirts et contentez-vous de regarder de loin, dit Chela avec sévérité. Miligan la fixa.
- Bien sĂ»r, je serais plus qu’heureuse de le faire. Mais et toi alors ?
- Qu’est-ce que c’est censĂ© vouloir dire ?
Chela fronça les sourcils, mais ses yeux ne tardèrent pas Ă se tourner vers les deux personnes devant elle. Il y avait une jalousie et une admiration dans son regard, comme si elle observait une ligne qu’elle ne pouvait jamais franchir.
- Awww, bon sang. Vous me donnez vraiment envie de vous ramener tous sains et saufs.
Miligan haussa les Ă©paules, puis frappa dans ses mains pour attirer l’attention de tous.
- Maintenant, on devrait avoir une discussion. Pour l’instant, nous marchons simplement dans la direction oĂą le Parfum est le plus fort, mais cela ne suffira pas pour localiser l’atelier d’Ophelia. Nous devons trouver une sorte d’indice.
Chela croisa les bras et réfléchit.
- On pourrait prendre en filature une chimère… Non, ce serait inutile.
- En effet, elle ne laisserait pas une trace aussi Ă©vidente. La plupart des chimères sorties de son atelier sont ensuite abandonnĂ©es. Il est aussi probable qu’elle ne ramène pas ses chimères Ă elle, dit Oliver.
Comme il s’y attendait, trouver un seul atelier dans la vaste troisième couche n’était pas une tâche aisĂ©e. Il s’Ă©tait forcĂ© Ă changer de manière de penser.
- Affinons la recherche avec une autre approche, dit-il. —— Si vous deviez installer un atelier ici, par où commenceriez-vous ?
Il regarda Miligan, la plus expérimentée du groupe dans le labyrinthe. Elle mit une main sur son menton et réfléchit.
- Tout d’abord, l’emplacement est important. Naturellement, la plus grande prioritĂ© est de ne pas ĂŞtre trouvĂ© par les autres Ă©lèves ou les bĂŞtes magiques. Cette couche est beaucoup trop humide, donc on peut exclure cela de nos critères. Pour faciliter la collecte de matĂ©riaux, j’aurais voulu ĂŞtre plus proche de la deuxième couche…
À ce moment-là , Miligan s’arrêta et reconsidéra sa décision.
- Non… C’est juste mon opinion. Il y a beaucoup de bons endroits dans la quatrième couche et au-delĂ . Ils sont trop dangereux pour moi, mais je ne doute pas que Ophelia puisse en faire ses principales sources de matĂ©riaux par exemple. Dans cette optique, il est fort probable que son atelier se trouve près de la quatrième couche.
Oliver s’était souvenu que Vera Miligan avait dit qu’Ophelia Salvadori la surpassait de loin. Si elle avait le respect de Vera Miligan, alors la troisième couche n’était probablement qu’une promenade de santĂ© pour Ophelia.
- Ce sera un problème, par contre. Nous allons devoir traverser ceci afin d’atteindre la quatrième couche.
Miligan reprit la marche. Les autres suivirent. Cinq minutes plus tard, la boue devint beaucoup plus aqueuse, se transformant finalement en une Ă©norme zone humide. Le paysage entier s’Ă©tendait au-delĂ de ce qu’ils pouvaient voir, il Ă©tait donc impossible de juger de l’ampleur du marais. La rive opposĂ©e se trouvait probablement quelque part au-delĂ de la brume. Chela regarda la surface de l’eau trouble.
- …C’est un marais, n’est-ce pas ? Un très, très grand.
- C’est le marais Miasma, la section la plus pĂ©rilleuse de toute la couche, expliqua Miligan.
L’air leur irritait la gorge ce qui contribuait Ă expliquer le surnom. Un gaz toxique semblait bouillonner depuis le marais, imprĂ©gnant toute la zone.
- Il existe tout au mieux deux méthodes pour le traverser. Soit on le survole avec un balai soit on prend un bateau. Puisque nous sommes en groupe, nous nous en tiendrons au bateau pour cette fois.
- Oh ? Pourquoi ça ? demanda Nanao, confuse.
Un balai semblait ĂŞtre la mĂ©thode la plus rapide, c’Ă©tait donc une question naturelle. Miligan leva les yeux vers la brume Ă©trangement Ă©paisse Ă des dizaines de mètres au-dessus d’eux.
- D’abord, parce que plus on se rapproche du haut de la couche et plus le miasme s’Ă©paissit. Il suffit de voler un peu trop haut pour recevoir une dose de miasme sur tout le corps. Ce ne serait pas beau Ă voir.
- Ă€ quel point…c’est mauvais ? demanda Chela.
