REIGN OF V3 : CHAPITRE 1

Possibilité de survie

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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Elle s’était imposée de passer les journées ensoleillées dans le jardin jusqu’à ce qu’on l’appelle à l’intérieur. Cependant, ce n’était pas quelque chose qu’elle appréciait particulièrement. Il faut dire que même si elle ne portait pas vraiment d’intérêt particulier pour les fleurs, le jardin ne changeait jamais au fil des saisons. En fait, elle les détestait. Leur beauté attrayante et leurs parfums envoutants attirant toutes sortes d’insectes, lui rappelaient sa propre existence.

—   …

Elle les écrasa toutes sous ses pieds dans une brève catharsis. Après s’être soulagée, elle leva les yeux au ciel, prenant une grande inspiration. Le mur, envahi par la mousse, bloquait normalement le soleil. Mais à midi, les rayons étaient implacables. S’imprégner de cette lumière était le meilleur répit qu’elle pouvait demander. Elle en profita tant qu’elle le pouvait. Elle le devait. Une fois son ventre bien grossi, il lui sera impossible de se promener dans le jardin.  La maison était trop sombre, trop fétide, laissant trop de choses ramper dans l’obscurité. Elle avait toujours eu peur de devenir un jour l’une d’elles.

  • Une bien belle journée n’est-ce pas ? Quel beau temps.

Une voix la fit sortir du plaisir de sa paix temporaire. Elle était calme, neutre, et différente de toutes les voix qu’elle connaissait. Suspicieuse, elle se retourna pour trouver un garçon mince qu’elle n’avait jamais vu auparavant.

  • …Qui êtes-vous ?
  • Je pourrais être un ami, si tu le souhaites.

Il traversa le jardin d’un pas vif et naturel, en prenant soin de ne pas marcher sur une seule fleur. Lorsqu’il se trouva devant elle, elle le regarda fixement et poussa un léger soupir.

—  Vais-je devoir porter votre enfant également ?

Elle tenta de confirmer cela, n’attendant rien d’autre qu’une affirmation. Il était difficile d’imaginer un autre rôle pour un homme dans l’enceinte de ce manoir. Mais étonnement, il ne hocha pas la tête. Au lieu de cela, il grimaça ironiquement.

—   Oh, non, ma puce. Ce n’est pas possible pour moi.

— C… Comment ça ?!

Incapable de comprendre ce qu’il disait, elle sentit la méfiance monter dans son regard. Il sourit et haussa les épaules, comme pour tenter de l’apaiser.

—   Bon, veux-tu quelqu’un avec qui discuter très chère Princesse râleuse ?

Son regard se porta sur le sol et où se trouvaient les fleurs couvertes de terre qu’elle avait piétinées. Elle s’était retournée, faisant la moue, comme une criminelle prise en flagrant délit.

  • C’est peine perdue. Les hommes deviennent tous fous après m’avoir parlé.
  • Je peux te promettre que je ne le serai pas, ma belle.

Son visage se rapprocha du sien, et les épaules de la fillette se contractèrent. Elle n’avait jamais vu un homme garder sa raison après s’être approché d’elle.

  • …!
     

Elle était sûre qu’il allait l’attaquer ce qui avait instinctivement fait son corps se raidir, mais rien ne s’était produit, peu importe l’attente. Étrangement, le garçon était toujours là, debout.

  • Tu vois ? Rien ne se passe.
  • ……

Ses yeux s’écarquillèrent sous le choc. Le garçon prit sa main droite, l’entoura de sa paume et lui sourit.

  • Voilà, maintenant nous sommes amis. Je peux t’appeler Lia ?

  • Mmm…

Elle ouvrit les yeux, se leva, et regarda autour d’elle à moitié étourdie par le réveil. Près d’elle se trouvait une tasse à thé, dont le contenu avait refroidi depuis longtemps. Des catalyseurs alchimiques jonchaient la surface du bureau sur lequel elle s’était endormie, tandis que les petites chimères chargées des tâches ménagères s’affairaient dans l’atelier en désordre, encore plus chaotique que d’habitude. C’était son atelier, qu’elle utilisait pleinement depuis environ trois ans, soit depuis sa deuxième année à l’école. De temps en temps, elle faisait venir des proies qu’elle avait charmées, mais elle n’y avait jamais amené d’invités. C’était devenu le nouveau monde d’Ophelia depuis qu’elle avait décidé de s’éloigner de la surface de l’académie.

  • …Ironique, rêver d’eux dans un moment pareil…

Ses lèvres se tordirent d’autodérision. Elle se leva de la chaise et bascula instantanément.

  • Hah… Hah… !

Elle ne baissa sa garde qu’une seconde, mais pourtant, ce fut suffisant pour que cela s’effondre complètement. Réprimant désespérément la flamme qui montait de son abdomen comme une bête féroce et affamée, Ophelia sentait sa respiration devenir irrégulière.

  • …Pas encore. Pas encore… J’ai encore besoin de garder mes esprits…

En tremblotant, elle se leva et traîna son corps apathique vers l’avant. Elle but une infusion pour stabiliser temporairement son état avant de se souvenir soudainement du travail qu’elle avait ordonné à ses familiers de faire. Elle se dirigea vers la chambre voisine pour vérifier le fruit de leur travail.

  • Hmm… ? dit-elle doucement.

Devant elle se trouvait un treillis de chair battante formant une prison vivante. Un nombre d’élèves de première année et plus gisait mollement à l’intérieur. Cette vue ne la surprenait en rien, mais parmi les garçons à l’air innocent, elle avait repéré un élève familier à lunettes. Elle soupira.

  • Horn…je l’avais pourtant prévenu de ne pas partir à l’aventure.

Mais il n’y avait rien à faire maintenant. Sans aucune autre émotion, elle se retourna en silence.

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Kimberly n’avait pas vu un tel état d’alerte depuis une année entière. C’était le soir, et le campus avait très vite sombré dans la folie. Un groupe de préfets, les élèves chargés de maintenir la paix dans l’enceinte de l’école, s’était manifesté dans les couloirs.

  • Préparez-vous à descendre. Prêt, Carlos ?

Alvin Godfrey, alias Purgatoire et préfet en chef, demanda depuis sa position à la garde. Un jeune blond, les yeux vacillants d’inquiétude, a répondu.

  • Bien sûr, président. En tant que membre du Conseil de Kimberly, nous sommes toujours prêts à passer du côté du royaume des morts.

