Prologue
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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Un coup qui ne peut ni être esquivé, ni être bloqué, garantissant ainsi la mort.
Complétez ces conditions à une distance d’un pas, d’un sort, et vous aurez ce qu’on appelle une “Spellblade”[1].
— Lanoff Evarts,
Fondateur de l’école des arts de l’épée Lanoff.
Prologue
Il y a fort longtemps, quelqu’un avait dit une fois : « Plus brillantes sont les étoiles, plus sombre est la nuit. »
Cela faisait un certain temps qu’elle n’avait pas vu de nouvelle lune, ce qui lui avait rappelé cette citation. Bien entendu, elle n’était pas assez présomptueuse pour se considérer elle-même comme une « étoile » dans tous les sens du terme. Ceux qui la connaissaient, cependant, la considéraient certainement comme telle. Elle arrivait parfaitement préparée pour chaque chasse, sans tenir compte que sa cible soit humaine ou animale. Même si elle devait chasser une étoile, ses préparatifs feraient honte à toutes les chasses ayant eu lieu par le passé. Et c’était avec ce même niveau de préparation que ses poursuivants l’avaient traquée ce soir-là. Ils semblaient totalement convaincus de leur victoire, ce qui l’avait amenée à penser sincèrement la chose suivante : Je vois, ces gens pourraient certainement éteindre une étoile.
— Kh… !
Alors qu’elle courait à travers les arbres, la soif de sang lui mordant les talons, des griffes géantes apparurent des ténèbres, fendant tout sur leur passage. Elle se retourna instantanément et dégaina son athamé[2] pour parer, mais elle fut incapable de rediriger la force, se retrouvant projetée en l’air. Alors que ses pieds quittaient le sol, créant une ouverture, une autre série de griffes s’abattit sur elle.
— Haaaah !
D’un pas ferme dans les airs, elle riposta avec ses lames à la main, abattant la griffe géante avant qu’elle ne puisse déchirer sa proie. Dès que les attaques diminuèrent, elle atterrit au sol, passant à l’offensive.
— ?!
Une brume noire se précipita en avant, l’interrompant. Un frisson l’envahit, au point de faire un bond en arrière avant même que ses yeux n’enregistrent quoi que ce soit. Elle était un peu trop lente, cependant, et la brume effleura son épaule gauche. Un frisson désagréable parcourut tout son corps, faisant se dresser tous ses poils. Mais elle n’avait pas le temps de penser à cela pour le moment.
— FORTIS FLAMMA MAXIME !
Du pourpre tomba du ciel comme de grandes vagues nées d’une mer de feu, transformant instantanément les arbres environnants en cendres à cause de la chaleur intense, et se précipitant droit sur elle. La jeune fille prépara les athamés dans ses mains et fit tourner les deux lames, faisant tournoyer les flammes autour d’elle, les dispersant et détournant une partie de la vague de chaleur. Le sol devint un chaudron de lave bouillonnant sous le feu. Seul le sol directement sous elle fut épargné, la laissant debout sur une petite île.
— Je suis impressionné que tu aies survécu. Mais nous savons tous les deux que lutter est inutile.
C’était une voix d’homme, empreint de sarcasme. La jeune fille leva les yeux vers le ciel sombre, qui était maintenant intensément éclairé par une lumière pâle —- un énorme astre de la nuit dans ce qui aurait dû être une nuit sans lune. Bien sûr, ce n’était pas un corps céleste. C’était une boule de lumière créée par la magie, un sort basique que même un enfant pouvait lancer avec suffisamment d’entraînement. Elle ne pouvait s’empêcher de frissonner.
Quiconque pouvait transformer un simple sort d’illumination en une lune temporaire devait avoir accès à un énorme puits de pouvoir.
Six ombres apparurent dans le ciel, éclairées par la lune factice. L’une se tenait au sommet d’un arbre particulièrement grand, tandis qu’une autre était assise sur des balais. Un autre encore se reposait sur l’épaule d’un mystérieux géant. Les chasseurs de l’étoile la regardaient tous depuis leurs perchoirs.
