Exploration du Labyrinthe
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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Six mois s’étaient écoulés depuis la rentrée scolaire, et donc naturellement, chaque classe commençait à voir ses niveaux se dessiner. Les plus expérimentés devançaient forcément ceux qui l’étaient moins, mais même parmi ceux qui avaient un même niveau depuis le début, un fossé avait commencé à se former. Cela se voyait surtout dans les matières où il y avait des confrontations directes entre étudiants.
- Hyah !
- Ouah !
L’enthousiasme des deux étudiants emplissait la grande salle. Leurs camarades de classe avaient formé un cercle autour d’eux. Ils regardèrent Guy porter audacieusement un coup sur la tempe de son adversaire. Garland, l’arbitre, leva le bras.
- Un point. Le match est terminé. Mr. Greenwood, vous faites preuve de talent, mais vous semblez traiter l’épée plus comme une massue.
- Désolé professeur. J’ai grandi à la campagne.
- Non, j’applaudis votre prise de décision rapide. C’est bien mieux que d’avoir constamment la queue entre les jambes. Mais si vous n’affinez pas davantage votre technique, j’ai bien peur que vous n’ayez aucune chance face à un élève plus âgé. Ne laissez pas cette victoire vous satisfaire. Je vous suggère de travailler la technique dès que possible.
Guy hocha la tête. Garland reporta alors son attention sur l’adversaire de Guy.
- Si vous aviez vu clair dans cette technique grossière Mr. Martin, vous auriez eu de bonnes chances de victoire. Ce n’était pas une mauvaise idée de jouer la défense, mais une fois que vous laissez la pression vous atteindre, cette chance disparaît. Allez acquérir plus d’expérience, vous gagnerez ainsi en confiance.
- Oui Monsieur…
L’étudiant nommé Martin regarda le sol avec frustration. L’instructeur des arts de l’épée sourit de manière encourageante, puis reprit la parole.
- Bon. Mr. Hughes, Mr. Reston, avancez.
- Oui, monsieur !
- O-oui, monsieur !
Les deux étudiants s’approchèrent. Le visage du garçon à lunettes était raide à cause de la nervosité. Oliver l’observa depuis la ligne de touche. C’est loin d’être idéal. Il a un style de combat décent, mais il est toujours un peu trop nerveux.
- Commencez !
Presque dès l’instant où Garland donna le signal, Pete se précipita en avant. « Uh-oh » pensa Oliver. Les actions de Pete le rendaient bien trop prévisible.
- Dyah !
Pete para l’athamé de son adversaire, puis, bascula en avant pour le poignarder. C’était une combinaison d’arts de l’épée basique. Et grâce à la pratique assidue de Pete, ses mouvements furent rapides et vifs.
- … Uwah ?!
Malheureusement, il fut tellement concentré sur son attaque qu’il en oublia de regarder le sol. Un pilier de roc jaillit sous les pieds de Pete ce qui le fit basculer en avant. Quand il se releva, énervé, l’athamé de son adversaire fut déjà porté devant son visage.
- Un point. Le match est terminé. J’apprécie que vous soyez passé à l’offensive, Mr. Reston, mais vos efforts furent plutôt vains. Ne précipitez pas le combat. Développez votre vision.
Garland faisait part de ses observations à chaque fin de duel. Après avoir conseillé Pete, il se tourna vers l’élève en face de lui.
- Excellent travail de lecture sur l’agression initiale adverse. Belle utilisation du pilier de roc Mr. Hughes. Mais rappelez-vous qu’il ne faut pas regarder le sol. Si Mr. Reston avait été plus calme, il aurait remarqué votre stratagème. Pratiquez votre magie spatiale afin de pouvoir l’activer sans détourner votre regard.
- Oui Monsieur.
Le garçon nommé Hughes hocha la tête et sortit de l’arène. Son ami lui donna une tape dans le dos et lui dit :
- Sans une goutte de sueur !
- Battre un surdoué issu d’une famille de non-mage ne vaut pas vraiment la peine de se vanter, répondit Hughes.
- … !
Les épaules de Pete se contractèrent. Contrairement aux personnes qui s’étaient moquées de Katie, ces deux étudiants ne lui voulaient pas de mal en particulier. Hughes n’essayait pas de rabaisser son adversaire. Il discutait juste honnêtement avec son ami. Cela rendit la piqûre encore pire pour Pete. Il ne valait même pas la peine d’être provoqué, car il n’était même pas considéré comme un adversaire digne.
- Je veux m’entraîner encore plus !
Incapable d’attendre la pause déjeuner, Pete rassembla ses amis et laissa échapper ces mots dès la fin du cours. Oliver et les autres étaient surpris, mais Pete continua.
- J’ai essayé de m’entraîner seul, mais l’écart entre moi et les autres ne cesse de se creuser. Je sais que c’est un doux rêve que de battre quelqu’un de plus expérimenté, mais je ne supporte pas d’être rabaissé par des gens qui ont commencé au même niveau que moi.
Pete grinça des dents. Oliver avait déjà eu un pressentiment à ce sujet. Pete écoutait toujours les instructions de Garland avec la plus grande attention, et il ne se lassait jamais de pratiquer ce qu’on leur enseignait. Et pourtant, tout le monde semblait être meilleur malgré ses efforts. Ce n’était pas étonnant qu’il soit si frustré.
- Dans le prochain cours, on va enfin commencer à incorporer des sorts dans nos duels. Si je ne peux même pas gagner avec juste une lame alors comment vais-je faire pour m’en sortir ? Si je ne fais rien maintenant, je resterai faible pour toujours.
Il baissa les yeux, déprimé. Oliver et Chela hochèrent la tête à l’unisson.
- J’ai réalisé que tu avais des problèmes. Si tu veux améliorer tes compétences, je t’aiderai bien sûr.
- En effet. Je suis content que tu sois venu nous voir pour ça, Pete. Ne t’inquiète pas : je prendrai sur moi pour faire de toi un excellent épéiste du style Rizett, promit Chela, la détermination dans les yeux.
Oliver fronça les sourcils.
- … Mmm ? Attends une minute, Chela. Compte tenu des cours passés, Pete ne devrait-il pas continuer à être formé dans le style Lanoff ?
- Mais c’est ce qui lui pose des problèmes, n’est-ce pas ? Il devrait explorer d’autres styles en amont pour voir ce qui lui correspond le mieux.
- Tu marques un point… Mais à en juger par le cours d’aujourd’hui, la technique de Pete n’est pas à un niveau où on peut déterminer ce à quoi il est apte. Il doit éviter tout raccourci facile. S’il apprend le style Rizett avant de maîtriser les bases, les techniques qu’il a apprises jusqu’à présent ne feront que se retourner contre lui.
- Je ne suis pas d’accord. En fait, je suis d’avis que le programme actuel des nouveaux élèves est trop orienté vers le style Lanoff. Et si je peux me permettre, cette politique consistant à enseigner à tout le monde le style Lanoff tout en ignorant les spécificités de chacun s’apparente à de la stagnation mentale, un péché mortel pour les mages.
Un débat féroce jaillit entre eux, laissant Pete coincé au milieu. Katie et Guy échangèrent des sourires maladroits.
- C’est reparti, grogna Katie.
- Ouais, convint Guy.
- Regarde, Nanao. C’est ici un différend classique que tu trouveras parmi n’importe quel groupe de personnes. C’est l’un des trois grands débats de notre société magique : lequel des trois styles de base est le meilleur ?
Nanao se pencha en avant sérieusement après avoir entendu cette explication. Le débat entre Oliver et Chela s’intensifiait, sans montrer aucune considération pour le fait que tout le monde les regardait.
- Je ne peux pas te laisser dire ça.
Oliver répliqua.
- Pour les débutants, le plus important est d’acquérir une solide maîtrise des bases. S’ils commencent avec le style Rizett qui est bien offensif, cela les amènera simplement à adopter une approche plus agressive. Tu aurais certes plus de victoires au début, mais il est plus facile de se faire avoir par un style téméraire. Il est alors possible de négliger ses propres lacunes.
- C’est un problème d’instructeur, pas de style, répliqua Chela.
- De plus, Pete ne recherche-t-il pas un sentiment concret d’amélioration plutôt qu’un enseignement solide ? Plus il restera longtemps sans victoire, plus il risque de perdre confiance avant même de pouvoir maîtriser les bases.
Ils se disputaient avec une égale férocité, sans qu’il n’y ait de fin en vue. Tandis qu’ils continuaient, la fille aziane marmonna quelque chose.
- … Si vous n’arrive pas à aboutir à une conclusion alors nous n’avons qu’à couper la poire en deux. Je m’occuperai de former Pete.
- Pas question !
- Absolument pas !
Oliver et Chela l’avaient stoppé net à l’unisson, comme s’il n’y avait jamais eu de dispute. Il n’y avait pas de débat : la maîtrise de l’épée de Nanao ne pouvait être reproduite par personne d’autre.
- Je comprends ce que vous dites. Alors pourquoi ne donneriez-vous pas tous les deux des cours à tour de rôle ? suggéra Katie.
- Chela peut lui apprendre l’attaque, et Oliver peut lui enseigner la défense. Pourquoi ne pas diviser le travail de cette façon ? ajouta Guy.
Aucun d’eux ne pouvait plus rester les bras croisés et regarder ça. Oliver, réalisant sa propre immaturité se mit à tousser.
- Si on s’organise, c’est ok. Je suis d’accord avec ce que dit Chela. Ce sentiment d’amélioration est important. Dans un sens, c’est le bon moment, puisqu’on est sur le point d’incorporer des sorts bientôt.
Chela hocha silencieusement la tête en guise d’accord. Oliver se retourna vers Pete.
- Pete. Ce que je vais t’apprendre maintenant, c’est un moyen de gagner un duel magique sans dépendre d’un seul style d’art de l’épée.
- Huh…?
Incapable de comprendre ce que disait Oliver, Pete était clairement confus. Oliver continua.
- Laisse-moi te demander comment on fait pour gagner un duel avec une lame et des sorts ?
Pete réfléchit une minute, puis donna sa meilleure réponse.
- … En battant son adversaire avec des techniques d’art de l’épée ?[1]
- Oui, c’est une méthode. Rien d’autre ?
- … Des sortilèges ?
- C’est une deuxième option. Rien d’autre ?
Il répéta la question, mais Pete ne trouva aucune autre idée. Alors Oliver en vint au fait.
- Il y a une troisième façon de gagner un duel magique. Dégaine ton athamé.
Oliver avait également dégainé le sien et s’était mis face à Pete. Ils étaient proches, à environ 1,5m l’un de l’autre. Encore une fois, Oliver lui posa une question.
- Que ferais-tu à cette distance ?
- … Attaquer avec ma lame.
Oliver hocha la tête à cette réponse, puis recula de deux mètres.
— Alors qu’en est-il à cette distance ?
- Lancer un sort, évidemment, répondit Pete instantanément.
Si son adversaire était hors de portée de son épée, alors en tant que mage, c’était la réponse évidente. Oliver acquiesça de nouveau, puis fit quelques pas en avant.
- Et à cette distance ?
- …!
Cette fois, Pete ne répondit pas si vite. À première vue, c’était une distance très gênante, car trop longue pour être considérée dans la distance d’un pas, un sort, qui leur avait été enseigné. Mais pas non plus au point qu’aucun sort ne puisse atteindre la zone. Toute attaque se heurterait en tout cas à un contre rapide.
- Imagine que nous sommes au plein milieu d’un duel et attaque-moi depuis ta position. Soit sérieux, déclara Oliver.
Après une petite hésitation, Pete dégaina son athamé avec conviction.
- TONITR— ?!
Son incantation fut interrompue à la toute dernière syllabe par une pointe de lame directement orientée vers sa gorge. Il ne pouvait rien dire de plus. Oliver s’éloigna du garçon sans voix et rengaina son athamé.
- Compris, Pete ? Il y a un instant, tu n’as pas perdu à cause de techniques d’art de l’épée. Ton sortilège n’a pas non plus échoué. Tu n’as pas eu le temps de l’exécuter.
- …
- Autrement dit, voilà la troisième méthode pour gagner. Celui qui comprend les limites du champ de bataille est le vainqueur. Tu peux l’observer assez souvent dans les combats réels.
La distance d’un pas, un sort était une expression facile, mais il n’y avait pas de mesure officielle pour cette distance. Cela changeait en fonction de la vitesse de chacun, de la longueur des bras et épées de chacun. Parfois même des positions adoptées. Dans ce cas, cela signifiait que la vitesse d’Oliver était plus rapide que la capacité de Pete à prédire son prochain mouvement grâce à sa technique Lanoff.
- Dans tous les duels magiques, on pourrait dire que comprendre la distance est une compétence de base ainsi qu’une technique secrète. Au moment où l’on calcule mal la distance d’un pas, un sort, même un expert devient vulnérable à un coup mortel. En revanche, si tu arrives et réussis à lire cette distance, c’est ton ticket pour la victoire. C’est la même logique qui a fait perdre Badderwell, qui était pourtant célèbre pour dégainer rapidement.
- ……
- Je ne te demanderai pas de calculer parfaitement cette distance à chaque fois. Bien maitriser la chose fait partie des grandes difficultés des duels magiques depuis des temps anciens. Évidemment, je n’ai pas perfectionné la technique. Mais il y a un monde entre ceux qui en sont conscients et ceux qui ne le sont pas. Si tu affrontes quelqu’un que tu ne peux pas battre dans les arts de l’épée ou en magie, viser cette ouverture te donnera une chance de victoire.
- ……!
L’expression de Pete changea une fois les pièces mises en place. Oliver sourit, puis continua.
- Pour ton entraînement, je vais t’apprendre ceci. Certaines personnes l’appellent la danse des limites. Ce ne sera pas facile, mais si tu la maitrises, je te promets que ce sera une arme puissante. Est-ce que ça te va ?
Pete hocha instantanément la tête. Il supplia Oliver de recommencer, afin qu’il puisse accumuler encore un peu plus d’expérience avant leur prochain cours. Ils dégainèrent leurs lames lorsqu’une voix distante attira leur attention.
- Qu’est-ce que c’est ? Des techniques plus détournées, eh ?
Surpris, Pete se retourna. Ses yeux se posèrent sur l’entrée de la classe, où un garçon seul était appuyé contre la porte. Il n’y avait aucun doute sur son accent unique et son allure décontractée.
- Mr. Rossi… ?
Oliver s’adressa au nouveau venu avec méfiance. Au lieu de faire un léger salut de la main, il se contenta de parler à nouveau.
- J’ai tout entendu. Notre ami à lunettes veut être fort, n’est-ce pas ?
- ……
- Alors je vais t’apprendre ma méthode. Ce sera beaucoup plus rapide et moins fastidieux. Tu veux venir à mes côtés ?
Il fit signe à Pete de la main. Oliver et Chela s’avancèrent rapidement devant lui, bloquant le passage.
- … Tu interromps notre session. Veille à garder tes invitations au loin.
- En effet. Avoir une oreille indiscrète n’est pas très louable Mr. Rossi.
Ils avaient tenu Rossi avec des regards assassins et des petits avertissements. Rossi se contenta de rigoler.
- Tu as des alliés fiables pour te défendre. Mais est-ce que c’est ce que tu veux, mon ami ?
- ……!
- C’est agréable, non ? D’être protégé comme une princesse, laissant tout le danger aux autres. Tu es tellement chanceux d’avoir des amis aussi gentils alors que tu viens d’entrer dans cette grande et effrayante école. Mais penses-tu vraiment qu’une telle personne puisse un jour être vraiment forte ?
Pete resta immobile, à court de mots. Oliver, debout devant lui, baissa d’un ton avant de se montrer menaçant.
- Tu peux garder tes commentaires désobligeants pour toi. Ou alors tu veux que je m’empare de ton médaillon ici et maintenant ?
Ses mots étaient empreints de venin. S’ils en venaient vraiment aux mains, cela ne l’aurait pas dérangé du tout. Katie et les autres se tendirent, sentant qu’une bagarre était sur le point d’éclater. Mais Rossi leva les mains et laissa tomber.
- Ha-ha ! Merci, mais je passe. Je serai en retard pour le cours. À bientôt ami à lunettes. Si jamais tu changes d’avis, tu sais où me trouver, hein ? dit-il nonchalamment avant de se retourner.
Le silence revint dans la salle de classe vide, laissant les six camarades quelque peu contrariés.
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L’intrusion de Rossi les avait décontenancés, mais il était vrai que le cours allait bientôt commencer. Les six d’entre eux avaient couru hors du bâtiment pour se diriger vers un espace de travail extérieur. Ils se formèrent autour de la dernière table. Quelques secondes plus tard, l’instructeur de biologie magique apparut. Une tension unique parcourait la classe.
- Aujourd’hui, vous en apprendrez davantage sur les fées. Eh bien, je dis fées, mais c’est un terme très large.
Vanessa Aldiss désigna la barrière rectangulaire dressée derrière elle. À l’intérieur de la structure semblable à du verre se trouvaient des créatures humanoïdes aux ailes translucides qui bourdonnaient partout. Elles étaient trop nombreuses pour être comptés.
- En termes d’espèces, elles sont aussi diverses que les oiseaux qui vont des moineaux aux vautours. En termes de taille, il peut y avoir des fées à peine visibles à l’œil nu ou à près de 51 cm de hauteur.
Elle frappa sur la barrière avec le dos de sa main pendant qu’elle parlait. Les fées ne semblaient pas répondre, ce qui indiqua rapidement à Oliver de quel type de barrière il s’agissait. C’était très probablement une barrière élaborée pour permettre aux gens de voir des créatures captives de l’extérieur.
- La plupart des fées ont une forme humanoïde. Et pourtant, les minuscules demi-humains appelés pygmées sont classés différemment malgré tant de similitudes. Quelqu’un peut-il me dire pourquoi ? Miss. Aalto, notre fan des demi-humains peut-être ?
Vanessa choisit la fille aux boucles avec une intention moqueuse évidente. Katie lui répondit sèchement.
- …C’est parce que la structure de leur corps est complètement différente. La plus grande différence est que les fées n’ont pas de « cerveau ». Le réseau neuronal de leur corps fait office de cerveau, mais leurs capacités cognitives diffèrent fortement de celles des humains. On dit que leur conscience de soi-même est très faible et qu’elles ressemblent davantage à des abeilles ou à des fourmis.
Elle livra sa réponse sans faux pas. L’instructeur feignit l’étonnement.
- Quelle surprise ! Tu as assez de bon sens pour séparer l’émotionnel de la réalité. En tout cas, elle a raison. Elles peuvent ressembler à des humains, mais leur structure interne est totalement différente. C’est totalement évident après dissection en tout cas.
Vanessa haussa les épaules, puis se retourna vers les élèves.
- Chaque année, je m’oblige à enseigner aux première année un cours sur les fées pour leur faire cette blague. Faut dire qu’elles sont sacrément mignonnes, n’est-ce pas ?
Même si les étudiants avaient vu clair dans son jeu, en seulement six mois, ils avaient vite compris que cet instructeur n’aimait pas du tout les êtres vivants.
- La plupart des fées sont agréables à regarder. Mais ce n’est pas une coïncidence. Le charme est une tactique de survie légitime. Cela vous prend au dépourvu, vous donnant envie de prendre soin d’eux sans condition. C’est un énorme avantage pour l’évolution d’une espèce. En tant que mécanisme de défense contre les prédateurs, cela peut même parfois être plus efficace que le poison ou les réflexes rapides.
Oliver hocha la tête en guise d’accord. Il y avait pas mal de créatures magiques qui utilisaient leur apparence mignonne comme une arme. Les plus développées pouvaient lancer un sort de charme et même faire plier d’autres créatures à leur volonté.
- Si ces petits êtres en sont arrivés à là, ce n’est pas pour rien. La mignonnerie seule ne suffit pas. Il faut certes éviter d’être mangé, mais il faut aussi se nourrir. Autrement dit, les fées ont aussi un côté prédateur. C’est ce que vous allez voir aujourd’hui.
Vanessa sourit, exposant ses canines. Elle sortit une cage de sous la table de travail à proximité. À l’intérieur se trouvait un lapin. Elle ouvrit la cage et le saisit avec force par la peau du cou, le jetant contre la barrière. Cela n’avait pas l’air d’une barrière qui empêchait les choses d’entrer, alors le lapin tomba sans effort dans la myriade de fées. L’essaim, en enregistrant la présence d’une nouvelle créature, avait immédiatement commencé à se transformer. Leurs doigts et leurs orteils devinrent aiguisés et des crocs sortirent de leur grande bouche. Le battement de leurs ailes devint très bruyant. Leur apparence mignonne d’il y a quelques secondes avait disparu. Avec leurs instincts primaires parfaitement parés, elles s’abattirent sur le lapin.
- Changement impressionnant, n’est-ce pas ? C’est ce qu’on appelle une phase grégaire. Dans des conditions optimales et lorsque la densité de population de leur habitat dépasse une certaine valeur, cet aspect se manifeste. Elles abandonnent leur aspect extérieur mignon pour devenir des prédatrices. Quand elles sont comme ça, elles vont même jusqu’à attaquer et dévorer des hommes.
La horde de fées déchiqueta le lapin sans défense. Les étudiants déglutirent silencieusement en regardant ses derniers instants. C’était un spectacle trop horrible pour être qualifié d’œuvre de la nature.
