REIGN OF V2 : CHAPITRE 1

Tour de Balai

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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Il était étrangement difficile de dormir cette nuit-là. Ses rêves notamment, sortaient de l’ordinaire. Il était submergé jusqu’aux épaules dans de la vase tiède. Ses membres étaient lourds et il pouvait à peine se mouvoir. En fait, il était difficile de dire où son corps s’arrêtait et où la boue commençait. Il n’arrivait même pas à visualiser son corps. Des bulles montaient et éclataient à la surface du marais boueux. Le bourbier semblait se réchauffer lentement depuis le fond, comme s’il y avait un feu en dessous. Au moment où le garçon s’en était rendu compte, il paniqua et commença à se débattre désespérément. Les sens émoussés, il essaya de se frayer un chemin, mais n’avait pas pu s’échapper. La chaleur lui titillait les pieds, faisant monter son corps progressivement. Cet inconfort l’aida à distinguer petit à petit son être.

  • Wah !

Lorsque la chaleur devint trop intense à supporter, Pete Reston sursauta dans son lit.

—  Huff, Huuff, Huff… c’était quoi ce rêve…?

Se demanda-t-il à haute voix dans la pièce sombre, le souffle saccadé. En même temps, il prit conscience de la chaleur de son corps, comme s’il venait de terminer une course où il avait craché ses poumons. Ses draps humides lui collaient désagréablement à la peau. Il fronça les sourcils.

  • Merde, je suis vraiment en sueur. Je dois me changer…

Il tendit la main sur la commode près du lit et sentit que quelque chose n’allait pas. Il se figea. Il ne pouvait pas décrire la chose, mais bouger son corps lui semblait étrange. Plus que tout il y avait une partie qu’il pouvait à peine sentir.

  • …?

Intrigué, il baissa les yeux, enleva sa couverture d’une main, et vit la chose de front.

  • GAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ?!

Son cri brisa le doux silence du matin. Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent.

  • Qu’est-ce qu’il y a, Pete ? !

Oliver saisit son athamé de la table de chevet et sauta de son lit, se préparant instantanément au combat. Il regarda en direction de son colocataire pour voir que Pete avait sa couverture tirée jusqu’au cou, le visage rouge vif.

  • C…Ce n’est rien ! Rien, d’accord ? Ne t’approche pas !

Cria Pete alors qu’Oliver s’approchait instinctivement.  Confus par la soudaine réprimande, Oliver pencha la tête.

  • … ? Tu as crié beaucoup trop fort pour que ce ne soit rien. Si quelque chose ne va pas, dis-le-moi…
  • C’est bon ! Reste où tu es ! Ne t’approche pas de moi !

Le ton de Pete devient de plus en plus agressif jusqu’à ce qu’il commence finalement à lancer tout ce qui était à sa portée. Oliver, sentant que son colocataire était à moitié en panique, leva les mains pour tenter de le calmer.

  • Calme-toi, Pete ! Je ne vais rien te faire ! Parlons juste–- Gwah !

Avant que ses efforts ne portent leurs fruits, un réveil traversa les airs et s’écrasa sur son nez.

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  • Bonjour, les garçons… Hein ?

Les filles prenaient déjà leur petit-déjeuner à la cafétéria. Katie fut la première à remarquer que quelque chose n’allait pas avec les trois garçons lorsqu’ils étaient arrivés avec dix minutes de retard. Oliver et Guy partagèrent des regards maladroits alors que Pete se tenait anormalement loin d’eux deux.

  • V-vous vous êtes disputés tous les trois ? L’ambiance à l’air tendue.
  • ​​Non, moi et Oliver ça va. C’est ce type…
  •  Wah ! N-ne me touche pas !

Guy tendit la main pour tapoter l’épaule de Pete, seulement pour que ce dernier recule devant la main de son ami. Guy soupira et s’assit.

  • …Comme vous pouvez le voir, il vient d’entrer dans sa phase rebelle. On lui a demandé le souci, mais il insiste en disant que ce n’est rien. Vous en pensez quoi au juste ?
  • Hmm ? Pete, tu n’as pas l’air d’être malade…
  • U-qu-quoi ?!

Chela se leva et commença à marcher vers Pete, mais il avait reculé par réflexe. La fille aux cheveux bouclés fut en proie à la déception.

— Donc, je ne suis pas autorisée à t’approcher non plus ? … Oh, comme c’est triste d’être rejeté par un ami !

Se lamenta Chela tout en regardant le sol, abattue.

  • Je…Ce n’est pas ce que tu penses !

Bégaya Pete, irrité. Après les avoir observés pendant un moment, Katie interrompit son petit-déjeuner et prit la parole.

  • Je parie que c’était la faute de Guy. Pete, tu peux te confier auprès de moi. Ne t’inquiète pas.
  • Pourquoi suis-je le suspect au juste ? Oliver est son colocataire hein. Et puis depuis quand tu agis comme une grande sœur ? Ça ne convient pas à une petite crevette comme toi.

Des étincelles volèrent alors qu’ils se fixaient du regard jusqu’à ce que chacun d’eux prenne un manche de couverts et commence à s’affronter pour de vrai. Chela sourit en voyant la scène alors qu’Oliver s’asseyait à côté de la fille aziane.

  • Bonjour Nanao. Tu saurais ce qu’a mangé Pete ?
  • Bonjour, Oliver. Malheureusement, je n’en ai aucune idée. Mais il semble différent aujourd’hui.

 Répondit-elle honnêtement. Pete, incapable de supporter toute l’attention, tourna les talons sans jamais s’assoir à leur table.

  •  Je-je pars ! Ne me parlez pas aujourd’hui !
  • Tu comptais rater le petit-déjeuner ? Pete, ce n’est pas bon pour to…

Chela essaya de l’arrêter, mais le garçon à lunettes l’ignora et se précipita hors de la cafétéria. Oliver soupira en le regardant partir.

  • … Je suppose qu’on doit simplement observer et attendre pour le moment.

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  • Venez, créatures pathétiques rampantes ! Aujourd’hui est le jour de votre évolution ! proclama le jeune instructeur exalté.

Il apparut de manière distinguée devant le groupe d’une quarantaine d’élèves réunis dans la cour. Les étudiants fronçaient les sourcils, mais le sourire de l’instructeur montrait de la pure célébration.

  • Il y a de nombreuses raisons de plaindre les non-mages, mais la plus triste de toutes est qu’ils ne peuvent pas voler. Vous n’êtes pas d’accord ? Ils passent leur vie entière sur la terre ferme, foulant leurs morts ! Je ne vois rien de plus triste ou pathétique… Ah, et avant que vous me le demandiez, je compte avoir un enterrement aérien. Les oiseaux auront ma chair, et je retournerai au ciel ainsi !

Déclara fièrement le professeur. Après tout ce qu’ils avaient vécu depuis qu’ils avaient commencé à Kimberly, aucun des étudiants n’avait été surpris par les remarques irréfléchies de l’instructeur. Ils étaient tellement blasés, en fait, que Guy eut même le culot de chuchoter « Jusqu’à se transformer en fiente d’oiseaux avant de tomber au sol. » Oliver dut retenir un petit rire.

  • Cela dit, je me nomme Dustin Hedges et j’enseigne le maniement de balai ici à Kimberly. Si vous avez besoin de mon attention, adressez-vous à moi en tant qu’instructeur Dustin. Pour des raisons personnelles, je ne suis actuellement pas en bons termes avec ma famille, voyez-vous. Quoi qu’il en soit, laissez-moi vous montrer l’étable à balais. Suivez-moi !

L’instructeur s’éloigna de façon spectaculaire, faisant signe aux élèves de le suivre. Alors qu’ils marchaient derrière lui, Nanao croisa les bras et fronça les sourcils.

  • Mmm… Alors le moment est enfin venu.
  • C’est la première fois que je te vois plus inquiète que curieuse Nanao.
  • Je ne suis pas inquiète. Je ne pense tout simplement pas que ce soit possible. Une créature vivante est une chose, mais monter sur un balai et être en lévitation ? Je ne peux pas le comprendre…

Répondit Nanao très honnêtement. Oliver sourit.

  • …Je vois. C’est une incompréhension assez répandue.
  • Mm ?
  • Laisse-moi partager un secret avec toi : les balais ne peuvent pas voler. C’est une vérité pour le monde non magique et pour le monde magique.
  • Quoi ? Mais, Oliver, n’as-tu pas… un balai sur l’épaule ?

Elle déplaça son regard vers le dos d’Oliver, où il portait effectivement un manche à balai aussi grand que lui. Il ignora sa question et sourit mystérieusement. Bientôt, ils allaient atteindre un grand bâtiment.

  • Voilà l’étable à balai, annonça Dustin —— Laissez-moi cependant vous avertir. Certains d’entre eux peuvent être assez capricieux.

Dustin sortit alors sa baguette blanche. Il jeta un sort et le loquet de l’étable à balai sauta. Les doubles portes en fer s’ouvrirent avec un grincement sourd et une bouffée d’air chaud en sortie.

  • Mm ? Cette odeur…

Nanao, perplexe, huma l’air. Un bon nombre d’autres étudiants faisaient de même. L’instructeur de balais sourit.

  • Ceux d’entre vous de naissance non-mage semblent déjà l’avoir compris. Cet endroit n’a pas l’atmosphère d’un simple entrepôt à balais, n’est-ce pas ? Surtout l’odeur, déclara Dustin en pénétrant à l’intérieur du bâtiment.

Il avait raison. L’atmosphère ici était différente. Des copeaux de bois et des brindilles étaient éparpillés dans le vaste espace, et une odeur sauvage imprégnait toute la pièce. Cela ressemblait plus à une grange qu’autre chose. Prudemment, les étudiants entrèrent quand soudain, une flotte de balais passa au-dessus de leurs têtes.

  • Whoa !

— Les plus accueillants se sont donc rassemblés. Eh bien, continuez. Dites bonjour. Ce seront vos futurs partenaires.

La flotte de balais tourbillonnait au-dessus de nos têtes comme un grand tourbillon. Un à un, les balais atterrirent et se rapprochèrent. Ils semblaient en effet « amicaux ». Un balai tendit son manche vers Nanao, l’incitant à agir. Elle plissa les yeux.

  • Ce ne sont pas des objets, mais des êtres vivants.

Fit remarquer aussitôt la jeune aziane. L’instructeur hocha la tête.

  • En effet. Voici un balai du genre Besom, de la sous-famille des Scopae, pour être exact. Aucun sort n’a été lancé sur ces balais. Ce sont des créatures magiques à part entière qui se déplacent et pouvant même se reproduire.

Les étudiants non-mages regardaient avec admiration les balais volants, qui semblaient si vifs et libres. Dustin poursuivit :

  • Ils sont vraiment réels. Il y a longtemps, nous utilisions les restes de ces créatures pour le nettoyage, c’est ainsi que sont nés les balais ménagers que vous connaissez. Mais chronologiquement parlant, ces êtres sont venus en premier. Ce n’est qu’au cours des derniers millénaires que nous avons appris à les chevaucher. En remontant plus loin, nous avons découvert des fossiles datant de cent mille ans. Ils ont une très longue durée de vie. Au fait, le jeune homme aux lunettes là. Ce sur quoi vous venez de marcher est une déjection de balais.
  • Uwah ?!

Pete sauta rapidement en arrière. Dustin rigola en assistant à la scène.

  • Aucune inquiétude, ce n’est pas sale. Vous voyez, les balais ne mangent pas comme nous. Ils consomment principalement des particules magiques et des élémentaires. Pendant qu’ils volent dans les airs, ils les absorbent. C’est plus proche de la respiration que de la nutrition finalement. Vous avez peut-être entendu parler de quelque chose de similaire avec les poissons migrateurs.

Oliver hocha la tête. De nombreux types de poissons préféraient ne pas chasser de proies, mais plutôt se déplacer dans l’eau à grande vitesse et manger les petits organismes en les aspirant. Les balais faisaient simplement cela dans les airs.

  • Naturellement, vous n’obtiendrez pas un tour gratuit de ces gars-là. Le mana qu’ils reçoivent des mages est comme un festin. Ainsi, pendant que nous les chevauchons, ils consomment notre mana comme carburant. Cela leur permet de voler beaucoup plus vite que seuls, rendant l’expérience agréable pour eux également.

L’instructeur caressa un balai à proximité de lui pendant qu’il parlait. Pour les non-mages, la queue de la créature semblait être un ensemble de brindilles séchées, témoin de l’évolution biologique magique. Katie, qui semblait déjà en avoir connaissance, observait de manière rêveuse les balais.

 — Mais comme ce sont des créatures vivantes, tous les chevaucheurs ne sont pas forcément aptes à les apprivoiser. La taille et la personnalité sont une partie importante de l’équation, mais le plus important est le mana que vous pouvez leur donner. Si le balai n’apprécie pas votre apport en mana alors il refusera d’être chevauché. Par analogie, c’est comme si on vous offrait de la bière à volonté. À moins que vous en aimiez la saveur, vous finirez par éventuellement rejeter l’offre.