Les jeunes faisaient bruyamment craquer leurs articulations. Des fioles de potion serrées menaçaient de jaillir de la pochette située à leur taille.

Les autres préfets déglutirent. Il y avait assez de potion pour tuer facilement dix mille personnes sans faute. La voisine du jeune blond craintif, une jeune fille à la peau sombre et au regard vif, prit la parole.

  • Notre réputation va en prendre un coup si nous n’agissons pas maintenant. Mais surtout, c’est nous qui sommes responsables de cet incident. N’es-tu pas d’accord, Godfrey ?

Godfrey acquiesça sèchement. À côté de lui, le superbe androgyne Carlos Whitrow prit la parole.

  • Tim et Sedi ont raison. Nous sommes prêts et nous attendons. Allons-y.

Ils s’étaient tous préparés pour ce jour. Godfrey grinça des dents.

  • Malheureusement, nous avons perdu l’initiative… Les choses se sont passées beaucoup plus vite que prévu. J’avais espéré un an de plus, au moins.
  • Elle a dû sentir nos plans et a accéléré les siens. Elle a toujours forcé, celle-là, dit affectueusement Carlos malgré la situation désastreuse.

Godfrey râla en silence. Carlos murmura alors à l’oreille de Godfrey tandis qu’ils marchaient.

  • Si j’échoue… le reste dépendra de toi, Al.
  • …..

Après une longue pause, Godfrey hocha légèrement la tête. Carlos sourit. Finalement, le groupe avait arrêté sa marche devant un miroir géant.

  • On y va, alors ? C’est parti pour notre dernière aventure.

Carlos, quelque peu dans une joie intense, tendit la main vers le miroir sans hésiter. La surface réfléchissante ondula en avalant le jeune homme. Les autres hochèrent la tête mutuellement et fermèrent la marche en suivant de près.

Chapitre 1 : Possibilité de survie

Il était 11h du matin quand la température chuta étrangement, laissant place à une pluie glaçante à l’extérieur. Un groupe de première année était assis dans une salle de classe, écoutant anxieusement. La voix de leur vieille instructrice était sévère et ne semblait pas du tout affectée par les événements actuels.

  • …Les mages qui se consacrent aux duels magiques perdent souvent de vue la vraie nature des sortilèges. Parler rapidement, raccourcir les incantations autant que possible… Considérez un tel comportement comme alarmant.

C’était la norme pour Frances Gilchrist de commencer chaque cours avec un avertissement. La sorcière mettait l’accent sur un respect sain envers les sortilèges. Les techniques ne suscitant pas la chose devaient être évitées à tout prix, quelle que soit leur efficacité.

—   Il n’y a que dans les duels magiques où l’on considère la moindre seconde comme ayant son importance et où finir une incantation en premier résulte en une victoire. Sachez que les combats ne sont qu’une infime partie de l’activité d’un mage. Si l’un d’entre vous s’enorgueillit de la rapidité de ses incantations, je vous invite à changer votre façon de penser maintenant. De peur que vous ne finissiez comme Badderwell.

  • ……

Badderwell était un sorcier réputé pour la rapidité de ses sorts, et pourtant, il s’était fait avoir par un simple épéiste. Bien sûr, Oliver comprenait que le destin de Badderwell était une leçon importante qui devait être enseignée.

La vieille sorcière avait tout à fait raison. Mais pour l’instant, cette « justesse » était ce qui le rongeait le plus.

  • Une énonciation propre, une imagerie mentale soignée : Ce sont les principaux fondements de l’incantation. Sans eux, la hâte devient gaspillage. Même les sorts de base de feu que vous prenez tout pour acquis peuvent être quelque chose de bien impactant avec une bonne concentration…

Cette leçon se concentrait principalement sur les dix ans à venir. Olivier serra ses poings avec une irritation incontrôlable. C’était maintenant qu’il désirait la puissance, maintenant que ses amis avaient besoin de son aide.

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  • …Pete n’est toujours pas revenu…marmonna Guy, son assiette empilée de nourriture non touchée.

Le silence était douloureux. Ce n’était pas seulement leur table, en effet-–- ces derniers jours, l’agitation caractéristique de la cafétéria de la Confrérie avait été remplacée par un silence sinistre.

  • …Le président Godfrey et les autres élèves de la classe supérieure font de leur mieux pour sauver les jeunes. Tout ce que nous pouvons faire est d’avoir foi en eux et d’attendre, dit Chela.

Cela faisait des jours maintenant. La déclaration de Chela poussa Guy à frapper son assiette avec sa fourchette. Oliver se mordit la lèvre.

  • Est-ce que les préfets essaient au moins ? Il va mourir de faim à ce rythme !
  • …Il n’est pas le seul, Guy. Je te suggère de manger, toi aussi, proposa Chela. —— Qu’est-il arrivé au garçon qui pouvait donner du fil à retordre à Nanao lorsqu’il s’agit de se goinfrer ?
  • Comment suis-je censé avoir de l’appétit quand mon ami a été kidnappé ?!

Guy avait tapé du poing sur la table de colère, amer de ne pas pouvoir se joindre à l’effort pour aider son ami. Pete était aussi l’ami d’Oliver, mais ce dernier faisait de son mieux pour rester calme.

  • Doucement, Guy. Il n’y a rien que nous puissions faire. Pour l’instant… on ne peut pas aider.

Mais malgré ses efforts, Oliver ne pouvait cacher la grande angoisse. Les deux garçons étaient également frustrés par leur impuissance. Ses émotions arrivant à ébullition, Guy se mit à parler fort :

  • Alors vous auriez dû me laisser me faire prendre aussi ! Au moins, si on était ensemble, j’aurais cuisiné quelque chose pour Pete !
  • Cesse de penser de la sorte, Guy. Tu ne peux pas manger si tu es mort.

La voix de la jeune Aziane était glaciale alors qu’elle poursuivait solennellement son repas. Guy se retourna vers elle.

  • …Qu’est-ce que ça veut dire, Nanao ?
  • Précisément ce que ça veut dire. Si toi ou Pete périssez, alors la seule nourriture que vous verrez sera les offrandes sur votre tombe.
  • Tu penses que Pete est mort ?!
  • Je ne peux pas le dire. Cependant, dans mon village natal, la grande majorité de ceux qui avaient disparu sur le champ de bataille furent retrouvés morts.

Guy était abasourdi, les épaules de Katie tremblaient. Ne voulant pas laisser passer cela, Oliver intervint.