- Il n’y a pas de quoi être choqué. Vous êtes tous pareils, n’est-ce pas ? On se sent plus fort quand on est en groupe, et quand on se sent menacé, on fait tout pour survivre. C’est extrêmement naturel pour des êtres vivants. Parce que–-
Elle cessa de parler et étendit les bras devant la barrière. Les élèves se tendirent, incertains de ce qu’elle s’apprêtait à faire. L’instant d’après, ses bras avaient commencé à crépiter et à se transformer. Sa peau s’était élargie sous la pression, révélant un physique sinistre. De ses mains poussaient de longues serres qui fusionnaient avec ses doigts.
- …!
La vue familière fit dresser tous les cheveux d’Oliver. Immédiatement, plus vite que ce que les yeux des étudiants pouvaient suivre, Vanessa balança ses bras. Et avec cela, les fées qui grouillaient en masse autour du lapin furent déchiquetées en milliers de morceaux charnus, dispersées autour de la barrière.
- —vous savez tous que c’est ce qui arrive si vous échouez. Tout le monde travaille de son mieux, car sa vie en dépend. De cette façon, des millions de créatures accumulent de nombreuses sortes de méthodes de survie dans leur généalogie. Et les démêler est l’essence même de la biologie.
Vanessa continua là où elle s’était arrêtée, montrant ses bras bizarres et ensanglantés aux étudiants. La puanteur du sang et des tripes donnait à ses paroles un réalisme brutal.
- Il y a beaucoup de créatures mignonnes en ce bas monde. Mais il n’y en a pas une seule qui soit juste mignonne sans aucune condition. Ne prenez pas ces créatures à la légère les amis. Si vous ne voulez pas mourir, alors mettez tout en œuvre pour les étudier. Pour des enfants impuissants comme vous, c’est votre seul salut.
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Une fois le cours terminé, les six amis se dirigèrent vers la cafétéria. La rage de Katie était sans fin.
- Oh mon Dieu ! Qu’est-ce qui ne va pas avec cette femme ?! hurla-t-elle, ne se souciant pas de tous les gens qui la regardaient et tout en mordant sauvagement dans sa tarte.
Aucun de ses amis ne tenta de la calmer. Cela aurait été plus inquiétant si elle ne s’était pas mise en colère.
- Disons que malgré toutes ces horreurs elle n’avait pas tort au fond. Mais pourquoi avait-elle besoin de nourrir les fées avec un lapin vivant, puis de les abattre ?! Elle aurait pu tout expliquer avec des mots ! Elle voulait juste nous faire peur !
- … C’était intense, ouais. J’en ai un peu perdu l’appétit maintenant. Pas toi, Nanao… ?
- Mm ?
Guy jouait avec sa fourchette dans les airs, puis regardait Nanao pour voir ses joues farcies de nourriture. Il sourit ironiquement et secoua la tête.
- … Non, rien. Tu es une vraie dure à cuire.
- Moi aussi j’ai encore de l’appétit ! Guy, je prends ça !
Voyant que son ami n’avait pas faim, Katie vola le pain de viande de son assiette.
- Ah, hé ! Mon pain de viande…!
Réalisant le danger dans lequel il s’était mis, Guy recommença à manger. Chéla gloussa.
- Vous êtes tous devenus tellement plus forts depuis que votre arrivée ici. Mais qu’en est-il de cet après-midi ? Nous avons le temps de visiter quelques clubs ?
Le groupe s’échangea des regards.
- Je souhaite voir le club de balai de mes yeux. Ce serait une bonne occasion d’utiliser mon nouveau partenaire.
- Tu as eu beaucoup d’invitations dans ces groupes, Nanao. Je te rejoins alors.
- Mm ? Tu sais bien voler, Chela ?
- J’ai confiance en mes compétences, mais je vais simplement observer. Je suis impatiente de voir comment la scène du sport de balais va se retrouver chamboulée une fois que tu auras rejoint un club.
Les yeux de Chela brillaient. À côté d’elle, Pete piquait son pudding.
- … Je vais visiter les clubs liés à l’alchimie. Cela m’aidera à m’entraîner pour le cours, et j’ai entendu dire qu’ils avaient beaucoup d’élèves issus de familles de non-mages. Les gens devraient être plus sympas.
- Oh, bonne idée, déclara Oliver. —— En alchimie, l’effort est à peu près directement corrélé aux résultats. Je pense que c’est parfait pour toi.
Il sourit et hocha la tête vers Pete. Guy se rassit sur sa chaise et réfléchit.
- J’ai déjà vérifié les clubs d’horticulture, alors je pense que je vais aussi regarder Nanao. Et toi, Katie ?
- J’en ai tout un tas sur ma liste. Tout d’abord, je vais visiter le club de recherche des demi-humains, puis bien sûr le club d’étude des Créatures Magiques. Oh, et il y a un tas de groupes liés aux droits civiques aussi…
Katie compta plus de clubs que ses doigts ne pouvaient en gérer. Guy secoua la tête, dépité.
- Je suppose que t’es dans ton délire toi aussi du coup. Et toi, Oliver ?
- Mm…
Oliver sentit les regards du groupe sur lui, et il se retourna. Puis presque comme il s’y attendait, il se retrouva à regarder dans les yeux de Nanao, qui brillait d’espoir.
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Finalement, tout le monde sauf Pete et Katie était allé voir le club de sport de balais. Il y avait quatre terrains d’entraînement sur le campus. Un pour l’entraînement quotidien de chacune des quatre équipes officielles de l’académie. Le gang avait décidé de visiter le terrain de l’équipe Wild Geese.
- Ohhh ! Fille samouraï, tu es venue !
Des élèves plus âgés, un garçon et une fille, les avaient repérés tous les quatre depuis les airs et avaient atterri avec enthousiasme. La fille aziane s’avança pour les remercier de l’accueil.
- Je m’appelle Nanao Hibiya. Puis-je avoir l’honneur d’observer l’entraînement ?
- On serait fou de refuser ! Allez ! Amène tes amis.
La fille fit le tour du groupe et les poussa vers le terrain d’entraînement. Une fois qu’elle les eut assis sur le banc d’observation, elle fit signe à ses coéquipiers. Un garçon se mit à expliquer.
- Permettez-moi de commencer par un résumé, alors. Tout sport impliquant des manches à balai est considéré comme faisant partie du sport de balais. Dans cette catégorie se trouvent trois grands types de jeux, connus sous le nom des Trois Grands.
Le garçon parla comme s’il l’avait déjà fait mille fois. Simultanément, de grands anneaux avaient commencé à s’élever sur tout le terrain. Les joueurs s’étaient également mis en route, faisant le tour du terrain elliptique à grande vitesse au sommet de leurs longs balais.
- D’abord, vous avez des courses d’obstacles en groupe ! Les anneaux flottants forment le parcours, et vous devez les traverser dans l’ordre, sinon vous êtes disqualifié. Sinon, il faut être le plus rapide, voilà.
Derrière leur guide, l’équipe fit une démonstration. Puis la fille le poussa par-derrière et se pencha en avant.
- Le deuxième est un duel en un contre un entre deux personnes volant en forme de huit ! Dans celui-ci, vous obtenez des collisions méchantes. Les joueurs utilisent des clubs spéciaux pour essayer de se faire tomber, donc ça semble simple, mais pas tant que ça !
Comme elle l’expliqua, deux joueurs s’étaient détachés du groupe qui faisait des tours de terrain. Ils se faisaient face à partir d’extrémités opposées, puis volaient en arcs l’un vers l’autre, s’élevant très haut. Ils sortirent leurs armes de leur taille, puis foncèrent vers le sol, évitant de justesse une collision. Le bruit lourd des clubs qui s’affrontèrent résonna et Nanao applaudit.
- Ohhh ! Ils se battent en plein air ?!
- Intense, pas vrai ? C’est du vrai sport de balais ! dit Chela qui s’était jointe aux acclamations.
Enhardi, le guide reprit son discours.
- Et troisièmement, le jeu de sport de balais préféré de tous : le match en équipe !
Les joueurs s’étaient séparés en deux équipes avant d’avoir deux formations se faisant face. Ils se regardèrent fixement pendant quelques secondes puis s’affrontèrent de front. Avec leur club tenu à deux mains, les joueurs tentèrent de faire tomber les adversaires de leurs balais. Il semblait vraiment qu’une véritable bataille se déroulait là-haut.
- L’explication la plus rapide, c’est que c’est comme le deuxième type, mais avec des équipes de treize ! ajouta le garçon.
- Il existe un tas de règles détaillées, mais l’objectif principal est que si vous renversez le chef de l’équipe ennemi, vous gagnez. Combattez, combattez ! cria-t-il en applaudissant.
La fille le repoussa de nouveau.
- Brutal, mais pourtant splendide. C’est la devise du sport de balais. Ici, brutalité rime avec beauté, et la combativité fait tout ! Donc, si tu es d’accord, j’aimerais—
- Uwah ?!
Juste au moment où son explication touchait à sa fin, quelqu’un d’en haut cria. L’un des joueurs s’était écrasé contre un autre, le faisant tomber de son balai avec lui. Ils étaient comme aspirés dans leur chute.
- ELLETARDUS !
Juste au moment où ils étaient sur le point de s’éclater sur l’herbe, Oliver sauta du banc et jeta un sort pour freiner leur descente, les abaissant doucement au sol. Le terrain était devenu silencieux. Tenant toujours sa baguette, Oliver se sentait un peu mal à l’aise.
- Pardon. C’était juste qu’ils tombaient trop vite…
Il avait été incapable de simplement rester assis sans rien faire. Il essaya à nouveau de s’excuser, mais la fille lui tapa sur l’épaule.
- … Tu veux devenir receveur ?
- Huh ?
- Tu as de bons yeux. Comme tu l’as dit, cette chute aurait pu causer des dégâts. L’herbe peut freiner une chute normale, mais une accélérée comme celle-ci peut entraîner d’énormes blessures. Les personnes qui empêchent que cela se produise s’appellent des receveurs. Ils attendent au sol et attrapent les joueurs qui tombent.
La fille montra l’élève qu’Oliver avait sauvé pour expliciter son point. Oliver était quelque peu confus.
- Ils sont responsables de notre sécurité et sont également connus comme les piliers de notre sport. Ils sont vraiment importants pour les matchs. Les sorts doivent être précis, bien sûr, mais ils doivent aussi être capables de prédire les directions que prennent les joueurs, tout comme tu l’as fait. Aucun de nos receveurs n’a répondu à temps, mais toi tu as réussi. Tu as du talent.
- … Non, je me trouvais juste au bon endroit…
- Ou tu peux rejoindre le club en tant que joueur. Entraîne-toi dur et essaie de devenir un titulaire, ou détends-toi simplement et profite des matchs. Dans tous les cas c’est bon ! La seule chose étant que, on a toujours besoin de receveurs des deux côtés. Ce serait d’une grande aide si tu pouvais remplir ce rôle. Je t’en serais redevable !
- ….. J-je vais y réfléchir.
C’était tout ce qu’Oliver pouvait faire pour offrir cela face à sa passion et son insistance.
- J’attendrai avec grand intérêt ton « oui » répondit la fille, puis elle se retourna et couru sur le terrain pour vérifier l’état des joueurs.
- Ça pourrait être une bonne idée, marmonna Chela.
— Chela ?
- En repensant à la classe de balai, je pense que Nanao est susceptible d’être assez imprudente dans son vol. Je peux facilement la voir tomber dans le mauvais sens pendant l’entraînement… En fait, je sais que ça va arriver. Mais si tu étais là, Oliver, je suis sûr que tu serais un excellent soutien.
- Oh ! En effet, je suis d’accord ! dit Nanao tout en applaudissant.
Oliver se pinça instinctivement le front en réaction.
- … Tu veux que je rejoigne le club et que je sois le receveur personnel de Nanao ?
- Seulement si tu le souhaites, bien sûr. Tu as tellement de talent. Cela sera sûrement gratifiant.
Chela sourit légèrement et Oliver soupira. Il ne pouvait pas rejeter cela sous prétexte que c’était une idée stupide, ce qui signifiait qu’il avait déjà perdu la moitié de la bataille.
——————————————————————
Les membres qui ne visaient pas à devenir titulaires étaient libres de participer comme ils l’entendaient. Ils pouvaient ainsi quitter le club quand ils le voulaient. Oliver réfléchit à cela au dortoir après ce qui avait été une longue journée.
- ……
La vérité était qu’il voulait attendre pour décider de les rejoindre après avoir visité les trois autres équipes. Mais le plus important était de savoir s’il devait rejoindre Nanao ou non. Elle l’avait un peu embarqué partout depuis qu’il était entré à Kimberly, pour le meilleur ou pour le pire. Était-ce vraiment une bonne idée d’étendre cette relation jusqu’à leurs clubs ?
- …En fait, mis à part Nanao, est-ce que je veux vraiment m’entraîner à voler en dehors des cours ? Ça va me prendre plus de temps, marmonna Oliver en réfléchissant, assis sur son lit.
Pete, qui étudiait à son bureau, lui jeta un coup d’œil.
- … Si tu veux le faire, alors tu devrais, je pense.
- Pete ?
- Je n’essaie pas d’interférer avec ton choix, mais tu sembles constamment chercher des excuses pour ne pas faire ce que tu veux réellement faire.
Oliver se raidit de surprise au commentaire inattendu de son colocataire. Le garçon à lunettes se retourna vers son bureau, comme s’il essayait d’échapper à son regard. Oliver examina le dos de Pete pendant que le garçon reprenait sa concentration.
- « Constamment à la recherche d’excuses » hein ?
En le répétant à haute voix, il réalisa qu’il y avait une terrible quantité de vérité dans ces mots. Oliver sourit et se leva de son lit.
- Merci. Je vais y réfléchir quelques jours. Quoi qu’il en soit, je ferais mieux d’y aller.
- Oh…
Oliver se dirigea vers la porte et Pete émit un son, comme s’il essayait de dire quelque chose. Oliver le regarda, et le garçon à lunettes tâtonna pour trouver les mots.
- …Ce n’est rien. Fais attention.
- D’accord. Merci.
Oliver accepta les bons vœux de son ami et quitta la pièce. Il sortit du dortoir et marcha seul sous les étoiles vers l’académie.
——————————————————————
L’entrée du labyrinthe de ce soir était une fontaine géante dans le coin du troisième étage. Comme les peintures et les miroirs, les étendues d’eau étaient souvent reliées à d’autres domaines. Et pourtant, comme le lieu auquel ils se connectaient changeait selon les jours, les élèves devaient mémoriser leur schéma afin de faire la traversée entre l’académie et le labyrinthe.
- …… !
Au moment où il arriva dans le couloir sombre, une forte pression pesa sur ses épaules. Même après six mois à Kimberly, entrer seul dans le labyrinthe lui donnait toujours la chair de poule. C’était comme si la distance entre lui et la Mort en personne venait de se réduire considérablement. S’habituerait-il un jour à ce sentiment ?
- …Ressaisis-toi. Si tu ne peux même pas te promener ici tout seul, tu ne pourras jamais rien faire.
Oliver se frappa légèrement les joues et retrouva ses nerfs avant d’illuminer le bout de son athamé et d’avancer prudemment dans le labyrinthe. Quelques minutes plus tard, il sentit des gens, et après le troisième virage, il tourna, pour tomber sur deux étudiants de classes supérieures.
- Waouh là, tout doux. Nous ne sommes pas des ennemis.
- Tu es en première année ? Tu es bien trop jeune pour marcher seul ici. Ne va pas trop loin.
Heureusement, ils ne s’attardèrent pas et lui laissèrent juste un avertissement. Oliver poussa un soupir de soulagement, puis tourna les yeux vers le couloir sombre.
- … Ils ont raison. Je ne peux pas baisser ma garde.
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Mais quelles que soient ses précautions, la rencontre suivante balaya toutes ses convictions. De tels événements n’étaient que trop fréquents à Kimberly.
- Hmm ? Ne serait-ce pas… ?
Après environ une heure d’errance, Oliver tomba sur elle. Dans un coin du couloir se trouvait une sorcière d’une beauté envoûtante assise sur une pierre, et paraissant ennuyée. Comme lors de leur précédent accrochage, l’air autour d’elle était empli d’un parfum qui pouvait toucher au cœur.
- ….Miss…..Salvadori ?
Il l’appela par son nom, tendu comme s’il venait de tomber sur un monstre. La sorcière, Ophelia Salvadori, sourit de manière sarcastique.
- Oui c’est moi. Calme-toi, je ne vais rien te faire pour le moment. Je ne suis pas d’humeur. Tu ne le vois pas ?
La sorcière balança ses jambes pendantes de son perchoir au sommet de la roche. Oliver fronça les sourcils. Il ne pouvait certainement pas sentir le moindre danger comme lors de leur rencontre précédente.
- Tu es devenu résistant à mon parfum, n’est-ce pas ? Bien. Je pourrais t’utiliser comme un compagnon. Je ne te demande pas d’être mon ami ou quoi que ce soit. J’ai juste besoin de quelqu’un à qui parler.
Il était difficile de savoir si elle plaisantait. Ophélia désigna la pierre sur laquelle elle était assise, l’invitant à la rejoindre. Oliver envisagea de tourner les talons pour courir dans la direction opposée, mais ce n’était peut-être pas une bonne idée de la mettre en colère dans cette obscurité sans fin. Il réfléchit encore quelques instants puis s’assit légèrement à distance de la sorcière. Il savait qu’elle ne voulait pas lui faire de mal à ce moment-là, et il voulait éviter de donner un coup de pied dans un nid de guêpes.
- Vous avez vécu dans ce labyrinthe depuis tout ce temps ? demanda-t-il.
- Oh, je suis retournée à l’école. J’ai eu quelques envies de tourtes à la citrouille. Celles de la cafétéria. Tu aimes aussi leurs tourtes ?
- … Je suppose que je préfère les tartes.
Oliver hésita, mais décida de répondre honnêtement. Il aurait été facile d’être constamment d’accord avec elle, mais cela aurait trop sonné comme faux. Si elle voulait vraiment papoter avec un étudiant plus jeune, alors c’était probablement le meilleur plan d’action. Ophélia sourit ce qui soulagea Oliver.
- Elles sont bonnes aussi. J’ai entendu des rumeurs. Tu as l’air de t’être fait un nom. Comment était-ce combat contre le Garuda ?
- La vérité, c’est que je suis un peu étonné de notre victoire. Et honnêtement, je préfèrerais ne plus jamais revivre ça.
Oliver répondit honnêtement et Ophélia en rigola.
- Godfrey avait dit quelque chose de similaire une fois. Ce n’est qu’une supposition, mais je pense qu’il t’apprécie, toi et tes amis.
- …Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?
- Parce que vous êtes semblables. Surtout dans le fait que votre groupe se lance dans des aventures qui ne sont pas de votre niveau. Carlos et moi étions souvent ses acolytes d’ailleurs.
C’était un passé surprenant à révéler. Oliver résista à l’envie de l’interroger instantanément. Au lieu de cela, Ophélia posa doucement une question.
- … As-tu déjà discuté avec Carlos ? Tu te souviens, ce connard prétentieux avec Godfrey ? Carlos doit être préfet maintenant.
Oliver réfléchit également attentivement à sa réponse. S’il lui parlait de la réunion de l’autre soir, il lui ferait découvrir le secret de Pete.
- …Carlos m’a donné quelques conseils sur la vie à Kimberly, et on a discuté plusieurs fois. Il semble être une personne bienveillante, tout comme Godfrey.
- Bienveillant ? Non, Carlos a juste ses propres petits penchants. Si tu ne fais pas attention, tu finiras par être son prochain jouet. Carlos aime les petits jeunes qui sortent du lot comme toi et tes amis.
Il était difficile de dire s’il s’agissait d’un avertissement ou d’une insulte. La sorcière s’allongea.
- Ah, je me sens un peu mieux. Merci d’avoir passé un peu de temps avec moi. Mais…
- —– !
Elle toucha son menton du bout de ses doigts blancs et il se raidit. Ophélie eut un sourire envoûtant.
- … Je ne recommande pas d’errer seul dans ces profondeurs. Limite tes aventures et tiens-t’en à tes études dans l’enceinte de l’école. Surtout dans les mois qui viennent.
Et sur ce, elle se leva et traversa le couloir. Une fois disparue derrière un coin, le parfum persistant se dissipa et Oliver poussa un profond soupir de soulagement.
——————————————————————
Après s’être séparé tranquillement d’Ophélia, Oliver marcha encore vingt minutes avant d’arriver à destination. Il scanda le mot de passe, révélant la porte secrète. En entrant dans la pièce, il fut immédiatement embrassé par une fille aux cheveux couleur or pâle.
- Noll !
Un peu surpris, Oliver accepta l’étreinte.
- Waouh ! Bonsoir, Shannon.
Il la repoussa doucement par les épaules. Puis il regarda vers le centre de la pièce où il repéra un grand jeune homme assis et s’occupant de sa contrebasse.
- Merci d’être venu, Noll. Comment était le trajet ?
- Je ne me suis pas perdu, au moins, et je pense que j’ai évité toutes les zones dangereuses… Je dois quand même m’y habituer et faire attention.
Le jeune homme aux cheveux cuivrés hocha profondément la tête à ses remarques honnêtes. La fille aux cheveux or pâle sourit également et posa une main sur son épaule. Il s’agissait de son frère, Gwyn Sherwood, et de sa sœur, Shannon Sherwood, tous deux en classe supérieure à Kimberly. Ils étaient liés par le sang et plus précisément cousins.
- Plus important encore, j’ai été surpris de te voir l’autre soir, Gwyn. Je ne savais pas que tu étais en duo avec Carlos.