Dustin tenta de donner un exemple pertinent, mais comme les étudiants étaient encore trop jeunes pour boire de l’alcool, ils semblaient plus perplexes qu’autre chose. Indifférent, l’instructeur poursuivit :

 — En touchant leur manche, ils sauront quantifier votre mana. Maintenant, partez à la recherche de vos partenaires ! Allez-y, avant que quelqu’un ne vous vole l’élu de votre cœur !

C’était le signal pour que le Bal des Balais commence. Encouragés par les paroles de l’instructeur, les élèves s’étaient précipités vers les balais. Chela s’avança à côté d’Oliver et attira son attention.

            —  Je vois que tu as ton propre balai avec toi Oliver.

 — Oui, on se connaît depuis un bon moment déjà. Je suis quand même déçu de ne pas participer à ce bal.

 — Je me doute. J’attendais ça aussi avec impatience. Bon, Nanao, Katie, Guy et Pete, allons-y ! Allons trouver de fantastiques partenaires !

Chela appela tous ses amis, même si Pete gardait ses distances, et ensemble, ils se dirigèrent en direction des balais. Katie et Guy regardèrent les créatures volantes, perdus dans leurs pensées.

— Aw, ils sont tous si adorables… Comment est-on censés n’en choisir qu’un… ?

 — Hmm… H-hé, et toi ? …Waouh, bon sang !

Guy prit un balai avec désinvolture et la monture balança son manche vers lui avec colère. Oliver sourit d’un air narquois. Les balais ne se laissaient pas toucher par quelqu’un qu’ils n’aiment pas, preuve qu’ils étaient bien des créatures vivantes.

 — …Hé regarde…

 — Whoa…

Quelques minutes après le début du bal, les élèves, complètement absorbés par le choix de leurs balais, avaient commencé à remarquer quelque chose d’étrange. Ils fixèrent tous la fille aziane, qui se promenait et observait les balais comme eux sauf que près d’une centaine de balais tourbillonnaient autour d’elle. L’instructeur semblait assez impressionné par ce regroupement massif.

 — Bien bien. Vous semblez posséder quelque chose dont les balais raffolent, miss Hibiya. Cela arrive souvent quand on possède un mana d’une telle pureté. Vous n’aurez aucun mal à trouver un partenaire.

 — C’est bon à entendre. Disons que j’apprécie leur accueil chaleureux.

Elle ne semblait pas se diriger vers les balais et ces derniers n’avançaient pas. Alors qu’elle s’avançait, elle s’arrêta soudainement, ses yeux se posant sur un balai solitaire dans le fond de l’étable. Il était complètement immobile contre son support mural qui faisait office de lit.

            — Tu ne veux pas te joindre à moi ?

 — Attendez ! Pas celui-là !

Dustin interpela éperdument cette dernière alors que Nanao commençait à marcher vers le balai. Elle se tourna tout de même vers l’instructeur et le regarda d’un air interrogateur. Il expliqua la situation.

— Celui-là est particulièrement sauvage. Il est même assez agressif durant les Bals ce qui fait qu’il n’a pas été monté depuis des années. Tu finiras remplie de contusions et de bleus si tu continues à l’approcher.

Son avertissement était très sérieux. Nanao hocha la tête, mais ne recula pas. Les autres balais, sentant le danger, s’éloignèrent alors qu’elle tendait la main vers le balai silencieux sans une once de peur. Le balai en question balaya l’air d’un air menaçant juste devant ses doigts.

 — Ohhh je vois.

Indifférente au rejet, Nanao tendit la main plus loin. Le balai se balançait vers elle comme un fouet, comme pour dire « je t’avais prévenu ! ». Nanao para adroitement chaque coup en usant de ses deux mains et sourit.

— Cela me rappelle des souvenirs… Akikaze était aussi comme ça au début.

Les yeux de la jeune fille s’emplirent de nostalgie. Les autres élèves restèrent bouche bée en regardant cet échange, mais Nanao continua à parler calmement.

 — Tu n’as pas besoin d’une voix pour que je comprenne. Tu ne laisseras personne d’autre que ton véritable maître te monter, n’est-ce pas ?

Au moment où elle prononça ces mots, le balai se figea. Dans ce silence de tension, la fille et le balai se faisaient face.

 — Je n’ai pas l’intention de te forcer, si tu venais à refuser. Mais cela dit, j’ai un message pour toi : Cette jeune femme t’aime plus que tout.

Elle tendit la main droite avec confiance, ses yeux brûlant de détermination. Après un long silence, le balai monta en flèche jusqu’au plafond puis changea brusquement de trajectoire pour descendre en formant un beau demi-cercle avant de toucher le sol. Après avoir terminé ce vol court, mais intrigant, il vint se poser fermement avec son manche dans sa main droite.

 — J’accepte. Alors restons ensemble.

Sentant le poids de son approbation dans la paume de sa main, Nanao se retourna de manière autoritaire, son nouveau partenaire en main. Les élèves furent bouche bée.

 — …C’est une blague…

Même l’instructeur n’en croyait pas ses yeux. Il la regarda également bouche bée alors qu’elle courait droit vers son ami.

            — Oliver, j’ai choisi ce balai !

            — J-Je vois. Félicitations, Nanao.

Oliver sortit de sa confusion juste à temps pour répondre alors que Nanao montrait fièrement son premier balai. Dustin fixa ce dernier, puis couvrit une partie de son visage avec sa main.

 — … Elle l’a vraiment attrapé… J’avoue être un peu choqué… Non, pas qu’un peu. Après toutes mes tentatives infructueuses avec ce balai… Je comprends maintenant… Oui, ça fait sens. Son mana était agréablement clair lui aussi.

Les marmonnements de Dustin tombèrent dans l’oreille d’un sourd, mais il y avait une autre personne qui avait reçu un choc tout aussi important.

 — …

 — Qu’est-ce qu’il y a Oliver ? Tu regardes quoi comme ça ?

Oliver était tellement concentré sur Nanao et son balai qu’il pouvait les transpercer du regard. Réalisant la chose, il déporta rapidement ses yeux ailleurs.

 — Je…ce n’est rien… Je suis sûr que ce balai sera difficile à dompter, mais j’espère que tu le traiteras avec gentillesse.

 — Bien sûr ! C’est mon futur partenaire, après tout !

Répondit joyeusement Nanao. Malgré l’innocence de cette dernière, il ne pouvait se débarrasser de ce sentiment des plus étranges. Qui aurait pu prédire que ce balai refusant d’être monté par quiconque jusque-là, choisisse cette fille ? Environ une heure plus tard, le Bal avait pris fin. Tout le monde n’avait pas eu la tâche aussi facile, mais chaque élève avait fini par trouver un balai. Les nouveaux binômes s’alignèrent dans la cour, et leur instructeur ayant fini de se ressaisir reprit le cours.

 — Maintenant que vous avez vos partenaires, il est temps de prendre de véritables leçons de vol. Vous voyez tous vos selles et vos étriers n’est-ce pas ?

Les étudiants avaient regardé l’herbe et avaient vu des selles et des étriers très semblables à ceux utilisés pour les chevaux, mais en plus petits. Leur utilisation était évidente, mais Dustin avait quand même continué à expliquer.

 — Vous devez tout d’abord seller vos balais. Il y a peut-être mille ans, les gens les montaient directement, mais plus de nos jours. Enfin sauf si vous voulez avoir votre entrejambe en lambeaux. Dans ce cas je ne vous arrêterai pas.

 — J’ai fini. Est-ce acceptable ?

Demanda Nanao, cherchant l’approbation de l’instructeur. Un rire étrange s’échappa de la gorge de l’instructeur.

 — C’était rapide ! Est-ce une plaisanterie ? C’est le premier vrai test de ma classe ! Il est de coutume que les nouveaux élèves reçoivent des coups de manche au visage lorsqu’ils essaient de forcer une selle sur leur balai ! Même des chevaucheurs expérimentés ont du mal avec un nouveau balai.

Il s’était précipité et commença à inspecter son travail pour chercher le moindre défaut. Cependant la selle et les étriers étaient de construction extrêmement simple. Une fois qu’il avait confirmé que l’équipement était en ligne droite, il n’y avait rien à redire. Son inspection fut réalisée en un éclair, lâchant un soupir bien grave.

 —  … Eh bien, si vous avez terminé, vous avez terminé… Nanao Hibiya. J’ai enseigné le monté de balai à Kimberly depuis relativement longtemps, mais c’est une première pour moi. Je n’ai jamais été aussi surpris par un élève avant même qu’il ne décolle.

L’instructeur donna son honnête opinion. Pendant ce temps, les autres élèves se débattaient avec leurs selles. Beaucoup saignaient du nez après avoir été frappés par leur balai et Guy n’y faisait pas exception. Au bout d’une vingtaine de minutes, tout le monde était paré.

 — Bien, tout le monde a réussi. Je suis sûr que les vétérans veulent déjà s’envoler, mais pour aujourd’hui, nous allons revoir les bases avec les débutants. À vos balais !

Aux ordres du professeur, les élèves excités avaient sauté sur leurs balais. Certains d’entre eux avaient même décollé sans attendre son signal. Ils perdirent rapidement le contrôle de leurs balais, tournant en spirale dans les airs jusqu’à ce que l’instructeur ait lancé une multitude de sorts pour tous les rattraper. Leur capacité à voler disparue, les étudiants tombèrent comme des mouches dans les grands arbustes.

 — C’est beau de continuer cette tradition des vols prématurés. Rassurez-vous, je ne suis en aucun cas fâché. Respirez profondément, recentrez-vous et remontez vos balais. Ah, c’est beaucoup mieux. On dirait une digne classe de première année cette fois !

Dustin semblait profondément soulagé de voir ces échecs habituels. Oliver, qui avait été surpris plus d’une fois par Nanao dans le passé, ressentit un étrange sentiment de camaraderie. Il esquissa un léger sourire.

 — Commencez par essayer de planer à deux pieds au-dessus du sol pendant trente secondes. Commencez !

Au signal de Dustin, des cris d’étudiants se firent entendre une fois de plus sans attendre.  Environ la moitié d’entre eux avaient pu flotter normalement, mais beaucoup avaient perdu le contrôle petit à petit.

 — Waouh !

 — Waouh Waouh Waouh !

 — Ha-ha ! Compliqué, n’est-ce pas ? Il est plus difficile de garder un balai immobile pendant de longues périodes que de le laisser voler ! Mais si vous vous familiarisez d’abord avec ce sentiment, vos vols seront beaucoup plus sûrs. Hé, vous là-bas ! Présentez-vous ! J’aimerais que vous nous disiez quelle est la cause la plus fréquente d’accidents de balai.

La question soudaine prit Oliver au dépourvu, mais il répondit tout en maintenant son balai dans les airs.

 — Je m’appelle Oliver Horn. Pour répondre à votre question, il est très courant de tomber lors d’un freinage d’urgence. Pour les débutants, c’est plutôt la chute lors du décollage.

 — Quel calme olympien ! Ce n’est pas drôle. Eh bien, votre camarade a raison. Plus votre altitude est élevée, plus il y a de chances qu’un accident vous soit fatal. Mais dans les pires des scénarios, essayez de tomber les pieds en premier. La magie de guérison ne peut pas vous aider si vous êtes mort sur le coup.

Déclara l’instructeur avec un sourire qui envoya un frisson dans le dos des élèves. Ce n’était pas une menace, mais un simple fait de la vie pour des monteurs de balais. Pour cette raison, de nombreuses familles gardaient les balais de leurs enfants en attendant qu’ils soient plus âgés. Une fois leur capacité de prise de décision mieux développée, leur apprendre à voler et quoi faire en cas d’urgence était intégré plus facilement.

 — Trente secondes se sont écoulées. Et bien sûr, vous avez réussi avec brio.

            — Brio ? Pourquoi ? Je suis juste assise sur mon balai.

Le regard du professeur se posa sur Nanao qui flottait sans difficulté. Il pinça les lèvres de mécontentement.

 — Je viens de le dire, c’est la partie la plus compliquée. Difficile de croire que vous n’êtes qu’une débutante. Avouez, ce n’est pas votre première fois n’est-ce pas ? Vous êtes trop à l’aise à mon goût dans la prise en main.

 — Je ne mens pas professeur. Mais il est vrai que ce n’est pas la première fois que je suis à dos de monture. Les balais ressemblent beaucoup aux chevaux par exemple dans la mesure où l’on doit synchroniser nos volontés pour être en harmonie.

Apparemment ennuyée de simplement flotter, elle lévita habilement et doucement d’avant en arrière. L’instructeur fronça les sourcils et grogna.

 — Je n’ai jamais monté à cheval, mais je comprends. Il y a très probablement des points communs. Ou bien alors vous êtes tout simplement unique. Si vous aviez dit la même chose à un monteur professionnel de balais, vous l’auriez très probablement mis hors de lui.