  • Tu es trop pessimiste, Nanao. D’après ce que j’ai pu voir, les cibles se faisaient seulement capturer. Il doit y avoir une raison pour laquelle son maître voulait Pete vivant. Si on peut la découvrir, les chances qu’il survive augmenteraient.

Au fur et à mesure qu’il parlait, Oliver commençait à perdre confiance dans la part de spéculation et d’espoir qu’il avait dans ce qu’il disait. Le groupe était redevenu silencieux, jusqu’à ce que Katie marmonne quelque chose du bout de la table.

  • Qu’est-ce que… cette terrible personne voudrait-elle de Pete, alors ?

Le silence devient plus lourd. Personne ne pouvait trouver de réponse. Chela, qui avait mangé de manière presque robotique, se leva tranquillement.

  • …C’est l’heure. Je vais à notre prochain cours.
  • Hey ! Attends, Chela… !
  • Cela ne sert à rien de se disputer entre nous ici.

Elle coupa Guy sèchement et s’éloigna. Il regarda le sol et serra les dents ; ses mots étaient froids, mais elle avait sans doute raison.

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Plus il y pensait, plus cela devenait évident : S’ils étaient impuissants, alors leur seule option était de s’en remettre à quelqu’un qui pouvait accomplir ce qu’ils ne pouvaient pas.

  • Noll ?

La salle commune du troisième étage de l’école ne voyait que très rarement de première année. Mais, comme s’ils avaient prédit sa visite, les cousins d’Oliver l’attendaient. Gwyn lui lança un regard. Conscient d’avoir l’attention des élèves des classes supérieures, Oliver se rapprocha de la table de son cousin.

  • Permets-moi d’être direct, mon frère : Aide-moi à sauver Pete.

Oliver alla droit au but : il n’était pas nécessaire de les mettre au courant de la situation, étant donné qu’il leur avait déjà tout expliqué l’autre jour. Instantanément, le visage de Shannon se décomposa. Gwyn posa une tasse de thé chaude devant Oliver, puis répondit calmement.

  • Si tu nous demandes de participer aux recherches, alors nous avons assisté le président Godfrey depuis trois jours déjà, à sa demande. Mais en toute honnêteté… Les progrès ont été faibles. Le territoire de Salvadori est dans la troisième couche du labyrinthe. Si elle veut rester cachée, la trouver ne sera facile pour dire les choses crument.

Oliver resta silencieux. Il s’attendait à cette réponse. Bien sûr, les préfets avaient déjà contacté tous les élèves des classes supérieures prêts à participer à l’effort de recherche et de sauvetage. Pourtant, ils n’avaient toujours rien trouvé. Une sorcière se cachant dans les profondeurs du labyrinthe pouvait être une proie insaisissable. C’était clair comme de l’eau de roche.

  • Nous ne pouvons pas mobiliser nos alliés dans cette situation. Vous comprenez pourquoi… n’est-ce pas ?

Gwyn ajouta cela à voix basse pour que seul Oliver puisse l’entendre, parlant non pas comme son aîné, mais comme son vassal. Oliver fit signe de comprendre silencieusement. Leur lien et leurs plans ne pouvaient pas encore être dévoilés.

  • Ne t’en veux pas, Noll. Je fais de mon mieux pour aider, moi aussi, d’accord ?

Shannon avait tendu la main et l’avait doucement posée sur son poing serré. Oliver regarda son propre reflet dans le thé. Tout ce qu’il voyait en face de lui était un petit garçon faible.

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Naturellement, Oliver n’était pas le seul à aller quémander de l’aide. Ce jour-là, dès la fin de leur leçon d’arts de l’épée, le cri d’une fille résonna dans la vaste salle de classe.

  • S’il vous plaît ! S’il vous plaît, sauvez Pete ! supplia Katie, presque hystérique.

Maître Garland, leur instructeur des arts de l’épée, la regardait complètement imperturbable. Son visage était aussi raide qu’un masque, sans la moindre trace de son habituelle convivialité.

  • Je suis désolé, mais je ne peux pas. C’est une règle de l’école, Miss Aalto. Le personnel ne peut intervenir que lorsque la situation devient trop difficile à gérer pour les élèves. Dans le cas de Mr. Reston, nous ne sommes pas encore à ce stade.
  • Pas encore ? Nous n’avons aucune idée de ce qu’il est en train de subir en fait ! Que faudra-t-il pour que vous l’aidiez, alors ?! demanda Katie, livide.

Après quelques secondes, Garland répondit fermement.

  • La règle veut que le personnel puisse commencer à rechercher les élèves perdus dans le labyrinthe au bout de huit jours.
  • H-huit jours ?!

Ses yeux s’écarquillèrent sous le choc de ce chiffre totalement inattendu et déraisonnable. Garland semblait comprendre sa colère.

  • La raison est que les chances de survie diminuent considérablement après ce point. Cela peut paraître cruel, mais l’école ne veut pas que ses étudiants pensent que le personnel les sortira de n’importe quel pétrin. Dans le système de Kimberly, cela ne ferait qu’entraîner de plus grandes tragédies. Votre vie et votre mort sont votre propre responsabilité. C’est ce que la directrice vous a dit lors de la cérémonie d’entrée. C’est l’un de ces moments.

Ce fut sa décision finale. Katie fut complètement rabrouée ; ses épaules tremblèrent et sa tête resta baissée.

  • Je comprends…

Elle s’excusa et se retourna. Ses espoirs d’obtenir de l’aide d’un instructeur s’étaient envolés. Au lieu de cela, ses yeux brûlaient de détermination.

  • On devra donc se débrouiller seuls, alors.

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Oliver était arrivé à leur table habituelle et n’avait trouvé que Nanao assise là. Toujours aussi morose, il s’était assis à côté d’elle pour commencer à manger, bien que le cœur n’y était pas.

  • Salut par ici. Étrange époque à laquelle nous vivons, hein, Oliver ?

Presque instantanément, quelqu’un l’interpela par-derrière. Oliver avait levé la main mollement, mais ne s’était pas retourné. Il n’y avait aucun doute sur cet accent unique. Tullio Rossi, encore en train de récupérer à cause de leur duel dans le labyrinthe, s’avança pour se placer juste à côté d’Oliver.

  • Je suis sûr que tu l’as déjà remarqué, mais le tournoi est en pause. L’école tout entière est affolée à cause de l’état d’urgence. Ce n’est pas le moment pour les première année d’aller s’aventurer je ne sais où, n’est-ce pas ? C’est vraiment dommage… Albright, Willock, et même Pete ont été kidnappés, si je ne m’abuse ?