- C’est vrai. Je ne le qualifierais pas d’allié, mais on se connait depuis pas mal de temps.
Gwyn parlait calmement tout en continuant à s’occuper de son instrument. Le simple fait d’entendre sa voix profonde et calme suffit à apaiser la tension d’Oliver.
- Cela dit, je suis heureux d’apprendre que tu as pu arriver ici par toi-même. C’est l’atelier secret de Shannon et moi. Considère-le comme ta deuxième maison. Tu peux faire tes pauses ou t’entraîner ici comme bon te semble.
- Je vais… faire du thé, dit Shannon.
- Noll, tu veux du gâteau ?
Shannon commença joyeusement à préparer tout un service à thé. En cinq minutes, elle avait placé du thé noir et des gâteaux, ainsi qu’une chaise, qu’Oliver accepta. Gwyn et Shannon qui souriait légèrement s’étaient assis en face lui. Oliver prit sa tasse de thé et en but une gorgée.
- … Ah, je peux enfin me détendre. J’étais tellement sur les nerfs en chemin jusqu’ici. Surtout quand je suis tombé sur Ophélia. J’ai failli m’évanouir.
Au moment où elle entendit cela, Shannon se pencha extrêmement près d’Oliver. Juste assez pour qu’Oliver ne renverse pas son thé de surprise.
- Tu… as rencontré Lia ? Où ça ?
Son expression était très sérieuse. Pris au dépourvu par sa réaction, Oliver résuma rapidement sa rencontre avec la sorcière. Shannon se leva de son siège, mais Gwyn l’arrêta avec un léger avertissement.
- Non. Si elle est retournée dans les profondeurs après avoir quitté Noll, alors à ce stade, tu ne la rattraperas jamais.
Shannon baissa les yeux d’un air abattu. Ayant fini de s’occuper de son instrument, Gwyn croisa les bras.
- Salvadori, hein ? Elle est un peu…dangereuse, mais Shannon et elle, ne sont pas ennemies. Elles s’entendaient même plutôt bien avant. Cela va faire un an qu’il n’y a pas eu de contact.
- … Vous étiez amies, Shannon ?
- Lia s’enferme dans la solitude, marmonna Shannon.
Soudain, Oliver eut une prise de conscience : la fille dont il avait eu si peur n’était aussi qu’une étudiante d’un an en dessous de sa « sœur ».
- C’est drôle comment les choses fonctionnent, huh ? J’ai entendu dire que vous vous êtes rencontrés peu de temps après la cérémonie d’entrée, mais il est rare de la trouver aussi haut dans le labyrinthe. Elle devait avoir une raison.
Gwyn ferma les yeux et réfléchit à ce que pouvait être cette raison pendant un moment. Mais il décida ensuite de ne plus réfléchir et ouvrit les yeux. Le reflet d’Oliver scintillait dans leur douce lumière.
- Assez parlé de Salvadori. Parle-moi de toi. Tout va bien ? Shannon et moi avons hâte de t’entendre.
Shannon se redressa et sourit à Oliver. Se sentant un peu timide, le garçon chercha dans ses souvenirs quelque chose à leur dire.
- Il y a eu beaucoup de… Par où dois-je commencer ?
Quand leurs tasses de thé furent vides, Oliver avait à peu près fini ses réminiscences.
- Nanao Hibiya, eh ?
Gwyn marmonna le nom de la personne qui apparaissait le plus dans les histoires de son « jeune frère ». Oliver l’avait décrite dans les moindres détails, alors bien sûr Gwyn la mentionna en premier. Oliver hocha la tête.
- Elle est toujours novice en tant que mage, mais elle a un vrai talent, même s’il n’est pas conventionnel, déclara-t-il. —— Et cela grandit, jour après jour. À ce rythme, il est difficile d’imaginer où elle en sera dans un an.
Il était simple dans son explication, y compris sa propre incapacité à quantifier ses talents. Après quelques instants, Gwyn reprit la parole.
- … Es-tu sûr qu’elle a utilisé une septième Spellblade ?
- Je ne peux pas en être totalement certain… Elle ne l’a utilisé qu’une seule fois, dans la bataille contre Vera Miligan. Elle a essayé de le reproduire depuis, mais en vain. Mais mon instinct me dit que oui. Même si elle n’était qu’une utilisatrice temporaire de Spellblade, je peux dire que c’était du même calibre.
La conviction d’Oliver dépassait toute raison. Gwyn, lui aussi, semblait accepter ce qu’il disait sans douter une seule seconde. Une fois sur ce sujet, Oliver n’était plus le « frère cadet » de Gwyn, mais son seigneur et maître.
- Elle a aussi ce charisme incroyable qui attire les gens vers elle, tu ne penses pas ? Ça me rappelle une certaine personne.
Le commentaire de Gwyn poussa Oliver à se mordre la lèvre. Il s’était également attendu à cette réponse.
- … Au Cours de Balai, le balai de mère l’a acceptée.
Le souvenir était encore frais dans son esprit. Gwyn ne fut pas surpris, puisqu’on lui avait déjà dit qu’une samouraï aziane avait apprivoisé « ce » balai. Il ne savait rien de la fille en elle-même, car l’histoire avait circulé dans l’école le jour même où cela s’était produit.
- Nanao a quelque chose. Je le sens aus… je ne peux pas la quitter des yeux. Elle est aussi assez insouciante et je peux difficilement la laisser livrée à elle-même. Je ne sais pas quoi faire…
Oliver dévoila ses sentiments à ses deux cousins, toujours incapables d’identifier les émotions qui continuaient à fleurir en lui. Un doux sourire s’éleva sur les lèvres de Shannon.
- C…cette fille compte vraiment, n’est-ce pas Noll ?
- Je…
Il ne pouvait pas être d’accord immédiatement, mais il ne pouvait pas non plus le nier. Était-il juste de résumer ce sentiment à de l’affection ? Oliver fronça les sourcils.
- Du calme Noll, dit Gwyn. —— Il ne sert à rien de dissimuler la vérité avec Shannon… Le sentiment « d’attraction » est très important pour les mages. Cette fille apportera très probablement un grand changement dans ta vie. Tu ne devrais pas te cacher de cela.
Son frère lui disait d’arrêter d’essayer d’exprimer avec force ses sentiments nébuleux avec des mots et de les laisser exister en son cœur. Oliver déglutit. Il était perdu. Quelle distance devait-il prendre avec elle ? Quel genre de relation devraient-ils avoir ?
- Le moment venu, tu sauras comment l’appeler. Ne précipite pas la conclusion. Vas-y doucement. Tu es toujours en première année.
- ……
- Certes, nous serions ravis que cette Nanao Hibiya se joigne à nous. Mais la hâte ne fait que du gâchis. Ne laisse pas un égoïsme maladroit obscurcir ton esprit à ce stade. Soit juste toi-même et sincère avec tes amis. C’est la clé pour gagner des alliés et des amis Noll.
Les conseils fondés de Gwyn touchèrent une corde sensible dans le cœur d’Oliver, et il put sentir sa partie vacillante s’apaiser. Oliver hocha la tête.
- Ouais. Ouais, tu as raison… Je suis content d’avoir pu te parler de ça. Eh bien, je devrais y aller.
Shannon était sur le point de remplir sa tasse, mais il l’arrêta d’une main et se leva de son siège. S’il restait ici plus longtemps, il pourrait devenir trop attaché. Le visage de Shannon se décomposa et elle tendit sa main vers lui.
- … Fais attention, Noll.
Oliver accepta l’étreinte et la serra contre lui. Elle dégageait cette chaleur familiale alors Il ne voulait pas lâcher prise. Les sentiments montaient en lui, mais il s’assura de n’en exprimer aucun. Il savait très bien qu’il n’en avait pas le droit. En même temps, il savait que son conflit intérieur était clair comme le jour pour elle.
- Ne t’inquiète pas. Je te promets de revenir.
C’était pourquoi toute prétention de force n’était pas permise. Oliver fit sa promesse non pas de manière superficielle, mais avec une détermination inébranlable.
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Pendant environ une heure après avoir quitté l’atelier secret, Oliver avait erré dans le labyrinthe sans aucune destination particulière en tête. Puis, environ quarante minutes plus tard, il sentit un picotement sur la nuque.
- ……
Il changea un peu de direction, cherchant cette fois un endroit précis. Un endroit large, avec un terrain plat et sans risques de perturbations. Une fois qu’il trouva une zone qui répondait à tous ces critères, Oliver s’arrêta à nouveau.
- …C’est assez. Sort de là Rossi, grogna-t-il.
Immédiatement, une silhouette élancée sortit sa tête d’un recoin derrière lui.
- Aw, tu savais ? C’est si triste.
Le garçon entra dans le couloir, se grattant l’arrière de sa tête. C’était nul autre que Tullio Rossi, celui qui avait suggéré le petit tournoi des premières années. Oliver le fixa d’un regard et lui posa une seule question.
- J’ai senti que tu en avais après moi depuis que tu as suggéré l’événement dans la cafétéria. Ai-je fait quelque chose pour mériter ton mécontentement ?
- Nah, nah. Je n’ai rien contre toi ou ta famille.
- Alors pourquoi tu m’en veux ?
Rossi haussa les épaules en plaisantant à la question qui suivait.
- Je n’aime pas que tu aies toute l’attention sans que je n’aie rien pour moi. Ce n’est pas une raison suffisante ?
- Tu as le droit d’avoir tes opinions, mais je doute recevoir plus d’attention que Nanao.
- Nanao est mignonne, donc elle est exemptée. Je ne peux pas la haïr.
Il était impossible de lire ses véritables intentions dans une réponse aussi frivole. Oliver le dévisagea silencieusement tandis que Rossi dégaina rapidement son athamé.
- Mais qui se soucie des détails ? Un combat révélera la vérité. N’est-ce pas génial ce concept de duel ?
Il n’était plus d’humeur à répondre aux questions, réalisa Oliver en plaçant une main sur sa lame également.
- Deux choses : Pas de magie, et nous gardons le sort d’émoussage à réduit de moitié. Qu’est-ce que tu en dis, hein ?
- ……
- Je ne suis pas fan de ces satanées protections. Ce n’est pas un vrai combat s’il n’y a pas de sang. Contentons-nous de rester à un pas de nous étriper. Alors nous aurons une bataille digne du labyrinthe !
Rossi ricana. Non seulement il voulait que leur duel se déroule uniquement à l’épée, mais il voulait aussi alléger volontairement les effets du sort qui les empêchait de s’entretuer. Dans l’enceinte de l’école, cela n’aurait été permis qu’aux étudiants de classe supérieure mais dans le labyrinthe, de telles règles n’avaient plus aucun sens. Oliver hocha la tête en accord avec les suggestions.
- Bien sûr, j’accepte les deux conditions.
- Ha-ha ! Partant pour faire la fête, eh ? J’aime ça !
Rossi ricana. Les conditions les plus dangereuses n’avaient pas suffi à ébranler Oliver, mais Rossi semblait presque à la maison dans le labyrinthe. La sonnette d’alarme sonna dans la tête d’Oliver.
- SECURUS !
Ils appliquèrent des versions affaiblies du sort de protection à leurs lames respectives. Une fois que la lueur blanche disparut, ils se mirent à une distance d’un pas, d’un sort.
- Tu es prêt ? On commence !
Rossi prépara sa lame. Oliver orienta la pointe de son épée vers son adversaire qui, tout à coup, lui cria dessus.
- Ah, c’est vrai ! J’ai oublié de mentionner quelque chose !
- …… ?
Quoi encore ? voulait-il demander, mais Rossi décolla. Il se jeta sur Oliver depuis le côté, essayant de trancher son aisselle ; Oliver utilisa son athamé comme un bouclier pour bloquer la frappe.
- En fait, maintenant que j’y réfléchis une seconde fois, j’ai rien oublié.
- Tu n’as pas perdu de temps, huh ?
Oliver fronça les sourcils alors que leurs épées s’entrechoquaient. Une attaque surprise frontale dès le début du duel… Rossi s’avérait être aussi sournois que sa première impression l’avait suggéré. La pression exercée sur la lame d’Oliver avait disparu, et son ennemi attaqua de nouveau. Il était passé d’une entaille diagonale à une frappe au poignet d’Oliver. Rossi avait utilisé les deux attaques comme une feinte pour sa poussée ; Oliver les bloqua toutes. La volée de coups de Rossi continua, le faisant crier d’excitation.
- Ha-ha ! Belle défense, hein ! Belle utilisation du style Lanoff ! Tu as eu un bon professeur, non ?
Rossi laissa tomber son corps, et sa lame s’élança dans l’air vers le tibia d’Oliver. Une frappe visant ses jambes était pour le moins gênante. Oliver avait instantanément esquivé et riposta avec une poussée.
- Whoa !
Il n’a aucun moyen qu’il esquive maintenant, pensa Oliver, mais Rossi plongea
sur le sol en faisant une roulade. Comme il avait passé le côté d’Oliver, Rossi balança sa lame à sa cheville. Oliver leva son pied pour éviter le coup. Rossi atterrit derrière lui, puis se releva et se remit en position intermédiaire.
- Contrairement à moi, mon épée peut être assez rude. Elle est tellement originale que je ne peux même pas pratiquer les styles les plus fondamentaux. C’est pourquoi tous mes professeurs m’ont ennuyé. C’est bête, non ?
La règle interdisant les sorts dans leur duel avait laissé à Rossi le temps de s’exprimer. Sa technique d’épée, cependant, avait surpris Oliver. Elle allait dans tous les sens. Attaquant les jambes, esquivant en roulant, il ignorait toutes les bases des arts de l’épée sans sourciller. Et pourtant, assez bizarrement, il n’y avait aucune maladresse dans ses mouvements.
- Tu vois, je suis un homme qui décide de ses propres choix. Le style Lanoff, le style Rizett, le style Koutz, aucun d’entre eux ne me parle. Chaque fois que j’apprenais une technique, je ne pouvais m’empêcher de penser à un moyen encore plus rapide. N’as-tu jamais eu ce genre de pensée, Horn ?
Oliver avait à moitié ignoré sa question arrogante, se concentrant plutôt sur leur duel. Il n’y avait pas besoin de se précipiter. D’abord, il devait comprendre le style de combat de son adversaire. De ce qu’il avait vu jusqu’à présent, il supposa que c’était le style de base de Rossi. Cependant, cela ne signifiait pas qu’Oliver était resté sur la défensive.
- Hah !
Oliver attaqua de front, sans feintes. C’était une approche orthodoxe pour contrer les styles anormaux. Il voulait l’attaquer sans relâche, sans donner aucune ouverture et mettant la pression jusqu’à ce que son adversaire soit dos au mur afin d’assener le coup final. D’après son expérience, les gens comme Rossi cédaient généralement sous une telle pression.
- Ho !
Malheureusement, son plan s’était effondré après le premier coup. Oliver écarquillait les yeux de surprise, car sa lame avait été bloquée, mais pas par l’épée de son adversaire. La main gauche de Rossi était recouverte d’une armure, qu’il avait utilisée pour contrer l’épée avec un coup de poing.
- Comme ceci, par exemple.
Mais ça ne s’était pas arrêté là. Avant qu’Oliver ne puisse préparer une seconde attaque, Rossi écrasa son pied. L’empêchant de reculer, Oliver vacilla, et Rossi le frappa, le plaquant presque au sol dans la foulée.
- Et ça !
Forcé de parer dans une position délicate, Oliver fit un bond en arrière. La rafale de coups continua, visant avidement ses points vitaux. Oliver réussit à peine à parer chaque coup. Il n’avait pas le temps pour contrer, et son adversaire avait le contrôle total du combat.
- …Alors les coups bas sont ta spécialité, hein ?
- Excuse-moi pour mes pauvres manières.
Tout excepté leur duel fondit, et ils se retrouvèrent dans une impasse. Oliver pouvait sentir le souffle de son adversaire à travers son épée alors qu’il analysait son style de combat. La main non dominante de Rossi, qui était couverte d’un gantelet, était son seul moyen de bloquer ses coups d’épée autrement qu’en utilisant son propre athamé. Et pourtant, utiliser sa main comme bouclier était loin d’être une tâche facile.
La surface était tout simplement trop petite. Mais il n’était pas possible de l’agrandir, car l’adamant, le métal magique dont était issu son gantelet, était extrêmement dur, mais aussi très lourd. Afin de ne pas l’alourdir plus, la surface maximale qu’il pouvait faire était d’environ la moitié de la taille de sa main. Avec ces limites à l’esprit, il s’ensuivit naturellement que le gantelet ne pouvait être utilisé comme un bouclier que dans les moments les plus rudes de leur combat. Cependant, certains combattants utilisaient le métal d’une manière plus offensive.
Pas comme un gantelet, mais comme garde-poignet pour leurs mains afin d’amortir les attaques de leur adversaire. Aucun des trois styles de base de l’art de l’épée n’approuvait cette technique. C’était même quasiment un tabou.
- Fais ce que tu veux. Ce ne sera jamais suffisant pour briser mes bases.
Oliver affirma cela avec confiance, admettant la ruse dont faisait preuve son adversaire. Rossi plissa les yeux brutalement.
- Tu vas regretter tes paroles, cracha-t-il.
Les deux hommes se rapprochèrent l’un de l’autre. Dès qu’ils furent entrés dans la distance d’un pas, d’un sort, Rossi s’élança en avant. Tournant en arc de cercle pour arriver à la gauche d’Oliver, il déchaîna deux coups. Oliver ne manqua pas le fait qu’il avait rapidement mis en place son pied arrière. « Il va me forcer à me mettre sur la défensive avec son gantelet », réalisa Oliver. Il concentra tous ses efforts pour fendre le poing qui arrivait.
- — ?!
Le coup de poing au visage le prit complètement par surprise.
- Ha-haaah !
Sentant la confusion de son adversaire, Rossi tira profit de l’ouverture. Il fit pleuvoir une rafale de coups à travers la garde d’Oliver. Une envie de sauter en arrière s’éveilla à l’intérieur d’Oliver, mais il s’était entêté à l’ignorer. S’il battait en retraite, Rossi le transpercerait de part en part, lui criait son esprit. Donc, au lieu de cela, il mit tout son poids de corps à disposition pour défendre sa zone en continuant à rester sur la défensive.
- Hup !
Rossi introduit un coup au visage parmi ses attaques. Le moment où Oliver sentit une pause dans son assaut, il sauta instantanément en arrière et prit ses distances. Un sourire malsain se répandit sur les lèvres de Rossi.
- Ton masque de calme a enfin commencé à se fissurer. Que c’est rafraîchissant à voir !
Avec le dos de sa main, Oliver essuya silencieusement quelque chose de chaud qui dégoulinait de son nez. Comme il s’y attendait, une ligne de liquide rouge vif avait taché sa peau. Son nez saignait à cause du coup de poing de Rossi.
- …… !
Il n’y avait pas d’erreur. À ce moment, Oliver comprit qu’il avait pris un coup.
- Je parie que tu ne t’es jamais attendu à saigner du nez, eh ? Les mages sont tous les mêmes. Mais je trouve ça étrange. On a tous ce morceau de métal sur une main, et pourtant personne n’essaie jamais de cogner. Pourquoi ? Si c’est trop petit pour servir de défense, alors utilisez-le simplement pour l’attaque, non ?
- ……
- Il y a si peu de techniques de combat rapproché. C’est ma plus grande plainte avec les trois styles de base. Tu veux savoir ce que j’en pense ? Les mages sont trop concentrés sur l’apparence. Un combat à mort est un combat à mort, non ? Ce n’est pas différent d’une bagarre entre non-mages. Alors ne devrions-nous pas utiliser tous les outils à notre disposition ? déclara Rossi sans vergogne.
Oliver essuya le sang de sa lèvre.
- …Je dois te remercier, Rossi, répondit-il.
- Hah ?
- Tu m’as douloureusement fait prendre conscience de mes propres lacunes. Je suis vraiment une cause perdue. Je ne vaux pas le sel que je transpire. Pas après avoir pris un coup d’un type comme toi.
C’était une chose dure à dire. Le visage de Rossi se déforma avec fureur.
- …Hilarant. Tu cherches une autre correction, eh ?
Les lèvres de Rossi s’étaient rétractées, révélant ses canines dans une troublante impression de sourire. Mais Oliver se contenta de secouer la tête et de rester dans sa position.
- Ça n’arrivera pas. Ta lame se brisera durant les huit prochains coups.
Oliver parla avec une confiance absolue. Un sourire macabre se forma sur le visage de Rossi.
- Très drôle, mon ami. Personne ne m’avait mis autant en colère depuis longtemps !
Il n’était clairement pas d’humeur à discuter davantage. Rossi attaqua Oliver pour la troisième fois, frappant sous tous les angles et subissant à chaque coup. Sa rafale sauvage ignorait toutes les bases de l’art de l’épée. Oliver esquiva calmement, calculant froidement ses chances de contre-attaquer.
- Je t’ai eu !
Visant le moment exact où Oliver se déplaça pour contrer, Rossi élança son bras gauche à nouveau pour un coup de poing du gantelet, son mouvement secret qui ignorait les règles des arts de l’épée.
Il utilisa son bras droit pour frapper avec son épée en même temps, avec l’intention d’empêcher toute évasion cette fois.
- — ?!
Mais au moment où Rossi était sûr de sa victoire, Oliver serra ses bras autour du gauche de Rossi et le bloqua sur place.
- C’est la raison pour laquelle les trois styles de base ont très peu de techniques de poing, Rossi.
- Kah… !