Un sourire se dessina sur ses lèvres alors que l’instructeur marmonnait. C’était le même genre de sourire enfantin que l’instructeur Garland montrait parfois. L’attitude décontractée de Dustin au début du cours était très Kimberlyesque, mais Oliver ne pouvait pas non plus se résoudre à détester cet homme.

 —  Ensuite, nous allons passer à la partie que vous attendiez tous : le vol. Chers assistants !

À l’appel de l’instructeur, une vingtaine d’étudiants plus âgés arrivèrent en volant sur des balais depuis l’extérieur de la cour. Ils atterrirent et formèrent des lignes devant les élèves de première année.

 —  Aujourd’hui, vous n’aurez pas à craindre de tomber. Si vous le faites, ces étudiants au sol ici pourront vous réceptionner doucement avec la magie, quelle que soit la hauteur à laquelle vous êtes. Alors faites-leur confiance et envolez-vous ! N’est-ce pas chers protecteurs ?

 —  Ouiiiiiii professeur !

Les étudiants plus âgés répondirent à l’unisson, se frappant la poitrine. C’était un spectacle inspirant à voir. Sur ce, l’instructeur continua le cours.

 —  Alors les plus aguerris voleront en premier. Mr. Horn, notre monteur modèle et miss Hibiya, c’est à vous de vous lancer.

 —  Mm ? Êtes-vous certain de vouloir m’inclure parmi les plus aguerris ? demanda Nanao.

 —  Peu importe. S’il vous arrivait d’échouer de manière spectaculaire, ça me soulagerait quelque peu.

Déclara l’instructeur, étalant sa rancune sans retenue. À son signal, ils s’étaient mis en position. Oliver s’aligna à côté de Nanao tandis qu’ils se préparaient à décoller.

—   Ne te force pas trop, Nanao. Tout le monde tombe lors de son premier vol. Si tu ne sais pas comment atterrir, tu peux toujours demander de l’aide, dit Oliver.

 —  Je vois. Mais c’est autre chose que de demander de l’aide à un camarade.

Répondit-elle en riant et en regardant son balai. Avec tout le monde de prêt, Dustin donna une dernière instruction.

—  Parés ? Vous devez voler d’ici à cette position et atterrir à une centaine de mètres. Votre objectif est la ligne blanche. Volez !!

Il frappa dans ses mains pour donner le signal. Simultanément, les quatre étudiants décollèrent du sol, mais l’un d’eux partit loin.

 —  Huh ?

—  Ah ?

—  …

Le reste de la classe montra son étonnement à l’exception d’Oliver. Il savait que cela lui arriverait avec ce balai particulier, mais personne d’autre n’aurait eu ces doutes. Les yeux de l’instructeur s’écarquillèrent à la vue de Nanao transperçant les airs.

  • Elle est si rapide ! Il n’y a aucun moyen qu’elle puisse freiner en fait ! Elle est en danger ! Préparez-vous, protecteurs !

Nanao rasa l’herbe au sol et passa le point de contrôle de mi-parcours en un clin d’œil, préparant à la descente. Pendant ce temps, l’instructeur hurlait ses ordres en panique aux élèves plus âgés, déjà prêts à agir.

  • ELLETARDUS !

Ils incantèrent le sort ensemble, déclenchant ainsi un sort de freinage vers la fille aziane, qui allait beaucoup trop vite pour atterrir correctement. Cinq faisceaux de lumière se dirigèrent droit vers elle.

  • Hrnph !

Mais Nanao esquiva habilement le sort et juste au moment où elle était sur le point de s’écraser au sol, elle tira latéralement son balai pour former un arc et ralentir ce dernier. Le vent dû à l’action secoua les arbustes jusqu’à son immobilisation complète. Elle se tourna pour faire face aux étudiants plus âgés choqués, avec un sourire maladroit et se grattant la tête.

— Je m’excuse sincèrement.  J’ai essayé d’aller le plus lentement possible, mais mon partenaire est vraiment puissant.

  • ………… Huuuuuuh ?

Le visage de l’instructeur se raidit, comme si c’était la chose la plus absurde qu’il ait jamais entendue. Oliver et les autres la rattrapèrent puis revinrent tous à basse altitude. L’instructeur eut l’air dépité.

  • …Vous savez quoi ? Vous avez gagné ! Vous avez gagné Miss. Hibiya. Vous êtes incroyable ! Un talent qui dépasse l’entendement !

Complimenta Dustin avec un soupçon de ressentiment.  Puis il pointa son doigt derrière elle.

  • Cela signifie donc que vous allez devoir affronter le tumulte du recrutement. Ne vous faites pas arracher les mains après tous ces exploits !
  • Hmm ?

Nanao, sentant une présence derrière elle, se retourna et se retrouva face à face avec un groupe d’étudiants d’année supérieure, les yeux emplis d’excitation.

  • C’était tellement impressionnant ! Tu dois rejoindre notre équipe Hibiya !
  • Non, la nôtre ! Rejoins-nous, fille samouraï !
  • Oh ! On reçoit aussi des collations tous les jours à trois heures !
  • Arrête d’essayer de l’appâter avec de la nourriture ! Rejoins-nous et je paierai personnellement pour que tu aies un équipement entier de haute qualité.
  • La corruption est contraire au règlement !
  • Nous t’aiderons pour les devoirs toute l’année !
  • Qu…? Dans ce cas, nous aussi…

Les uns après les autres, les étudiants tentèrent des propositions de plus en plus alléchantes. Voyant que la situation allait être incontrôlable, l’instructeur frappa dans ses mains et désamorça la situation.

  • Il suffit. N’allez pas trop loin. Il y a encore une après-midi de cours.

Les assistants retournèrent à leur position alors que les première année regardaient le spectacle avec confusion.

  • Comme vous pouvez le constater, cette classe sert également pour le recrutement d’élèves de première année. Quiconque exposant son talent est susceptible de ressentir l’étreinte amoureuse et suffocante de ses aînés, alors soyez prudent. Il est trop tard cependant pour Miss. Hibiya.

Il ricana en disant cela. Nanao ne semblait toujours pas comprendre sa position. Ses lèvres toujours retroussées dans un sourire, l’instructeur marmonna dans sa barbe :

  • Mais cette année devrait s’avérer intéressante.

Les cours du matin étant terminés, il était l’heure de déjeuner. À la cafétéria, le seul sujet de conversation entre les six amis était le talent nouvellement acquis de Nanao.

  • … Ma mâchoire était littéralement sur le sol. Cela fait maintenant six mois que l’année a commencé et pourtant, tu parviens toujours à nous surprendre Nanao.

Déclara Chela, à moitié impressionnée et effrayée. Nanao rit alors qu’elle déchiquetait sa tourte à la viande de manière vorace.

  • Je ne savais pas que le cours de balai serait si amusant. J’ai hâte d’être au prochain.
  • C’est génial, vraiment…Tu aurais des conseils à me filer Nanao ?

Dit Guy, la dépression se dessinant sur son visage. Il était tombé tellement de fois pendant les cours que s’il ne s’améliorait pas rapidement, il ne serait bientôt plus capable de monter sur un balai. Nanao expira par le nez en réfléchissant.

  • D’après ce que j’ai vu, tu essayais trop fortement de contrôler le balai. Ce sont des montures et nous sommes les cavaliers. N’oublie pas cela et essaye de faire davantage confiance à ton partenaire.
  • Il est important de se concentrer sur la communication et la volonté de son partenaire au lieu d’utiliser tes mains pour le diriger avec force. Prends des notes de Katie, ajouta Chela.
  • Eh-heh-heh-heh. Mais je n’étais pas aussi formidable que Nanao.

Dit timidement Katie en se grattant la tête. Totalement surclassé par son rival habituel, Guy regardait le sol d’un air maussade.

  • Tu es beaucoup tombé aussi, n’est-ce pas, Pete ? Peut-être que nous devrions tous les deux prendre des leçons avec les filles.

F-fais ce que tu veux. Je m’entraînerai tout seul.

Répondit brusquement Pete, refusant d’en dire plus. Au lieu de cela, il se concentra intensément sur la découpe du hareng dans son assiette afin de le porter à sa bouche. Guy regarda Oliver avec un air abattu.

—  Il est encore dans sa phase rebelle. Un âge si difficile, n’est-ce pas, très chère ?

  • C’est bien là le propre de la puberté chéri, que peut-on y faire ?
  • Vous n’êtes pas mes parents !

Pete frappa la table, n’ayant pas supporté les plaisanteries d’Oliver et Chela. Le groupe éclata de rire quand quelqu’un intervint :

  • Bonjour. C’est si agréable de vous voir tous de si bonne humeur.

La personne avait un fort accent ytallien. Le groupe se tourna en direction de la voix et vit un garçon aux yeux en amande se tenir devant eux, un sourire très amical sur son visage. Ils pouvaient reconnaître en lui un première année, mais aucun ne lui avait parlé auparavant.

  • Bonjour, répondit Oliver, un peu hésitant. —— Qui es-tu ?
  • Tullio Rossi, en première année. Ah, vous n’avez pas besoin de vous présenter. Je vous connais tous déjà bien, Oliver.

Rossi répondit en souriant. Son regard traversa la table et se posa sur Nanao.

  • Une démonstration très impressionnante ce matin, Nanao. Pour un premier vol, ce fut un vrai spectacle. Tu es bourrée de talent à n’en pas douter ! Ne voudrais-tu pas m’en donner une partie ?

Rossi fit son éloge avec une forte dose d’ironie et encore plus de familiarité. Chela intervint aussitôt.

  • — Le terme « talent » aussi positif soit-il ne suffit pas à la décrire.
  • Ah, Michela. Je ne te le fais pas dire. J’ai des yeux aussi. Ha-ha ! On ne peut pas tuer un Garuda avec seulement du talent, répondit Rossi, avec une lueur perçante dans les yeux.

Oliver l’observait attentivement. Le garçon ne se déclarait pas clairement comme leur ennemi, mais il était certainement dangereux.

  • Mais pensez à nous autres, eh ? Avec vous qui attirez toute l’attention, tous les autres sont laissés sur le carreau. C’est tellement l’ennui là-bas. J’ai toujours détesté être exclu des divertissements. Plus on est de fous, plus on rit, n’est-ce pas très chers camarades ?

En s’exprimant très fort, il se tourna pour faire face à toute la cafétéria. Oliver sentit ainsi beaucoup…beaucoup d’yeux rivés sur leur table.

  • … Qu’essayes-tu de dire au juste ? demanda-t-il avec raideur.
  • Voilà, voilà. Rien de bien fou. Nous sommes à Kimberly depuis six mois déjà, non ? Je pense que nous devrions suivre l’exemple de nos ainés et décider entre nous qui est le plus fort en première année.

Sa déclaration créa une effervescence au sein des étudiants présents. Tant qu’il y avait plusieurs talents, il était naturel de déterminer le plus fort d’entre eux.

  • Bien sûr, je n’ai aucun problème avec la réussite de Nanao. Mais qu’y a-t-il de mal à donner au reste d’entre nous la chance de la défier ? Certains auraient aimé pouvoir être là quand le Garuda s’est déchaîné, moi y compris bien entendu.

Rossi sourit de nouveau, tandis qu’Oliver le regardait sévèrement. Il avait senti le regard de quelqu’un s’attarder sur lui et Nanao, les traquant depuis qu’ils avaient vaincu ce Garuda. Ainsi, cette suggestion n’était pas une surprise. Il s’était attendu à ce que cette personne morde à la fin.

  • Homme ou femme, il faudra se battre jusqu’au dernier. Battez-vous pour décider une fois pour toute qui est le plus fort ici. Autrement, je ne pourrais pas réussir à dormir la nuit. Vous avez bien entendu tout le monde ? Avancez et présentez-vous, eh ? Qui veut se joindre à la fête ? cria Rossi, ne voulant pas laisser passer l’occasion filer.

L’excitation des élèves était palpable.

Une fille d’une table au loin se leva.

            — J’en suis ! cria la petite blonde.

Les yeux de Chela s’écarquillèrent.

  • Une Cornwallis ? Vraiment ?
  • Qui-qui est-ce ?
  • Stacy Cornwallis. Elle m’est apparentée. Nos familles ont toujours été assez éloignées, donc nous ne parlons que rarement à l’école, répondit Chela non sans une certaine agitation.

Stacy, cependant, était déterminée avec ses narines gonflées par l’excitation. À côté d’elle, un garçon se leva, visiblement agacé.

  • Sérieusement ? Tu veux participer ? Tes jambes tremblaient comme les nôtres quand ce Garuda a attaqué.
  • F-Fay ! Tu te trompes ! Je regardais juste très attentivement ! affirma Stacy.

Son ton devint assez enfantin. Cela semblait être son comportement habituel, en contraste avec l’attitude guindée et sérieuse de Chela. Le dénommé Fay soupira.