— … !
Soudain, son épaule gauche se mit à la démanger de façon incontrôlable là même où la brume noire l’avait touchée, et elle n’eut même pas le temps de réagir avant que le son d’un rire caquetant ne s’élève de l’intérieur de ses vêtements. Mordant à travers le tissu, un visage humain hideusement déformé de la taille d’un poing d’enfant apparut.
Sans hésiter, elle coupa la tumeur qui était apparue sur son corps, ainsi qu’une partie de son épaule. La masse de chair tomba sur le sol avec un plop humide. Une des ombres qui regardait se lamenta :
— Ahhh, comme tu es cruelle de me découper ! Je me sens seul, si seul ! Laisse-moi ne faire qu’un avec toi !
Sa voix était tremblante, comme un mouton à la trachée écrasée. L’ombre semblait être une jeune et vieille femme en même temps, pleurant et riant à la fois. Peut-être avait-elle abandonné ces distinctions depuis longtemps. Ce n’était rien de plus que les marmonnements décousus d’un esprit maléfique, s’accrochant à l’essence de la parole humaine.
— Alors tu es la porteuse de lumière, huh ? Ça doit être un véritable honneur, vieille sorcière.
La voix était féminine et bouillonnante d’hostilité. Dans la lumière blafarde, une silhouette étrange, bien remplie, qui n’était clairement pas humaine, surtout à partir des épaules. Ses bras s’étaient développés de façon bizarre, avec cinq articulations sur chacun d’eux et des griffes géantes, tranchantes comme des lames trempées, fusionnées à ses doigts. Même la partie qui avait été coupée lors de leur précédente escarmouche repoussait sous les yeux de la jeune fille.
— …..
L’ombre ignora la raillerie, restant silencieuse en tenant son sceptre vers le haut. Cette grande source de mana semblait être reléguée au maintien à flot de cette boule de lumière. La lumière qui les silhouettait rendait impossible de voir leur visage, mais à en juger par la façon dont ils se tenaient droit comme une épingle, elle pouvait dire que c’était un individu austère.
— N’hésite pas à m’essayer ! Kya-ha-ha-ha-ha-ha-ha-ha !
Le rire fou provenait de la voix d’un vieil homme, mais sa voix était teintée d’une innocence enfantine. La créature géante sur laquelle était perchée la petite ombre grinça en s’élevant, dominant de loin le sol. Il tendit ses deux mains massives vers la jeune fille, comme un enfant essayant d’attraper une sauterelle.
— GLADIO !
Elle frappa directement ses paumes, au moment où elles se refermaient sur elle. D’innombrables morceaux de terre, rendus immobiles, tombèrent sur le sol. Puis la fille sauta rapidement sur ce qui n’était plus qu’une longue souche et courut dessus. Ses yeux fixés sur son ennemi, elle…
— ■■■, arrête !
Son corps s’était figé. Ce n’était pas une malédiction. Elle était liée par quelque chose de bien plus primitif. Une autre ombre était apparue, et elle la regarda avec stupeur.
— Bien joué pour le piège, le vioque. Ça va faire bobo !
L’ombre inhumaine avait réduit la distance entre eux en un instant. Elle abattit ses griffes géantes sur elle avec une force considérable, enfonçant sans hésiter un poing dans sa proie. Dans un bruit sourd, la chair et les os de la jeune fille furent broyés —- incapable de résister, elle fut envoyée valser sur le sol.
— Gahhhhhhh ! Ça fait mal, bon sang !
Mais cela ne signifiait pas non plus qu’elle était restée immobile sans rien faire. L’ombre inhumaine hurla alors que son bras droit, sectionné à l’épaule, tombait en morceaux. Un petit souvenir de leur précédent choc.
— … ! Haaah !
Elle sauta en donnant des coups de pied dans l’air pour éviter d’atterrir dans le lac de lave. Comme elle avait touché le sol, elle roula pour atténuer les dégâts.