Oliver n’avait pas vraiment envie de lui parler, alors il se contenta d’un bref signe de tête. Rossi l’étudia un moment, puis renâcla.

  • Pas besoin d’avoir l’air si abattu. Petit conseil, tu ferais mieux de ne pas avoir d’idée bizarre, comme aller sauver Pete de ton côté.

Oliver répondit par un autre silence. Après tout ce temps, il était impossible qu’il n’y ait pas pensé une ou deux fois. Mais Rossi le savait et il continua.

  • Ça n’a rien à voir avec nos petites querelles de première année. Cette fille est une Salvadori. Nos ainés qui la recherchent risquent leur vie, non ? Alors qu’est-ce que ton groupe peut faire au juste ? Non pas que je sois en position de te faire la morale, mais voilà…
  • ……
  • De plus, Pete et toi ne vous connaissez pas depuis longtemps. Ça ne sert à rien de faire copain-copain avec les autres. Les gens peuvent perdre la vie n’importe quand à Kimberly, alors il faut savoir faire le deuil au risque d’être davantage blessé.

Un étudiant de Kimberly ne trouverait rien à redire à son raisonnement. Oliver serra les dents et fixa son assiette. Rossi soupira, puis se retourna.

  • J’avais le sentiment que tu n’apprécierais pas que je m’en mêle. Mais tu sais, je n’aimerais pas te voir tué si rapidement. Je m’ennuierais tellement.

Et avec ça, il disparut dans la foule du réfectoire. Oliver se sentait pathétique ; ses ongles s’enfonçaient dans la nappe. Avait-il vraiment l’air si désespéré que même un serpent comme Rossi ressentait le besoin de le réconforter ?

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  • …Oliver, tu as un moment ?

Après avoir laissé Nanao à la cafétéria, Oliver errait seul dans les couloirs jusqu’à ce qu’une voix l’interpelle. Il se retourna pour voir Chela, avec un visage de marbre.

  • Oui, bien sûr.
  • Par ici.

Elle l’avait poussé vers un endroit plus isolé. Ils s’arrêtèrent dans un coin, et Chela reprit la parole.

  • D’abord, j’ai de mauvaises nouvelles. On ne pourra pas espérer l’aide des professeurs. Du moins, pas avant cinq jours.
  • …As-tu parlé au professeur McFarlane ?
  • Oui. J’ai même essayé d’user de mon lien de sang pour le faire agir.

Elle s’arrêta une seconde, les épaules tremblantes.

  • Mon père m’a dit ça : « Si tu n’as pas le pouvoir de les protéger, alors le moment où tu te fais des amis est également le moment où tu les perds. C’est la vie ici à Kimberly ».
  • ……

Oliver ne trouva rien à dire. Chela a dû être aussi sans voix quand son père avait prononcé ces mots. Oliver resta silencieux, mais Chela releva la tête.

  • J’ai pensé que je devais t’informer, mais je compte me diriger vers le labyrinthe ce soir, annonça-t-elle.
  • — ?!

Oliver avait du mal à en croire ses propres oreilles. Mais les yeux de Chela débordaient de détermination et il comprit qu’il ne pouvait pas se tromper.

  • Tu es folle, Chela ? C’est du suicide.
  • Je sais. Naturellement, je vais d’abord demander de l’aide aux aînés. Beaucoup d’étudiants ici ont des liens avec les McFarlane d’une manière ou d’une autre, donc je suis sûre que je trouverai quelqu’un.

Chela essaya d’expliquer qu’elle n’allait pas se rendre aveuglément vers sa propre tombe. Elle ne pouvait peut-être pas compter sur son père, Théodore, mais elle avait un bon nombre de relations sur le campus. Oliver était conscient de cela. Mais il avait quand même objecté.

  • C’est juste une raison de plus pour laisser les élèves de classe supérieure s’en occuper. Tu l’as dit plus tôt.
  • …Quand Pete a été capturé, c’est moi qui t’ai empêché de retourner l’aider. Je porte une certaine responsabilité dans cette situation.
  • Ne sois pas ridicule ! Les choses étaient différentes à ce moment. Je devrais être le seul à——

Il avait élevé la voix, mais Chela pressa son index sur ses lèvres, le faisant taire.

  • Écoute-moi. C’était… un calcul.
  • …Un quoi ?
  • Je pesais le risque de retourner l’aider et de nous faire tous tuer, par rapport à nos chances de survie si on l’abandonnait. Je n’arrivais pas à trouver un moyen efficace de s’occuper de cette chimère. Le seul petit détail que j’ai pu entrevoir était qu’elle ait été créée pour capturer ses proies vivantes. J’ai supposé qu’elle ne tuerait pas immédiatement Pete.

Elle révéla ce qui lui avait traversé l’esprit cette nuit-là–- la panique de voir ses amis en danger et la logique froide que tout mage adulte calculateur possédait au fond de lui.

  • La meilleure solution que j’ai trouvée à ce moment-là était de sortir du labyrinthe avec le moins de pertes possible, puis d’appeler les élèves de classe supérieure à l’aide. Je ne pouvais donc évidemment pas te laisser y retourner. Si tu y allais, Nanao t’aurait suivi. Et les autres aussi, je suppose.

Oliver ne pouvait pas le nier. C’était la même raison pour laquelle il s’était arrêté, lui aussi.

  • J’avais envisagé nos chances si nous travaillions tous ensemble, mais le risque de nous voir mourir semblait bien plus grand. Il n’y avait pas que cette chimère là-dessous. On aurait pu être attrapés par d’autres bêtes en essayant de sauver Pete, et les autres, ou d’avoir notre chemin détruit et être piégés… Tant de mauvais scénarios m’ont traversé l’esprit de manière très vive.

Elle termina son discours calmement, puis baissa la tête. Oliver, qui avait été contraint au silence, remarqua que ses épaules tremblaient.

  • Et— j’ai pesé la valeur de la vie de notre ami.

Sa voix était emplie de dégoût de soi et de regret. Oliver déglutit. Chela s’était comportée comme la plus calme d’entre eux depuis l’enlèvement de Pete, mais la vérité était qu’elle en était la plus torturée.

  • S’il te plaît, laisse-moi rattraper mon erreur. Sinon, je ne pourrai plus jamais regarder Pete dans les yeux.