  • Eh bien, je suppose que nous n’y pouvons rien… Je me joins aussi à l’évènement, mister Rossi. Je ne ferai aucune affirmation sur ma puissance, mais je ne peux pas simplement m’asseoir et regarder cette gamine se jeter dans la gueule du loup, dit-il en levant la main.

Rossi rigola après avoir été témoin de leur échange.

  • Très bien, très bien ! Si vous êtes motivés, vous êtes les bienvenus. Ceux d’entre vous qui n’ont pas participé au combat face au Garuda, considérez cela comme une chance de regagner votre honneur ! Ou bien préférez-vous passer le reste de l’année comme des lâches ?

Il lança ce défi cela en feignant de se préoccuper d’eux. De multiples voix s’élevèrent, signalant leur entrée dans la compétition. Nanao sourit joyeusement face à l’engouement croissant dans la salle.

  • J’aime cet esprit ! Une belle démonstration de fougue juvénile. Puis-je me joindre également à vous ? demanda-t-elle en levant la main.

Rossi afficha un sourire qui laissait entrevoir toutes ses dents.

  • Nanao, tu es une vraie championne. Tu comprends vraiment la dignité d’un roi. Mais qu’en est-il de toi, Oliver ? Nanao veut nous rejoindre. Es-tu content de t’asseoir et de regarder depuis ton perchoir ? demanda-t-il en piquant son compagnon de table.

Après quelques instants, Oliver s’exprima avec un ton calme.

  • … Je me fiche de concourir pour un titre qui énoncerait le plus fort des première année. Mais si des camarades y participent alors je n’ai aucune raison de refuser. Est-ce satisfaisant, Mr. Rossi ?

Son ton était des plus épineux malgré son acceptation. Ils se fusillèrent mutuellement du regard tandis que Rossi retroussait ses lèvres avec une joie diabolique. Oliver vit ainsi l’existence menaçante et bagarreuse qui se cachait derrière la façade amicale de Rossi.

  • … Alors il n’y a aucune raison pour que je ne me joigne pas à vous non plus, ajouta Chela.
  • Quo- ? Chéla ?!
  • Attends, toi aussi ?!

Leurs amis eurent un cri de surprise lorsque la fille aux boucles leva calmement la main. Rossi se mit à siffler, son excitation grandissant en voyant le sourire déterminé de Chela.

— C’est adorable ! Tu me rends vraiment heureux. Il est important que nous ayons autant de participants que possible.

Il tourna ensuite son regard vers une table près de l’entrée et éleva la voix pour qu’ils puissent l’entendre tout le long du chemin.

—  Quant à Mr. Andrews ? Toi qui te vantes toujours de ton talent dans les arts de l’épée si je n’abuse ? De plus tu fais partie du groupe des trois ayant vaincu ce Garuda.

Le garçon aux cheveux longs que Rossi appela par son nom, Richard Andrews, se leva tranquillement.

—  Désolé, mais ce sera sans moi. Mon objectif est de me confronter à moi-même, pas aux autres. Ma décision est prise.

—  Mm, je vois. Tu préfères fuir la queue entre les jambes. C’est décevant.

—  Pense ce que tu veux. Je vais prendre congé.

Andrews ignora la provocation et quitta la cafétéria. Rossi pencha la tête en le regardant partir.

—  Oh, il est vraiment parti. Quelle surprise, j’étais sûr qu’il mordrait à l’hameçon !

—  Peut-être qu’avant, il l’aurait fait, déclara Chela. —— J’espère que tu n’as pas oublié que je participe à ton défi maintenant. Insulter Rick était très négligent de ta part.

Elle lui lança un regard noir, son sourire d’avant ayant complètement disparu. Rossi leva rapidement les mains.

— Brrr. Pardonne-moi, je plaisantais un petit peu. Je ne le pensais pas vraiment.

Il s’excusa en souriant timidement.  Il revint ensuite rapidement au sujet principal.

—  Maintenant que nous avons tous nos concurrents, décidons des détails. Un tournoi normal serait ennuyeux, non ? Je doute que tout le monde veuille faire un duel classique dans l’enceinte de l’école.

Rossi était sarcastique dans ses propos. Il observait les participants tout en parlant. Il sortit ensuite une pièce de monnaie en métal de sa poche et la présenta à la vue de tous. La pièce valait le double d’un belc, la monnaie officielle de Yelgland.

—  Alors organisons une compétition de capture de médaillons. En tant que mage, vous devriez être capable de créer votre propre médaillon. Pendant les sept prochains jours, nous les garderons tous secrètement sur nous. Pendant ce temps, vous serez libre de vous battre avec qui vous voulez. Si vous perdez, vous devrez remettre votre médaillon au vainqueur ce qui vous éliminera. Le dernier jour, les quatre personnes avec le plus grand nombre de médaillons s’affronteront. Intéressant, n’est-ce pas ?

Les élèves se regardèrent entre eux, surpris. Nanao croisa les bras, avec une expression conflictuelle sur le visage.

— Mm. Pardonne-moi, mais je ne sais pas comment créer un médaillon.

—  Oliver peut te l’apprendre. Je pense qu’il pourra le faire d’ici la fin de la journée, non ? Considère cela comme une forme d’assurance. J’aimerais avoir un public pour chaque bataille, mais ce ne sera peut-être pas possible partout alors il vaut mieux pour tout le monde que nous ayons une preuve de victoire.

C’était logique pour Oliver. Si, par exemple, des batailles avaient lieu secrètement dans le labyrinthe, alors les vainqueurs auraient eu besoin d’une preuve tangible de leur victoire pour que l’événement se déroule sans heurts. Bien sûr, cela ne suffisait pas à couvrir toutes les formes de tricherie, mais Tullio Rossi ne semblait pas du genre à apprécier le chaos. Rossi passa les cinq minutes suivantes à demander à chaque participant son nom qu’il griffonnait sur un parchemin.

—  Tous les noms des participants sont inscrits. Vous pouvez commencer ! annonça-t-il soudainement en soulevant le parchemin.

Les élèves se raidirent.

—  Quel est le problème ? Allez-y, battez-vous. Qui se soucie si vous ne pouvez pas faire un médaillon. Vous ne pouvez pas fausser les résultats ici dans tous les cas.

Ricanant, il attisait le feu. Tout à coup, tout le monde se scruta les uns des autres. Qui ai-je le plus de chance de battre ? Qui est le plus dangereux ? Qui apporterait le plus d’honneur en cas de victoire ? Leurs esprits s’emballaient dans la froideur des calculs.

  • … Je sais que c’est soudain, mais pourrais-je demander un duel, miss Hibiya ?

La première à parler était une fille d’une table voisine. Il y eut un brouhaha tandis que Nanao se levait sans hésitation.

  • Mais bien sûr. Où ça au juste ?
  • Nous aurons probablement des ennuis si nous le faisons ici, alors allons dans la cour. Je suppose que le public nous suivra de toute façon.

Nanao hocha la tête à sa proposition et elles sortirent ensemble du bâtiment. Katie les regarda fixement pendant un moment, étourdie, puis se leva rapidement, visiblement en colère.

  • …Huh ? Huh ?! Attendez, ils se battent déjà ?! cria-t-elle.
  • Tous les participants ont le droit de défier leur adversaire en duel. Le plus tôt sera le mieux. Et cette fille semble assez sérieuse, déclara Chela, tentant de louer la bravoure de la duelliste.

Elle se leva aussi, puis suivit les filles, avec le reste des élèves à la traîne. Quelques minutes plus tard, les deux duellistes se tinrent face à face, dans la cour contiguë à la cafétéria.

  • La distance de départ est de vingt mètres. C’est la règle de base. Cela te convient ?
  • Aucune plainte ici. Cependant, j’ai toujours des difficultés à utiliser la magie. Cela dérange si je m’en tiens au jeu d’épée ?
  • Je n’y vois pas d’inconvénient. Si tu arrives à t’approcher suffisamment de moi bien sûr, dit la fille, avec un sourire plein de confiance.

Elles dégainèrent ainsi chacune leur athamé et jetèrent un sort.

  • SECURUS !

Les lames imbibées de magie luisaient d’une lumière blanche. Chaque protagoniste lança un sort anti-mort non pas sur sa propre lame, mais sur celle de son adversaire. C’était important, car à moins qu’ils ne se fassent confiance implicitement, c’était le meilleur moyen d’éviter de porter accidentellement des coups fatals. Si l’un d’eux était laxiste dans sa création du sortilège, il pouvait leur exploser au visage au premier contact.

  • T-tu penses qu’elle ira bien…? s’enquit Katie. —- Elle ne sera pas blessée, n’est-ce pas ?
  • C’est difficile à dire, déclara Chela.
  • Qu’en penses-tu, Oliver ?
  • Le but de son adversaire est clair, répondit-il avec force. —- Elle sait que Nanao à de grosses lacunes en magie et elle veut mettre fin au duel en restant à distance. Et à en juger par son attitude calme, elle a probablement une certaine expérience des duels de mages.

—   … Alors Nanao est dans le pétrin ?

Katie croisa les bras, visiblement inquiète. Oliver secoua calmement, mais fermement la tête.


— C’est sûrement le plan de son adversaire, mais honnêtement, elle a mal évalué la chose. Elle sous-estime vraiment ce que Nanao peut faire avec une lame, lui assura-t-il avec une confiance persistante. Le duel commença finalement.

  • Commencez ! cria le médiateur, un deuxième année.

Instantanément, Nanao s’élança en une ligne presque parfaitement droite. Elle n’essaya même pas de faire des mouvements futiles. La seule chose qui lui traversait l’esprit était de réduire la distance et de percer son adversaire.

  • IMPETUS !

Son adversaire attendit un peu avant de lancer son sort. Réalisant que Nanao pouvait esquiver si elle le lançait trop tôt, elle la laissa s’approcher avant de déclencher un coup de marteau de vent qui aurait dû envoyer valser Nanao et lui donner la victoire.

  • Hrmph !

Il lui fallut un certain temps avant qu’elle ne réalise que Nanao avait tranché horizontalement sa frappe venteuse, la conduisant à s’écraser sur les côtés.

  • …Hein ?

Face à cette scène relevant de l’impossible, la jeune fille se figea. Heureusement, son instinct refit surface lui permettant de bloquer la frappe suivante, mais une défense aussi frêle n’avait aucun sens devant Nanao. Son attaque en diagonale repoussa facilement son athamé qui fut mis de côté, et pour s’arrêter à un centimètre de son cou.

  • Mm, pardon. Je me suis retenu instinctivement. Est-ce que cela compte comme une victoire ? demanda la fille aziane.

Il y avait eu si peu de résistance qu’elle avait hésité à aller jusqu’au bout de son coup. Son adversaire et le public furent pris de stupeur dans un long silence. Finalement, le médiateur prit la parole.

  • L-la gagnante est Nanao Hibiya !

L’excitation gagna la foule. Les ignorant, Nanao rengaina sa lame et plaça ses mains sur les épaules de son adversaire avant de sourire.

  • Affrontons-nous encore une fois un jour !
  • …Hug ? Oh, marmonna faiblement la fille, sans même se rendre compte qu’elle avait perdu.

Chela poussa un soupir d’admiration.

  • C’est ce à quoi je m’attendais… Non, oserais-je dire, encore plus magnifique que ce que j’aurais pu imaginer.
  • Son adversaire n’a jamais eu la moindre chance. Elle ne connaissait même pas le Flux Tranchant de Nanao, commenta Oliver sans montrer une once de pitié.

Comment aurait-elle pu le savoir, cependant ? C’était la première fois que Nanao utilisait cette technique sur un camarade de première année. C’était sa technique secrète maison, similaire au Flux Tranchant du style Koutz, mais en même temps très différente : le Flux Tranchant à deux mains. Ce n’est cependant pas pour des raisons sournoises qu’elle en a gardé le secret. En fait, elle avait consulté l’instructeur Garland et Oliver avant de décider de le faire. Si les autres étudiants étaient témoins de cette technique pendant le cours, cela ne se terminerait sûrement pas bien. Aucun d’entre eux n’était capable de la copier, même s’ils le voulaient, cela ne ferait que les faire se sentir incompétents malgré le fait qu’ils ne sont que des débutants. Qui pouvait s’en remettre après avoir été vaincu d’une telle manière ?

  • Le simple fait d’être en tête de classe ne suffit pas pour battre Nanao, déclara Oliver.

— Seul quelqu’un d’une année supérieure peut espérer être sur un pied d’égalité.

  • Je suis d’accord. Honnêtement, j’en frisonne, déclara Chela en appuyant sur ses épaules pour se stabiliser.

Nanao, sa première victoire en main, revint vers eux. La fille aux bouclettes l’accueillit avec une forte proclamation :

  • Oliver, Nanao, écoutez-moi. Je jure de rester debout jusqu’au dernier jour.

Oliver, Nanao, Katie, Guy et Pete la regardèrent avec surprise. Normalement, Chela gardait toujours un certain recul. Mais maintenant, elle faisait remonter à la surface ses sentiments enfouis.