L’épaule coincée de Rossi commença à craquer à cause de la tension. Au moment où il étendit son poing, Oliver enroula ses bras autour de lui et fit un tour sur le côté gauche de Rossi. Dans cette position, il était totalement hors de portée de son athamé. Rossi se tordit de douleur, paniquant.
- À distance de frappe, les projections et les étreintes deviennent également viables. Ton précieux gant qui te sert pour le combat rapproché n’est en fait qu’une prise, pas un coup de poing. Si tu ne finis pas le combat en un coup, ça ne vaut même pas une bonne distraction contre un adversaire prêt à recevoir le coup pour gagner. Tu ne demandes qu’à être attrapé en étendant ton bras. Tu es sans défense.
Il relâcha la pression juste avant que l’articulation ne se rompe et continua à lui faire la leçon, s’assurant que son « élève » captif avait bien compris les principes fondamentaux du combat rapproché.
- Tu as réussi à te débrouiller tout seul pour avoir un semblant de style. Je dois admettre que tu as du talent. Tu m’as bien frappé, après tout. Mais un simple coup de poing ne remettra pas en question tous les arts de l’épée.
- Gah—aaaah !
L’épaule de Rossi se disloqua de manière bruyante. Il l’avait fait exprès. La douleur et la peur de voir son corps se briser n’étaient pas suffisantes pour refroidir la combativité de l’esprit combatif d’un mage. Sacrifiant volontiers un bras afin d’échapper à la serrure, Rossi se tourna pour faire face à Oliver.
- Ne me fais pas la morale ! Ce n’est pas encore fini !
- Ça l’est maintenant.
Rossi chargea son adversaire dans une fureur meurtrière. Oliver s’installa dans sa position de manière stoïque. Il n’y avait rien à craindre. Rossi s’était déséquilibré pour se défaire de la clé de bras, et sa respiration était inhabituellement laborieuse à cause de la douleur de son épaule disloquée. Tullio Rossi n’avait aucune chance de victoire dans son état actuel. Ce choc final déciderait du duel. Rossi dirigea son athamé vers la tête d’Oliver, qui le repoussa calmement du revers de sa main gauche.
La lame ne fendit rien d’autre que l’air, laissant le corps de Rossi exposé sans défense à un coup létal. C’était pourtant la bonne utilisation du gantelet. Avec assez de prévoyance et de sens du timing, on pouvait frapper la lame sur le côté et la rendre ainsi inutile. En plus de cela, cela pouvait également créer une énorme ouverture. Les trois styles de base partageaient tous cette technique de haut niveau : la parade. Rossi, choqué, regarda le coup final du duel s’abattre vers son bras. Il n’y avait rien qu’il puisse faire pour résister. Une parade réussie équivalait à une condamnation à mort.
- —Cela fait huit mouvements, Rossi.
L’athamé du perdant tomba de ses mains, dégoulinant de sang frais. Il y avait une profonde entaille sur son bras, et son arme était au sol. Un long silence s’installa alors que Rossi regarda entre sa blessure et son athamé.
- Tu me fous vraiment la haine, siffla faiblement Rossi.
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Quelques minutes plus tard, il s’occupa de ses blessures sans l’aide d’Oliver.
- Tiens, ton médaillon.
Rossi extirpa un médaillon de la poche de sa robe et le lui jeta sèchement. Oliver l’attrapa et l’examina. Rossi laissa échapper un soupir exagéré.
- C’est le pire des scénarios. J’ai perdu la seule bataille que je ne voulais pas perdre. Et j’ai même reçu une leçon.
- …J’ai été un peu hautain. Excuse-moi.
Oliver s’excusa brièvement après avoir vérifié l’authenticité du médaillon. Rossi ricana.
- Et je déteste le rôle du petit garçon sage. Ne t’excuse pas. Peu importe. Nous en avons fini ici. Au revoir.
Il fit un signe de la main et commença à partir. Oliver réfléchit un peu, puis l’appela.
- Rossi. Comme je l’ai dit pendant notre duel, tu as de bons réflexes. Selon la façon dont tu aiguises tes compétences, tu pourrais devenir très fort. Mais si tu restes comme tu es, tu vas finir par te heurter à un mur.
- ……
- Je te suggère de choisir un des trois styles de base et de le réapprendre à partir de zéro avant de prendre de mauvaises habitudes. Il n’est pas trop tard pour créer ton propre style une fois que tu auras maîtrisé les bases. En fait, le style Koutz requiert de bons instincts, donc ça pourrait être un bon point de départ.
- C’est quoi ton putain de problème ?!
Rossi se retourna, incapable de supporter plus longtemps les conseils d’Oliver. Il le regarda fixement, les yeux pleins de désarroi.
- Arrête de remuer le couteau dans la plaie ! Tu as déjà ton médaillon, non ? Que veux-tu de plus de moi ?
Oliver se mordit la lèvre. Il avait réalisé qu’un grand vainqueur ne devait pas faire la morale au perdant. Mais il ne pouvait pas rester silencieux.
- Je réalise que je me mêle de ce qui ne me regarde pas. Mais je pense juste que c’est du gâchis… En fait, je suis jaloux de ton talent unique.
- …Quoi ?
- Dans notre duel, je n’ai fait que reproduire ce que mon professeur m’a appris. Rien de tout cela ne venait de ma propre imagination. C’est comme ça pour tout. Il n’y a rien d’authentique.
L’expression amère, Oliver fixa les paumes de ses mains. Elles pouvaient manipuler beaucoup de choses avec facilité, comme des techniques d’art de l’épée et le sort approprié à la bonne situation. Et pourtant, il n’avait jamais eu l’impression d’être parti au-delà des instructions de ses professeurs.
- Donc je veux juste que tu aies conscience du talent que tu as. C’est tout. Je suis désolé si j’ai toujours l’air d’avoir un ton professoral.
Oliver baissa honteusement son regard. Rossi fronça les sourcils et l’étudia.
- Les bons élèves ont leurs propres problèmes, eh ? …Peu importe.
Déclara-t-il simplement. Il tourna ensuite les talons et partit pour de bon cette fois. Une fois qu’il eut disparu après une interjection, Oliver poussa enfin un soupir de soulagement. Puis une voix vint juste de derrière lui.
- Excellent travail, mon seigneur.
- …… ?!
Il sauta en avant comme un lapin effrayé et tourna sur lui-même. Son regard se posa sur une petite fille agenouillée qui avait surgi de nulle part.
- J’ai été témoin de votre duel. Votre victoire l’a certainement remis à sa place. J’ai été très impressionnée.
— …Oh, c’est toi…Miss. Carste.
Il expira de soulagement une fois réalisé qui elle était là, agenouillée. La jeune fille que son frère lui avait présentée le soir de l’exécution de Darius Grenville. Son nom était Teresa Carste ; née et élevée dans le labyrinthe, sa maîtrise de la furtivité était au-delà de toute comparaison.
- Merci pour le compliment, mais ce n’était pas un duel si impressionnant que ça. J’ai même pris un coup durant la première moitié. Je commence vraiment à en avoir marre d’être aussi rouillé.
Oliver parlait honnêtement, n’essayant même pas de garder une façade puisque Teresa avait probablement tout vu d’elle-même. La jeune fille secoua fermement la tête.
- Il n’aurait même pas été en mesure de saisir votre ombre s’il avait fait face à la version de vous cette nuit-là.
Elle se glissa plus près, sans faire de bruit. L’air lui-même avait à peine bougé.
- J’admire cette version brute de vous, comme une lame à nue. Votre gentillesse est un nuage qui obscurcit votre génie.
Une paire d’yeux le scruta, et il recula. Elle attrapa sa main droite à deux mains.
- Si me découper permet de le dissiper alors faites donc. Ce serait un honneur de devenir votre pierre à aiguiser, messire.
Elle saisit la poignée de son athamé. Oliver la regarda fixement dans les yeux.
- …Tes joues sont rouges…
Il voulait la prendre au dépourvu. Teresa se raidit pendant un moment, puis pressa immédiatement ses mains sur les joues.
- J’ai eu des soupçons à ce sujet lors de notre première rencontre, mais ce n’est pas ta façon habituelle de parler. J’apprécie que tu fasses un effort pour moi, mais tu devrais te détendre.
Il poussa un peu plus loin. Il était tout à fait conscient qu’il était dans une position où il pouvait avoir un contrôle absolu, mais cela ne voulait pas dire qu’il voulait créer des fanatiques à son service. Surtout concernant des jeunes. Il tenta donc de souligner que ce n’était pas à son goût.
- Mais non, messire…
La réponse inattendue le fit déraper un peu. Bien, pensa Oliver alors qu’il l’observait. La dernière chose qu’il voulait était de transformer cette jeune fille en bras droit de la vengeance. Même si un tel souhait était contradictoire.
- Je ne t’utiliserai pas et ne t’abandonnerai pas comme une pierre à aiguiser ou comme un vulgaire sbire. Souviens-toi de cela.
- …P-pardonnez-moi !
Teresa s’était enfuie, incapable de cacher à quel point elle était secouée. Elle avait rapidement disparu dans l’obscurité du labyrinthe. Le silence était revenu, et Oliver réfléchit à son comportement : Ai-je agi avec maturité ?
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Pendant ce temps, Rossi se dirigeait vers l’école après s’être séparé d’Oliver, les scènes de sa défaite harcelant son esprit.
- Merde… Ah, merde, ça m’énerve tellement !
Sa frustration avait atteint un point d’ébullition. Il aurait pu avaler l’humiliation de la défaite. Mais une autre sorte d’amertume dominait son cœur.
- Qu’est-ce qu’il a osé dire bon sang ? Réapprendre un des styles de base à partir de zéro ? Pour qui il se prend ?
Rossi se renfrogna. Il détestait Oliver Horn depuis qu’il l’avait vu pour la première fois au cours d’arts de l’épée. Oliver mettait en valeur les styles de base et s’en tenait aux méthodes orthodoxes, tout le contraire de lui. Mais surtout, il pouvait voir dans l’art de l’épée d’Oliver, l’incroyable quantité d’efforts qu’il lui avait fallu pour en arriver là.
- …À quel point s’est-il entraîné ? Il reproduit parfaitement les manuels.
Un frisson parcourut l’échine de Rossi. Il avait appris des techniques d’un tas de styles différents, mais lui et tous les autres étaient d’accord sur le fait qu’il ne se conformait à aucun style. Viser les jambes et utiliser des coups de poing étaient des techniques qu’il avait spécifiquement développées pour contrer les adversaires de qualité. Mais ça n’allait pas si un garçon de son âge pouvait briser sa stratégie après un seul affrontement. Et pourtant, c’est exactement ce qu’Oliver Horn avait fait. En y repensant, la seule attaque portée de Rossi était le coup au visage. Tous ses coups d’épée plus dangereux avaient été bloqués, sans jamais entrer en contact avec le corps d’Oliver. Il avait été complètement neutralisé par des postures qui suivaient scrupuleusement le manuel.
- Quel enfoiré, dit honnêtement Rossi.
Ce n’était pas un endroit pour un garçon ordinaire de quinze ans. S’il était extrêmement doué ou avait de bons instincts, cela pouvait avoir du sens. Mais après avoir croisé le fer avec lui, Rossi savait qu’Oliver Horn n’était pas ce genre de personne. Il avait juste passé chaque moment de son existence avec de l’entraînement. C’était la seule chose à laquelle il pouvait penser. Tout ça pour obtenir immédiatement ce qu’il aurait pu avoir dans dix ou vingt ans. L’entraînement pour y parvenir avait dû être extrêmement strict… tortueux, même.
- « Je veux juste que tu apprécies le talent que tu as ».
- ……
Rossi avait marché sur un chemin épineux durant beaucoup d’années. C’était pour cette raison qu’il comprenait le poids de ces mots. Il ralentissait le pas jusqu’à s’arrêter un moment. Se grattant l’arrière de sa tête, il expira profondément.
- …Haah, bien. Je peux aller supplier maître Garland. Ce n’est pas mon style d’apprendre de manière mainstream, mais… je hais encore plus la défaite.
Il allait une fois de plus faire face à tout ce qu’il avait détesté jusqu’à présent. Rossi savait que c’était une voie qu’il n’aurait jamais empruntée jusqu’à hier et cela le fit glousser amèrement. Que pouvait-il faire ? Il n’y avait aucune raison de résister après avoir été témoin d’un tel maniement de l’épée.
- … Perdu, n’est-ce pas ?
Alors qu’il venait d’accepter sa nouvelle situation, une voix glaciale résonna dans son oreille, venant tout juste derrière lui.
- Il suffit que d’un regard pour reconnaître un perdant. Qui t’a battu ?
Le ton n’était ni ridicule ni sarcastique, c’était du pur mépris. Le visage de Rossi se crispa immédiatement. Il n’avait pas besoin de se retourner pour savoir qui était là.
- De toutes les personnes que je pouvais rencontrer, il fallait que ce soit toi, eh ?
Au fond de lui, cela avait une sorte de sens. Défier quelqu’un en duel, perdre complètement, puis s’en sortir indemne, c’était du jamais vu à Kimberly.
- Avant de perdre mon temps, laisse-moi te demander : il te reste encore des médaillons à me donner, n’est-ce pas ?
L’arrogance d’un prédateur se faisait ressentir. En lâchant un seul souffle et en s’armant, Rossi plaça une main sur l’athamé à sa taille.
- Ah, c’est marrant. Et je suis quoi moi, une banque ?!
S’écria-t-il. Il dégaina son arme et se retourna pour faire face à son adversaire. Son regard se posa sur un mage solitaire qui se tenait parfaitement immobile, ne cherchant même pas à prendre une arme malgré la volonté totale de Rossi de se battre.
- …… !
Au moment où leurs regards se croisèrent, une sueur maladive se forma sur la joue de Rossi. Cette personne était aussi tranchante qu’un rasoir, bien plus que n’importe quelle première année. Il y a longtemps, il avait senti quelque chose de similaire la seule fois où il a vu un Chasseur gnostique, les soldats en première ligne du monde magique.
- Je n’ai en effet rien à offrir. Je vais simplement prendre.
Et avec cette déclaration extrêmement arrogante, l’adversaire de Rossi dégaina. Rossi s’élança instantanément vers l’avant et vécut sa deuxième défaite ce soir-là.
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Oliver avait réussi à sortir du labyrinthe sans plus de problème, et il était un peu plus de deux heures du matin quand il rentra au dortoir.
- …Je suis de retour, murmura-t-il pour ne pas réveiller son colocataire et se glissa à l’intérieur.
Éclairant à peine l’obscurité à l’aide d’une lampe à faible intensité, il tendit la main pour défaire la ceinture qui retenait son athamé, quand il remarqua l’état de son ami sur le lit.
- Huff… Huff…
- …… ?
Pete dormait sur le côté, frissonnant pratiquement à chaque respiration.
- Huff… Huff ! Huff ! Huff… !
Sa respiration semblait devenir de plus en plus rapide et douloureuse. Inquiet, Oliver se précipita vers lui.
- Tu vas bien, Pete ?
- Ah… ?
Il lui tapa sur l’épaule, et le garçon ouvrit ses paupières. Oliver posa doucement une main sur le front de Pete.
- Tu as de la fièvre…Et ta circulation de mana est en train de s’emballer.
- Ça fait mal… Je me sens nauséeux… Je ne peux pas… respirer…
- Ça va aller. Tu vas bientôt te sentir mieux. J’enlève ton haut, ok ?
Il aida Pete à se redresser, puis défit les boutons de sa chemise de pyjama. La poitrine gonflée de Pete indiquait qu’il était actuellement sous sa forme féminine.
- … ? Attends, qu’est-ce que tu… ?
Pete était confus. Après avoir réussi à enlever son haut, Oliver inhala profondément et prit le contrôle du mana circulant dans son propre corps. Ses préparatifs terminés, il plaça sa paume droite sur le dos exposé de son colocataire.
- Ah…
Pete sentit instantanément quelque chose de chaud circuler en lui. Oliver commença à expliquer tout en massant le dos de Pete.
- Il s’agit d’un art de soin. En envoyant mon propre mana en toi à travers ma main, je peux régler le flux de mana de ton corps. Ce n’est qu’une solution provisoire, cela dit.
Tous les mages connaissaient cet art. C’était le plus primitif des sorts de guérison. Le mana qui avait stagné dans le corps de Pete se remit à circuler avec l’aide d’Oliver et la respiration laborieuse de Pete se termina.
- Je me sens… mieux…
- Comme l’ont dit nos ainés, ton corps n’est pas encore habitué à gérer le mana de ta forme féminine. Quand ton sexe change, il en va de même pour le flux de mana. Les voies ont tellement changé que ce dernier ne peut pas circuler correctement. Ce dysfonctionnement te rend malade.
Il avait expliqué ce qui se passait pour que son ami puisse comprendre. Ce n’était pas suffisant de juste le guérir. Les deux combinés étaient la meilleure façon de soulager à Pete.
- Dans des moments comme celui-ci, la modération extérieure est la meilleure solution. Tu diriges le mana accumulé vers les parties du corps où il est nécessaire, comme cela.
- Mm… !
Une intense secousse traversa le corps de Pete, lui procurant des spasmes. Laissant sa main sur son épaule, Oliver parla d’un ton calme.
- Relax, Pete. Tout va bien. Il n’y a pas de quoi s’inquiéter.
L’attention dans sa voix et la chaleur de sa main avaient aidé Pete à faire confiance à son colocataire. Il n’y avait aucune raison de résister. Lentement, il se détendit, se laissant aux soins d’Oliver.
- ……ça souvent ?
- Mm ?
- Tu fais ça souvent ? C’est grandiose. Tu es… bon à ça.
Ces mots glissèrent des lèvres de Pete alors qu’il recevait le traitement. La question rendit Oliver silencieux pendant un moment, puis il hocha la tête.
- …Oui, j’ai de l’expérience. Il n’est pas rare que le flux de mana d’un mage se détraque, même si ce ne sont pas des cas rares comme toi. Cela arrive quand on est malade, par exemple, ou pendant la puberté. Et…
Un souvenir refit surface dans son esprit alors qu’il poursuivait son art de guérison. À l’époque, il était très mauvais dans ce domaine. Il était perdu, sans espoir d’avoir une conversation relaxante comme là. Chaque nuit il observait son dos, supprimant toutes ses larmes qui menaçaient de déborder.
- Ah, qu’est-ce que ça fait du bien. Merci, Noll.
Malgré ses doigts maladroits et son inexpérience, elle lui souriait toujours, comme si elle le cajolait chaleureusement.
- …durant la grossesse…
Il avait continué le reste du traitement en silence. Pete se prélassait avec un sentiment agréable. Soudainement, alors que la douleur avait disparu et que son esprit redevint clair, il paniqua réalisant la situation. Il était sous sa forme féminine torse nu tandis qu’Oliver était encore en train de toucher sa peau.
- H-hey… Tu as fini ?
- Mm ? Oh, désolé. J’étais trop concentré. Comment te sens-tu ? Ta circulation de mana devrait être beaucoup plus calme maintenant.
Oliver mit rapidement en pause le traitement pour vérifier l’état de son ami. Respirant en un soupir de soulagement, Pete s’auto-examina.
- …Je me sens tellement mieux, wow. Mes nausées sont parties, et je peux respirer.
- C’est bien. Mais comme je l’ai déjà dit, ce n’est qu’une mesure temporaire. Jusqu’à ce que ton corps apprenne à contrôler son mana féminin, tu devras te préparer à faire ça souvent.
Pete hocha la tête en enfilant le haut de son pyjama.
- …Les autres ont dit que cela prendrait au moins deux mois. Mais pas plus d’un an, dit-il.
- C’est sûr que ça ne va pas s’arranger tout de suite, mais ça finira par s’atténuer. Penses-y comme des douleurs de croissance. Et je serai là, donc tu pourras toujours compter sur moi.
Oliver parlait avec réconfort, en plaçant sa main sur la tête de Pete et en caressant ses cheveux cendrés. C’était agréable, mais l’instant d’après, Pete sortit de son enivrement et attrapa le bras d’Oliver.
- …Ne touche pas la tête de quelqu’un juste comme ça.
- Oh, désolé. Je ne sais pas ce qui m’a pris.
- ……O-on doit se lever tôt demain. Allons-nous coucher.
Pete s’emmitoufla dans sa couverture comme s’il essayait d’échapper au moment présent. Oliver se tourna pour retourner à son propre lit quand une petite voix vint de la couverture.
- Et… merci.
Incapable de regarder son ami en face, c’est le mieux que Pete ait pu faire. Oliver accepta avec joie sa gratitude maladroite avec un sourire.
- Bonne nuit, Pete.
——————————————————————
Le lendemain, au déjeuner, Pete avait décidé de le dire à ses amis. C’était quelque chose qui lui trottait dans la tête depuis cette nuit avec Carlos.
- Un reversi ?! C’est pas vrai ! C’est incroyable !
Les yeux de Katie étaient devenus aussi larges que des assiettes après avoir entendu son histoire. Les six, blottis dans un coin d’une salle de classe vide sous le voile d’un sort d’atténuation du son, écoutaient Pete.
- Je me doutais de quelque chose, mais un reversi… C’est un trait assez rare. Félicitations, Pete. Je suis de tout cœur avec toi.
Chela saisit sa main et le félicita. Elle et Katie avaient réagi de la même manière qu’Oliver. Pete, reconnaissant que c’était une perspective unique aux mages, exprima ses inquiétudes.