Elle sous-entendait que c’était son expiation. Il n’y avait pas moyen qu’il puisse rester assis et la regarder faire ça. Ses pensées encore confuses, Oliver répondit instinctivement.

  • … Je viens aussi.
  • Non, tu ne viens pas. Si tu ne restes pas, les trois autres vont immédiatement nous suivre dans le labyrinthe.

Elle secoua la tête, se retenant de prononcer le reste du message à savoir  « Je ne vais pas entraîner quelqu’un de plus vers la mort ». Cependant…

  • …Oh–-

Il était inutile d’essayer de la convaincre par les mots, alors Oliver l’avait attrapée par les poignets. Chela semblait désorienté, mais il serra plus fort afin de garder la main. Il verrouilla ses yeux vacillants avec les siens.

  • Je ne vais pas te laisser partir seule, cria-t-il à moitié. —— Pas de mon vivant !
  • Oliver…

Chela était restée complètement immobile, un mélange de tristesse et de désir s’étalant sur son visage. Tous deux à court de mots, sentant simplement la chaleur de la peau de l’autre, un long silence s’installa entre eux.

  • Un suicide ou deux, quelle différence ?

Une voix totalement inattendue brisa le silence. Surpris, Oliver et Chela se tournèrent vers la source pour découvrir une fille aux cheveux bouclés à l’air stressé et, debout à côté d’elle, une élève de classe supérieure au sourire bienveillant, Vera Miligan.

  • Miss Miligan ?! Mais pourquoi ?
  • En effet, pourquoi ?

Le regard de Miligan se porta sur son côté, faisant maladroitement détourner les yeux de Katie. Chela, rassemblant les pièces du puzzle, lui lançant un regard noir.

  • Katie… ne me dis pas que tu…
  • ……

Le silence de Katie en disait long. À sa place, la sorcière aux yeux de serpent expliqua sèchement.

  • « Vous pourrez faire autant d’expériences que vous voulez sur mon corps, mais sauvez mon ami ! ». Vous avez vraiment un groupe très soudé, n’est-ce pas ? Bien trop pur pour que mon œil démoniaque puisse le voir.

C’était à peu près ce qu’il avait imaginé. Oliver fixa Katie d’un regard noir.

  • Tu vends ton corps, Katie ?!
  • …Je le fais, si cela signifie que je peux sauver mon ami.
  • Katie… Honnêtement, qu’est-ce que je vais faire de toi… ?

Étourdie, Chela se tenait le front dans sa main. Oliver jeta un regard furieux à la sorcière aux yeux de serpent.

  • Je suis désolé, Miss Miligan, mais j’ai besoin que vous décliniez sa demande dès maintenant.
  • Oliver ! C’était ma décision !
  • Oui, je le sais. Tu l’as prise toute seule, sans nous consulter.

Il ne fit aucun effort pour cacher sa colère. La voix de Katie fut fluette.  Miligan, cependant, ne semblait pas gênée par la tension qui régnait dans l’air.

  • Je me doutais que cela allait arriver, dit-elle. ——, Mais qu’est-ce que vous avez prévu exactement ? Aucun d’entre vous n’a l’intention d’abandonner votre ami. Vous êtes tous décidés à aller sauver Pete, peu importe les méthodes que vous devrez employer, n’est-ce pas ?
  • ……

Oliver se mordit la lèvre. Il ne connaissait que trop bien la douleur qui avait poussé Katie à prendre sa décision irréfléchie. Ils ne pouvaient plus rester sur la touche ou hésiter. Pete pourrait être en train de crier à l’aide en ce moment même.

  • Vous avez de bonnes intentions, mais je ne crois pas en vos chances, poursuivit Miligan. —— Le président Godfrey et tous les élèves des favorables à la cause ont déjà été mobilisés pour maîtriser la situation. Vous n’avez pas ce qu’il faut pour jouer les héros. Cela dit, je compte me diriger vers le labyrinthe ce soir.

Recevant la réalité en pleine face, les trois amis se turent. Miligan haussa les épaules.

Parlons-en franchement. Pour le meilleur ou pour le pire, je vous suis toujours redevable pour ce qui était arrivé la dernière fois avec Katie. Je peux vous aider gratuitement.

La sorcière tenta de les apaiser. Oliver partagea un regard avec Chela et, après une légère hésitation, accepta son offre.

  • …Quel est, selon vous, le meilleur moyen d’augmenter les chances de survie de Pete ?

Il était tellement concentré sur le fait de sauver Pete, qu’il n’avait réfléchi à aucun moment à un plan. Maintenant qu’il était conscient de son erreur, il demanda une réponse à Miligan. Elle croisa les bras et réfléchit.

  • Hmm, bonne question… L’option la plus sûre serait de ne pas interférer avec les étudiants déjà impliqués dans l’effort de recherche. Ils ne laisseront pas quelqu’un tuer un élève de première année sans se battre. Et je suis sûr qu’ils font de leur mieux pour ramener tout le monde sain et sauf.
  • …Je ne le nie pas. Cependant, même si nous leur laissons tout faire, quelles sont les chances qu’ils réussissent, demanda Chela, en maudissant sa propre inefficacité.

Miligan réfléchit pendant quelques secondes.

Cela dépend de la façon dont vous interprétez la situation. Si tu te demandes s’il est probable que les personnes enlevées soient toujours en vie, même après tout ce temps, les chances sont plutôt bonnes. Mais si on tient en compte le fait qu’ils ont été enlevés par un étudiant consumé par le sort, cela change la donne.

Oliver s’en doutait. C’était bien plus compliqué qu’un simple accident.

  • Tu peux probablement trouver des chiffres en te basant sur les cas passés, mais chacun est tellement différent que les calculs ne voudront pas dire grand-chose. Si tu veux vraiment déterminer les chances de survie de Pete, tu dois analyser complètement l’état dans lequel il se trouve actuellement.

Katie et Chela se sont mises à réfléchir. Oliver était d’accord avec elle. C’était l’une des premières choses qu’ils devaient déterminer : À quoi Pete avait-il affaire exactement ? Quels étaient les dangers ?

  • …Ophelia Salvadori est dans ta classe, n’est-ce pas ? demanda Oliver, en relevant la tête alors qu’il se souvenait de ce fait. La sorcière aux yeux de serpent se mit à sourire.
  • Bonne déduction. Oui, en effet, je la connais. Malheureusement, nous n’étions pas ce que l’on pourrait appeler des amies, mais je peux quand même imaginer ce qui lui arrive en ce moment.

