REIGN OF V1 : CHAPITRE 4

L’œil du Serpent

—————————————-
Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
———————————————–

Après les événements du Colisée, Oliver et Nanao passèrent le week-end à récupérer. Le lendemain, après leurs cours du matin, ils se rendirent à la cafétéria où, comme dans toutes leurs classes précédentes, l’attention de tous les élèves se porta instantanément sur eux.

— Oh…

— A-allons-y.

Un groupe de première année se leva maladroitement et partit précipitamment. C’était les mêmes personnes qui s’étaient moquées de Katie en face. Guy les regarda s’éloigner du coin de l’œil et renifla.

— Je suppose qu’ils ont fini par se calmer.

— Oui. Au moins, il semble qu’ils aient arrêté de contrarier Katie et Nanao.

Approuva calmement Pete. À côté de lui, Chela hocha la tête, satisfaite.

— Ils ont assisté à la bataille la plus folle de leur vie. Il faudrait qu’ils soient complètement fous pour persister dans ce qu’ils faisaient avant.

Dit-elle tandis qu’une théière flottante lui versa du thé noir dans sa tasse. Elle en prit une gorgée avec précaution avant de poursuivre.

— Ils ont leur propre opinion sur ce qui s’est passé, et Rick–-Mr. Andrews—- n’a plus été en contact avec eux depuis. Pour l’instant, je pense que nos deux plus gros problèmes ont été résolus.

Les cinq autres s’assirent à la table. Oliver regarda le visage de tous ses amis.

— Pourtant, il est difficile de dire si notre situation s’est améliorée, dit-il.

— Quelqu’un a envoyé ce Garuda sur nous dans le Colisée. Et si l’on prend au pied de la lettre le message qui est apparu au plafond était une attaque contre les conservateurs qui s’opposent aux droits civils des demi-humains.

— Oui, précisément. Le plus effrayant, c’est que de tels conflits font partie intégrante de la vie de Kimberly.

Murmura Chela avec un soupir. Les yeux de Guy s’écarquillèrent.

— Quoi ? ces incidents majeurs sont monnaie courante ?

— Je ne nie pas que c’était assez sensationnel, mais au final, personne n’est mort. De plus, le rassemblement dans le labyrinthe était non officiel. Vu qu’il n’y a pas eu que des blessés graves. Il est inutile de prévenir le corps professoral. Presque toutes les blessures non mortelles peuvent être soignées par la magie, après tout.

Pete et Katie furent abasourdis par ce qui semblait être une pratique courante au sein de Kimberly. Oliver acquiesça.

— Bien sûr, l’administration doit être au courant de ce qui s’est passé, mais signaler l’incident ne les inciterait pas à rechercher l’auteur, dit-il. —- Le déchaînement des trolls s’est produit à la vue de tous, mais celui-ci s’est produit sur le campus, dans le labyrinthe. Ils prétendront que ce n’était que quelques étudiants qui ont dépassé les bornes.

— Je sais qu’on le sait tous maintenant, mais…sérieux cette école est flippante, dit Guy.

— Donc nous étions juste des dommages collatéraux dans cet incident ?

Demanda Pete après avoir réfléchi attentivement pendant un moment. Chela croisa les bras, une expression troublée sur le visage.

— C’est difficile à dire. Je sens des similitudes dans les méthodes utilisées lors du déchaînement du troll et de l’intrusion du Garuda, mais les motifs sont diamétralement opposés. Dans le premier cas, il s’agit d’une attaque contre les défenseurs des droits des demi-humains, dans le second, une attaque contre les conservateurs. Le déclenchement du Garuda pourrait être une sorte de représailles des pro-droits pour

l’incident du troll. Si c’est le cas, on peut supposer que les conservateurs vont tenter leur propre contre-attaque. Si c’est le cas, alors nous nous sommes retrouvés au beau milieu d’un conflit politique. Peu importe à quel point les parents de Katie sont célèbres pour leurs convictions, je doute que quelqu’un s’en prenne spécifiquement à leur enfant pour eux.

Les sourcils d’Oliver se froncèrent tandis qu’il analysa la situation. Guy leva les mains, comme pour mettre un terme au cercle sans fin des conjectures.

— …Je ne sais pas ce qui se passe, mais une chose est sûre : je ne remettrai pas les pieds dans le labyrinthe de sitôt.