- En ce moment, je suis tellement occupé à être malade que je n’ai pas l’impression que c’est quelque chose dont je peux être fier. Comment suis-je censé utiliser cette capacité ?
Il leur demanda abruptement conseil. Chela croisa les bras et fit un « hmmm ».
- Il y a de nombreux avantages, mais voyons voir… Pete, viens ici. Je vais t’apprendre le moyen le plus rapide et le plus pratique pour contrôler le corps des femmes.
Elle lui fit signe, et il se rapprocha à contrecœur. S’abaissant, Chela mit ses doigts à un endroit un peu douteux sous la ceinture de Pete.
- ?! Qu’est-ce que— bon sang
- Pas besoin d’être embarrassé. Écoute, tu es dans un corps féminin et tu as un nouvel organe. Est-ce que tu sais ce que c’est ?
Chela posa cette question alors que Pete paniqua. Il regarda alors craintivement sa moitié inférieure, acceptant la réalité.
- C’est ça…tu as un utérus. Là où se trouvent les ovaires, dit Chela.
- En tout cas, l’utérus est un organe si important pour les sorcières qu’on l’appelle même le deuxième cœur. La raison étant qu’il agit comme l’une des nombreuses réserves de mana dans le corps.
- Réserves… de mana ?
- Oui. Le mana stocké ici est comme une ration d’urgence, à consommer seulement en cas d’urgence. Quand nous sommes à court de mana, la porte s’ouvre naturellement et fournit de quoi nourrir notre corps. Cependant, avec de l’entraînement, il est possible d’ouvrir et de fermer cette porte à volonté.
Pendant qu’elle expliquait, Chela appuya fermement sur l’abdomen de Pete.
- Tu vas en faire l’expérience là. Prépare-toi à recevoir un choc.
Elle lui donna une seconde pour se préparer, puis, en utilisant son bras comme un conduit, elle envoya du mana raffiné de son intérieur vers Pete. Son cœur battit fort, et son utérus répondit instantanément à l’afflux massif et soudain de mana.
— Gah— ?!
Le mana traversa son corps. Des vagues de chaleur émanaient de lui depuis l’abdomen. Son esprit fut totalement submergé. Il vivait la chose en direct.
- Q-qu’est-ce que c’est ? Un pouvoir déborde en moi… !
- C’est une sensation fraîche et crue n’est-ce pas ? Le déblocage de tes réserves de mana provoque une augmentation temporaire de sa circulation en toi. Ton mana a maintenant été multiplié et l’efficacité de tes sorts en sera visiblement améliorée.
La jeune fille aux boucles anglaises poursuivit son explication. Elle l’avait laissé expérimenter la sensation pendant environ trente secondes, puis elle toucha son abdomen et renvoya son mana à nouveau. Soudainement, les vagues de puissance écrasante à l’intérieur du corps de Pete se calmèrent. Cette fois, il avait compris que les réserves de mana non verrouillées dans son utérus avaient été coupées.
- J’ai fermé la porte. La tension est trop forte sur ton corps alors que tu es encore novice. Mais après cette expérience, qu’en penses-tu ? Un corps de femme n’est pas si mauvais, n’est-ce pas ?
Chela bomba son torse avec fierté. Voyant qu’elle avait fini avec son explication, Oliver intervint.
- La capacité de l’utérus à stocker le mana est la raison pour laquelle les femmes ont historiquement eu un avantage dans le monde magique. Les testicules d’un homme ont une fonction similaire, mais ce n’est rien comparé à l’utérus.
Guy regarda son entrejambe d’un air dubitatif. Oliver fit un sourire en coin, puis poursuivit :
- Cependant pour les hommes, il existe de nombreux endroits dans le corps comme celui-ci. En gardant cela à l’esprit, la rétention totale de mana est similaire pour les hommes et les femmes. Ainsi, aucun des deux sexes n’est inconditionnellement meilleur, ou du moins, c’est l’idée présentée par des recherches récentes.
Satisfaite de son explication complémentaire et précise, Chela hocha fermement la tête. Nanao, impressionnée, posa une main sur son hakama, transformée en jupe.
- Je vois, l’utérus… Je ne suis moi-même que l’ombre d’une femme, mais puis-je faire faire la même chose ?
- Ne soulève pas ta jupe, Nanao ! …Honnêtement, ton flux de mana dépasse de loin ce niveau. Je soupçonne que tu utilises déjà toutes les réserves de mana de ton corps selon tes besoins, y compris celui de ton utérus. D’où cette blancheur immaculée.
Oliver lui somma de baisser sa jupe, tandis que Katie dévisageait Pete de haut en bas.
- …sujets difficiles mis à part, tu as actuellement un corps de fille, n’est-ce pas, Pete ?
Ses yeux brillaient dangereusement. Pete recula devant cette pression indescriptible.
- Qu-Quoi ? C’est quoi ce sourire effrayant… ?
Il fit un pas en arrière, essayant d’échapper à son regard. Katie se rapprocha avec un grand sourire.
- Hey, Pete. Est-ce que tu voudrais porter une jupe ?
- Huh ?!
- Quand je t’ai vu la première fois, j’ai pensé que tes petits traits délicats iraient à merveille avec des habits mignons. J’ai abandonné l’idée, car tu avais un corps de garçon, mais plus maintenant, pas vrai ? Plus rien ne te retient pour porter des habits mimi. Et puis il n’y a aucune raison d’avoir honte pour porter ce genre de choses.
- Bats les pattes !
Pete était devenu blanc comme un linge et se cacha derrière Oliver. Chela croisa les bras d’un air pensif.
- Bien sûr, c’est à toi de voir… mais tu as la possibilité de tirer le meilleur parti de ce trait. Le grand sage Rod Farquois, un autre reversi, était célèbre pour ses nombreux amants masculins et féminins. J’ai entendu dire que la société non-magique était plutôt hétérocentrée, mais les relations sont beaucoup plus variées au sein des mages. Il n’y a aucunement besoin d’être timide.
- Qu— ?
Pete fut déstabilisé par cette information. Incapable de regarder plus longtemps, Guy intervint.
- Laissez-le tranquille, les filles. Son cerveau est sur le point d’exploser. Je veux dire, vous n’arrêtez pas de parler d’utérus et de testicules, et comme…
- Hé, Guy rougit ! Pervers ! Pervers !
- Tais-toi ! Peut-être que je ne suis pas complètement sans gêne comme toi ! cracha Guy en guise de réplique.
Katie se moquait. C’était pour une habituelle querelle entre les deux donc personne n’essaya de les arrêter. Juste à ce moment-là, une voix de l’extérieur du cercle d’amis prit la parole.
- Vous semblez tous vous amuser. Je ne sais pas ce que vous racontez.
Le sort d’atténuation du son de Chela empêcha tout son de s’échapper de leur bulle, mais permettait quand même aux sons extérieurs de les atteindre. Tout le monde s’arrêta de parler, se tournant vers la source de la voix. Oliver fut choqué de le revoir si vite.
- Rossi. Que fais-tu ici ?
- Aw, pas besoin d’être si tendu, eh ? Je suis juste venu me plaindre. Je ne suis plus votre ennemi désormais.
Sentant la tension dans l’air, Rossi leva les mains pour indiquer qu’il n’était pas une menace. Chela, qui était sur ses gardes après avoir dissipé le sort d’atténuation du son, se détendit un peu.
- J’ai perdu plus d’une fois la nuit dernière. Il me reste encore des médaillons, mais à quoi bon, eh ? J’ai vu mes limites et j’ai perdu toute motivation. Alors je me retire.
- Plus d’une fois ? Tu as affronté en duel quelqu’un d’autre après moi ?
- Oui. Ne me regarde pas comme ça, Oliver. La moitié du temps imparti pour ce tournoi est écoulée. Il ne reste plus que les forts. Je m’attends à ce que tu battes la plupart d’entre eux. Mais surveille tes arrières, parce que certains sont vraiment puissants.
Rossi laissa tomber son attitude insouciante pour délivrer un avertissement solennel. Oliver, incapable de comprendre quel était son objectif, se tut.
Un sourire revint sur son visage, déplaçant son regard sur la jeune aziane.
- C’est valable pour toi aussi, Nanao. Montre-moi ce que tu sais faire. Je suis un grand fan de toi après tout.
Il attrapa sa main et la serra vigoureusement. Puis il détourna rapidement les talons.
- Eh bien, au revoir. J’ai pensé aller voir maître Garland pendant le déjeuner aujourd’hui. À bientôt, Oliver. Je vais me reformer, et serai de retour pour te défier à nouveau.
Il leva la main et s’éloigna. Une fois parti, Chela hocha la tête, ayant compris.
- …Je vois. Alors tu l’as battu la nuit dernière. Je me doutais que Mr. Rossi n’allait pas se laisser faire. Très impressionnant, Oliver.
Chela relança le sort d’atténuation et l’écouta avec une attention soutenue, demandant plus de détails.
- Ouais, il est vraiment fort. Il a quelque chose que je n’ai pas, dit Oliver se remémorant leur duel de la nuit dernière.
- Oh, c’est vrai ! J’ai aussi quelque chose à discuter avec vous tous.
Katie prit la parole pendant une accalmie dans la conversation. Elle fit une pause, puis continua avec un ton sérieux.
- Que pensez-vous d’avoir notre propre base secrète ? Partant ?
Les cinq avaient eu du mal à en croire leurs oreilles. Guy, qui n’a pas compris ce qu’elle voulait dire, pencha la tête avec méfiance.
- …Si je devais choisir, je dirais que j’en voudrais une. Mais d’où ça vient ?
- Non, je comprends. Elle suggère d’avoir un atelier partagé, intervint Oliver.
Guy hocha la tête, et Chela prit la parole pour donner plus d’explications.
- C’est, littéralement, un atelier mis à disposition pour plusieurs étudiants. Ce n’est pas rare à Kimberly. Cependant, seule une poignée d’élèves de dernière année est autorisée par l’école à en avoir un sur le campus. Une exception pour des première année sans mérite comme nous serait…
Elle expliqua en quelque sorte jusqu’à quel point le concept était réalisable, mais n’alla pas jusqu’au bout de ses paroles. Au lieu de cela, Oliver le dit pour elle.
- …Tu veux qu’on mette en place un atelier non officiel dans le labyrinthe, n’est-ce pas ?
Guy et Pete restèrent figés, sous le choc. Katie, consciente du fait que tout le monde avait les yeux rivés sur elle, Katie acquiesça.
- Oui, c’est ça. Mais on ne partirait pas de zéro. J’ai déjà un endroit en tête. Il y a là-bas la plupart éléments essentiels et c’est dans la première strate du labyrinthe.
Elle semblait avoir quelque chose de très précis en tête. Comprenant, Oliver mit une main sur son menton.
- L’atelier de Miss Miligan, c’est ça ?
- QUOI ?! laissa échapper Guy avec une voix quelque peu hystérique.
Katie enchaîna rapidement avant qu’il ne puisse en dire plus.
- Elle a plusieurs ateliers dans le labyrinthe, pas seulement celui où j’ai été emmenée. Pour s’excuser, elle voulait m’en donner un. Et puisque la zone a été un atelier depuis le début, l’environnement est parfait. Je ne pense pas que ce soit une mauvaise idée, personnellement, mais qu’en pensez-vous ?
Personne ne parla. Non pas parce qu’ils n’avaient aucune objection, mais parce qu’il était difficile de se mettre d’accord sur une chose sujette à reproches. Des dizaines de secondes s’écoulèrent jusqu’à ce que Guy réplique.
- Tu es folle ? C’est un atelier créé par Miligan ! Tu imagines à quoi il a pu servir ?
- Elle prétend qu’il n’a pas été utilisé pour ses expériences sur les demi-hommes comme elle avait des difficultés d’approvisionnement. Honnêtement, je ne sais pas à quel point ce qu’elle dit est vrai. Je pourrais énumérer mes doutes pendant des jours, mais ma première impression est que c’est propre.
Katie lui répondit sans détour, comme si elle s’était attendue à cette question. Guy ouvrit la bouche pour argumenter, mais elle parla au-dessus de lui.
- Si nous ne profitons pas de cette situation, il sera impossible d’avoir un atelier pour nous. Bien sûr, je suis consciente que je ne peux pas l’utiliser toute seule. Je veux donc compter sur vous. Est-ce que vous m’aiderez à gérer l’atelier que Miss Miligan m’a donné ? Vous pouvez l’utiliser pour ce que vous voulez !
Son désespoir de les persuader transparaissait dans son expression alors que Katie continuait sa proposition. Oliver l’analysa, avec un visage impassible.
- Il est certainement de tradition que les élèves de Kimberly mettent en place des ateliers à l’intérieur du labyrinthe. Cependant, c’est généralement au cours de leur troisième année, ou au plus tôt dans la seconde moitié de leur deuxième année.
- Pour les première année, le risque de descendre dans le labyrinthe dépasse de loin les avantages d’avoir un atelier. Si tu ne peux pas te protéger, ce n’est même pas la peine de discuter. Katie, tu comprends cela, n’est-ce pas ?
Chela choisit ses mots pour être aussi convaincante que possible. Katie baissa les yeux vers le sol et demanda.
- Une moyenne de huit cent vingt par an… Sais-tu à quoi correspond ce chiffre ?
C’était une question étrange. Les cinq ne purent répondre, alors Katie continua.
- C’est le nombre de demi-hommes exploités et détruits par cette école. Ils sont utilisés comme matériel de recherche, comme des jouets pour le divertissement et un tas d’autres choses. Mais ce n’est que le chiffre déclaré publiquement. Il doit être beaucoup plus élevé si on inclut les incidents qui ne sont pas signalés. Et si vous ajoutez les créatures magiques au-delà des demi-hommes, il est impossible d’imaginer à quel point ce chiffre peut grimper en flèche.
Oliver déglutit. Il n’avait jamais entendu ce chiffre auparavant. Katie se renfrogna.
- Ce serait différent si chaque sacrifice était absolument nécessaire. Mais la vérité, c’est qu’ils ne le sont pas. Les étudiants et l’école ici traitent les créatures magiques avec une terrible indifférence et les tuent inutilement. Ils n’essaient même pas de respecter la vie des êtres non-humains.
Elle avait fait l’expérience de cette attitude plus de fois qu’elle ne voulait se le rappeler depuis son entrée à Kimberly. Katie leva les yeux au ciel.
- Je veux changer cette tendance. Mais je ne peux rien changer toute seule. Tout d’abord, je veux gagner un prix en tant que chercheuse, en me concentrant sur la communication interespèces. Je veux mettre en place une relation durable entre nous qui remplacera cet abus unilatéral et cette exploitation.
Chela croisa les bras en réfléchissant alors qu’elle écoutait Katie expliquer sa vision.
- Une communication interespèces ? Je déteste l’admettre, mais c’est la première fois que j’entends parler d’un tel domaine.
- Je ne suis pas surpris. Ce n’est pas un domaine majeur. J’ai cherché dans toutes les parties de la bibliothèque où j’avais été autorisée à entrer, et je n’ai pu trouver que trois livres sur le sujet. Pour l’instant, je ne fais que fouiller dans les vieux essais des étudiants, mais au moins c’est déjà quelque chose.
Katie sourit tristement, son ton n’était pas très encourageant. Mais sa force revint avec ses mots suivants.
- On peut aussi voir ça comme une mine d’or inexploitée. Si je creuse vraiment, je suis sûre que je découvrirai quelque chose de nouveau. C’est pourquoi là, je veux commencer à acquérir de l’expérience dès que possible. Je veux approfondir mes études pour un échange sain avec ces êtres vivants. Pas ce que cette sorcière appelle un « cours » !
Oliver pouvait sentir la profondeur de sa passion à la puissance de son ton. Katie Aalto voulait prodiguer un enseignement différent de celui de Vanessa Aldiss.
- Pour être très claire, je veux un endroit que je peux contrôler et où je peux élever des créatures magiques. C’est dans ce but que je veux utiliser l’atelier de Miss Miligan. Mais je ne peux pas le faire toute seule, alors je vous demande de m’aider. Je sais que c’est brutal…
Elle s’était éloignée. Ses idéaux étaient grands, mais elle semblait constamment tourmentée par son manque de pouvoir pour les réaliser.
- Je suis désolée d’avoir été égoïste. Honnêtement, je sais qu’il serait naturel pour vous de refuser. Je ne sais même pas si l’un d’entre vous veut un atelier à ce stade. Donc si vous avez des réserves, refusez tout de suite. Je trouverai un autre moyen—
- J’en suis !
Nanao ne put attendre la fin de son discours. Les cinq autres la regardèrent avec surprise, alors elle continua sans hésiter.
- Je ne sais pas exactement ce qu’est un atelier. Mais d’après ce que j’ai compris, Katie veut revendiquer un territoire dans le labyrinthe, non ? Alors en tant que guerrière, c’est mon travail de protéger ce domaine. Ce sera un honneur pour moi de servir la cause !
Elle se tint devant Katie et saisit ses mains fermement en l’encourageant.
- Aie confiance, Katie. La lumière de la détermination est dans tes yeux. Et elle n’a fait que grandir depuis ta rencontre avec ce troll. Un jour, je souhaite voir cette lumière illuminer les ténèbres. Et c’est suffisant pour que je me joigne à toi.
- Nanao…
Submergée par l’émotion, Katie serra Nanao dans ses bras, les larmes aux yeux. Guy sourit maladroitement.
- …Je suppose que j’en suis aussi. Ce n’est pas la première fois que tu me traînes par le bout du nez. Et… l’idée d’avoir mon propre jardin est tentante.
- Guy !
Le grand garçon afficha un immense sourire. Après un moment de réflexion, Chela et Oliver échangèrent un regard, puis parlèrent à leur tour.
- …Très bien, comptez sur moi aussi. Il y a beaucoup de personnes pleines de volonté ici à Kimberly, et ces volontés prennent de nombreuses formes. C’est la marque d’un bon ami pour soutenir quelqu’un qui essaie d’aller de l’avant.
- Je savais que si Nanao était d’accord cela motiverait tout le monde. Mais laissez-moi vous dire une chose : la sécurité de chacun passe avant tout. Si quelqu’un est menacé, alors nous abandonnerons l’atelier. Si tu es d’accord avec ça, alors je te suis. Qu’en dis-tu ?
Katie hocha la tête à plusieurs reprises, puis jeta un coup d’œil à leur dernier ami, Pete.
- Tu… n’es pas partant, Pete ?
Ses yeux étaient remplis d’espoir, mais aussi préparés au pire. Après quelques secondes de silence, il soupira de façon dramatique.
- …Quel est l’intérêt de demander quand tu m’as déjà enlevé toutes mes options ? Je peux à peine prendre soin de moi-même en ce moment. Si Oliver et Chela sont d’accord, alors je dois évidemment suivre le mouvement.
Après avoir renâclé, il détourna le regard. Katie se jeta sur lui et le serra dans ses bras.
- Merci ! Je vous aime tous… !
Uwah ! Ne me fais pas de câlin comme ça ! Pete se débattit et finit par la repousser.
- …Tu as une sacrée poitrine, dit-elle doucement. —— Tu devrais probablement porter un soutien-gorge.
- On ne t’a rien demandé !
Pete couvrit sa poitrine avec ses bras et se cacha dans l’ombre d’Oliver. Chela les regarda chaleureusement, puis pensa à quelque chose.
- Tu vois clairement sur le long terme, Katie. Je n’avais aucune idée que tu avais de telles aspirations pour la recherche, les distinctions et les réformes. Je pensais simplement que tu allais rejoindre le mouvement des droits civiques sur le campus.
- Oh, eux… Oui, je me suis renseignée sur eux. Mais dire qu’ils sont des alliés, eh bien… Non ! Nous sommes très différents.
Elle émit un sourire sec en se rappelant les personnes qu’elle avait rencontrées.
- … C’était comme un groupe de minis Miligan, mais en un peu différent bien sûr. Est-ce que ça fait sens ?
Personne n’essaya de demander plus de détails. Oliver prit une inspiration, puis décida de changer de sujet.
- Si c’est réglé, alors nous devrions nous mettre en route. Allons tous ensemble réclamer notre atelier. Est-ce que dans deux nuits à partir de maintenant, ça vous va pour la mise en place ?
Personne ne s’y opposa. Et c’est ainsi que leur aventure commença.
Une fois le déjeuner terminé, c’était l’heure des cours de l’après-midi. Les étudiants se réunirent dans la classe d’alchimie avec leurs manuels sur leur bureau. Une majorité d’entre eux, cependant, partageait la même inquiétude.
- …L’instructeur Darius ne viendra pas non plus aujourd’hui, n’est-ce pas ? chuchota Guy. Tout le monde était visiblement mal à l’aise.
En effet, leur instructeur d’alchimie, Darius Grenville, avait tout simplement disparu.
- Vous pensez que ce qu’ils disent est vrai ? Qu’il a disparu dans le labyrinthe ? dit Guy.
- C’est difficile à dire. Un étudiant serait une chose, mais il est difficile d’imaginer que cela puisse arriver à un membre du corps enseignant. Oliver, qu’en penses-tu ? demanda innocemment Chela.
Oliver répondit sans laisser une once de ses véritables sentiments remonter à la surface.
- J’ai entendu dire que seuls les instructeurs entretiennent les abysses du labyrinthe. La piste de l’accident est possible même pour un professeur. Ce n’est qu’une possibilité, cependant.
Il s’efforça de donner sa réponse habituelle, plate, pour ne pas éveiller de soupçons. Heureusement, personne ne le soupçonnait. À ce moment-là, Pete se joignit à la conversation.