Les trois amis regardèrent Miligan avec de l’espoir dans les yeux alors qu’elle leur exposa ses connaissances

  • Et si on utilise ça pour calculer les chances de survie de Pete… on obtient vingt pour cent, au mieux, déclara-t-elle platement.
  • …… !
  • Salvadori n’a aucune raison de laisser Pete partir vivant, ni même la présence d’esprit pour l’envisager. Consumée par le sort comme elle est, elle utilisera tous les outils à sa disposition afin de faire avancer ses recherches. Rien n’est au-dessus du sacrifice pour elle. Elle brûlerait les personnes enlevées comme si elles poussaient sur des arbres.

Oliver et les filles regardèrent leurs pieds et serrèrent les dents, essayant de combattre le sentiment de désespoir qui les envahissait. La plupart des propos de Miligan n’étaient que pure spéculation, et pourtant, ils étaient frappés avec une force surprenante. Leur espoir de voir Pete revenir vivant s’évanouit rapidement. Puis, comme s’il attendait le bon moment, Miligan continua.

  • Je dis 20% parce que je peux imaginer comment elle utilise ces vies, aussi. Le domaine de recherche dans lequel Ophelia est spécialisée ne nécessite pas qu’elle les tue immédiatement. Ils ne sont pas utilisés comme des sacrifices, mais comme du carburant.

Ils avaient compris le sens de cette comparaison. Dans les deux cas, le sujet serait tué, mais dans le second, il mettrait du temps avant d’être complètement consumé.

  • Vous comprenez, n’est-ce pas ? C’est une course pour voir si Godfrey et les autres préfets peuvent les sauver à temps. Non seulement ils doivent jouer à cache-cache dans le vaste labyrinthe, mais on ne peut pas nier le désavantage que représente pour eux le fait de jouer les traqueurs. Salvadori a soigneusement planifié cela depuis un moment.
  • Alors à plus forte raison, ils devraient recevoir autant d’aide que possible. Notre implication n’augmente-t-elle pas les chances de survie de Pete ? demanda Chela, une main sur sa poitrine en signe d’inquiétude.

Mais Miligan secoua immédiatement la tête.

  • Je ne crois pas. En fait, cela diminuerait probablement son taux de survie. Si vous faites quelque chose d’imprudent en vous retrouvant en danger, l’équipe de secours devra utiliser de ses ressources afin de vous venir en aide.
  • ……

Chela se mordit la lèvre et regarda le sol. Elle ne pouvait pas contester cette impuissance, et ses deux amis n’étaient pas différents.

  •  Si vous parvenez à ne pas leur faire obstacle, ces 20 % de chances de victoire pourraient se transformer en 20,1 % de chances.

Les têtes se levèrent instantanément à l’unisson à ce propos. Oliver étudia le sourire malicieux de Miligan avec méfiance.

  • …Qu’est-ce que cela veut dire ?
  • Je dis que vous avez un mince espoir, en fonction de votre entraînement. Ce n’est que mon opinion, bien sûr.

La sorcière regarda Oliver et Chela pendant une seconde, puis ferma les yeux.

  • Changeons de sujet. En vérité, mes recherches ont atteint un plafond.

Cet aveu soudain les choqua. Miligan poursuit avec une note d’amertume.

  • C’est évident. Maintenant que ma source inépuisable de demi-humains a disparu, je ne peux pas continuer à utiliser mes anciennes méthodes. Le professeur Darius s’occupait de tous mes besoins, mais il a disparu. Le président Godfrey est aussi sur mon dos à cause de notre précédent incident. Mes mains sont fondamentalement liées.

Oliver était rongé par l’anxiété, mais il ne laissa pas une seule goutte de sueur couler de son visage, se sommant de rester calme. Darius Grenville était un instructeur de Kimberly, et l’importance de sa position signifiait que sa disparition affecterait de nombreux secteurs de l’académie. Naturellement, Miligan, qui avait reçu son soutien, y faisait référence.

  • Heureusement, il y a un côté positif. Vous voyez, je m’intéresse aussi aux études sur la communication interespèces, tout comme Katie. Vous vous souvenez tous de la dernière clé du succès de l’intellectualisation de notre ami troll, n’est-ce pas ?

Marco le troll, qui avait été placé sous la garde de Katie, leur vint à l’esprit. Ils avaient été séparés dans le labyrinthe, et aucun d’entre eux n’avait la moindre idée de ce qui lui était arrivé. Après que Miligan a endommagé son cerveau, ce n’est que grâce aux tentatives de communication de Katie qu’il avait appris à parler la langue humaine, créant ainsi une relation de confiance absolue.

  • Dans le but d’explorer un nouveau domaine, j’ai proposé à Katie de devenir ma co-chercheuse. C’est pourquoi je lui ai donné un atelier entier, comme une sorte de base pour avoir un point de départ. Je voulais passer pour un mentor gentil et généreux.

Sa franchise fit froncer les sourcils d’Oliver. Elle n’avait vraiment pas froid aux yeux. Avait-elle oublié le moment où elle avait kidnappé Katie pour lui ouvrir le crâne ?

  • C’est pourquoi, même si tu ne l’avais pas arrêtée, Oliver, j’aurais de toute façon rejeté l’idée de Katie. Ce serait un tel gâchis de ne pouvoir récupérer son cerveau qu’une fois morte.

La sorcière aux yeux de serpent sourit et marqua une pause. Un instant plus tard, elle continua.

  • Voici donc ma proposition. Je vais tous vous former jusqu’à ce que vous soyez au moins capables de participer à l’effort de sauvetage. Bien sûr, je vous aiderai aussi à chercher Pete et vous guiderai dans le labyrinthe.

Trois paires d’yeux la fixaient, incrédules. Oliver et ses amis réfléchirent à l’offre inattendue de Miligan.

  • En échange, une fois que cette situation sera réglée, Katie deviendra ma co-chercheuse.
  • …Huh ?

Katie fit un couinement en guise de surprise à la condition ajoutée. Oliver intervint avant qu’elle ne puisse poursuivre.