Heureusement, elle avait sauvé sa propre vie —-, mais les blessures qu’elle avait subies étaient graves. Toutes ses articulations tremblaient, et sa vision était tachée de rouge par le sang qui coulait de ses yeux. Son épaule saignait encore de la tumeur qu’elle avait coupée, sans parler des nombreuses autres blessures sur tout son corps. Elle était au-delà de l’angoisse. Malgré cela, elle souriait. Le fait qu’elle soit encore en vie était presque risible.
Elle savait qu’à six contre un, elle n’avait aucune chance de gagner. Même son espoir de réduire ses pertes et de s’échapper était mince comme du papier. Cependant, abandonner ne lui avait jamais traversé l’esprit. Elle avait connu d’innombrables combats sans espoir dans sa vie de mage. Celui-ci était juste un peu plus désespéré que les autres, c’est tout.
— Ahhhhh !
Mais plus que tout, elle avait décidé de faire de sa vie la dernière à être vécue de cette façon. Tout ce qu’elle laisserait inachevé serait imposé aux générations futures. Cette résolution lui donna de la force, et ses genoux refusèrent de plier. Le Mana s’intensifia en elle, coulant dans ses veines et réveillant son corps dévasté.
— Par ici !
Une voix familière lui parvint aux oreilles tandis qu’un éclair lumineux traversait le champ de bataille. La lumière magique brillante déchira l’obscurité de la nuit, rendant sa vision blanche —- pendant ce bref instant, alors que tout le monde était encore confus, une personne attrapa sa main et commença à courir.
Elles coururent à travers la forêt sombre pendant un moment avant qu’un trou dans le sol n’apparaisse devant eux. Elles sautèrent tout deux dedans et continuèrent, sans trébucher une seule seconde. Le chemin bifurqua à plusieurs reprises. Lorsqu’elles ne sentirent plus les chasseurs à leur poursuite, elles s’arrêtèrent.
— ……Tu… m’as sauvée. Jamais je ne me serai attendue à m’échapper de cet enfer…
Dit-elle en respirant difficilement et en regardant autour d’elle. Elles étaient au fond d’une caverne, mais grâce aux lampes de cristal qui parsemaient les murs, ce fut assez lumineux. Quelqu’un avait préparé cela à l’avance.
— Ils ne nous ont pas suivis… ça veut dire que tu as réussi à leur cacher cet endroit. C’est toi qui as créé cet itinéraire de fuite ? Très impressionnant. Comment… ?
Au moment où elle commençait ses remerciements sincères, une vive chaleur lui traversa le dos.
— Emmy… ?
La rescapée prononça le nom de sa sauveuse, la voix tremblante. Confuse, elle baissa les yeux, regardant la pointe d’une lame qui dépassait de sa poitrine — – un athamé, trempé de sang après avoir percé son cœur.
— Je suis désolée… C’était ma seule option…
Dit la voix larmoyante derrière elle. Elle avait enfin tout réalisé. Il n’y avait pas que six chasseurs d’étoiles qui voulaient la tuer. Le rôle de cette fille était de porter le coup de grâce.
— Mais ne t’inquiète pas, je ne les laisserai pas avoir ne serait-ce qu’une parcelle de ton âme.
Alors que la force s’échappait de son corps, elle tomba dans une douce étreinte. Même si elle avait été poignardée, elle pouvait encore sentir l’amour véritable de cette traîtresse, raison pour laquelle elle n’avait rien soupçonné jusqu’à maintenant.
— Je t’ai aimée pendant si longtemps. Maintenant, nous serons ensemble pour toujours.
Les yeux de la jeune fille étaient un abîme, empli d’une noirceur sans fond qui rendrait jaloux le ciel nocturne. Alors que sa conscience s’effaçait, elle pouvait sentir son âme engloutie par ce vide.
[1] L’athamé est une dague, un poignard ou un bâton consacré, utilisé lors de cérémonies et rites magiques, par exemple ceux de la Wicca.
[2] Littéralement « Sort d’arme » ou pour être précis «Sort de lame »
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