- Ta peau va commencer Ă fondre. Tu vas devenir aveugle. Tes poumons vont cesser de fonctionner et ton esprit deviendra de la bouillie. Naturellement, le miasme affecte aussi nĂ©gativement les balais, puisqu’ils se nourrissent du mana dans l’air. Alors tu finiras par tomber dans le marais pour nourrir les poissons.
Chela fronça les sourcils à cette pensée macabre. Miligan continua :
- Tu peux atténuer quelque peu les effets avec suffisamment de préparation, mais tu dois toujours faire attention à ne pas voler trop haut. Tu auras aussi à faire face à ces choses à tes trousses.
Elle baissa les yeux, et les autres suivirent son regard. Ils repĂ©rèrent un groupe d’ombres qui volaient au-dessus de la surface de l’eau avec de longs corps cylindriques et des ailes en dentelle. Des centaines d’entre-elles parsemaient le marais en grands groupes.
- Des poissons-volants…
- Ouaip. Des poissons magiques volant Ă basse altitude qui habitent les marais. Un seul n’est pas un gros problème, mais leurs bancs sont Ă©normes. Le plus souvent, on finit par rentrer dans un groupe avant de tomber dans le marais. Ça m’est arrivĂ© une fois, dĂ©clara Miligan.
La rĂ©vĂ©lation de son Ă©chec passĂ©, plus que toutes ses explications, fut la plus efficace pour attirer leur attention. Alors que le trio rĂ©flĂ©chit en silence, Miligan leur fit part de l’autre mĂ©thode qu’ils pouvaient choisir.
- Cela peut prendre plus de temps, mais dans un bateau, on peut brĂ»ler de l’encens qui Ă©loigne les poissons du ciel. Bien sĂ»r, nous devrons toujours nous mĂ©fier des bĂŞtes du marais. De nombreuses variĂ©tĂ©s diffĂ©rentes ont Ă©lu domicile dans le labyrinthe. C’est un peu la loterie.
Les trois baissaient leur regard du poisson volant Ă la surface de l’eau. Il Ă©tait logique que l’eau prĂ©sente ses propres menaces, c’Ă©tait le labyrinthe, après tout. Il n’y avait pas de chemins faciles. En fin de compte, ils devaient Ă©valuer les risques et se lancer.
- Cela dit, continua Miligan, —— Ă€ nous quatre, nous devrions ĂŞtre capables de repousser Ă peu près tout.  Dans un bateau. Il sera plus facile de s’entraider que sur des balais, et si le pire devait arriver, nous pourrions abandonner le bateau et voler le reste du chemin.
Et c’est ainsi que Miligan prit la dĂ©cision de les faire partir en bateau. Oliver acquiesça. Rien de ce qu’il avait entendu ne lui permettait de la rĂ©futer.
- …Je suis d’accord. La vitesse est importante, mais le plus important est de traverser en toute sĂ©curitĂ©.
- Je suis d’accord, aussi, dit Chela. —— Et toi, Nanao ?
- Je suis d’accord avec les deux choix. Celui que vous prĂ©fĂ©rez donc.
Comme personne ne s’y opposait, Oliver passa rapidement Ă l’Ă©tape suivante.
- Bien, dit-il. —— Fabriquons un bateau d’abord. Il n’en reste pas beaucoup, mais on peut utiliser le reste de nos Plantoutils pour en construire un.
- Ça accélérerait les choses, répondit Miligan. —— Je vais devoir me mettre à genoux et remercier Guy à notre retour.
- …J’espère que c’est tout ce que vous faites Ă genoux.
- Ha-ha-ha ! Ne t’inquiète pas. Je ne suis pas si désespérée.
Miligan ricana à la remarque de Chela, puis ils s’étaient mis à construire le bateau. Soudain, Oliver sentit une fréquence de mana venant vers lui.
[…J’ai de mauvaises nouvelles, Monseigneur.]
C’était Teresa Carste, son éclaireuse secrète.
[Je t’écoute] dit-il.
Elle répondit immédiatement.
[Si vous voulez traverser en bateau, alors je ne pourrai pas maintenir la mĂŞme distance. J’ai mon propre bateau, mais le marais est trop calme. Je dois rester plus loin, sinon Ĺ’il de serpent me remarquera. J’ai honte de le dire, mais notre meilleure option serait de nous retrouver de l’autre cĂ´tĂ©.]
Oliver maudit son manque de prĂ©voyance. Elle Ă©tait si douĂ©e pour les filatures qu’il n’avait pas pensĂ© une seule fois Ă la façon dont le marais pouvait l’affecter. Cela dit, il n’y avait pas d’autre choix. Oliver rĂ©flĂ©chit quelques secondes, puis accepta.