- J’ai entendu beaucoup d’autres rumeurs bizarres. Comme des luttes intestines au sein de l’école. Qu’il a été tué par un mage qui en voulait à Kimberly.
- Pete, ne dis pas de telles bêtises, gronda Chela.
Kimberly était un vivier pour un nombre infini de rumeurs de ce genre, mais les creuser de manière inconsidérée était un moyen infaillible de raccourcir sa durée de vie.
- Hmm, je me demande ce qui s’est vraiment passé.
Une voix vint soudainement du dessus. Les étudiants levèrent les yeux de surprise pour découvrir un homme debout la tête en bas, au plafond. Des boucles dorées étaient drapées de chaque côté de sa tête, tout comme Chela.
- Père ?!
- Mon oncle !
Deux voix s’exclamèrent à l’unisson. L’une était celle Chela, tandis que l’autre était celle de Stacy Cornwallis de l’autre côté de la pièce. L’homme bascula et atterrit sur le sol, puis donna instantanément à la fille en face de lui une étreinte serrée.
- Oui, c’est ton papa ! Ça fait combien de temps, Chela ? Tu es devenue tellement plus belle depuis le peu de temps que je suis parti.
Chela accepta l’étreinte de l’homme, mais seulement pendant cinq secondes.
- Ce n’est ni le moment ni l’endroit ! Où diable étiez-vous ?!
- Oh, partout. Tu sais que j’ai été occupé. Je m’excuse si tu t’es sentie esseulée.
- Il y a quelqu’un d’autre auprès de qui vous devriez vous excuser en premier !
Chela le réprimanda en pointant son amie, Nanao, à ses côtés. Réajustant ses vêtements, l’homme se tourna vers elle.
- Oui, bien sûr. Cela fait six mois que je ne t’ai pas vue. Est-ce que tu t’amuses ici, Nanao ?
- Oui je m’amuse. Je suis heureuse de voir que vous êtes également en bonne santé, lord McFarlane.
Elle sourit et eut une discussion agréable avec l’homme. À ce moment-là, Oliver et les autres se souvinrent de l’histoire qu’elle leur avait racontée. Comment elle était arrivée dans leur école depuis la lointaine contrée d’Azia et le mage qui l’avait découverte sur le champ de bataille de Yamatsu.
- Je ne peux pas croire que vous l’ayez traînée à l’autre bout du monde, que vous lui avez appris la langue, pour ensuite l’abandonner ! Avez-vous la moindre idée de combien elle a souffert depuis la rentrée ?
- J’étais légèrement inquiet à ce sujet, mais je savais qu’elle irait bien. Tu es dans sa classe après tout.
- Quel père rejette toutes ses responsabilités sur sa fille ? Vous ne changerez jamais !
Le ton de Chela devint de plus en plus agressif alors qu’elle commençait à sermonner son père. L’homme tempéra sa rage avec en posant ses mains habiles sur elle alors qu’il dévisageait Nanao.
- Tu as l’air en forme, Nanao. Je vois que tu as eu beaucoup d’autres merveilleuses rencontres en dehors de ma fille. Êtes-vous ses amis ?
Il se tourna vers le groupe d’Oliver. Ils voulurent se présenter, mais l’homme détourna son regard vers l’estrade.
- J’adorerais rester et discuter, mais je suis techniquement ici pour diriger la classe. Peut-être une autre fois. Ah, Miss Cornwallis. Je suis heureux de voir que tout va bien.
Il avait appelé l’autre fille qui le regardait, puis se dirigea vers l’estrade en traînant des pieds. Une fois arrivé, il balaya la pièce du regard.
- Maintenant, laissez-moi me présenter. Je suis Théodore McFarlane, un professeur à temps partiel à Kimberly. Je n’enseigne aucune matière en particulier. Je dépanne çà et là les autres instructeurs. J’espère que nous pourrons tous nous entendre.
Il se présenta avec désinvolture. L’un des étudiants hurla une question.
- Excusez-moi ! Est-ce que cela signifie que vous allez être notre professeur d’alchimie à partir de maintenant ?
- Non, mon rôle est seulement d’être ici pour quelques cours. Je peux enseigner, mais l’essentiel de mon travail se passe en dehors de l’école. Je ne peux pas rester longtemps sur le campus.
- Alors, le professeur Grenville reviendra ?
L’homme aux boucles poussa un léger soupir à l’entente de ce nom.
- S’il revient vivant. Mais je soupçonne que nous ne le reverrons jamais.
Les élèves déglutirent. Il venait de sous-entendre que le mage Darius Grenville était mort.
- À titre d’information, il n’est pas rare que des mages disparaissent. Mais quand on a vécu dans ce monde aussi longtemps que moi, on le ressent. C’est l’une de ces fois où l’on sait qu’il n’y aura pas de retour. Je ne suis pas un prophète, cependant. C’est juste un sentiment.
Un frisson parcourut l’échine d’Oliver. Calme-toi. Il n’y a pas moyen qu’il ait pu avoir déjà compris. Je n’ai pas été aussi négligent, se dit-il.
- Cela dit, la directrice a déjà contacté son remplaçant. Pour ceux d’entre vous qui étaient les apprentis de Darius ou qui espéraient en devenir un, vous avez ma plus profonde sympathie. Mais je vous garantis que votre prochain professeur d’alchimie sera incroyable, lui aussi. Vous aurez juste à me supporter jusqu’à ce qu’il arrive.
Théodore avait changé de sujet, empêchant quiconque de parler de Darius plus longtemps. Soulagé, Oliver se réprimanda. Ne baisse pas ta garde. Cet homme ne doit pas être sous-estimé.
- Maintenant, nous pouvons commencer ? Errr, quelle était la leçon d’aujourd’hui… ? L’antidote pour le champirire[2] ? Hmmm.
Un regard étrange apparut sur le visage de Théodore alors qu’il feuilletait le manuel scolaire. Il réfléchit pendant quelques secondes.
- Faire ça de manière normale serait tellement ennuyeux. Quand vous finirez de faire vos antidotes, donnez-les moi, et je les boirai.
Les élèves le regardèrent avec horreur. Il ne semblait pas s’en soucier.
- Je vous noterai en fonction de sa qualité. Je vous donnerai aussi des critiques détaillées, bien sûr. Tout le monde a ses outils sur son bureau ? Alors commencez !
Il frappa dans ses mains et leur fit signe de commencer. Tout en regardant les étudiants se mettre frénétiquement au travail, il continua à parler.
- Ce n’est pas une recette difficile, donc vous pouvez vous permettre de m’écouter bavarder, n’est-ce pas ? Oh, ma dernière aventure a été dingue. L’un d’entre vous a-t-il lu ma série Voyage vers l’Est ?
Une fille blonde dans un coin de la pièce leva la main.
- Je suis en train de prendre mon temps avec le tome douz——
- Je les ai tous lus !
Pete leva sa main pratiquement au même moment et cria lui aussi. L’instructeur ignora une Cornwallis surprise par le cri, se concentrant sur Pete.
- Merveilleux ! Mes voyages sont financés par les ventes de mes livres, donc tu me nourris ! Puis-je avoir ton nom ?
- Pete Reston, monsieur !
- Pete, eh ? Ok ! Je m’en souviendrai. Je te rapporterai un souvenir la prochaine fois.
Il se dirigea vers la table de Pete pour l’observer en train de mélanger avidement son antidote.
- J’ai écrit cette série en me basant sur l’énergie et l’esprit de mes destinations. Mais ce n’est pas si utile pour apprendre les vraies sensations et leur culture de ces territoires. Lors de mon voyage le plus récent, j’ai même trouvé que beaucoup de choses que j’avais écrites devaient être corrigées.
L’instructeur aux bouclettes passa une main sur son front en guise de réflexion.
- Comme quoi… ? demanda Oliver, en continuant de s’occuper de son antidote.
- Mmm, par exemple, le produit alimentaire connu sous le nom de soba à Yamatsu. Dans le volume 3, j’avais stipulé que c’était un plat de nouilles au goût très délicat, servi avec une soupe froide très salée. Mais je me suis trompé. Ce n’était pas une soupe ; c’était une sauce ! Et vous ne la versez pas sur les nouilles ; vous soulevez ces nouilles froides et vous les trempez dedans !
Il plongea une main dans la poche de son manteau et récupéra deux bâtonnets longs et fins. Il les saisit entre les doigts de sa main droite.
- C’est aussi comme ça qu’on tient les baguettes. Intelligent, n’est-ce pas ? On attrape les nouilles comme ça… puis on les engloutit en une seule bouchée. Les manières sont différentes là-bas alors c’est bien de faire beaucoup de bruit quand on mange.
Il imita le fait de manger du soba pour son audience. Guy, à moitié incrédule devant cette culture alimentaire étrangère, se tourna vers la fille à côté de lui.
- …C’est vrai, Nanao ?
- En effet. Ça me rappelle que je n’ai pas mangé de soba depuis mon arrivée ici.
- Vous en avez envie ? Bien, bien. Alors j’en ramènerai la prochaine fois, promit l’instructeur en continuant à raconter ses histoires.
Chela bouda en silence puis finit par éteindre la flamme de son chaudron.
- …J’ai fini.
- C’est bien ma fille ! La crème de la crème !
Théodore prit la fiole de l’antidote fini et l’avala comme promis. Instantanément, une masse de bulles commença à mousser de sa bouche.
- Blrrbllrbl !
- Oh mon Dieu, j’ai mis trop d’herbe à bulles. Votre bavardage inutile m’a tellement déconcentré que ça m’a un peu glissé des mains.
Blrggrble… ! M-mon adorable fille ! C’est bien plus qu’une petite glissade là.
Théodore réussit enfin à avaler les bulles et à parler. Juste à ce moment, une voix différente s’exprima derrière lui.
- J’ai fini, moi aussi.
- ?! Attends, Nanao ! C’est impossible que tu aies fini si vite, commença Oliver.
- Ok ! Place au deuxième antidote !
Avant qu’Oliver ne puisse l’arrêter, l’instructeur but la concoction de Nanao.
Il l’avala bruyamment, et une seconde plus tard, des larmes coulèrent à flot de ses yeux.
- Mes yeux ! Mes yeux ! Nanao, comment as-tu pu ? L’amertume de l’oignon pleureur n’a pas été tempérée du tout !
- Mmm ? Ai-je fait une erreur quelque part ?
- C’est parce que tu ne l’as pas lavé à l’eau salée après l’avoir écrasé ! Combien de fois t’ai-je dit de ne pas prendre de raccourcis avec la recette ?
Oliver la sermonna alors qu’il préparait rapidement une fiole de neutralisation. Théodore en prit une gorgée ce qui ralentit les pleurs.
- Pf-pfiou… Merci. Combien d’années se sont écoulées depuis la dernière fois que j’ai pleuré comme ça ? C’était plus intense que je ne le pensais. Hum, rappelle-moi, combien en dois-je encore boire ?
- Plus que trente-huit, père.
- Je vais mourir ! cria-t-il en réalisant après coup. Stacy les fixa du regard puis leva la main.
- Mon oncle ! J’ai fini, moi aussi !
- Hmm ? Oh, oui, oui.
L’homme se tamponna les yeux avec un mouchoir, puis se rapprocha d’elle. Stacy était raide comme une planche alors qu’il buvait son antidote terminé.
— Mm, bravo. Ce fut chauffé uniformément, et les ingrédients ont été finement préparés, donc c’est assez doux. Le goût est rafraîchissant, aussi. Je ne serais pas surpris de le voir en vente dans un magasin.
- V-vous m’honorez ! Hum, je—
- Un A. Continue de faire du bon travail.
Il la nota rapidement et s’éloigna sans autre forme de procès. Stacy resta plantée là sans pouvoir finir ce qu’elle voulait dire.
- Professeur, j’ai fini aussi !
- Oh ! Oui, Pete ! J’ai de grands espoirs en toi !
Théodore alla directement vers le garçon à lunettes et vida la fiole, sans prendre la peine d’étudier son contenu. Il savoura le goût avec un visage impassible, soudainement transformé en une expression de pure joie.
- Oh, c’est excellent ! C’est tout aussi bon que celui de Miss Cornwallis ! Je peux voir d’après cette concoction que tu étudies beaucoup.
- V-vous me flattez, professeur !
Pete rougit à cause du compliment. Mais devant ses yeux, la lumière s’estompa sur le visage de Théodore.
- ……
- …P-Professeur ?
Pete appela prudemment son instructeur. L’homme tomba sur le sol, serrant ses genoux, puis se coucha sur le côté.
- …La vie est pleine de désespoir… Je veux mourir…, marmonna-t-il.
- Oh non ! cria Oliver —— Il fait une overdose et a l’air de sombrer dans une brusque dépression ! Il a besoin d’un antidote, maintenant !
- Sérieusement, père ? Que c’est idiot ! dit Chela à son père—— N’importe quel médicament peut devenir un poison si on en prend trop.
Tous les deux se mirent au travail pour essayer de sauver leur instructeur. Avant qu’ils n’aillent plus loin, Guy attrapa l’échantillon de Champirire sur sa table.
- S’il a fait une overdose d’antidotes, ne devrait-il pas manger le champignon lui-même pour annuler l’effet ? Tiens, celui-ci est tranché finement.
- Attends, Guy ! Tu ne peux juste pas…
Avant que Katie ne puisse l’arrêter, il mit le champignon dans la bouche de Théodore. Il le força à mâcher et avaler. L’homme se détendit instantanément.
- Bwa-ha-ha-ha-ha-ha ! Le ciel est plein d’arc-en-ciel !
- Merde, c’est un peu trop efficace !
- Guy ! réfléchit un peu avant d’agir !
L’aggravation de la situation donnait à Oliver l’envie de se frapper la tête. Pendant qu’ils s’efforçaient de remettre la classe sur les rails, l’humeur de Théodore était en dent de scie.
——————————————————————
Même après que le cours d’alchimie se soit terminé et qu’ils aient bougé dans leur prochaine classe, les six amis n’arrêtaient pas de parler de ce qui venait de se passer.
- Ton père est un drôle de type, pas vrai ?
- S’il te plaît, ne parle plus de lui… Je peux sentir la vapeur sortir de mes oreilles.
Chela couvrit son visage de honte. C’était nouveau pour tout le monde.
- Il agit de cette façon pratiquement tout le temps. Les gens l’appellent « l’électron libre », mais on ne peut pas nier le fait qu’il n’a pas le sens des responsabilités nécessaires pour un parent ou un professeur. C’est une source de souffrance sans fin.
Elle soupira, revivant à regret cette expérience. À côté d’elle, Pete attendait nerveusement le début de leur cours d’art de l’épée.
- C’est enfin le moment des vrais duels…
- Calme-toi, Pete. Il n’y a pas besoin de se précipiter.
Oliver essaya de le calmer alors qu’ils se tenaient dans leurs lignes. À ce moment-là, Maître Garland apparut devant eux dans l’habituelle salle de classe géante, vêtu d’une cape blanche.
- Commençons. Comme je l’ai dit la dernière fois, vous allez inclure des sorts dans vos duels aujourd’hui. Ainsi, bien que vous ayez été distancés par l’expérience dans le passé, je vais choisir les duels. Beaucoup d’entre vous seront hors de votre catégorie. Considérez cela comme une expérience d’apprentissage.
Une fois cela dit, Garland commença à lancer le sort d’émoussage sur les épées de tout le monde, comme d’habitude. Il avait ensuite choisi au hasard une paire d’élèves sur trois duos pour initier un combat pendant que les autres regardent. Les élèves s’avancèrent quand il les appela par leur nom.
- …Ah.
- —Mm.
Et c’est ainsi que Pete et Stacy se retrouvèrent adversaires. Elle avait fait
une sacrée impression participant au tournoi de Rossi. Ils se positionnèrent à la distance d’un pas, un sort.
- Pete est contre une de tes proches, non ? demanda Guy à Chela.
- …Oui. Ce sera un combat difficile pour lui.
Elle regarda les deux opposants intensément. Oliver en fit de même. C’était la première chance pour montrer le fruit de son travail à ses amis.
- Le duel ne se terminera pas avec un seul point, dit Garland ——Continuez à vous battre jusqu’à ce que le temps soit écoulé. Maintenant, commencez !
Garland signala le début du duel. Pete prépara avec frénésie son épée.
- Ne panique pas, Pete ! cria Oliver de l’extérieur de l’arène ——Concentre-toi juste sur le fait d’obtenir un point pour commencer !
Il encouragea Pete pour essayer de le détendre. La tempe de Stacy se contracta.
- « Pour commencer » ? … Je vois que vous me sous-estimez aussi, murmura-t-elle, un regard acéré dans les yeux.
Elle pointa la pointe de son athamé vers son adversaire.
- Viens, progéniture de non-mage. Je vais te montrer à quel point tu es surclassé.
Essayant de ne pas succomber à son intimidation, Pete fit un pas en avant dans sa position intermédiaire.
- Gah ?!
Au moment où il essaya de pivoter, son adversaire avait déjà lu en lui et l’accueillit avec une poussée. L’impact le fit voler et il atterrit sur le dos. Stacy le regarda froidement.
- Lève-toi, demanda-t-elle impitoyablement. —— Nous avons encore beaucoup de temps encore.
Pete serra les dents et se leva. Reprenant sa position, il attaqua son adversaire, qui ne semblait pas du tout perturbé.
- Haaah !
Elle para habilement son attaque visant le poignet. Contrairement à avant, lorsqu’elle avait contré son premier coup, Stacy resta sur la défensive. Pete déchaîna une rafale de coups, qu’elle bloqua avec facilité. Elle se mit à grogner.
- …Tes attaques n’ont aucun sens. Même pour un débutant, tu es mauvais. Tu n’as même pas une once de bon sens.
Elle esquiva une charge et profita de son élan pour balayer ses pieds. Pete perdit l’équilibre et tomba au sol. Il se releva ensuite, furieux.
- Pete, reste calme ! cria Guy depuis la foule.
- C’est un duel avec magie, tu te souviens ?
- — !
Pete sortit de sa colère. C’est vrai, les sortilèges sont autorisés maintenant. Il n’y avait pas besoin de continuer à se battre à portée de lames. Changeant de tactique, Pete fit un bond en arrière. Stacy expira avec pitié.
- Imbécile. Tu penses vraiment que tu as plus de chances avec des sorts ?
Les deux se tinrent à l’écart, se regardant l’un l’autre pendant une seconde. Pete lança le premier sort.
- TONITRUS !
Il scanda un sort de foudre. Comme pour déclarer son intention de victoire, il enchaîna avec un deuxième et un troisième tir. Mais Stacy ne broncha pas. Elle évita continuellement les attaques, se déplaçant sur le côté juste assez pour esquiver. Elle se défendait calmement avec son athamé, ensorcelé d’une magie opposée.
- Est-ce que tu visais au moins ? TONITRUS !
Elle déclencha le sortilège tout en esquivant l’offensive téméraire de Pete, ce qui le transperça sans pitié.
- Ah–-gah !
- Pete ! cria Katie alors qu’il s’effondra sous le coup.
Cette fois, il ne se releva pas tout de suite. Il eut des spasmes sur le sol, ses membres étant paralysés.
- Tu vois comment je te surclasse ? dit Stacy d’un ton glacial.
- « Je les ai tous lus. » Ha ! Ne sois pas si fier de toi pour un simple compliment !
Ses mots étaient teintés de rage. Guy fronça les sourcils en guise de confusion.
- Pourquoi est-elle en colère ?
- Je ne sais pas. Je ne pense pas qu’ils aient déjà parlé…
- ……
Katie partagea sa confusion pendant que Chela étudiait le duel. Finalement, Pete récupéra suffisamment pour se lever, mais cela ne changea rien. Il l’avait désespérément défié avec sa lame et ses sorts, mais l’habileté de Stacy l’avait fait retomber à plusieurs reprises.
- Elle recommence ! Je peux pas regarder ça ! Ce n’est pas encore fini ?
- Non, attends, Katie, dit Oliver, l’attrapant par l’épaule avant qu’elle ne se jette dans la mêlée.
- Il n’a pas encore abandonné. Et… il y a peut-être encore de l’espoir.
- Huh ?
- Miss. Cornwallis le sous-estime. C’est sa faiblesse.
Il observait attentivement le champ de bataille pendant qu’il parlait. Seuls lui et Chela remarquèrent la ténacité continue et intense dans les yeux de Pete, malgré sa totale incapacité à faire un mouvement de son propre chef.
- Tu n’apprends pas, n’est-ce pas, faiblard ? cracha Stacy, ennuyée par ce schéma qui se répétait sans cesse.
Elle pensait toujours qu’il était à portée d’incantation de sort. Mais Pete fonça sur elle de toutes ses forces.
- Yaaah !
- — ?!
Sa course folle l’a prise au dépourvu. Stacy lança rapidement un sort de foudre, mais elle le manqua, ne faisant que lui effleurer la tête, car il s’était penché en avant autant qu’il le pouvait lors de sa course. Sentant le danger, Stacy fit instantanément un bond en arrière. Pete tendit sa main droite pour se rattraper, puis enchaîna avec une impulsion.
- — !
- Guh… !
Les yeux de Stacy s’écarquillèrent, fixant la pointe de l’épée pointée à 2,5 cm de sa poitrine. La voix de Pete fut emplie de frustration. Il n’avait pas été capable de combler le petit écart entre lui et son ennemi.
- La charge Héroïque, huh ? Ça s’est joué à rien, marmonna Oliver.