  • Et je vous suggère de faire de même. Il faut que l’on survive tous les trois pour laisser les autres participants chuter. Comme ça, nous pourrons avoir un duel bien équitable. Ce serait une conclusion bien excitante, n’est-ce pas ? demanda Chela, même si elle n’accepterait sûrement pas une réponse négative.

Nanao acquiesça avec force.

  • J’accepte. Qu’en dis-tu, Oliver ? demanda-t-elle. Elle regarda ensuite le garçon qui se tenait à côté d’elle.

Oliver était trop partagé pour répondre aussi rapidement. Tout ce dont il parvenait à se souvenir était la première fois que Nanao et lui avaient croisé le fer, ce moment où elle avait réalisé qu’il était l’homme de sa destinée, et les larmes cristallines qu’elle avait versées.

  • …D’accord. Si c’est pour une compétition, ça ne me dérange pas, répondit Oliver après s’être calmé.

Peu importe ses sentiments, il n’y avait aucun moyen qu’il puisse l’éviter pour toujours. Il allait forcément lui faire face à nouveau au moins une fois au cours de ces sept prochaines années.

  • Le dernier jour marquera le jour de notre duel. Je ferai de mon mieux pour rester en lice jusque-là.

Sa réponse fut emplie de détermination et il croisa le regard de Nanao ce qui fit sourire Chela.

  • Ça me fait plaisir de me joindre à vous. Depuis combien de temps n’ai-je pas ressenti une telle excitation ?

Marmonna la fille aux bouclettes. Un feu sans précédent avait démarré en elle. C’était tout de même une mage après tout. Elle n’allait pas rester frustrée sur la touche et regarder plus longtemps le petit monde d’Oliver et Nanao. Leur premier cours de l’après-midi était de l’ingénierie magique. Cette matière, comme les cours de balai, avait été ajoutée à leur programme après les six premiers mois de l’année scolaire. Beaucoup d’étudiants étaient enthousiastes à découvrir ce nouveau domaine d’étude.

  • Kya-ha ! Bonjour à tous et bienvenue dans mon cours d’ingénierie magique ! Je suis votre professeur, Enrico Forghieri. Ravi de vous rencontrer ! Kya-ha ha-ha-ha !

Au moment où le cours commença, un vieil homme entra dans la salle avec un rire témoignant de sa folie et une sucette à la main. Toute la classe fut prise de cours.

  • Je pense que c’est le professeur le plus fou que nous ayons eu jusqu’à présent, chuchota Guy à ses amis, incapable de se contenir.

Le vieil homme en question lécha sa sucette en souriant largement.

  • Guy, tu n’as même jamais rencontré cet homme auparavant ! Tu ne peux pas juste…
  • Non, il a raison. Ne baisse pas votre garde.

Katie essaya de faire la morale à Guy, mais Oliver l’interrompit sèchement. Ils le regardaient tous alors que le vieil homme dénommé Enrico commença à présenter son cours.

  • Ce que j’enseigne est, en substance, les bases de notre société magique. Autrement dit, les théories et techniques qui permettent la création de divers outils et structures magiques. Sans eux, la magie n’aurait pas de forme. Nous ne serions pas mieux que des escrocs clinquants ! Impossible, me direz-vous ! Complètement ridicule, me direz-vous ! Je veux que la boîte à tours de passe-passe sur laquelle j’ai travaillé si dur soit transmise de génération en génération !

Hurla Enrico en écartant les bras.

  • Kimberly elle-même est une belle boîte à tours de passe-passe laissée par nos ancêtres ! Les premiers de ma lignée furent impliqués dans sa construction, et pourtant il y a certaines parties de cet endroit qui restent des mystères même pour ma famille. Mais ce n’est que naturel ! Contrairement aux créations fades des non-mages, celles du monde magique sont vivantes ! Il y a tellement d’histoires de mages avalés par leurs propres maisons que nous pourrions utiliser les parchemins sur lesquels ils ont été écrits comme du papier toilette ! Kya-ha-ha-ha ! Comme c’est excitant !

Le discours du vieil homme était rapide, sa langue effleurant constamment la sucette.

  • J’ai consacré de nombreuses heures à réfléchir à la manière de vous expliquer ce monde fascinant le plus rapidement possible. Partir des théories de base et y aller progressivement serait la méthode la plus typique, mais cela nous endormirait également tous ! L’élément le plus essentiel de l’apprentissage est cette appréhension qui fait transpirer vos paumes, suivie d’une logique particulière et de votre intuition poussée à son paroxysme ! Je vous prie de ne pas vous inquiéter, je vous promets que mon cours ne sera jamais ennuyeux !

Enrico agita sa baguette, et instantanément, plusieurs boîtes s’élevèrent des coins de la pièce. Les élèves regardaient les objets mystérieux avec une certaine appréhension.

  • Rétro-ingénierie. Avez-vous entendu parler de ce concept ? Pour expliquer simplement, c’est l’étude d’une chose du haut vers le bas. C’est une méthode utilisée pour apprendre le processus de fabrication et les principes de fonctionnement d’un sujet en observant, désassemblant et analysant le produit fini au lieu d’apprendre les principes fondamentaux et de les utiliser pour créer ce même produit. Ce que je veux, c’est que vous essayiez tout cela par vous-mêmes.

L’instructeur balaya des yeux la salle de classe, continuant sa présentation.

  • Vous voyez les quatre boîtes qui sont apparues dans la pièce, n’est-ce pas ? Ce sont des pièges magiques qui s’activeront dans exactement une heure. Démontez-les et arrêtez-les à temps et vous n’aurez rien. Si vous ne le faites pas cependant, vous aurez quelques ennuis. Plus précisément, vos membres seront arrachés de votre corps et votre peau sera fondue par un poison incroyablement douloureux. Rien de tout cela ne vous tuera bien entendu.

Il y eu un brouhaha général de panique. Enrico retroussa ses lèvres en un sourire narquois.

  • Si vous ne voulez pas que cela se produise, faites de votre mieux pour désassembler les pièges. Chaque boîte a son propre mécanisme, mais ne vous inquiétez pas, je vais quand même vous donner des indices. Et voici un petit conseil : je vous suggère de nommer comme meneur toute personne qui a de l’expérience dans ce domaine. Profitez au maximum de votre temps. À en juger par les cours passés, la perte de temps est le plus souvent la cause d’un désastre. Maintenant, est-ce que tout le monde est prêt ? Alors commencez ! Ayez l’air vivants, les enfants ! Vos vies dépendent de la force de l’amitié et de la coopération après tout ! Kya-ha-ha-ha-ha !

Tout le monde s’était mis à l’action, bien conscient qu’il ne s’agissait plus d’un simple cours.

  • Quiconque ayant de l’expérience, avancez-vous maintenant ! Nous manquons de temps !
  • Si on a bien appris quelque chose de ces six derniers mois à Kimberly, c’est que nos instructeurs n’exagèrent pas ! Quelqu’un va vraiment perdre un membre si nous échouons !

Oliver et Chela se mirent immédiatement mis à donner les instructions. Les visages des élèves pâlirent en réalisant le danger dans lequel ils se trouvaient. Enrico observa la classe plonger dans une cacophonie générale un petit moment avant d’élever la voix.

  • Votre premier indice ! Les pièges magiques sont divisés en trois grandes catégories : à retardement, à ressort et à ressort avec retardement. Aujourd’hui, vous faites face à trois pièges à retardement et un avec ressort à retardement. Cela facilitera grandement les choses si vous les identifiez d’abord !

Oliver serra les dents. Si c’était un piège magique à ressort à retardement, ils devaient être très prudents lors de la manipulation. Il réalisa qu’ils n’avaient ainsi d’autre choix que de les tester individuellement et il commença à en donner des directives à ses camarades de classe.

——————————————————————

Cinquante-huit minutes plus tard, le travail désespéré des élèves avait porté ses fruits. Ils avaient réussi à désarmer trois des quatre pièges. Mais le dernier, le piège à ressort à retardement, se révélait être un casse-tête.

  • Merde, toujours rien
  • Comment diable peut-on arrêter cette chose ?

Les étudiants entourant la boîte restante étaient pratiquement dans l’hystérie. Pendant tout ce temps, les aiguilles de l’horloge émettaient un « tic tac » bruyant. Cinquante-neuf minutes s’étaient maintenant écoulées. Voyant cela, Oliver arriva à une conclusion.

  • Laissez tomber, Il n’y a plus de temps pour résoudre quoi que ce soit ! On va se concentrer sur notre protection.

Oliver ordonna la chose en prenant la décision d’abandonner leurs efforts. Les élèves s’éloignèrent de la boîte, se dispersant comme des bébés-araignées. Pete se retourna, tentant de suivre le mouvement.

  • Ugh… ?!

Soudainement, il se sentit incroyablement étourdi et sa vision se déforma. Dans sa tête, il savait qu’il devait s’éloigner sans tarder, mais il perdait le sens de ses jambes. Il s’écroula au sol, incapable de supporter le poids de son propre corps.

  • Pete !

Oliver, remarquant que quelque chose n’allait pas, sauta en retournant devant le piège. Il n’y avait plus assez de temps pour attraper Pete et dégager. Il lança rapidement un sortilège barrière puis protégea le garçon avec son propre corps, le couvrant de sa robe et étreignant son ami. La boîte explosa. Mais au lieu de voir du feu ou de la brume empoisonnée, des milliers de longs filaments se tortillant se dirigèrent vers les élèves qui hurlaient.

  • Ohhh, si proche. Il en manquait juste un ! dit Enrico plus joyeusement que jamais.

Pete, qui avait perdu connaissance pendant une seconde, ouvrit lentement les yeux.

  • Uh… Ah…?
  • Ne bouge pas, Pete. Reste tranquille, chuchota Oliver, le tenant toujours.

Sentant quelque chose d’étrange dans sa voix étouffée, Pete regarda par un trou dans le tissu, et resta sans voix. Des dizaines de serpents se tortillaient violemment sur le dos d’Oliver, leurs crocs s’enfonçant dans sa chair.

  • T-ton dos… !
  • Je vais bien… Ça fait juste un peu mal. Ce n’est pas grave, déclara Oliver en serrant les dents à cause de la douleur.

Enrico semblait assez impressionné.

  • Ohhh, très robuste, ce petit. La plupart des premières années s’évanouissent, avec des spasmes de douleur après autant de morsures. Permets-moi de te rejoindre, alors ! Kya-ha-ha-ha-ha !

Ainsi, le vieil homme se laissa mordre de la tête aux pieds par les serpents ; le reste de la horde rampante poursuivit les étudiants à l’autre bout de la pièce. Chela et quelques autres s’étaient rapidement mobilisés pour se défendre avec de la magie, mais les serpents glissèrent au travers et attaquèrent élève après élève pour laisser place à des cris.

  • … En effet, cela fait un peu mal.

Les étudiants étaient adossés au mur, essayant de s’éloigner le plus possible de la menace. Parmi eux, seule Nanao s’était avancée de son propre gré. Une vague de serpents la submergea, la mordant partout. Elle grimaça, mais continua à marcher. Finalement, elle finit par rejoindre ses amis et récupéra Oliver et Pete.

  • Nana…o ?
  • Permettez-moi de vous donner un coup de main. C’est malheureusement tout ce que je peux faire.

Repérant de nouvelles proies, certains des serpents d’Oliver changèrent de cible pour Nanao. Voyant cela, Katie se démena pour les rejoindre.

  • L-lâche-moi, dit-elle
  • Arrête, Katie ! cria Chela alors que Katie essayait de la dépasser. Je sais que tu es résistante, mais tu as forcément besoin d’entraînement pour supporter de telles douleurs !

Chela avait immédiatement retenu son amie. Elle gardait les serpents à distance avec un sort créant des vagues de chaleur, et la zone derrière elle était l’un des seuls refuges sûrs de la classe. Il n’y avait aucun moyen qu’elle laisse Katie la quitter imprudemment pour rejoindre la zone de combat.

  • Elle a raison. Mais cela ne veut pas non plus dire qu’on doit juste rester assis ici à attendre de se faire mordre !
  • Guy ?!

Les yeux de Chela s’écarquillèrent de surprise. Le grand garçon sortit une petite fiole, la jeta au-dessus de sa tête et l’envoya dans la foule de serpents. Il se précipita vers Oliver et les serpents changèrent de cible comme attirés par lui.

  • TONITRUS !

Un courant électrique traversa le corps de Guy, en prenant avec lui tous les serpents à la fois. Il écarta les reptiles inconscients et se mit à renifler.

  • C’est comme ça qu’on prend soin d’eux dans mon patelin. Vous auriez dû nous dire ce qu’il y avait à l’intérieur des pièges plus tôt, professeur. Il n’y aurait eu aucune raison d’avoir peur, dit Guy en fixant les serpents.

Enrico ricana et leva sa baguette.

  • Kya-ha-ha-ha-ha ! Donc c’est comme ça que vous les exterminez, hein ? Alors permettez-moi de vous montrer ma méthode !