[Très bien, c’est parfait. Je laisserai une trace quand nous serons de l’autre cĂ´tĂ©. Elle t’amènera jusqu’Ă moi.]
[Compris. Cette couche est dangereuse. Soyez prudent, Monseigneur.]
Et avec cela, sa prĂ©sence disparut rapidement. Oliver continua Ă travailler pendant tout ce temps, donc les autres ne semblaient pas se douter de quoi que ce soit. Il s’Ă©tait reconcentrĂ© sur la construction du bateau. Après dix minutes Ă tisser des brins de Plantoutils ensemble, l’activitĂ© se termina.
- Ça m’a l’air bien, dit Miligan, en le regardant et en croisant les bras de satisfaction.
C’était Ă mi-chemin entre un bateau et un radeau, mais assez large pour qu’ils puissent tous les quatre marcher. Il y avait un mât au centre, auquel ils avaient fixĂ© une voile carrĂ©e en tissu renforcĂ© par de la magie. Pour une construction bâclĂ©e, ce n’Ă©tait pas si mal.
- Mettons les voiles. Ah oui ! Une chose d’abord.
Ils avaient poussĂ© le bateau jusqu’Ă l’eau et Ă©taient prĂŞts Ă embarquer quand Miligan les arrĂŞta.
- Puisque nous sommes ici, que diriez-vous d’une leçon ?
- Une leçon… ? rĂ©pĂ©ta Chela. Qu’est-ce qu’on pourrait bien faire ici ?
- Oh, c’est l’endroit parfait pour la technique de la Marche du lac, du style Lanoff. Oliver, Chela, vous en avez entendu parler, non ?
Les deux Ă©tudiants regardèrent Miligan alors qu’elle descendait du bateau en direction du marais. Oliver fit la grimace, mais ses pieds avaient silencieusement atterri sur l’eau. Nanao resta bouche bĂ©e, incrĂ©dule.
- …Ohhh ! Elle se tient debout sur l’eau !
- J’adore cette rĂ©action. Marcher sur l’eau est une technique importante pour les mages et on dit qu’elle permet de tester toutes les facettes des bases de la magie spatiale.
Alors que Miligan expliquait, elle se promenait sur la surface de l’eau. De lĂ©gères ondulations s’étaient rĂ©percutĂ©es au contact de ses pieds, mais ses appuis semblaient très solides. Oliver et Chela restèrent bouche bĂ©e.
- Cela nĂ©cessite une certaine quantitĂ© de mana, donc normalement vous devriez commencer Ă la pratiquer dès votre deuxième annĂ©e. Mais d’après ce que j’ai vu, vous ĂŞtes tous les trois plus que capables. Alors pourquoi ne pas essayer maintenant ? Allez-y.
Elle leur fit signe de la main, et tous les trois regardèrent l’eau.
- …Hum, si nous Ă©chouons, nous tombons dans l’eau, dit Chela.
- Cela devrait aiguiser votre concentration, n’est-ce pas ? Personne ne veut tomber dans un marais grouillant de monstres, après tout, dit Miligan en souriant.
Elle voulait qu’ils transforment le risque en motivation.
- Hmm. Alors je vais commencer.
Pendant qu’Oliver et Chela prenaient quelques secondes pour se prĂ©parer, Nanao s’avança immĂ©diatement sur l’eau. Avant qu’ils ne puissent rĂ©agir, son pied toucha la surface, et elle plongea directement dans le marais.
- Mmgh… !
- Ha-ha-ha ! Tu as vraiment coulé comme une pierre. Tu vas bien ?
Miligan tendit une main et la ramena sur la terre ferme. Nanao secoua la tête, trempée.
- Quelle Ă©nigme. Je n’ai pas la moindre idĂ©e de comment faire.
- Cela ne devrait pas ĂŞtre si difficile une fois que tu auras saisi l’essentiel. Oliver, Ă toi.
Le garçon regarda l’eau, puis expira. Calme-toi. Tu peux le faire. Tu as pratiquĂ© les postures de terre tant de fois. C’est juste la mĂŞme chose.
- … !
Se ressaisissant, il fit un pas. Le bout de son orteil toucha l’eau et sembla s’enfoncer, mais cela n’alla pas plus loin. Il suivit avec son pied gauche et expulsa du mana Ă la surface de l’eau, comme il l’avait fait avec son impulsion tombale tout en faisant attention Ă Ă©quilibrer son poids sur les deux pieds. Tremblant et faisant onduler l’eau, il arriva Ă se tenir sur ses deux jambes.
- Whoa !
- Oui, oui ! Je savais que tu pouvais le faire, puisque tu maîtrisais si bien les postures de terre. Ok, maintenant, essaie de marcher.