La technique d’épée de style Rizett, la Charge Héroïque, était une attaque-surprise qui s’appuyait sur une extrême inclinaison vers l’avant pour entraver l’estimation de la distance par l’adversaire. Chela, qui lui avait appris ce mouvement, acquiesça.
- Oui. Même Miss. Cornwallis ne s’attendait pas à une attaque aussi risquée. Malheureusement, il a manqué d’un peu de justesse dans son exécution.
C’était une expérience amère pour tous les deux aussi. Pete se remit à contrecœur dans sa position. Le silence était lourd.
- …C’était l’idée de Michela ? murmura finalement Stacy.
- ……
Pete ne dit rien. Acceptant son silence comme une réponse affirmative, la fille tordit ses lèvres de colère.
- …Vous me faites tous vraiment chier !
- C’est fini ! Ça suffit !
La voix de Garland résonna puissamment quelques minutes après, et leur duel
prit fin.
- Huff… Huff...
- Tu t’es bien débrouillé, Pete.
Oliver tapa sur l’épaule du garçon haletant. Pete se mordit la lèvre et regarda vers le bas.
- Je n’ai pas pu… obtenir un seul point… !
De grosses larmes coulaient de ses yeux. Oliver hocha la tête, et Chela sourit
doucement. Ces larmes étaient la preuve qu’il n’avait jamais abandonné le match jusqu’à la toute fin.
- Tu n’as pas à être triste. Il y a toujours une prochaine fois, dit Chela.
- Ouais. Ton adversaire était vraiment fort aussi, ajouta Oliver, puis il regarda à travers le champ de bataille vers Stacy qui piétinait le sol avec colère.
Le garçon nommé Fay se tenait à côté d’elle, et il avait calmement répondu au regard d’Oliver.
- C’est logique qu’elle veuille participer à ce petit tournoi cette Miss Cornwallis. Nous ne pouvons pas la sous-estimer.
Il avait honnêtement évalué ses compétences. L’expression de Chela, pendant ce temps, était assez complexe.
——————————————————————
Deux jours plus tard, après que le dîner soit terminé et que les étudiants soient retournés à leurs dortoirs, les six d’entre eux restèrent sur le campus comme promis.
- Tout le monde est là, alors ?
Au signal de Chela, ils lancèrent un sort d’affûtage sur leurs lames et entrèrent par le miroir dans le labyrinthe. Quand tout le monde atterrit dans le hall, Guy regarda les alentours.
- Je viens de réaliser que c’est la première fois que nous allons tous les six dans le labyrinthe. Je suis un peu nerveux.
- C’est bon, c’est bon ! Il n’y a aucune raison d’avoir peur avec nous tous ici ! dit Katie avec enthousiasme, mais Oliver l’interrompit.
- Désolé de tuer l’ambiance, mais honnêtement, le labyrinthe regorge de choses effrayantes. Il y a d’innombrables risques, comme se perdre, d’être attaqué par des bêtes, se faire blesser par des pièges, ou même tomber sur d’autres élèves.
- Urk !
- Au premier niveau, on doit surtout s’inquiéter du premier et du quatrième élément de cette liste, dit Chela.
- Plus on va haut et plus il y aura d’élèves. J’ai déjà rencontré un ainé malveillant auparavant, et ce ne fut pas très agréable.
- Unnngh !
Oliver et Chela avaient uni leurs forces pour tempérer l’audace de Katie. Oliver avait ensuite expliqué leur formation.
- Nanao et moi serons à l’avant, et Chela gardera l’arrière. Vous trois au milieu, restez ensemble dans une formation en triangle. Cela peut sembler exagéré, mais cette formation devrait nous donner une solide défense dans n’importe quelle direction.
- Ok… Et si quelqu’un se retrouve séparé ? demanda Pete.
- N’essayez pas de vous déplacer dans le noir. Restez juste où vous êtes et faites profil bas. Je promets qu’on vous retrouvera.
Pete hocha la tête, et tout le monde se mit en place comme Oliver l’avait demandé. Une fois qu’ils étaient prêts, Nanao s’adressa au groupe.
- Tout le monde est prêt, oui ? En avant, alors !
Six paires de jambes s’élancèrent dans le hall. Alors que Chela fermait la marche, elle remarqua un balai attaché au dos de la fille aziane.
- Nanao, tu as apporté ton balai ? Je doute qu’il y ait beaucoup d’endroits pour voler au premier niveau.
- C’est pas grave. On est encore en train d’apprendre à nous connaître, ce qui implique de passer du temps ensemble.
Nanao sourit et saisit le manche du balai. Oliver sourit, car c’était tout à fait son genre. Katie, qui marchait au milieu, étudiait le garçon à lunettes à ses côtés.
- …Hmm ? Pete, tu es un garçon aujourd’hui.
- C-comment peux-tu le savoir ?
Pete recula, choqué. La fille aux cheveux bouclés mit une main à son menton.
- C’est comme…une aura ? Tu sembles plus calme aujourd’hui, alors j’ai deviné.
Pete grommela. Maintenant qu’il était un Reversi éveillé, son sexe biologique était instable, car il devait apprendre à le contrôler correctement. Oliver, son colocataire, savait que c’était un « jour masculin » depuis ce matin-là.
- Katie, on va compter sur toi pour nous guider. Où devrait-on aller en premier ?
- Hum, je pense que c’est la prochaine à droite. On tourne ensuite à gauche au troisième embranchement, expliqua Katie.
Ils avaient suivi ses instructions, quand tout à coup, un groupe de petites créatures leur barra la route. Elles étaient rondes, et leurs membres minuscules.
- Oh ! Un nid de Souriboules[3].
- Arrête. Tu pourras observer la faune plus tard.
Guy attrapa Katie fermement par le col alors qu’elle essayait d’aller après des créatures. Elle semblait contrariée, alors Oliver lui expliqua.
- Beaucoup des créatures magiques du premier niveau sont petites et timides. Cependant, si tu baisses ta garde, tu peux toujours finir par être sérieusement blessé. Par exemple, cette fissure…
Il dégaina son athamé et l’enfonça dans une fissure du mur. Instantanément, des pinces géantes s’accrochèrent à sa lame. Oliver retira l’arme, faisant sortir un crustacé à peu près aussi grand qu’un chien de taille moyenne.
- Tu vois ? C’est un nid de crabe des failles. Leurs pinces sont super puissantes, et elles peuvent facilement couper plus qu’un doigt si tu mets ta main dedans. Fais attention aux espaces exigus et sombres.
- Ooh… Ce gros crabe a l’air savoureux.
- Tu as un excellent œil, Nanao. Ils sont vraiment bons frais et bouillis dans de l’eau salée.
- Ne te concentre pas sur la bouffe ! Oliver, remets-le à sa place !
Katie le réprimanda et Oliver remit le crabe dans son nid. Puis ils se remirent en route tous les six. Alors qu’ils marchaient, Guy sembla se souvenir de quelque chose.
- Dites, est-ce que Kimberly n’a pas un club de gourmets du Labyrinthe ? Apparemment, ils rassemblent des créatures d’ici et les cuisinent à la recherche de nouveaux mets. C’est chouette, non ?
- Pas du tout ! Je parie qu’ils font des choses comme le sauté de kobold et du ragoût de troll !
Il n’y avait pas à discuter avec Katie sur ce point. À côté d’elle, Pete reniflait l’air.
- …C’est moi, ou quelque chose sent bon ?
- Non, je le sens aussi. C’est très parfumé, comme quelque chose qui cuit.
Chela approuva avec méfiance. Abasourdis, ils tournèrent au coin et en trouvèrent la source.
- …Mmgh ?
- Quoi, des première année ?
Plusieurs visages se tournèrent pour les regarder. Une dizaine d’étudiants étaient assis autour d’un feu sur une place de fortune aménagée dans le hall. La moitié d’entre eux semblaient être de première année aussi et dans l’autre moitié cela allait de la deuxième à la quatrième année. Ne sachant pas s’ils pouvaient passer en silence, Oliver les salua avec hésitation.
- …Bonsoir. Hum, qu’est-ce que vous faites ?
- Nous sommes le Club des Gourmets du Labyrinthe, et c’est notre nouvelle fête de bienvenue pour les nouveaux membres ! Vous voulez nous rejoindre ?!
Le garçon le plus âgé se leva et leur fit signe de venir. Juste à ce moment, un autre élève arriva en courant des profondeurs du couloir. Dans leurs mains se trouvait une effrayante masse rouge-noir.
- Monsieur. J’ai trouvé cette énorme sangsue ! On peut la manger ?
- Tu as vraiment du talent le nouveau ! Ok, essayons de la cuisiner !
- Monsieur, dois-je m’inquiéter ? Ma vision devient floue ! Est-ce que c’est le champignon que j’ai mangé tout à l’heure ?
- Ha-ha-ha-ha ! Tiens, prends de l’antidote ! Tu vas vomir du sang et mourir si tu ne le fais pas !
Le Club des Gourmets du Labyrinthe discutait avec exubérance de choses inquiétantes pendant qu’ils faisaient griller leur repas. Oliver s’inclina.
- …Il semble que nous soyons sur le chemin. Nous allons y aller, alors.
Les six contournèrent la zone et partirent aussi vite qu’ils le pouvaient. Une fois le coin du couloir franchi et hors de portée de voix, Katie prit finalement la parole.
- Je t’avais dit que c’était plein de cinglés !
- Oh, laisse tomber ! Ce n’est pas si différent de ces boissons au goût bizarre à la boutique là ! argumenta Guy.
Chela jeta un coup d’œil derrière eux.
— L’éthique de la nutrition dans le labyrinthe mise à part… Celui qui nous a invités à rejoindre le club est assez célèbre.
- Ah, c’est ce que je pensais. C’est donc Kevin Walker, le Survivant ? dit Oliver en hochant la tête en signe de compréhension.
Guy avait l’air abattu.
- Vraiment… ?! Ah, mec ! J’aurais dû rester pour discuter !
- Quoi ? C’est un gros poisson ou quoi ? dit Katie.
- Bien sûr, répondit Chela.
- J’ai entendu dire qu’il a passé une moitié d’année perdue dans les profondeurs du labyrinthe. L’école l’avait déclaré mort. Ils avaient même organisé ses funérailles, mais ensuite il est revenu en vie !
- Une moitié d’année ? Ici ? C’est impossible. Personne n’est aussi tenace, se moqua Pete.
- Il a raté sa remise de diplôme à cause de ça, donc il est toujours en sixième année actuellement. Je ne sais pas ce qu’il aurait pu nous donner à manger, mais ça aurait pu être intéressant de participer à ce barbecue.
Oliver plaisantait à moitié. Katie secoua la tête furieusement, mais Chela avait l’air quelque peu pensive.
- Oui, ils avaient l’air de s’amuser. Alors c’est ça qu’on appelle un barbecue ?
- Chela, tu n’as jamais fait de barbecue ? demanda Oliver.
- J’ai honte de l’admettre, mais non… Chez moi, nous n’avons jamais mangé ou cuisiné en dehors de la salle à manger.
- Ah, tu rates quelque chose ! dit Guy.
- Très bien, faisons un barbecue bientôt. On pourra le faire dans l’atelier, non ?
- Bien sûr, mais ne te fais pas d’idées bizarres sur la nourriture. Je refuse d’aller chasser dans le labyrinthe.
Katie mit brusquement son pied à terre. Bientôt, tout le monde s’arrêta dans son élan. Devant eux s’étendait un long et étroit couloir. Les murs, le plafond, et le sol étaient couverts de limaces géantes.
— Ugh, c’est un nid de limaces ! gémit Guy.
- Hé, on peut trouver un autre chemin ?
- Pourquoi ? Elles ne font pas de mal aux gens, dit Katie, perplexe.
Elle s’engagea facilement dans le couloir, et la semelle de sa chaussure s’enfonça dans la boue.
- Laissez-moi passer, les gars. Désolée !
Elle avait gentiment, mais audacieusement écarté les limaces sur son chemin et continua d’avancer. Ses cinq amis regardèrent, incrédules, alors qu’elle atteignait l’autre bout du couloir en un rien de temps.
- Vous voyez ? Je nous ai frayé un chemin. Il va bientôt se refermer, alors dépêchez ! cria-t-elle, en indiquant la voie qu’elle avait dégagée.
Obligée d’agir rapidement, chaque personne se jeta l’une après l’autre dans le couloir. Aucune des limaces ne tenta de leur faire du mal, et ils réussirent à atteindre l’autre côté.
- Facile, non ?
- …À part le fait que mon pantalon empeste.
Guy fixa ses vêtements gluants avec dégoût. Katie l’ignora et regarda le sol.
- C’est leur période de reproduction. Si tu regardes bien, tu peux aussi trouver des bébés. Ici, tu vois ? C’est si petit et mignon !
- Whoa ! Ne les laisse pas ramper sur ta main ! Remets-la sur le sol !
Guy fit un bond en arrière quand elle tendit le bébé limace pour qu’il le voie. Oliver, lui, ne pouvait pas se débarrasser d’un pressentiment insistant.
- Hey, Katie, c’est juste moi, ou… est-ce qu’on voit beaucoup de créatures magiques sur cette route ? On n’est pas si profond pourtant.
- V-vraiment ? Peut-être que c’est juste comme ça.
Elle avait rapidement détourné le regard. Guy, sentant ce qui se passait, fronça les sourcils.
- Espèce de petite… Est-ce que tu as choisi cette route exprès ? Comme peut-être après avoir interrogé Miligan sur la répartition de la faune sauvage dans le labyrinthe ?
- Ha-ha-ha-ha ! Bien sûr que non !
Katie se mit à rire de façon robotique, puis se remit à marcher. Une fois qu’elle sentit les regards de tout le monde dans son dos, elle succomba finalement à la pression.
- …Je veux dire, marmonna-t-elle. —— Une route plus vivante n’est-elle pas plus amusante ?
- Alors c’était prémédité !
- …Eh bien, tant qu’on arrive à bon port.
Oliver soupira en se résignant et suivit le chemin de Katie. Après vingt autres minutes, le groupe atteignit un autre couloir à sens unique.
- Oh, attendez, dit Katie. —— Cet endroit pourrait être un petit peu dangereux.
- …Attends. Qu’est-ce que tu veux dire exactement par « dangereux » ? demanda Guy avec appréhension.
Katie ne répondit pas et au lieu de cela, elle sortit une pelote de laine de son sac et la lança dans le couloir. Soudainement, des pointes volèrent de tous les angles du couloir, transformant la balle en pelote d’épingles.
- …Comme ça.
- Un petit peu ?! On aurait été transformés en hérissons au premier faux pas !
Alors que Guy lui criait dessus, Oliver jeta un coup d’œil prudent dans le couloir. Une observation attentive révélait d’innombrables petits trous, de la taille d’un petit doigt sur les murs, le sol et le plafond. C’était la source des aiguilles.
- Ce n’est… pas un piège. C’est une colonie de Coquillarcs
- Ouais… Mais les aiguilles sont petites, donc elles ne peuvent pas tuer un homme. Elles peuvent piquer en masse, mais c’est tout.
- Rien que ça ? Non merci ! …Alors comment on traverse ça ?
Pete avait l’air très inquiet au vu de la situation. Mais Katie marcha devant le groupe, pleine de confiance.
- Laissez-moi faire. Il suffit juste à brûler un certain type d’encens, et ils vont tout de suite s’endormir.
Elle sortit un brûleur d’encens, le déposa sur le sol et l’alluma avec un sort de feu. Une fois que la fumée commença à s’élever, elle la poussa dans le couloir avec un peu de vent magique.
- Bon, voilà. Maintenant, on attend cinq minutes.
Elle continua à maintenir le sortilège de vent. Soulagés d’avoir apporté l’équipement approprié, les cinq autres attendaient le signal. Après seulement quelques minutes, Nanao se retourna soudainement.
- … ? J’entends un son étrange qui s’approche de nous.
La jeune aziane jeta un coup d’œil prudent dans le couloir dans la direction d’où ils étaient venus. Oliver se tourna également.
Il entendit quelque chose être expulsé à haute pression alors que le couloir commençait à se remplir de fumée blanche.
- Mince !! C’est un piège ! dit Oliver en panique.
De la vapeur d’eau s’échappait des trous dans les murs et s’approchait rapidement d’eux. Si c’était vraiment de la vapeur qui remplissait le hall, alors il allait faire une chaleur brûlante.
- Cours, aussi vite que tu peux ! cria Chela.
- Vous serez brûlés terriblement si ça vous touche !
Sentant le danger, Chela exhorta ses amis à bouger. Katie eut l’air horrifiée.
- Huh ?! Non, attendez ! L’encens est toujours—
- On n’a pas le temps ! Allez !
Oliver les obligea à avancer également, et les six amis s’enfuirent dans le couloir. S’ils voulaient éviter de profondes brûlures sur tout le corps, ils n’avaient pas d’autre choix. Environ trente secondes de sprint plus tard, une fois qu’ils n’entendaient plus la vapeur, ils s’arrêtèrent finalement.
- Huff ! Huff ! O-on a survécu, hein ? Oh, mon cœur…
- Tu… Tu…
Katie était soulagée, mais la voix de Guy tremblait. Les cinq autres s’étaient retournés, choqués.
- …Qu’est-ce que tu vas faire pour mon derrière ?
- Uwah !
Pete laissa échapper un cri à cette vue, et les quatre autres déglutirent à l’unisson. Le grand garçon se tenait là, l’air pitoyable, avec des dizaines d’aiguilles plantées dans son derrière. Dix minutes plus tard, grâce à l’aide d’Oliver, toutes les aiguilles avaient été retirées et ses blessures guéries. Le derrière de Guy était comme neuf.
- Katiiiiie ! J’ai un compte à régler avec toi !
- Je suis désooolée ! Pardoooonne-moiii !
Bien sûr, la douleur était encore fraîche dans son esprit. Plein de rage, Guy attrapa les joues de leur guide et les tira. Oliver n’essaya pas d’intervenir. Au lieu de cela, il se tint à côté de Chela et soupira.
- Certains pièges ne s’activent que pour un groupe de personnes. Guy mérite notre sympathie, mais prenons ça comme une expérience pour l’avenir.
- D’accord. C’était juste de l’extrême malchance que le seul endroit où l’encens n’ait pas agi fut le chemin emprunté par Guy.
Les deux avaient pris cette leçon à cœur. Guy, une fois qu’il avait eu fini de punir Katie, la relâcha. Il mit ses mains sur ses hanches de manière menaçante et grogna.
- Hmph… Ok, c’est assez pour le moment. Mais n’oublie jamais le sacrifice de mon derrière. Sois plus prudente en nous guidant à partir de maintenant ! Compris ?
- J…je vais faire de mon mieux…
Les larmes coulèrent des yeux de Katie à cause de la douleur alors qu’elle continuait à guider le groupe vers leur destination.
- Cela dit, nous sommes déjà allés assez loin, remarqua Oliver en la suivant.
- Nous ne sommes pas censés arriver bientôt ?
- O-oui. Nous sommes presque arrivés. Juste après cette pente…
Katie regarda nerveusement sa carte. Mais une fois qu’ils eussent passé la moitié du couloir, elle s’arrêta soudainement.
- Oh ! C’est ici ! Rocher… Non, CAPUTALIS !
En réponse à son sort, les blocs qui constituaient le mur se réarrangèrent eux-mêmes pour créer une entrée après quelques secondes. Katie fit un bond à l’intérieur et ses amies suivirent.
- Bon travail, tout le monde ! Maintenant, entrez ! C’est notre base secrète !
Elle sautait de joie à leur arrivée. D’un coup de baguette, elle alluma une lampe de cristal au plafond. Ses amis poussèrent des ooh d’émerveillements à la vue de leur base.
- Ouais, c’est pas mal.
Oliver fut le premier à commenter. L’atelier faisait environ dix mètres de large et quinze mètres de long, et trois mètres de haut du sol au plafond. C’était à peu près la taille de deux chambres à deux lits du dortoir. Au fond, il y avait des bougies et un poêle, entourés d’armoires remplies d’outils de fabrication de potions et des chaudrons. Sur le mur de gauche, il y avait une seule porte, et sur le mur de droite, il y en avait deux.
- Plutôt bien meublé aussi, nota Guy.
- C’est peut-être un peu juste pour six personnes, cependant.
- Hee-hee-hee, c’est ce que vous pensez, n’est-ce pas ? Mais vos inquiétudes sont infondées !
Katie sourit en avançant plus loin dans l’atelier. Elle ouvrit la porte de gauche et pénétra dans l’espace sombre.
- C’est la pièce principale. Laissez-moi allumer la lumière—
Elle fit onduler sa baguette vers le plafond comme avant. Soudainement, une lampe géante se mit en marche, illuminant l’obscurité. Ce qui s’étendait devant leurs yeux était une pièce dix fois plus grande que la précédente. Pete resta bouche bée devant le haut plafond.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? C’est énorme ! On peut utiliser ça aussi ?
- Bien sûr ! D’après Miss Miligan, c’est un atelier de première qualité bien qu’il soit au premier niveau du labyrinthe.
Katie parlait fièrement, et les échos de sa voix dans le vaste espace avaient amplifié l’effet. Chela se promenait, cochant des éléments sur une liste mentale qu’elle s’était faite.
- Oui, Miss. Miligan avait certainement raison à ce sujet, dit-elle.
- Il y a de l’eau, de la lumière, et un poêle, sans oublier qu’il y a tous les éléments d’un vrai logement. On pourra commencer à utiliser cet endroit comme atelier dès demain.