Le vieil homme incanta un sort et instantanément, les serpents se contorsionnant dans la salle de classe se tordirent tous de douleur pour finir par agoniser en silence. Les nuisibles exterminés, il fit face à la classe et dicta leurs résultats, toujours souriant.

  • Trois des quatre pièges ont été désamorcés avec succès. Une belle prestation pour votre premier jour. En récompense, prenez quelques bonbons.

D’un coup de baguette, les petites sucettes sous le podium volèrent dans les mains des élèves, abasourdis.

  • Mais soyez certain de ne pas négliger votre entraînement, car j’augmenterai la difficulté la prochaine fois. Heureusement, la majorité d’entre vous s’en est sortie indemne. Mais dans le cas contraire, j’aurais été le seul capable de tous vous soigner alors vous auriez souffert plus longtemps.

Enrico sourit d’un air menaçant. Katie, désormais complètement vannée, jeta violemment sa sucette contre le sol.

  • Allez-vous faire voir !! Ce cours devrait être aboli ! cria-t-elle avec rage.

Enrico gémit à la vue de sa sucrerie brisée sans pitié.

  • Ahhhhh ! Qu’avez-vous fait miss Aalto ? Comment pouvez-vous gaspiller une friandise sucrée ? N’avez-vous pas de cœur ?
  • Oh, l’hôpital qui se fout de la charité ! Votre classe est conçue avec l’intention de nous nuire. Ce n’est pas de l’éducation, c’est de la torture ! exhorta Katie, refusant de reculer.

Sa colère provoqua un regard vide chez le vieil homme.

  • Qu’est-ce qui vous énerve tant, miss Aalto ? Vous semblez ne pas apprécier mon cours, mais quel est précisément le problème ? Regardez autour de vous, personne n’est mort, dit-il simplement.

Certains élèves étaient pliés en deux, gémissant de douleur, mais cela ne semblait pas le déranger le moins du monde.

  • C’est la méthode d’enseignement la plus rapide. Selon toi, quel est le plus grand avantage d’un mage par rapport à un non-mage ? C’est, très franchement le fait que nous ne mourons pas si facilement. Tant que la mort n’est pas instantanée, la magie de guérison peut réparer la plupart des blessures.
  • … !
  • Les non-mages en sont réduits à utiliser des méthodes d’enseignement plus sûres. Ils n’ont d’autre choix que de transmettre lentement leurs connaissances, de traiter leurs élèves comme du verre et de s’inquiéter de blessures ou de la mort. Nous sommes différents. Nous pouvons être réparés même en étant brisés. De terribles blessures peuvent être complètement ignorées, nous permettant de reprendre nos études le lendemain même. Quelle est cette qualité sinon une aubaine extraordinaire ? C’est cet avantage qui nous permet d’être excentriques pour un apprentissage plus rapide. Tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts.

Katie était abasourdie. Le vieil homme détourna son regard vers Oliver.

  • Venez ici, Mr. Horn. Le venin n’est pas très puissant, mais vous avez reçu beaucoup trop de morsures. Cela interférera très certainement avec votre prochain cours. Un bonbon antidote ne suffira pas.

Enrico lui fit signe d’approcher, mais Oliver se leva en tremblant et tourna le dos à l’instructeur.

  • …Je vais bien. Il se trouve que j’ai une pommade très efficace pour un venin de ce type.
  • Kya-ha-ha-ha-ha ! Faites comme bon vous semble, alors. Sucez vos bonbons et soyez heureux ! Sans le bon antidote, vous souffrirez tout l’après-midi !

Le rire enfantin d’Enrico troublait Oliver plus que la douleur qui parcourait son corps.

  • Est-ce que ça va, Oliver ?! Tu es bien plus pâle que Nanao et Guy !
  • J’entre dans la phase de récupération, ne t’inquiète pas. Plus important encore…

Dans la salle après les cours, Oliver avait appliqué les premiers soins avec sa pommade et un sort de guérison. Il se retourna pour faire face à ses amis.

  • Pete, ça te dérangerait de rester derrière ? Je voulais te parler.

Un silence tomba sur le groupe. Finalement, le garçon à lunettes hocha la tête avec résignation.

  • … Allez-y, les gars.
  • Pete… ?
  • Très bien. Allons-y, tout le monde, ordonna Chela avec tact aux autres.

Katie jeta un dernier coup d’œil derrière elle, une expression d’inquiétude sur le visage. Une fois qu’ils furent tous vers le tournant du couloir, Oliver et Pete commencèrent à marcher jusqu’à tomber sur une salle de classe vide, et après avoir fermé les portes et confirmé qu’ils étaient seuls, Oliver brisa le silence.

  • J’avais un léger soupçon à ce sujet depuis ce matin. Ce n’est que lorsque je t’ai touché plus tôt que je l’ai su avec certitude.
  • ……!

Pete se fit une étreinte à lui-même, paniqué. Oliver le fixa avant de demander :

  • Tu es du sexe opposé, n’est-ce pas ?

Les mots résonnèrent dans la classe vide. Un silence de plomb se fit ressentir avant que le garçon à lunettes ne hoche la tête.

  • …C’est vrai. La nuit dernière, j’ai fait un rêve bizarre… Et quand je me suis réveillé, j’étais comme ça.

Pete enleva sa robe de sorcier et défit trois des boutons de sa chemise avec des doigts tremblants. Sa poitrine exposée révélait, sans l’ombre d’un doute, une poitrine assez volumineuse ce qui contrastait avec le torse plat de Pete.

  • Je sais que cela pourrait te sembler impoli, poursuivit Oliver. ——, Mais est-ce la même chose… ailleurs ?
  • …… O-oui…
  • Un sort de transformation ayant dérapé ou une potion d’altération n’explique pas cela. Ton corps est trop bien formé comme si tu l’avais eu toute ta vie. De telles idiosyncrasies[1] physiques sont extrêmement rares chez les mages et n’existent pas ailleurs. Tu es un reversi !

Oliver avait décrit le phénomène qui se produisait dans le corps de son ami. Soudainement, comme un barrage qui éclate, Pete commença à parler.

  • Je me sens mal depuis ce matin. J’ai ce terrible mal de tête et d’étranges vertiges. Je m’énerve sans raison jusqu’à ce que je n’arrive plus à me concentrer sur ma tâche … Est-ce que tout cela fait partie d’un… quelconque processus ?
  • Probablement. Je ne suis pas un expert, donc je ne peux pas dire avec certitude, mais on dit que les reversi luttent beaucoup avec leur capacité jusqu’à ce qu’ils apprennent à la contrôler correctement. Certains facteurs comme leur environnement peuvent forcer le changement de sexe et les phases de la lune peuvent également avoir un impact. Maintenant que j’y pense, c’était un soir de pleine lune hier soir. Cela a dû faire le mariage parfait avec la stimulation magique de Kimberly et de ton propre corps.

Oliver se dirigea vers Pete pendant qu’il expliquait et boutonna la chemise ample du garçon. Les épaules de son ami tremblaient très légèrement. Oliver rassembla toute sa sincérité pour s’exprimer.

  • Juste pour qu’il n’y ait pas de malentendu, ce n’est pas une mutation soudaine qui s’est produite uniquement parce que tu es venu à Kimberly, poursuivit-il. —— Le potentiel a dû être en toi depuis toujours. Par exemple, un flou dans ta propre identité de genre ou un sentiment de ne pas être à ta véritable place, même parmi des amis du même sexe. Les expériences personnelles varient, donc le seul qui puisse dire avec certitude d’où cela vient, c’est toi.
  • ……

Pete fouilla dans ses souvenirs. Il n’avait jamais eu beaucoup d’amis lorsqu’il vivait parmi des non-mages et était toujours irrité contre lui-même de ne pas pouvoir s’intégrer. N’était-ce pas seulement parce qu’il avait la capacité de faire de la magie, mais aussi à cause de cela ?

  • Je suis sûr que tu fais face à toutes sortes de sentiments mitigés. Il faudra probablement un certain temps pour que ces émotions se calment. Cependant, permets-moi de te dire une chose : félicitations, Pete. Tu as découvert un merveilleux potentiel en toi.

À ces mots, les yeux de Pete s’écarquillèrent avant de se rétracter. Oliver sourit chaleureusement.

  • Pour ceux qui désirent maîtriser la magie, être un reversi est sans aucun doute considéré comme un cadeau. Beaucoup des plus grands mages de l’histoire étaient des reversi. Le plus célèbre était le grand sage Rod Farquois. Tout le monde avec ce trait n’est pas à son niveau, bien sûr, mais ce sera certainement un énorme avantage dans ta quête des secrets de la magie.
  • Cadeau…? Tu appelles ça… un cadeau ?
  • Plus le don est grand, plus il nécessite un entraînement pour le maîtriser. Cela vaut pour tous les domaines. Oh, je suppose que c’est difficile à imaginer si je ne te donne pas d’exemple. Voyons voir…

Oliver réfléchit un moment. Il sortit sa baguette et lui fit signe de faire pareil.

  • Essaye de lancer un sort de foudre. C’est l’un de tes éléments les plus faibles, n’est-ce pas ?
  • … ? … TONITRUS !

Pete incanta le sort, confus, et le dirigea vers le sol à proximité. La lumière surgit du bout de la baguette et créa une zone d’impact plus large de trois mètres qu’elle ne l’avait été la dernière fois.

  • Qu’est-ce que… ? Je n’étais jamais parvenu à générer autant de puissance auparavant.
  • Les hommes et les femmes excellent dans des différents éléments. Cela varie d’une personne à l’autre donc ce n’est pas si simple, mais dans ton cas, tu as acquis une affinité accrue pour la magie de foudre. Je parie que beaucoup d’autres choses ont changé aussi. On devra donc en faire un rapide examen plus tard, déclara Oliver, prenant des notes mentalement.

Pete resta figé en silence pendant que son ami continuait de parler.

  • Le sens-tu maintenant, Pete ? Tu as gagné quelque chose d’incroyable. Bien sûr, il y a beaucoup de choses qui peuvent être ennuyeuses à ce sujet, mais ce serait un tel gâchis de vivre ta vie dans la peur de cela. Envisage d’utiliser ce talent, de le valoriser et de le laisser grandir. Bien sûr, tu devras d’abord apprendre à te contrôler, mais…

Il s’arrêta soudainement. Sentant une présence derrière lui, Oliver se retourna vers la porte de la classe.

  • Qui est là ?! somma-t-il.

Pete cligna des yeux, confus.

  • Pardon. C’est moi, répondit rapidement une voix neutre.

La porte s’ouvrit silencieusement, révélant un étudiant solitaire. La voix était légère et gracieuse, comme une douce brise. Il n’y avait qu’une seule personne à qui elle pouvait appartenir.

  • W… Whitrow…?
  • Cela fait longtemps que je ne vous ai pas vu, vous deux. Mes excuses, je ne voulais pas vous épier.
  •  Je sais bien. Si vous vouliez vraiment vous cacher, je n’aurais jamais remarqué votre présence, déclara Oliver, bien conscient du fossé qui les séparait.

Carlos Whitrow soupira de soulagement.

  • Ça fait plaisir à entendre. J’avais le pressentiment que votre ami commencerait bientôt à montrer ses vraies couleurs, déclara Whitrow en entrant lentement dans la salle de classe.

Pete se précipita derrière le dos d’Oliver.

  • Je l’ai senti depuis la première fois que nous nous sommes rencontrés dans le labyrinthe. Vous deux avez fait toute une scène ce matin aussi. Alors j’ai suivi mon intuition, et voilà que j’avais raison.

Après avoir expliqué ce qu’ils faisaient ici, Whitrow sourit aux deux jeunes.

  • Mais il semble que Mr. Horn ait déjà dit tout ce que je voulais t’expliquer.

Whitrow chercha dans la poche de sa robe et en sortit une feuille de papier.

  • C’est vraiment compliqué, n’est-ce pas ? Mais il vaudrait mieux que vous entendiez tout cela de vos aînés.

Pete tendit prudemment la main et prit le papier à deux mains. Il était intitulé avec le mot Invitation.

  • Venez nous rejoindre à huit heures ce soir. Vous y trouverez beaucoup plus de gens comme vous.

Et avec un sourire et un clin d’œil, Whitrow se retourna et partit. Le reste des cours de la journée se passa sans grand problème. Une fois libres, les étudiants retournèrent à la cafétéria. Le groupe des cinq amis était assis autour d’une table en train de dîner, les yeux rivés sur l’entrée.

  • … Pete ne vient pas, huh ? murmura Katie.
  • Il a dit qu’il allait à la bibliothèque pour chercher des livres. Je vais lui garder de la nourriture au cas où il serait trop en retard, répondit Oliver en remplissant un panier qu’il avait acheté à l’épicerie de l’école avec des sandwichs et du fromage.
  • Si je peux aider, n’hésite pas à me demander quoi que ce soit, déclara Chela tout en continuant à manger.
  • D’accord, merci.