Oliver n’avait pas hĂ©sitĂ© cette fois. Il reproduit cette mĂŞme sensation alors qu’elle Ă©tait encore fraĂ®che dans son esprit et marcha sur l’eau avec peu d’ondulations. Bien sĂ»r, c’Ă©tait beaucoup plus fatigant que de marcher sur la terre ferme. Dix minutes de cela le mettrait au bord de l’Ă©puisement. Chela Ă©tudia ses mouvements avec stupeur. Il n’avait pas autant de facilitĂ© que Miligan, mais il marchait vraiment sur l’eau.
- Fantastique, dit Miligan. —— En rĂ©partissant ton poids lorsque tu marches et en Ă©conomisant ton dĂ©bit de mana, tu peux faire en sorte que l’eau supporte ton corps. C’est très impressionnant que tu puisses faire ça dès ton premier essai.
- ……
- C’est une Ă©tape nĂ©cessaire pour apprendre la technique plus avancĂ©e, la Marche du ciel. En tant que mage, et en tant qu’utilisateur des arts de l’Ă©pĂ©e, tu as fait un grand pas en avant, Oliver.
La sorcière l’avait fĂ©licitĂ© avec un enthousiasme surprenant. Cela fit remonter Ă la surface un souvenir enfoui profondĂ©ment dans les confins de l’esprit d’Oliver.
« Pas mal, huh ? Ne t’inquiète pas, c’est certain que tu seras capable de le faire aussi, Noll. Tu es mon fils, après tout. »
Pour un jeune garçon, il n’y avait rien de plus gĂ©nial que de se tenir dans les airs. Et, ignorant Ă quel point cet objectif Ă©tait complexe, il s’Ă©tait jurĂ© d’atteindre un jour ces mĂŞmes hauteurs, ignorant totalement ce que le mot talent signifiait. Il ferma les yeux, se disant qu’il progressait vers cet objectif.
- …Nanao. Tu viens aussi.
Avant de s’en rendre compte, il avait tendu la main vers son amie. Il n’y avait pas de pensĂ©e profonde derrière ce geste. Il croyait simplement sans aucun doute qu’elle pouvait se tenir au mĂŞme endroit, Ă ses cĂ´tĂ©s.
- …Bien !
Nanao accepta son offre. Les yeux rivĂ©s sur sa main tendue, elle se lança une fois de plus sur l’eau et atterrit en tremblant sans Ă©claboussure.
- Oh ? Ohhh ? …Je l’ai fait !
Les pieds bien ancrĂ©s dans l’eau, Nanao s’Ă©tait accrochĂ©e Ă la main d’Oliver tout en exprimant sa joie. Les yeux de Miligan s’écarquillèrent.
- BontĂ© divine, tu as rĂ©ussi. L’exemple d’Oliver Ă©tait-il plus clair ? Ou bien… Ă©tait-ce uniquement ton dĂ©sir de te tenir Ă ses cĂ´tĂ©s ?
Elle dit cela pour se moquer avant de jeter un coup d’Ĺ“il Ă Chela, qui se tenait seule sur la rive pendant que ses amis cĂ©lĂ©braient.
- ……
Bien sĂ»r, Chela n’Ă©tait pas du genre Ă se laisser aller. Elle ferma les yeux pour se calmer, puis les rouvrit avant d’entrer dans l’eau. Tous les trois regardèrent son pied droit toucher la surface et son pied gauche qui suivit.
- …Ouf. Je suis lĂ aussi !
- Ohhh, Chela ! Tu l’as fait !
- Je n’ai jamais doutĂ© de toi une seule seconde.
Tous les trois, unis sur l’eau et tapant dans leurs mains, ils Ă©taient rĂ©jouis. Miligan sourit et acquiesça.
- Heureusement, vous vous en ĂŞtes tous bien sortis. Si quelqu’un tombe du bateau, il sera en mesure de survivre. Maintenant, en route !
Une fois tout le monde dans le bateau, la sorcière jeta un sort sur la voile. Une bourrasque soudaine se mit Ă souffler, et le bateau glissa sur l’eau.
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Pendant qu’ils naviguaient, Miligan expliqua aux trois personnes comment elle s’y prenait.
- Un bateau n’est pas aussi polyvalent qu’un manche Ă balai, mais c’est quand mĂŞme un moyen de transport utile pour un mage. Les non-mages doivent ajuster la voile en Ă©tudiant le vent, mais pour nous…
Elle pointa son athamĂ© sur la voile, indiquant le cercle magique et l’incantation qui s’y trouvait. C’Ă©tait la raison pour laquelle ils se dĂ©plaçaient sans rames ni pagaies. Oliver avait entendu parler de mages marins qui utilisaient ces techniques, mais il ne les avait jamais vues en personne.