  • Par « co-chercheuse », que voulez-vous dire exactement ? demanda-t-il.
  • Littéralement ce que cela veut dire. Nous serons des partenaires de recherche dans le même domaine, répondit Miligan. —— Souvent, cela implique une relation professeur-élève, mais dans ce cas, nous serons égaux. Je n’ai aucune expérience dans ce domaine, voyez-vous. Bien sûr, nous ferons nos recherches ensemble et Katie pourra profiter de mon expertise si elle est pertinente. La seule chose qui la limitera sera sa propre volonté et la quantité d’efforts fournie. Alors, qu’est-ce que tu penses de ça ? Pas besoin de vendre des corps, non ? De plus, cet accord est très bénéfique pour les deux camps.
  • J’accepte ! dit Katie en levant immédiatement la main tout en regardant Oliver et Chela. —— Je ne vais pas vous laisser m’arrêter ! C’est un super marché, vous le savez très bien !

Son regard féroce n’admettait aucune opposition. Il leva les mains, abdiquant.

  • Calme-toi, Katie. Tu as raison, cela semble être un bon marché. Trop bon à mon goût… Miss Miligan, est-ce là vraiment tout ?

Il fixa du regard la sorcière aux yeux de serpent alors qu’il exprimait ses doutes. Il n’était pas prêt à prendre un tel marché au pied de la lettre, pas à Kimberly, et surtout pas venant de la part de Vera Miligan.

  • Si tu me demandes si j’ai d’autres motifs, alors oui, j’en ai. Beaucoup, en fait. Mais tu devras les découvrir par toi-même. Ne me faites pas aveuglément confiance, pesez le pour et le contre et décidez si cela en vaut la peine. C’est à ça que ressemble une transaction entre mages.

Elle les sermonna comme les mages inexpérimentés qu’ils étaient ; les expressions d’Oliver et de Chela se durcirent tandis qu’ils considéraient son offre. Elle avait raison, bien sûr. Tous les mages ont des secrets. Il ne suffisait pas de placer leurs espoirs dans ses bonnes intentions et ils devaient être prêts à chercher les moindres détails pour pouvoir jeter un coup d’œil aux coulisses.

  • ……

Oliver chercha donc un motif. Qu’est-ce que Miligan avait à gagner de cette affaire, en plus d’une amélioration de sa relation avec Katie ?

  • Cela vous permet de vous rapprocher de Nanao, aussi, n’est-ce pas ?

Il mentionna avec assurance la première chose qui lui vint à l’esprit. Chela et Katie semblaient confuses, mais Miligan, qui avait personnellement fait l’expérience de la lame magique de Nanao, courba les coins de ses lèvres en un sourire enjoué. C’était en plein dans le mille.

  • Non pas que je sois capable de faire quoi que ce soit de vilain avec toi dans les parages, dit Miligan en haussant les épaules avant de revenir au sujet. —— Gardez à l’esprit que même si vous acceptez, il n’y a aucune garantie que Pete ou vous ne revenez vivants.

Aussi effrayant que cela puisse paraître, cela semblait être un avertissement sincère pour Oliver et Chela. Après tout, ils essayaient de sauver leur ami de la Ophelia Salvadori. Bien sûr, ils risquaient leur vie.

  • Mais cela nous donne encore une chance ! … Faisons-le ! Oliver, Chela, sauvons Pete !

Katie, totalement décidée, poussa ses deux amis à la rejoindre. Miligan, cependant, la coupa dans son élan.

  • Désolée de te décevoir Katie, mais tu ne peux pas venir avec nous.
  • Quoi ?!

—   Pour être tout à fait honnête, tu n’es pas encore assez mûre. Ta présence en dessous de la deuxième couche ne ferait que nous gêner. Je vais emmener Mr. Horn, Miss McFarlane et Miss Hibiya. Ce n’est pas négociable.

Katie était abasourdie par cette soudaine mise à l’écart. Oliver et Chela se regardèrent. Ils réfléchirent avant de tous deux hocher la tête….

—   Très bien.

  • Pas d’objection.

—   Quoooi ?! A-Attendez une seconde ! C’était mon idée !

—   Doucement, Katie, dit Miligan. Nous avons toujours besoin de toi dans l’enceinte de l’école. Voyager vers la troisième couche n’est pas un simple départ en weekend. Tes amis auront besoin de quelqu’un pour prendre des notes en classe.

Miligan posa une main sur l’épaule de Katie et essaya de l’apaiser. Oliver l’avait rejoint.

  • Désolé, Katie, mais on peut te demander ça ? Je te promets qu’on ramènera Pete et Marco.
  • Ohhh… J’y crois pas !!

Katie était au bord des larmes. Chela se jeta sur elle pour la prendre dans ses bras.

  • S’il te plaît Katie, insista-t-elle, sa voix tremblante. —— Fait ce qu’on te dit. On ne peut absolument pas t’emmener. Tu acceptes bien trop de vouloir te sacrifier.

Oliver était tout à fait d’accord. Ils firent de leur mieux pour consoler leur amie sanglotante. Pendant ce temps, Miligan s’était retournée.

  • C’est donc réglé. Retrouvons-nous ici dans deux heures. Prenez Miss Hibiya pour moi, voulez-vous ? Et soyez prêt.

Avec cela, la sorcière aux yeux de serpent partit. Oliver jeta un coup d’œil à Chela par-dessus la tête de Katie, et elle hocha la tête.

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Chela et Katie quittèrent l’école afin de se diriger vers le  dortoir des filles. À leur arrivée devant la chambre de Nanao, Chela frappa doucement à la porte.

  • …C’est moi. Puis-je entrer, Nanao ?
  • Entre.

La réponse fut immédiate. Chela et Katie ouvrirent lentement la porte et entrèrent dans la pièce. Elles furent choquées. Nanao était assise sur ses genoux et les attendait, les sacs faits et prête pour une descente dans le labyrinthe.

  • C’est l’heure de partir, alors ?

Ses yeux s’écarquillèrent. Chela et Katie étaient déconcertées.

  • Tu as déjà préparé tes affaires… ?
  • Je savais que vos cœurs étaient prêts au moment où tout cela a commencé. J’ai simplement attendu votre convocation.

Nanao était descendue du lit pour se tenir devant eux. Chela avait préparé tout un discours qui n’était plus nécessaire, mais l’absence de préambule donnait un ton plus grave à sa prochaine question.

  • Comme je l’ai dit plus tôt, nous devons nous attendre au pire. Es-tu toujours prête à partir ?

Elle devait le demander. Au petit déjeuner, Nanao avait fait remarquer que rien ne prouvait que Pete fût encore en vie. Risquer leurs vies pour s’aventurer dans le labyrinthe et le sauver pouvait s’avérer être une perte de temps ou pire, ils se mettraient dans une situation où ils auraient besoin d’aide. La jeune fille aziane acquiesça sans hésiter. Un sourire terriblement serein se dessina sur ses lèvres.