Oliver lui sourit en retour. Elle avait probablement compris à peu près ce qui se passait. Mais même ainsi, elle ne s’en était pas inquiétée, proposant simplement son aide au cas où elle serait nécessaire. Sa délicatesse était plus que louable.

  • …Veuillez excuser mon retard.

Pete arriva une fois qu’ils eurent fini de manger et que la cafétéria était devenue assez peu bondée. Il s’assit, l’air maussade.

  • Eh ! Tu es là, Pete, cria Guy avec désinvolture.
  • Je ne sais pas ce que tu recherchais, mais t’as découvert quelque chose de bon dans la bibliothèque ?
  • Il n’y a que peu de choses que je peux apprendre par moi-même, alors… Oliver, à propos de cette chose… Je déteste te le demander, mais pourrais-tu venir avec moi ce soir ?
  • Bien sûr. Mais assure-toi de manger avant de partir.

Oliver hocha rapidement la tête, ayant anticipé la question, et tendit à son ami le panier de nourriture. Pete fit un petit signe de remerciement, puis commença à mâcher son sandwich. Oliver se retourna vers ses amis.

  • Je ne peux pas encore vous dire pourquoi, mais ce soir, Pete et moi descendons dans le labyrinthe, annonça-t-il.
  • Il devrait y avoir un minimum de danger, mais si nous ne sommes pas de retour à 22h, informez-en un ainé digne de confiance.
  • Compris ! Faites attention vous deux, dit Chela en les voyant partir avec un sourire.

Les souvenirs de la dernière fois qu’ils étaient entrés dans le labyrinthe resurgirent au fond de l’esprit d’Oliver. Il se jura d’être plus prudent cette fois, afin de ne plus exposer aucun de ses amis au danger.

——————————————————————

Oliver et Pete suivirent les instructions de l’invitation les menant dans une salle de classe au troisième étage, repérèrent le long miroir qui servait d’entrée au labyrinthe et se préparèrent. Mais toute leur prudence s’avéra inutile.

  • Ah, vous êtes là.

Un garçon plus âgé les regarda alors qu’il s’appuyait contre le mur. Oliver fut choqué de voir le visage familier.

  • Président Godfrey ? Attendez, vous allez nous accompagner ?
  • Ne t’en préoccupe pas. J’allais venir jeter un coup d’œil à l’événement de toute façon. Je devais aussi m’excuser auprès de vous deux, dit-il avant de sauter à travers le miroir.

Il tendit ensuite la main et leur fit signe d’entrer ; Oliver et Pete le suivirent sans attendre et arrivèrent dans un passage sombre du labyrinthe. Godfrey prit les devants alors qu’ils commençaient à marcher.

  • La partie du travail d’un préfet consiste à vérifier périodiquement les rassemblements dans le labyrinthe. On aurait dû mieux gérer cette chasse au kobold et l’affaire Miligan pour éviter les drames. Encore une fois, je m’excuse pour notre arrivée tardive.
  • Non, il ne faut pas… Il n’y avait aucun moyen de réaliser qu’elle était un danger, répondit Oliver.

Le souvenir de sa bataille avec la sorcière à l’œil de Basilic était encore frais. Sa voix s’était durcie en se souvenant de ce quasi-combat à mort. Godfrey se mit à sourire.

  • Tu es beaucoup plus mature que je ne l’étais lors de ma première année. Tu as vécu des moments difficiles avant ta venue ici ?
  • … Je ne peux pas le dire avec certitude. Je n’ai pas pour habitude de comparer ma vie à celle des autres, répondit brièvement Oliver qui refusa d’en dire plus.

De surcroît, la plupart des mages n’aimaient pas partager les détails de leurs difficultés passées avec les autres avec tant de désinvolture. Sentant qu’il avait touché une corde sensible, Godfrey tourna son regard vers l’autre garçon.

  • J’ai entendu dire que vous veniez d’une famille de non-mage, Mr. Reston. Comment trouvez-vous la vie à Kimberley ?
  • Hein ?! Oh, euh, euh…
  • Ha-ha, pas besoin d’édulcorer la chose. Chaque seconde te donne l’impression d’être en danger, n’est-ce pas ?

Le préfet dit exactement ce que Pete avait essayé de garder à l’intérieur, puis il se mit à renifler avec force.

  • C’était aussi ma première pensée. Et depuis cinq ans que je suis ici, cette partie de Kimberly n’a pas du tout changé. Sur le campus, les instructeurs agissent comme des êtres divins, assignant les tâches les plus ridicules et injustes tandis que les étudiants passent leurs nuits dans le labyrinthe à mener des recherches et des batailles en secret. Je cours à droite et à gauche pour essayer de rendre cet endroit plus sûr, mais qui sait tout le bien que j’ai réellement fait.

Les marques d’usures des longues années de stress s’étaient incrustées sur le visage de Godfrey. Il continua à s’exprimer.

  • Dans cette école, la quête de connaissances magiques passe avant la sécurité des étudiants. Tout ce que nous pouvons faire, c’est essayer de nous armer de subterfuges pouvant les aider. Cependant, il y a quelques critiques à propos de ce système. Il y a une mouvance qui tente de restreindre l’entrée dans le labyrinthe pour les troisième année et plus. Malheureusement, l’opposition est si violente qu’il est difficile de voir des changements mis en œuvre.
  • … Je visualise bien les choses. Pardonnez ma question, mais faites-vous partie de ceux qui militent pour les droits des créatures ?    
  • Je ne suis pas sûr. Beaucoup de mes amis sont dans ce camp, mais personnellement, je suis un homme beaucoup plus simple. Je pense juste que partout où je passe, l’endroit se doit d’être le plus paisible possible. Quant au monde au-delà, ce n’est clairement pas de mon ressort. Kimberly m’occupe déjà bien assez.

Oliver ressentit un peu de sympathie pour les dires teintés d’humour de Godfrey. Il semblait être un type qui n’était pas fait pour vivre parmi tous ces êtres maléfiques. Kimberly était un endroit qui engourdissait petit à petit toutes les émotions humaines au fil des ans. Plus on s’adaptait ici plus notre mentalité de mage devenait “excentrique”. Les deux étudiants plus âgés qu’ils avaient rencontrés auparavant dans le labyrinthe en étaient la preuve. Alors qu’Oliver réfléchissait à cela, il réalisa également que le caractère unique de Godfrey était la raison pour laquelle il était préfet. Oliver fixa l’élève plus âgé, une lueur d’admiration dans les yeux, et Godfrey reporta son regard sur lui.

  • Vu votre personnalité, vous feriez un très bon préfet Mr. Horn. Si vous êtes intéressé, vous serez le bienvenu pour une période d’essai.
  • … J’en serais honoré, répondit poliment Oliver, considérant tout de même cette offre qui fut posée là comme ça.

Plus Alvin Godfrey se montrait honorable, plus la conviction qu’ils ne pourraient jamais être des alliés devenait certaine.

  • On est arrivé. C’est le lieu de rendez-vous, déclara Godfrey en s’arrêtant devant un mur blanc.

Il prononça le mot de passe et instantanément, les pierres cliquetantes se réarrangèrent pour former une entrée. Il n’y avait jamais un moyen normal d’entrer dans une pièce du labyrinthe. Oliver et Pete suivirent ainsi leur ainé à l’intérieur. La salle était légèrement plus grande que celle d’une classe standard. Dans la lumière chaleureuse, environ trente à quarante étudiants conversaient dans une ambiance festive. Sur une table se trouvaient des rafraîchissements et, au fond, une scène vide.

  • Pas mal, non ? Allez, servez-vous.

Oliver et Pete s’arrêtèrent à l’entrée, mais Godfrey leur apporta quelques verres du bar, qu’ils acceptèrent nerveusement.

  • C’est là que tous les étudiants ayant des traits magiques basés sur le genre se rassemblent. Reversi en est évidemment un des exemples principaux, mais il existe en fait une variété de traits connexes. Toutes les personnes ici ont des particularités qu’ils ont du mal à exprimer en public. Elles pourraient toutes avoir besoin d’un ami. Vous êtes le bienvenu ici, Mr. Reston.

Godfrey sourit chaleureusement. Comme pour prouver sa déclaration, quelques autres étudiants se rassemblèrent autour d’eux.

  • Bonsoir !
  • Hé, un nouveau ! Un nouveau !
  • N’effraie pas le pauvre gosse ! Toi, là avec les lunettes. Je suppose que c’est toi ?

Étonnamment, un groupe d’étudiants plus âgés avait commencé à interpeler Pete. Il était difficile de discerner leur genre seulement à partir de leurs vêtements et manières. Pete recula timidement d’un pas, alors Oliver prit la parole à la place.

  • Comme vous l’avez deviné, voilà Pete Reston, un première année qui vient tout juste d’apprendre qu’il est un reversi. Je suis son ami, Oliver Horn. Il est en visite ce soir dans l’espoir de recevoir des conseils pour l’avenir. J’espère que vous serez d’une grande aide.

Oliver délivra poliment ses salutations. Un silence s’abattit sur les élèves plus âgés avant qu’ils n’éclatent tous de rire.

  • Tu as un balai dans le derrière ou quoi Oliver !
  • Y a une cinquième année à l’intérieur de ce type ou quoi ?
  •  Détendez-vous, Mr. Horn. Pas besoin d’être si nerveux. Nous sommes tous amis ici.
  • …Erk…

Le chahut inattendu rendit Oliver silencieux. Une personne à l’allure féminine posa une main douce sur sa tête.

  • Tu te montres fort pour le bien de ton ami, n’est-ce pas ? Gentil garçon, gentil garçon !

Elle lui massa les cheveux comme s’il était un petit enfant boudeur, ce qui fit tourner la tête d’Oliver en boucle pendant un petit moment. Les autres étudiants commencèrent à tourner ensuite leur attention vers la scène.

  • Oh, c’est l’heure de l’événement principal. Les gens, assez bavardé !

Les étudiants se turent, mettant leur attention sur la scène où se tenaient deux silhouettes. Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent lorsqu’il reconnut l’une d’elles.

  • Mon frè… ?

Son cousin aux cheveux cuivrés se tenait sur scène, tenant un grand instrument à cordes. À côté de lui se trouvait le préfet qui avait organisé cet événement, Carlos Whitrow, qui s’adressait à la foule avec sa magnifique voix si caractéristique.

— Bonsoir à tous. Merci d’être venu ce soir.

Le public avait applaudi comme s’ils étaient à un concert d’une célébrité. Oliver et Pete ne pouvaient cacher leur confusion.

  • On a de nouvelles personnes ici ce soir, alors laissez-moi prendre un peu de temps pour rappeler ce qu’est ce groupe. Tout le monde ici, y compris moi, possédons des traits magiques basés sur le genre. Nous avons tous notre juste part de problèmes. Mais vous n’avez pas à vous en inquiéter. Ici, vous pouvez trouver de l’aide et du soutien. Si vous êtes un peu timide, préparez-vous à ma visite plus tard.

Le regard de Carlos se tourna vers Pete ; le garçon à lunettes lui rendit nerveusement le salut silencieux. Carlos sourit doucement, puis s’adressa de nouveau à son audience.

  • Mais d’abord vient notre performance. Moi, Carlos Whitrow, serai votre chanteur. Je suis accompagné d’une personne que vous connaissez certainement tous très bien : le célèbre contrebassiste Gwyn Sherwood. Êtes-vous prêt à vous faire exploser les oreilles ?
  • CARLOS ! ON T’AIME !!!!!!!!!!!!!

Les plus jeunes étudiants au premier rang applaudissaient tous. Carlos leur envoya un baiser.

  • Merci les chatons. Commençons notre premier numéro sans tarder !

À leur signal, le contrebassiste derrière eux s’inclina d’une note lourde et solennelle. Cela avait suffi à capter toutes les oreilles de la pièce. Carlos se mit ensuite à chanter.

  • Quoi…?

En un instant, Oliver et Pete furent ébahis. La voix incroyablement cristalline ne résonnait pas dans leur tête, mais dans leur poitrine. Le son traversait leurs corps, remplissant chaque centimètre de la tête aux pieds et se répandant sous forme de larmes. Les deux garçons étaient devenus tellement concentrés sur la chanson qu’ils en avaient presque oublié de respirer.

  • Le chant de Carlos n’est-il pas tout simplement incroyable ? Voici votre premier conseil : Apportez trois mouchoirs à ces soirées.

Un étudiant plus âgé à proximité qui se frottait les yeux avec un mouchoir en avait donné un à Oliver et Pete. Les deux garçons les prirent et firent de même.

  • Sniff… Oliver, c’est… réussi, cria Pete.
  • C’est une voix enchantée, oui. Mais ce n’est pas un type de charme. C’est beaucoup plus pur, bien plus sain…

Tout ce que pouvait faire Oliver était de rendre compte d’une perte de discernement. Même lui ne pouvait pas saisir la vérité derrière la voix de Carlos. Surtout, plus cela devenait très douteux et plus la voix de Carlos en devenait belle. Avant qu’il ne s’en rende compte, cinq chansons étaient passées.