- On peut invoquer des Ă©lĂ©mentaires de vent et les placer autour de la voile. C’est un peu dĂ©licat, mais une fois qu’on l’a, on peut continuer Ă avancer sans lever le petit doigt. Vous feriez bien de vous en souvenir.
- Je vois… C’est très instructif.
Chela Ă©coutait avec attention tandis qu’Oliver cherchait Nanao. Il la vit penchĂ©e sur le cĂ´tĂ© du bateau. Des ombres noires couraient sous la surface trouble de l’eau.
- …Ce sont de gros poissons.
- Sois prudente, Nanao, prévint Oliver. —— Ils peuvent attaquer à tout moment.
- Mmm… Quand mĂŞme, ils pourraient ĂŞtre savoureux grillĂ©s avec un peu de sel.
- Tu as faim maintenant ?!
Nanao ne changera jamais, mĂŞme aussi profondĂ©ment dans le labyrinthe. C’Ă©tait Ă la fois exaspĂ©rant et rassurant. Soudainement, Oliver remarqua un changement dans l’atmosphère et ferma la bouche. Il regarda autour de lui pour voir que les autres Ă©coutaient tout aussi attentivement.
- …Ils ont tous disparu, remarqua Chela.
- Ouais. C’est un peu Ă©trange, rĂ©pondit Miligan en hochant la tĂŞte.
Non seulement les poissons sous l’eau avaient disparu, mais les poissons du ciel ne planaient mĂŞme plus près des abords de la brume. Ils Ă©taient censĂ©s faire attention aux attaques venant d’en bas, mais pourtant, il n’y avait aucun signe de danger.
- Cela est assez anormal d’arriver aussi loin sans encombre. En plus, c’est beaucoup trop calme. Peut-ĂŞtre qu’il se passe quelque chose d’Ă©trange dans les profondeurs.
Miligan scruta bien autour d’eux, et du coin de l’Ĺ“il, elle repĂ©ra l’Ă©clair d’une silhouette blanche.
- Y avait-il quelque chose lĂ -bas… ?
- ……
La sorcière Ă©tait silencieuse, et Chela, qui avait apparemment vu la mĂŞme chose, fronça les sourcils. Un sentiment terrible envahit Oliver, et il agrippa l’athamĂ© Ă sa taille. Soudainement, le bateau se mit Ă s’agiter.
- Whoa… ?!
Son corps bascula en avant, alors il s’accrocha au mât pour se stabiliser. Le bateau avait accĂ©lĂ©rĂ© sans prĂ©venir, filant sur l’eau.
- Qu’est-ce que vous faites ?! cria Chela Ă leur ainĂ© et leader d’expĂ©dition, Miligan. —— Pourquoi allons-nous si vite ?
- Cette chose est de mauvais augure ! Tous à vos athamés et parés ! hurla Miligan.
Les trois dĂ©gainèrent. InstantanĂ©ment, l’eau derrière le bateau se souleva et Ă©clata. De l’ombre, apparut un serpent de mer d’au moins vingt mètres de long si on se fiait Ă son squelette. Il Ă©tait complètement dĂ©pourvu de chair, comme une pièce de musĂ©e. Il n’aurait pas dĂ» ĂŞtre capable de bouger, mais pourtant, il avait rĂ©ussi Ă se glisser derrière eux avec une vivacitĂ© incroyable.
- Qu…?!
- Mmgh, encore des os ?
- Un serpent de mer ! L’autre familier de Salvadori ! Accrochez-vous !
Tenant compte de son avertissement, ils se baissèrent. Miligan fit vaciller la voile avec un sort, excitant les élémentaires du vent. Le bateau atteint instantanément plus du double de sa vitesse initiale, entamant un jeu de poursuite aquatique avec le serpent.
- Cette chose est bien plus dangereuse que n’importe quelle chimère, il est donc temps de s’enfuir ! Il ne devrait pas ĂŞtre capable de nous attraper sur la terre ferme !
- Je suis d’accord, mais peut-on aller encore plus vite avec ce bateau ?! cria Chela.
- Si on se fait attraper, on traversera le marais à ce moment-là ! Préparez vos balais ! hurla Miligan.
Oliver et Chela se firent un signe de tĂŞte, puis se tournèrent vers le serpent squelettique qui les poursuivait en dĂ©clenchant une volĂ©e de sorts. Cela sembla ĂŞtre assez efficace, car la crĂ©ature commença Ă ralentir, laissant la distance entre eux s’agrandir.
- Heureusement que nous avons mis un peu d’effort dans la conception ! On dirait que nous allons nous en sortir in extremis.