- Au moins, mon derrière n’a pas été transformé en pelote d’épingles pour rien, dit Guy se frottant les fesses avec amertume.
- D’accord, alors ! Partageons l’espace ! Où devrais-je mettre mon jardin ?
- Calmez-vous. Écrivons les souhaits de chacun sur une feuille de papier. Je veux élever des animaux ; Guy veut élever des plantes. Qu’est-ce que les autres veulent faire ici ?
Katie sortit un cahier de son sac et commença à griffonner avec un stylo. Les autres se regardèrent les uns les autres. Le premier réflexe d’Oliver fut d’établir les bases.
- Pour l’instant, je veux utiliser cet atelier comme une base pour explorer le labyrinthe. Je commencerais par m’assurer que cet endroit soit confortable en y installant quelques lits.
- Oh ? Tu veux dire que tu vas dormir ici ? Cela semble plutôt excitant.
- Tu vois ? Nanao comprend. C’est ce qu’est une vraie base secrète, dit Guy.
- J’aime cette idée… Ouais ! Installons des pièges autour de la zone ! Une base doit avoir de bonnes défenses !
- Comme celles qui poignardent le derrière ?
- Pete, espèce de petit… !
Guy essaya d’attraper Pete pour l’avoir taquiné, mais le garçon à lunettes s’enfuit. Chela regarda les deux jouer à la course-poursuite dans la pièce énorme. Elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire.
- …Heh-heh-heh.
- Quoi de neuf, Chela ? demanda Oliver.
- Oh, je ne sais pas trop pourquoi, mais je me sens aussi excitée. C’est étrange, n’est-ce pas ? Je n’ai jamais connu ça auparavant.
L’expression de Chela était un mélange de joie et de confusion.
- …On va probablement rester debout toute la nuit à parler de ça, dit Katie tranquillement.
- Et il est déjà tard. Si cela ne vous dérange pas, pourquoi ne pas… rester ici ce soir ?
Personne ne s’y opposa, et ils s’installèrent tous pour passer leur première nuit dans la base secrète.
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Une fois qu’ils eurent décidé de passer la nuit ici, les six réalisèrent à quel point ils avaient faim. Tout le monde avait emballé de la nourriture, mais Guy fit valoir qu’il leur fallait quelque chose de meilleur pour leur première nuit dans la base secrète. Ils étaient tous d’accord, et ils quittèrent la base pour aller chercher de la nourriture.
- …Allons-nous vraiment trouver une boutique dans le labyrinthe ?
Une fois de plus, Oliver et Nanao avaient pris l’avant du groupe et ils prirent la même formation qu’en arrivant. Katie exprima ses doutes alors qu’ils marchaient. Il y avait pas mal d’ateliers non officiels dans le labyrinthe, similaires à celui que Miligan leur avait donné. Et avec autant d’étudiants qui utilisaient le labyrinthe comme lieu de vie, de nombreux besoins étaient apparus, ce qui avait naturellement conduit à la vente de biens pour les satisfaire. C’était le genre de « boutique » qu’ils recherchaient.
- Si on n’en trouve pas, on pourra simplement faire ce que le club des gourmets du labyrinthe fait.
- On doit trouver une boutique !
Katie ouvrit grand les yeux et scruta la zone ; elle préférait mourir plutôt que d’avoir à leur table un dîner rempli de bêtes magiques. Oliver eut un sourire gêné. S’ils trouvaient une boutique, il était très probable que ce qu’ils vendent soient dérivés ou extraits de bêtes magiques. Mais pour l’instant, cette pensée ne semblait pas lui venir à l’esprit.
- Hmm ? Qu’est-ce que c’est ?
Après avoir fouillé un peu la zone autour de leur base, ils repérèrent une silhouette au fond d’un large couloir. En se rapprochant, ils purent voir des dizaines d’objets sur un tissu à même sol. Le visage d’une vendeuse apparut, levant les yeux vers le groupe.
- Qu’est-ce que ? Bienvenue ! Cela fait un bail qu’un groupe de première année n’était pas apparu devant moi.
L’intonation de l’étudiante plus âgée était certainement unique, et sa grande
bouche laissa une certaine impression. Elle portait son uniforme de manière élégante, et d’après la couleur de la doublure de la robe autour de ses épaules, elle semblait être en troisième année. Après avoir étudié Oliver et sa bande, elle continua :
- C’est très vilain ça ! Très vilain ! Sortir jouer la nuit à un âge aussi tendre. Vous allez vous désensibiliser. Mais ce n’est pas à moi de choisir mes clients ! Nee-ha-ha-ha ! Allez-y, alors. Qu’est-ce que vous cherchez ?
Ils se préparèrent à recevoir une leçon, mais son mode vendeuse prit rapidement le dessus. Katie se baissa pour regarder la marchandise.
- Wow, il y a vraiment des boutiques ici dans le labyrinthe, dit-elle, impressionnée.
- Comment faites-vous pour garder des stocks ?
- Ce n’est pas évident ? Deux options, on trimballe tout depuis la surface, ou on fait tout ici. Un seul flacon de pommade anti-démangeaison se vend trois fois plus cher qu’en surface. Tous les risques en valent la peine !
Elle fit encore ce même rire curieux. La plupart de ses marchandises semblaient être des potions, mais Oliver remarqua un grand panier derrière elle qui semblait être plein à craquer.
- Vous avez de la nourriture ?
- Plein, bien sûr. C’est pour dépanner ? Ou alors peut-être pour faire une petite fête entre amis ?
- Quelque part entre les deux, je dirais. Nous serions heureux avec quelque chose de savoureux.
La jeune fille se retourna et commença à fouiller dans le panier. De la montagne d’articles, elle sortit des légumes à feuilles, des légumes provenant de racines, des champignons, et de la viande pour qu’ils puissent choisir.
- Prenez-les. Comme c’est votre première fois, je vous propose une offre spéciale : 3000 Belc pour le lot.
- Attendez, pour tout ça ?
Oliver était choqué. Considérant l’endroit où ils étaient, il s’était préparé à ce que la nourriture soit incroyablement chère. C’était beaucoup plus tolérable que ce qu’il avait imaginé. Sentant sa confusion, la vendeuse sourit.
- J’aime les gens téméraires comme vous, qui descendent aussi loin dans le labyrinthe après seulement une demi-année à l’académie. J’espère que vous allez tous survivre et devenir des clients réguliers.
Ses « encouragements » étaient assez troublants. Oliver voulut la remercier, mais elle l’interrompit.
- Mais si vous ne survivez pas, alors j’aurais plus de viande fraîche à vendre. Dans tous les cas, je suis gagnante.
Tout le monde se raidit, sauf Nanao. La vendeuse éclata de rire.
- Nee-ha-ha-ha ! C’est une blague ! Une blague ! Tenez, prenez des boissons offertes par la maison !
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Les six amis retournèrent à la base avec leur dîner étonnamment facile à trouver. Maintenant venait la question de la cuisine.
- …Quel genre de viande penses-tu que c’est ? demanda Katie, en étudiant le gros morceau de chair rouge.
- Probablement de l’agneau. À en juger par le muscle, ce n’est au moins pas un demi-humain, répondit Guy tout en vérifiant les champignons à côté d’elle.
Comme il était la personne ayant le plus d’expérience avec la nourriture, le groupe l’avait chargé de s’assurer que c’était sans danger.
- Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On a de quoi faire un festin.
- Attends— tu sais cuisiner, Guy ?
- Ne vous attendez pas à quelque chose de fantaisiste. Mais vous pouvez au moins avoir confiance sur le fait que ce sera savoureux.
Le grand garçon se leva et retroussa ses manches en se dirigeant vers la cuisine. Katie sauta à côté de lui, en souriant faiblement.
- Dois-je prendre cela comme un défi ?
- Oh ? Je ne sais pas, tu devrais ? répondit Guy, son intérêt piqué au vif.
Des étincelles jaillirent entre eux. Quelques secondes plus tard, ils prirent des couteaux, en train de furieusement préparer leurs ingrédients. Oliver gloussa plus loin derrière.
- …Je suppose qu’on ne va pas les déranger plus… Nanao, tu veux t’entraîner un peu avant le dîner ?
- J’allais te demander la même chose.
Elle acquiesça immédiatement, et ils se dirigèrent vers la salle commune. Chela se tourna vers Pete.
- Dans ce cas, Pete, pourquoi ne pas étudier pour le cours ? J’ai remarqué que tu avais du mal en étude des sortilèges.
- Ugh… D-D’accord. Merci.
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Nanao et Oliver se faisaient face au centre de la salle commune. Oliver fut le premier à parler.
- Alors… Laisse-moi d’abord te demander ceci. As-tu réussi à le reproduire depuis ?
Il n’eut pas besoin d’être explicite. Nanao secoua la tête. Le garçon croisa les bras.
- Je vois… Étrange. Ce n’était certainement pas le genre de mouvement qu’on déclenche juste par hasard.
- Je te le redis encore, mais es-tu certain que tu ne sais pas trop ? Non…Il n’y a aucun moyen que tu aies pu vaincre l’œil maudit d’un Basilic comme ça, déclara Oliver sans détour.
Il parlait de son duel avec Vera Miligan, et plus particulièrement du coup final de Nanao, la septième Spellblade. Le fait qu’elle ait réussi à le faire était un secret entre eux deux. Comme l’avait dit Maître Garland en cours, les utilisateurs de spellblade ne font jamais l’étalage de leurs techniques. Oliver avait pris soin de le lui rappeler, pour qu’elle ne laisse pas échapper la vérité par ignorance.
- Quoi qu’il en soit, nous devrons attendre qu’elle te revienne. Donc jusqu’à ce que cela arrive, concentrons-nous sur la pratique des sorts.
Sur ce, Oliver était passé au sujet suivant. Il ne pouvait pas offrir un seul conseil concernant la Spellblade. C’était Nanao qui l’avait créée, et elle seule pouvait la recréer. Donc, en laissant de côté les problèmes qui étaient en dehors de son domaine de compétence, ils s’étaient concentrés sur la pratique des bases pour un mage. La première chose sur la liste était le travail des sortilèges. Alors qu’Oliver s’apprêtait à lui enseigner comme d’habitude, Nanao eut un sourire amer.
- Encore ça ? Ça ne me dérange pas, bien sûr, mais… Pourrions-nous d’abord croiser le fer un petit moment ?
- Non. Puisque tu participes au tournoi, tu dois au moins être capable de gérer un duel de sorts. C’est pour ta propre sécurité, ainsi qu’une preuve de ta bonne foi si tu veux continuer à fréquenter cette école en tant que mage.
- Mmm, tu marques un point. Je comprends.
Nanao acquiesça docilement aux dires d’Oliver. Ce n’était pas qu’elle souhaitait sauter ses leçons de magie, elle voulait juste croiser le fer avec la personne en face d’elle plus que tout. Oliver le savait, il sourit et sortit sa baguette.
- Ne t’inquiète pas. Tes sorts sont de plus en plus précis. Tu es presque prêt à les utiliser dans un combat réel. Une fois que tu pourras le faire, tu devras apprendre à les mêler à ton maniement de l’épée. C’est mon rôle de professeur de te conduire à ce stade.
L’expression de Nanao s’assombrit et elle sortit sa propre baguette.
- Alors… une fois que ce sera fait, tu ne m’enseigneras plus la magie ?
Elle le regarda avec tristesse. Oliver secoua la tête.
- Je continuerai à répondre à toutes tes questions, comme je le fais maintenant. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous serons égaux en tant que mages, tant au niveau de la forme que du fond.
Il l’avait regardée dans les yeux. Soudainement, elle se mit à serrer sa baguette plus fort.
- C’est… assez excitant.
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Après une heure d’entraînement, Chela leur demanda de revenir, rengainant leurs baguettes et retournant dans le salon pour trouver Katie et Guy qui se tenait fièrement au-dessus de leurs plats.
- Tout est prêt ! Qu’est-ce que vous en pensez ?!
- Mangez ! Profitez-en tant que c’est chaud !
Ils s’assirent à la table. À part le pain gris, qu’ils avaient tous les jours, il y avait deux plats devant eux. Celui de Katie était un ragoût à base de tomates, servi dans une marmite géante. Le plat de Guy, consistait en de la viande rôtie et des légumes recouverts d’une épaisse sauce brune sur une grande assiette.
- Ils… ont tous deux l’air si bons, s’émerveilla Oliver.
- Allons-y, d’accord ? dit Chela.
- À notre première nuit dans le labyrinthe !
Tous les six trinquèrent avec leurs tasses de cidre. C’était une boisson faite à partir de pommes fermentées et contenant un tout petit peu d’alcool, ce qui signifiait qu’ils ne pouvaient l’apprécier que dans le labyrinthe où les lois ordinaires ne s’appliquaient pas. La douceur du jus de fruit et le piquant de la carbonatation s’introduisirent agréablement dans leurs gorges desséchées. Une fois la soif étanchée, le groupe se tourna finalement vers la nourriture. Katie et Guy regardèrent attentivement leurs amis prendre des bouchées de chaque plat. Quelques minutes passèrent en silence alors qu’ils dégustaient les différentes saveurs.
- …Ils sont tous les deux bons, murmura Oliver ——, Mais si je devais déclarer un vainqueur…
Son regard se porta sur l’assiette de viande et de légumes. Chela hocha la tête.
- Le plat de Guy est un peu meilleur, je dirais, nota-t-elle.
- Katie, ton plat était superbe, mais celui-ci a un goût délicieux que je n’ai pas connu avant… Hum, puis-je en avoir un peu plus ?
Chela regarda Guy d’un air gêné. Il rayonna et l’aida à se resservir alors que Katie s’effondra sur la table.
- J—j’ai perdu… ?! Mon meilleur plat a été battu par ce désordre simpliste ?
- Ha-ha ! Tu ne comprends pas, hein ? C’est notre premier repas après avoir marché une éternité dans le labyrinthe. Tu dois avoir de la viande grillée au feu après tout ça !
- Rrrrrggghhhhh !
Les épaules de Katie tremblaient de colère, car elle n’avait pas de réplique pour cela. Tout cela avait tout un sens pour Oliver maintenant. Très probablement, il n’y avait pas tant de différence en termes de compétences culinaires. Cependant, Guy avait préparé le plat parfait pour ce scénario spécifique. C’était le style de bivouac dont il était fier.
- Mon derrière a toujours envie de se venger. Une fois le dîner terminé, on fera un jeu et tu peux parier qu’il y aura une punition pour le perdant !
Guy récupéra un jeu de cartes dans son sac et le posa sur la table. Ses yeux brillaient dans cette nuit encore peu noire.
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Quand ils finirent leur repas, ils commencèrent à jouer aux cartes. Plus de deux heures étaient passées en un clin d’œil.
- Pfiou, c’était amusant ! Ça fait une éternité que je n’ai pas joué autant. Merci, Katie. Cette base secrète est géniale !
- Si tu es vraiment si reconnaissant, alors montre au moins un peu plus de pitié !
Guy s’adossa langoureusement à sa chaise. Les longs cheveux bouclés de Katie, dont elle était si fière, se dressaient sur la pointe des pieds : le résultat d’un sortilège après être arrivée à la dernière place. Ses tresses, qui défiaient maintenant distinctement la gravité, ressemblaient exactement à un manche à balai. Oliver s’efforça de réprimer un fou rire.
- C’est—c’est assez. Remettons-la comme avant. ORIGINALE !
Il avait dissipé ses cheveux touffus, qui avaient finalement repris leur forme originale. Katie prit une boucle dans sa main et soupira de soulagement. Oliver sortit sa montre à gousset et la vérifia.
- Il est assez tard. Nous devrions nous coucher. Cela veut dire installer des lits. Est-ce que quelqu’un a encore quelque chose à faire ?
Quelques secondes plus tard, Chela leva maladroitement la main.
- Hum, j’ai une suggestion. Pourquoi pas… un nom ?
Les cinq ne comprirent pas ce qu’elle disait.
- …Un nom ?
- De quoi tu parles ?
- Pour notre groupe. Peut-être que c’est une chose étrange à suggérer, mais je m’amuse tellement. C’est presque incroyable. C’est pourquoi j’aimerais rendre ce moment spécial. Ce temps, cet espace, cette relation… Je veux lui donner un nom, en faire quelque chose de tangible… Je… est-ce bizarre de ma part ?
Ses yeux se perdirent dans l’incertitude. Son regard était tout à fait différent qu’à l’accoutumée. Guy croisa les bras et secoua la tête.
- Pas du tout. Un peu trop sentimental, si vous voulez mon avis, mais ce n’est pas une mauvaise chose.
- Un nom pour le groupe, hein ? dit Oliver.
- Je n’y avais jamais pensé. Pete, tu as des idées ?
- V-vous me le demandez ? C’est trop soudain, je…
Tout le monde se mit à réfléchir, sauf Nanao.
- Mes amis, puis-je vous demander de dégainer vos lames ?
Elle se leva de sa chaise et dégaina son épée. Les autres se regardèrent, puis suivirent avec hésitation.
- Formez un cercle et tenez-les bien droites. C’est ça… Mettons-les les unes sur l’autre.
Six lames se croisèrent légèrement. Vu d’en haut, on aurait dit des pétales d’une grande fleur épanouie.
- D’où je viens, nous appelons cela une rose des lames. C’est une démonstration d’amitié entre guerriers.
- Oh, une coutume aziane…
- Est-ce que l’on jure une amitié éternelle dessus ?
- Non, nous ne jurons rien.
Nanao secoua la tête. Les autres semblaient surpris, et elle sourit.
- C’est tout simplement pour se remémorer la forme de la fleur qui a fleuri ici sous nos yeux. Personne ne sait où se prêteront nos allégeances demain ou qui sera encore vivant. Les guerriers ne peuvent pas parler de l’avenir. Tout ce que nous pouvons faire, c’est graver ce moment dans nos mémoires.
Soudainement tout se mit en place pour Oliver. Nanao venait d’un pays en proie à la guerre. Les guerriers qui se jetaient dans la bataille n’avaient aucune idée du moment où ils pourraient perdre la vie. Ainsi l’acte de jurer sur l’avenir était considéré comme peu sincère. « Retrouvons-nous demain ». Une promesse aussi insignifiante était trop éphémère pour eux ; seul le présent était certain. Et cette fille nommée Nanao Hibiya avait grandi au milieu de ça.
- ……
Il réalisa qu’on pouvait dire la même chose de ce groupe vivant dans le monde atroce de Kimberly.
- En ce moment, notre fleur s’est épanouie. Peu importe ce que l’avenir nous réserve, ce moment ne changera pas. Quel que soit le destin ou la réalité cruelle qui nous attend, rien ne pourra jamais disperser cette fleur que nous avons formée ici.
C’est pourquoi Nanao pouvait être si sûre que le présent était inébranlable. Avec cette fleur exprimant leur amitié guerrière, les six mages réunis ici affichèrent leur lien.
- Voici la Rose des lames. C’est le nom que je donnerai à notre groupe.
La jeune aziane termina son discours sur la plus douce des notes. Le silence s’installa entre les six amis alors que ses mots s’infiltraient dans leurs cœurs.
- « Rose des lames », hein ? C’est peu élégant, mais j’aime bien.
Oliver fut le premier à indiquer son sentiment. Puis un par un, chacun hocha la tête. Voyant que tout le monde était d’accord, Chela prit la parole.
- Oui, très bien. À partir de maintenant, nous sommes la Rose des lames : une fleur éternelle s’épanouissant dans l’espace et le temps infinis.
Sous le ton solennel de Chela, ils baissèrent les yeux sur la forme pour fixer du regard la forme qu’ils avaient établie avec leurs athamés, preuve de leur lien.
- Toutes les fleurs s’épanouissent fièrement, sans craindre le jour où leurs pétales se disperseront, poursuit-elle. —— Soyons comme elles. Ne luttons pas contre l’éparpillement de nos pétales ni le flétrissement de nos racines. Il suffit de s’épanouir aussi brillamment que possible dans le présent. Ces moments que nous créons seront sûrement bien plus magnifiques que l’éternité elle-même.
Chela parla avec conviction, et le silence retomba. Ils passèrent un long moment sans dire un mot, jusqu’à ce que Guy les interrompe finalement.
- …Hé, Chela, tu rougis.
- Toi aussi, Guy.
- Comme si tu pouvais parler, Pete !
- Bwa-ha-ha-ha ! Les joues de Katie sont comme des kakis mûrs.
- Tu es tout aussi rouge, Nanao…
- Toi aussi, Oliver.
Ils réalisèrent qu’ils rougissaient tous autant les uns que les autres. Rengainant son athamé, Oliver toussa.
- …La maladresse sera difficile à oublier, au moins.
- Chela, tu trouves ça spécial ? demanda Katie.
- Oui, plus spécial que tout ce que j’ai connu jusqu’à présent… Je n’ai jamais autant ressenti de conviction dans mes paroles. Je ne pouvais même pas contrôler le débit de mon discours.
- C’est effrayant comme l’excitation de fin de soirée peut nous atteindre quand on est loin de la maison. Personne n’est à l’abri, dit Guy.
- …C-changeons de sujet ! Je suis en train de mourir ici !
Incapable de supporter l’embarras, Pete ne se cacha pas de vouloir changer la conversation. Tout le monde rit et hocha la tête. Les six d’entre eux discutèrent pendant des heures jusqu’à ce qu’ils s’évanouissent d’épuisement.
[1] Ici on parle de la combinaison athamé+sorts
[2] Ici un champignon qui donne un fou rire.
[3] Souris rondes