  • Peu importe le résultat, c’est la même chose. Que l’on aille secourir un ami ou récupérer un cadavre.

Les poitrines de Chela et de Katie se serrèrent. Sur les champs de bataille auxquels Nanao avait survécu avant de rejoindre l’école, cela devait être normal.

  • …Je suis désolée, Nanao… Je ne peux pas y aller…

Katie s’excusa les larmes aux yeux, puis serra le bras de Nanao. Chela avait expliqué le plan de Miligan, et Nanao acquiesça en souriant.

  • Toi et Guy allez couvrir nos arrières ici alors. Je vous confie nos cours à tous les deux.
  • …Oui, tu peux compter sur nous ! Vous aurez tous les meilleures notes qui soient !

Katie essuya ses larmes tout en promettant de faire de son mieux et serra son amie très fort dans ses bras. Elles allaient certainement se retrouver. Son combat se résumait à attendre et à croire en eux.

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  • Je ne peux pas venir aussi ?

Pendant ce temps, dans le dortoir des garçons, Oliver avait expliqué la situation à Guy. En réalisant qu’aucune supplication ne lui permettrait d’aider à la recherche de Pete, Guy baissa ses épaules et poussa un grand soupir.

  • …Je déteste dire ça, mais je ne peux pas nier pouvoir être un poids.
  • Guy…
  • Tiens… prends ça.

Guy récupéra des choses sur le dessus de son lit et les tendit à Oliver : un certain nombre d’objets épais, ronds et enveloppés et quelques pochettes à cordon remplies à ras bord. Il expliqua leur contenu alors qu’Oliver les lui prenait.

  • Ce sont mes meilleures rations, plus quelques paquets de graines de Plantoutils que j’ai élevées et récoltées. C’est grâce à elles que j’ai pu fabriquer instantanément la barricade de l’autre jour. Je suppose que tu sais comment les utiliser.
  • …Ouais, cette barricade a très bien fonctionné. Je m’assurerais de les utiliser si le besoin s’en fait ressentir.

Oliver sourit et hocha la tête, acceptant avec reconnaissance l’aide de son ami. Guy continua, légèrement en sourdine.

  • Les rations devraient être bien meilleures que tout ce que l’on peut acheter en boutique… Et puis, il faut bien manger, non ? Autant que ça ait bon goût. Assure-toi d’en garder une pour Pete, aussi. Je parie qu’il est affamé.

Il s’arrêta là, mais au bout d’un moment, le silence lui parut trop pesant, et il se passa les mains dans les cheveux.

Oliver ne comprenait que trop bien sa douleur. Si leurs positions étaient inversées, il aurait probablement ressenti exactement la même chose.

  • Ahhh, bon sang ! Je hais qu’on me dise de rester derrière. C’est pathétique… Écoute, ne fais pas de folie. Je suis sérieux là !

Sa voix s’était brisée quand il attrapa Oliver par les épaules. Ses doigts le pressèrent douloureusement, mais Oliver se contenta de seulement hocher la tête avec confiance.

  • Je te jure que nous reviendrons tous vivants, y compris Pete.

Il promit de survivre afin de pouvoir revoir son ami au grand cœur.

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Un peu plus tard, à l’heure et à la salle désignées par Miligan, Oliver et Guy arrivèrent pour trouver un tas de visages familiers.

  • Nous sommes tous là, alors. Vous n’avez pas encore fait vos adieux ?

Miligan dit cela en souriant à Guy et Katie, qui ne faisaient pas partie de l’équipe de secours.

  • Ça n’a pas d’importance pour moi, mais faites-le au moins en silence. L’école étant en état d’urgence, les élèves de deuxième année et moins ne sont pas autorisés à entrer dans le labyrinthe. Si les préfets nous attrapent, ne vous attendez pas à de simples réprimandes.

Sur cet avertissement, la sorcière tourna les talons et se dirigea vers le hall. Les cinq amis lui emboîtèrent le pas. Se déplaçant sans bruit et avec précaution, ils montèrent au deuxième étage, se cachant dès qu’un élève plus âgé arrivait. Il leur fallut dix minutes pour atteindre la salle de classe de leur destination. Sur le mur se trouvait une peinture représentant un ciel nocturne où Miligan s’arrêta juste devant.

  • Ce sera notre entrée ce soir. Il est possible d’être attaqués dès notre arrivée alors je vais y aller la première. Oh, mais avant cela…

Elle se retourna soudainement et sortit un objet de la poche de sa robe pour le tendre à Katie.

  • Katie, prends soin de Milihand. Pense à elle comme à mon testament.
  • …Huh ?

Katie accepta instinctivement l’objet, mais se figea au moment où elle regarda la chose qu’elle tenait, à savoir, une main coupée. La main gauche de Miligan pour être précis, sectionnée par Nanao et ayant pour particularité d’héberger l’œil du Basilic. Par un sombre enchantement, Miligan lui avait donné une vie artificielle pour en faire son familier. L’œil de Basilic au centre de sa paume fixait Katie. Il semblait presque amical.

  • Si je ne reviens pas ici vivante, elle te servira de clé pour lire les résultats de mes recherches. Elle peut être un peu capricieuse parfois, alors soit gentille avec elle.
  • Qu-Quoi… ? A-Attend une seconde !

Milihand se faufila le long du bras de Katie jusqu’à son épaule, déterminant que c’était sa place pour s’y assoir. Oliver soupira. La main désincarnée semblait avoir la même affection pour Katie que son maître.

  • Merci. Bye !
  • Attends… !

Miligan se glissa dans le tableau malgré la confusion de Katie. Maintenant, c’était leur tour. Katie eut du mal à trouver les bons mots, alors Chela et Oliver lui sourirent de façon rassurante.

  • Ça va aller Katie, dit Chela. —— Je ne laisserai personne mourir.
  • Moi non plus. Tout est prêt, Nanao ?

Mentalement prêt, Oliver se tourna vers la fille à côté de lui pour une dernière confirmation. Nanao hocha la tête sans la moindre hésitation.

  • Je suis née prête. Maintenant, au combat !

À son signal, tous les trois sautèrent dans le tableau.

  • ……
  • ……

Même après leur départ, laissant une salle de classe sombre et silencieuse, Guy et Katie continuèrent à fixer la peinture un bon moment.

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