La sorcière ricana de manière triomphale, mais quelques secondes plus tard, son sourire se raidit comme de la pierre.
- …Euh, c’est mauvais.
- Huh ?
Oliver se retourna pour regarder devant eux. De nombreux os flottaient sur la trajectoire du bateau, comme les restes du repas d’une grande crĂ©ature. Du moins, c’est ce que cela semblait ĂŞtre Ă première vue.
- CONGREGANTAÂ !
Cette seule incantation avait rĂ©vĂ©lĂ© sa vĂ©ritable identitĂ©. Sous leurs yeux, les os commencèrent Ă se reformer. D’abord, une colonne vertĂ©brale de la taille d’un grand arbre, Ă laquelle se rattachait un crâne. Puis simultanĂ©ment, des cĂ´tes et des nageoires se matĂ©rialisèrent. Un gigantesque serpent de mer enroulĂ©, semblable Ă celui qui les poursuivait, leur barrait maintenant la route.
- Qu…?
- Guh…!
RĂ©alisant qu’ils allaient s’Ă©craser, Miligan tira fort Ă bâbord. Le bateau faillit presque grincer sous l’effet de la force soudaine.
Ils naviguèrent en arc de cercle juste avant de heurter le serpent, soulevant de l’Ă©cume blanche. Ils avaient Ă©vitĂ© un dĂ©sastre immĂ©diat, mais la manĹ“uvre leur avait aussi fait perdre beaucoup de vitesse.
- Yeesh… ! Merci pour l’accueil surprise, Rivermoore !
Miligan jeta un regard en avant en s’agenouillant sur le pont. Les autres se retournèrent pour voir ce qu’elle regardait. De l’autre cĂ´tĂ© du serpent, Ă travers les interstices de ses cĂ´tes, ils purent apercevoir la chose.
- Oh, mais c’est moi qui suis surpris ici.
Le mage se tenait debout sur une carapace de tortue gĂ©ante comme un bateau, avec l’austĂ©ritĂ© d’un prĂŞtre malĂ©fique alors qu’il Ă©tudiait les quatre d’entre eux avec une mine assombrie. Non seulement il dĂ©gageait la force Ă©crasante caractĂ©ristique de quelqu’un de bien plus fort qu’eux, mais une aura de mort s’accrochait Ă©galement Ă tout son corps.
- Qu’est-ce que tu fais Œil de serpent ? Tu comptais emmener trois chairs fraiches avec toi dans les contrĂ©es de la mort ?
Oliver et Chela frissonnèrent. Ils l’avaient déjà rencontré dans le labyrinthe auparavant. Cyrus Rivermoore, un nécromancien qui utilisait des techniques pour contrôler les cadavres. Il était tout aussi dangereux que Salvadori.
- Nous sommes lĂ pour secourir leur ami, dit Miligan, imperturbable.
Il eut un petit ricanement.
- Ça sonne comme une façon bien compliquée de se suicider.
- Je ne t’en veux pas de le voir comme ça, mais en fait on espère rentrer chez nous vivants.
La sorcière haussa les épaules. Rivermoore grimaça comme pour se moquer.
- Tu as l’intention de survivre Ă un combat contre Salvadori dans son Ă©tat actuel ? Je te croyais plus intelligente que ça.
- Touché.
Miligan grimaça amèrement, incapable d’argumenter avec lui. Mais c’est Ă ce moment d’accalmie dans la conversation que quelqu’un dĂ©cida d’intervenir.
- Pardonnez mon intrusion, Mr. Rivermoore, mais peut-ĂŞtre cherchez-vous Ă©galement l’atelier d’Ophelia Salvadori ?
- Chela ?!
Oliver l’avait dĂ©visagĂ©e, incrĂ©dule. Rivermoore tourna son regard sombre vers la questionneuse inattendue.
- …Pourquoi me demandes-tu ça, petite McFarlane ?
- Parce que c’est une possibilitĂ©. Vous devez chercher quelque chose si vous vous trouvez dans la troisième couche Ă un moment pareil. Et il n’y a pas beaucoup de raisons pour qu’un Ă©lève de Kimberly s’approche volontairement d’un autre qui se fait consumer par le sort.
- ……
- La première raison serait qu’une personne importante ait Ă©tĂ© enlevĂ©e, comme dans notre cas. Beaucoup d’ainĂ©s nous aident, mais je doute que vous soyez l’un d’entre eux. La seconde raison serait d’ĂŞtre intĂ©ressĂ© par la magie de l’Ă©tudiant consumĂ©.