Carlos regarda la foule, une douce lueur dans son regard, alors que le public se prélassait dans le bonheur des faibles échos restants.

  • Merci de votre attention. Sans vous tous, je ne saurais apprécier le chant. Mais je sais que tout le monde attend le moment pour discuter alors c’est parti ! J’arrive tout de suite pour vous rejoindre ! Ne vous retenez pas !

Une tempête d’applaudissements suivit Carlos et le contrebassiste qui l’accompagnait hors de la scène. Une fois partis, les étudiants commencèrent à bavarder entre eux tout en essuyant leurs yeux humides.

  • Hee-hee-hee ! Ne vous inquiétez pas, nous sommes tous amis ici, Mr. Reston.
  • Il n’y a pas lieu d’être embarrassé. Tout le monde est dans le même bateau.
  • Commençons par ceux d’entre nous qui se sont réveillés un matin en découvrant leur pénis disparu.
  • Ah, oui ! Au début, j’ai cru qu’il s’était retourné dans mon corps.

Une vague d’étudiants les entourait, tout le monde parlait en même temps. Pete était naturellement dépassé, mais Oliver resta là, sans interférer. Il ne sentait plus aucune raison d’être sur ses gardes autour de ce groupe.

——————————————————————

Deux heures plus tard, l’événement prit fin. Godfrey les ramena sur le campus. Oliver et Pete le saluèrent puis marchèrent le long du chemin vers le dortoir dans la nuit.

  • Alors… comment c’était ? T’en penses quoi ? demanda Oliver avec hésitation.

Pete renifla.

  • Tu étais là. Tu as bien vu ce qui s’est passé… Ce sont tous de bonnes personnes. Je me sens stupide d’avoir été aussi nerveux.
  • Je vois. Ça fait plaisir à entendre.
  • J’ai aussi reçu beaucoup de bons conseils. Je me sens un peu plus confiant pour gérer ça maintenant. Enfin je ne suis pas gonflé à bloc non plus, mais je pense que je réussirai à me débrouiller.

Le garçon à lunettes serra les poings. Après un moment, Oliver reprit la parole.

  • … Qu’est-ce qu’on fait pour notre chambre ?
  • Comme ils l’ont dit lors de l’événement, tu peux signaler ton statut à l’académie et obtenir une chambre privée. Je pense que ce serait plus facile, du moins pour tes besoins quotidiens. Mais je pense que…

Avant qu’Oliver ne puisse continuer, Pete leva la main.

  • … Tu n’as pas besoin d’en dire plus.
  • Mm ?
  • J…je sais que je peux à peine prendre soin de moi dans cette école… L’idée de passer seul la nuit à Kimberly me fait peur. Alors s’il te plaît laisse-moi continuer à être ton coloc pour le moment. S’il te plaît !

Pete s’arrêta et regarda sérieusement Oliver. Ce dernier eut l’air soulagé.

  • Je suis vraiment content que tu dises ça. Ce sera plus facile de t’aider si on est dans la même pièce. Si quelque chose d’étrange se produit, fais-le-moi savoir. Pas besoin d’être timide.
  • …Merci. Mais, euh…

Pete trébucha sur ses prochains mots. Oliver pencha la tête, et son ami rougit et détourna les yeux.

  • … Je mettrai un rideau entre nos lits.

——————————————————————

Alors que les deux garçons se dirigeaient vers le dortoir, six instructeurs s’étaient réunis dans une pièce secrète, plongée dans l’obscurité la plus profonde du campus.

  • Yo, tout le monde est là ?
  • Tu es en retard, Vanessa.

Esmeralda lança un regard glacial au professeur de biologie magique alors qu’elle entrait dans la pièce sans aucune once de culpabilité. La directrice et quatre autres enseignants étaient assis autour d’une table ronde au centre de la pièce.

  • Pardon pardon. J’étais occupé à attraper ce monsieur.

Elle jeta sur le sol la masse qu’elle portait sur son épaule. C’était un homme bandé de la tête aux pieds et couvert d’un manteau en lambeaux, gémissant de douleur.

  • Unh… Mmf…
  • C’est plutôt un bon forceur de verrous. Il a réussi à franchir deux barrières avant mon arrivée. Il devait pourtant savoir qu’il finirait comme ça. Félicitations pour l’effort inutile, je suppose ? dit Vanessa avec dédain avant de se retourner vers les cinq autres.
  • Et maintenant ? On le fait chanter ?
  • Malheureusement, il nous manque notre meilleur chef d’orchestre. Kya-ha-ha-ha-ha !
  • Je n’ai pas beaucoup d’espoir. J’ai l’impression qu’il va rendre son dernier soupir avant de lâcher une note.

Les deux professeurs âgés, Enrico et Gilchrist, donnèrent leurs opinions, ce qui fit rire tout le monde, bien que ce fût maladroit.

  • V… Ne…  vous en tirerez pas comme ça… marmonna l’homme rampant sur le sol et lançant un regard noir envers les figures démoniaques qui l’entouraient. —— Vous ne vous en sortirez pas… comme ça pour toujours. Votre fin est proche, hérétiques ! Mon corps peut pourrir, mais cela ne fait que rapprocher notre Maître de ce bas monde ! Il abattra un châtiment bien plus cruel que vous ne puissiez l’imaginer !
  • Oui oui. J’en ai marre d’entendre cette chose en boucle.  Je vais vraiment devenir sourde à force. Alors, est-ce que je le torture, madame la directrice ? demanda Vanessa, ennuyée.

La réponse vint sans aucune hésitation.

  • Non. Éliminez-le.
  • Ça marche.

Immédiatement, Vanessa tendit un bras. Ses muscles explosèrent en volume, créant une paume assez grande pour couvrir un humain entier. Elle attrapa sa proie, et un frisson parcourut la colonne vertébrale de l’homme alors qu’il sentait la respiration chaude et humide à l’arrière de son cou. Il y avait une bouche à l’intérieur de cette main.

  • Eep ! Ah ! Dieu ! Oh mon Dieu ! Gyaaaaaah !

Le bruit des dents broyant la chair et les os se joignit à ses cris. Quelques instants plus tard, la main était vide. Vanessa remit son bras à sa taille normale et se dirigea vers la table en fronçant les sourcils.

  • Beurk, c’était dégoutant. Pourquoi ces gars de l’Ordre de la Lumière Sacrée sont toujours aussi tendineux ?
  • Ça doit être le régime particulier qu’ils suivent. Les gnostiques pensent que les enveloppes corporelles incarnent le Mal.

Enrico croisa les bras, troublé. Vanessa essuya le sang restant de sa main.

  • Eh bien, mettons ce spectacle de côté. C’est à propos de Darius, n’est-ce pas ?

Elle s’assit et plongea soudainement dans le sujet principal. Des six personnes autour de la table, un homme extraordinairement calme drapé d’une robe ample fut le premier à parler doucement.

  • Cela fait quatre mois qu’il a disparu. La mort est clairement envisageable.
  • Oh, comme c’est tragique, ajouta Esmeralda, la sorcière assise à côté de Vanessa. Elle était petite, et sa tenue noire s’était usée avec l’âge. Elle secoua la tête. —— Cela n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est la cause. Quelqu’un a des indices ? demanda-t-elle sans une once de chagrin pour leur allié perdu.

Vanessa haussa les épaules.

  • Pas un seul. Il était trop fort pour disparaître dans le labyrinthe et mourir. Et le moment n’indique pas qu’il aurait subi une consumation par le sort.
  • Autrement dit quelqu’un a dû le tuer ! Ça doit être ça ! Kya-ha !

Le vieil homme, Enrico, eut un rire machinal. Vanessa n’essaya pas de cacher son agacement.

  • N’ignore pas à quel point cette situation est urgente, vieux débris. Mais tu marques un point. Il faut découvrir qui a tué Darius.

Une lueur prédatrice vacilla dans ses yeux alors qu’elle regardait autour d’elle dans la pièce.

  • Il n’y en a pas beaucoup qui auraient pu faire cet acte. Nous six, et… qui d’autres ? Le jeune Garland ? Oh, et ce salaud de McFarlane aussi. Il est du genre mystérieux, lui. Mais je pense que nous pouvons vous exclure, Directrice. Si vous l’aviez tué, ça ne vous servirait à rien de le cacher. Alors… en m’incluant, combien de suspects avons-nous ?

Vanessa tordit ses lèvres en ricanant. En face d’elle, Gilchrist fit un reniflement.

  • Ce ne sont que des conjectures inutiles. Il n’y a aucune garantie que Darius ait été tué dans un duel.
  • Bien entendu. Donc tu penses qu’un groupe d’instructeurs qualifiés se serait ligué contre lui ? C’est sûr que si tu étais derrière tout ça, Darius n’aurait eu aucune chance.

Le ton de Vanessa se voulait narquois. Gilchrist lui lança un regard perçant. Soudainement, un vase de fleurs dans un coin de la pièce explosa. Alors même que les morceaux se dispersaient, personne ne se tourna pour regarder.

  • Hmph. Je ne serais pas surpris qu’il y ait un traître ici, mais les faits ne vont pas dans ce sens. Je suis sûre que nous ferions tous beaucoup mieux pour éliminer un adversaire, non ? dit Enrico avec un sourire conscient.

La sorcière vêtue de noir assise à côté de Vanessa pencha innocemment la tête et fit une remarque.

  • Aw, si c’était moi, j’aurai gardé le cadavre de ce cher Darry à mes côtés pour toujours. Elle parlait d’un destin pire que la mort. Vanessa secoua la tête. ——, Mais si on regarde ailleurs, nous n’avons plus aucun suspect. Ou alors ce serait un étudiant ?

Elle dit cela comme une mauvaise blague, mais Esmeralda, la directrice, ouvrit doucement la bouche.

  • Si, par hasard, un étudiant l’aurait tué, cela signifierait que Darius n’était pas apte à être un instructeur de Kimberly. Il mériterait ainsi amplement sa mort et c’est tout.
  • Et si ce n’était pas ce qui s’est passé ? dit Vanessa en commençant à s’amuser de la situation.

Esmeralda battit des mains une fois, puis s’adressa à l’audience.

  • Alors cela signifierait que l’un d’entre vous a décidé de me défier. Si ça lui convient alors soit. Je n’ai rien de plus à dire.

Les mages comprirent ainsi qu’elle ne s’était jamais souciée de trouver le tueur. C’était la véritable raison pour laquelle la directrice les avait convoqués.

— En tout cas ce n’est pas de mon fait, dit une personne avec un ton désintéressé. 

Tout le monde regarda silencieusement le plafond. Il y avait là un homme à l’air distant, ses cheveux bouclés typiques drapés sur ses épaules et il n’avait pas un grain de poussière sur sa tenue élégante et guindée.

  • Tu es de retour ? Tu aimes bien être à l’envers n’est-ce pas ? demanda Vanessa.
  • Et toi, tu adores beaucoup trop planifier des stratagèmes diaboliques. J’aimerais que tu sois au moins un peu surprise. C’était toute une épreuve d’arriver aussi loin sans me faire remarquer.
  • Idiot. Qui serait surpris de te voir au plafond à ce stade ? Ce serait encore plus choquant si tu frappais poliment à la porte, cracha Vanessa en haussant les épaules.

Le vieil homme à table gloussa de joie.

  • Kya-ha-ha-ha-ha ! Plus important encore, McFarlane, tu n’es pas membre de ce groupe. Vilain, vilain. Tu es peut-être un vieil ami de la directrice, mais cela ne te donne pas le droit de t’immiscer ici.

Comme sur un signal, les cinq instructeurs concentrèrent leur malice sur l’homme. N’importe quel mage normal aurait déjà eu une crise cardiaque à cause de la pression, mais McFarlane réussit à encaisser. Il sourit.

  • Ah, mais vous avez tout à fait raison, bien sûr, maître Enrico. Alors, vous allez essayer de me faire disparaître comme ce gnostique ?

Malgré son attitude décontractée, il ne reculait pas devant un combat. La pièce, déjà bien inflammable, était sur le bord de l’explosion.

  • Arrête de jouer avec le feu, Théodore.

Le ton glacial d’Esmeralda tomba comme un seau…non, comme l’équivalent d’un lac d’eau sur un feu, éteignant instantanément la tension. Même Théodore, toujours au plafond, se redressa.

  • Pardonnez-moi, madame la directrice. Il est juste dans ma nature de remuer la marmite quand ça végète un peu trop.
  • Et je ne m’attends pas à ce que tu changes. Maintenant assois-toi. C’est un ordre.
  • Comme il vous plaira.

L’homme obéit et s’assit au plafond. Globalement il avait été respectueux. Il y avait juste un soupçon d’effronterie et une teinte d’affection.


[1] En médecine, c’est la prédisposition particulière de l’organisme qui fait qu’un individu réagit d’une manière personnelle à l’influence des agents extérieurs.

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