Elle fit preuve d’audace face Ă un homme beaucoup plus puissant qu’elle. Oliver pouvait voir que ce n’Ă©tait pas seulement un pari imprudent et ignorant de la part de Chela. La voyant de près, il pouvait voir ses mains trembler. Elle ne savait que trop bien que l’homme devant eux Ă©tait au moins l’Ă©gal d’Ophelia Salvadori et qu’il pouvait tous les anĂ©antir s’il en avait envie. Mais il pouvait aussi dĂ©tenir un indice pour sauver Pete.
- Ce dernier cas semble vous convenir parfaitement je pense, poursuivit Chela. —— Plus prĂ©cisĂ©ment, je crois que vous voulez vous emparer des recherches magiques d’Ophelia Salvadori avant que quiconque n’en ait l’occasion. C’est pour ça que vous ĂŞtes lĂ , n’est-ce pas ?
Oliver dĂ©glutit. Elle avait raison. Si c’Ă©tait le cas, alors leurs objectifs n’Ă©taient pas contradictoires. Tout ce qu’ils voulaient, c’Ă©tait sauver Pete. Ils n’avaient aucune raison de toucher aux recherches d’Ophelia.
- Si j’ai raison, alors pourquoi ne pas travailler ensemble ? Trois d’entre nous sont peut-ĂŞtre des premières annĂ©es, mais nous sommes assez nombreux. Si nous partageons nos informations et cherchons ensemble, nous aurons de bien meilleures chances de trouver l’atelier. MĂŞme vous, pourriez y voir un intĂ©rĂŞt.
Elle fit enfin sa proposition. MĂŞme s’ils parvenaient Ă atteindre la bonne rive en toute sĂ©curitĂ©, il n’y avait toujours aucune garantie de trouver l’atelier d’Ophelia, raison de plus pour laquelle Chela tentait de nĂ©gocier avec le sorcier. En soulignant qu’ils n’Ă©taient pas ennemis, elle pouvait peut-ĂŞtre lui soutirer quelques informations. Tout le monde retint son souffle en silence. Rivermoore Ă©tudia Chela pendant un moment, puis secoua la tĂŞte.
- J’aimerais pouvoir dire que c’Ă©tait une excellente suggestion… mais malheureusement, tu as ratĂ© ta cible.
- …Quoi ?
- Je ne fais pas de fixation sur les recherches de Salvadori. Nos objectifs en tant que mages sont bien trop diffĂ©rents. MĂŞme si je mettais la main sur son travail, il ne me servirait Ă rien… bien que je ne le rejetterais pas si cela me retombait dessus. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour que je risque ma propre peau.
Chela ne fut pas dĂ©couragĂ©e par sa rĂ©ponse inattendue. Il devait avoir une bonne raison d’ĂŞtre ici.
- …Alors pourquoi ĂŞtes-vous ici ? Y a-t-il une autre raison de vous mettre en danger si ce n’est pas pour vos recherches ? demanda-t-elle.
Les lèvres de Rivermoore se courbèrent en un sourire sec.
- Une raison, eh ? …Oui, c’est une bonne question.
Il ne dĂ©nigrait pas Chela, mais lui-mĂŞme. En mĂŞme temps, ils avaient maintenant la preuve dĂ©finitive qu’il n’Ă©tait pas ici pour un gain personnel.
- …Ne me dis pas que tu es son Visiteur Final ? demanda doucement Miligan.
Rivermoore grimaça à cette idée.
- Ne sois pas si stupide. Je ne serais pas invitĂ© ici pour une telle chose. Bien que… je suppose qu’on pourrait me confier le soin d’exprimer mes condolĂ©ances Ă la famille. Un enterrement avec seulement le dĂ©funt et un seul pleureur serait une triste affaire en effet.
Il parlait avec une touche d’humilitĂ©, mais ne semblait pas du tout intĂ©ressĂ© Ă les aider Ă comprendre. Avec un peu de rĂ©signation, Rivermoore se tourna vers Chela.
- Nous avons essayĂ© de nous tuer mutuellement plus de fois que je n’ai de doigts pour les compter. C’est le moins que je puisse faire pour ma cadette… Est-ce une rĂ©ponse suffisante, McFarlane ?
- ……
Chela s’Ă©tait prĂ©parĂ©e au pire, mais s’est retrouvĂ©e incapable d’aller plus loin. Des objectifs similaires, des bĂ©nĂ©fices mutuels, mĂŞme tenter une discussion avec des mesures aussi ordinaires ne pouvait qu’exposer son ignorance.
- Vous avez fini de gagner du temps ? Alors continuons.
À son ordre, les deux serpents de mer levèrent la tête. Chela, voyant que sa négociation avait échoué, prépara son athamé à contrecœur.
- …Donc on doit en arriver lĂ après tout ?
- Non. Tu as bien fait, Chela, dit Miligan avec un sourire triomphant.
Oliver l’avait regardĂ©e d’un air perplexe. Puis il remarqua qu’elle avait Ă©tait Ă genoux pendant toute la durĂ©e de leur conversation avec Rivermoore.
- Je peux comprendre le devoir que l’on ressent envers ses cadets. Mais pour un simple appel de condolĂ©ances, le lieu que tu as choisi est un peu excessif. Tu ne trouves pas, Rivermoore ?
Oliver sursauta en rĂ©alisant la chose. Miligan Ă©tait agenouillĂ©e sur le pont du bateau, crĂ©ant un angle mort autour de ses pieds et sa robe. Elle avait glissĂ© son athamĂ© Ă travers un trou du bateau. La pointe de sa lame Ă©tait en contact avec l’eau, injectant quelque chose dans le marais. Une vague surgit d’un cĂ´tĂ© du bateau, le faisant trembler. L’eau avait Ă©tĂ© totalement calme pendant leur traversĂ©e, Oliver savait donc qu’il ne pouvait pas y avoir de vagues sans que quelque chose ne les créât.
- …Tch.
Rivermoore rĂ©alisa le plan de la sorcière une seconde trop tard. Le son avait Ă peine quittĂ© sa bouche que des dizaines de tentacules surgissaient de l’eau autour de lui. Les serpents de mer se dĂ©placèrent rapidement pour se mettre entre la menace et leur maĂ®tre. Les tentacules s’enroulèrent autour de leurs corps osseux avant que deux masses gĂ©antes et gluantes n’Ă©mergent de l’eau. La crĂ©ature avait la taille d’une petite Ă®le, mĂ©lange bizarre entre un calmar et une pieuvre. Les première annĂ©e regardèrent le monstre avec horreur.
- Une chimère aquatique… !
- Je le savais ! Je savais que Salvadori, l’auteur d’Une Étude du DĂ©veloppement AccĂ©lĂ©rĂ© Ă partir de Croisements entre Krakens et Scyllas, laisserait un piège ici ! cria Miligan, ravi que son plan se soit dĂ©roulĂ© sans accroc.
En effet, pendant toute leur conversation avec Rivermoore, elle avait envoyĂ© des frĂ©quences de mana dans l’eau pour attirer la chimère. MaĂ®triser les serpents seuls Ă©tait difficile, mais en attirant une crĂ©ature tout aussi dangereuse, elle pouvait les neutraliser. Et une fois que la chimère avait rĂ©alisĂ© qu’il y avait des intrus sur son territoire, elle Ă©tait plus susceptible d’attaquer ceux qui dĂ©gageaient le plus de mana. Oliver fut Ă©tonnĂ© de voir Ă quel point elle avait anticipĂ© cela.
- Nous sommes pressĂ©s, alors je te laisse t’occuper de ça ! Merci, Rivermoore !
- Tricheuse !
Rivermoore râla, mais avec un soupçon de sourire sur ses lèvres. Même lui ne pouvait ignorer la chimère et se lancer à leur poursuite. Leur bateau accéléra de nouveau, laissant au loin la bataille mortelle entre les titans.
- On a failli y rester cette fois ! Que quelqu’un me pince, je dois rĂŞver !
Miligan expira un grand souffle une fois qu’ils furent hors de danger. Nanao, qui avait observĂ© derrière eux, se tourna alors vers elle.
- Miss Miligan, qu’est-ce qu’un Visiteur Final ? demanda-t-elle.
La sorcière avait utilisĂ© cette expression lors de sa conversation avec Rivermoore. Miligan regarda Nanao avec une lĂ©gère surprise. Oliver savait ce qu’elle ressentait. Peu de gens posaient ce genre de question Ă Kimberly. c’Ă©tait un concept que presque tous les Ă©lèves connaissaient.
- Ah, tu ne sais toujours pas… Eh bien, c’est une sorte de coutume de mage.
Le ton de Miligan Ă©tait anormalement solennel. Il n’y avait probablement pas un seul mage vivant qui ne se redresserait pas un peu en ayant Ă imaginer le sort qui leur serait rĂ©servĂ©, Ă eux ou Ă leurs amis proches.
- Lorsqu’un mage est consumĂ© par le sort, quelqu’un va s’occuper de lui dans ses dernières heures. Et parfois au pĂ©ril de sa vie. On appelle ce rĂ´le le Visiteur Final.
[1] Les Spartoi sont les « Hommes semĂ©s », nĂ©s des dents du dragon de Cadmos, c’est-Ă -dire les ThĂ©bains.
[2] Sword signifie « épée » en anglais.
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