— Ce serait pour le mieux. Nous avons eu la chance de tous nous en sortir vivants cette fois-ci, mais il n’y a aucune garantie que ça se termine toujours comme ça. Je préfère éviter des batailles aussi dangereuses pour l’instant.

Marmonna Oliver, puis il poussa un profond soupir. Il était tellement certain qu’il allait mourir en combattant le Garuda que le simple fait de s’en souvenir maintenant lui faisait dresser ses cheveux sur la tête.

— Je suis tout à fait d’accord, dit Chela avec un hochement de tête. —- Cependant, il semble que Nanao ait beaucoup gagné dans tout ça.

Elle tourna son regard vers le bout de la table où Nanao était assise, complètement envahie par un groupe d’étudiants.

— Hé, hé, c’était comment d’affronter le Garuda ?

— Tu t’es vraiment battue avec juste ce sabre ? Montre-nous !

— Viens à notre club de duel ! Mon ami m’a supplié de t’inviter.

— Tu veux te joindre à moi pour dîner ce soir ? Quel est ton plat préféré ? Laisse-moi deviner, du riz ?

Les étudiants lui lancèrent des questions et des sollicitations. Chela gloussa les regardant, notamment Nanao complètement étourdie.

— Comme vous pouvez le voir, elle est assez populaire maintenant.

Elle continua à regarder, jusqu’à ce que Nanao lui lance un regard troublé.

— Lady Chela…

— Si tu le souhaites, alors tu devrais accepter leurs offres. Sachez milords et miladies que Nanao a actuellement promis de déjeuner avec nous. S’il vous plaît, essayez de comprendre que vous gênez un peu.

Leur dit Chela sèchement. Nanao se déplaça d’une chaise pour ne pas déranger la conversation de ses amis et commença à s’adresser à son tour à la bande d’étudiants. Personne n’aurait pu s’attendre à une telle scène une semaine auparavant.

— Tu ne plaisantais pas sur sa popularité, dit Guy, étonné.

— Je m’attendais à ça de la part de tous ceux qui l’ont vue se battre, mais il y a des gens qui n’étaient même pas là qui lui courent après maintenant. J’ai vu des étudiants plus âgés aussi la regarder de loin.

— Laisse-la profiter de l’attention. Elle l’a mérité. D’ailleurs…

Katie haussa légèrement la voix et regarda Oliver. Il s’y attendait et, avec un sourire gêné, il secoua la tête.

— S’il te plaît, n’en dis pas plus, Katie. Mon cœur n’est pas en acier tu sais.

— Mais… ! Ça n’a pas de sens ! Pourquoi personne ne vient te parler ? Tu t’es battu tout autant que Nanao !

Insista-t-elle, les yeux papillonnant dans la cafétéria. C’était comme si elle sous-entendait que contrairement à Nanao, qui était maintenant populaire au point d’avoir du mal à gérer ses admirateurs, personne n’osait approcher Oliver. Chela hocha la tête à plusieurs reprises.

— Katie dit vrai. J’ai vu le combat d’Oliver de mes propres yeux. Oh, j’aurais tellement aimé en parler pendant une heure entière ! S’exclama-t-elle.

Guy mit sa main sur l’oreille de Pete.

— C’est exactement ce qu’elle a fait, chuchota-t-il —-Hier, elle nous a parlé de son combat pendant une heure entière justement.

— Shhh ! Je suppose qu’elle n’a pas encore eu sa dose.

Le garçon à lunettes mit son index sur sa bouche, comme pour dire, Ne la chauffe pas ! Chela baissa les yeux tristement.

— Mais je suppose que c’est normal… Le style de combat d’Oliver plaît plus aux connaisseurs.

— Urgh !

Oliver serra sa poitrine et laissa échapper un gémissement angoissé. Chela lui jeta un regard de pitié en poursuivant son explication.

— Pour les non-initiés, il semblerait qu’Oliver n’ait fait que de tenir Nanao en première ligne et qu’il se soit contenté de la soutenir. Bien sûr, la vérité est tout autre. Tout d’abord, nous devons admettre que Nanao est unique dans sa capacité à pouvoir faire face à un Garuda au corps à corps, mais si sans les interventions d’Oliver, elle n’aurait pas tenu plus d’une minute. Dès qu’elle était en danger, le sort parfait venait la défendre. Cette bataille a été marquée par l’utilisation des arts de l’épée. Et puis à la toute fin, la magie de perturbation qui a permis de porter le coup final–- autant de techniques vraiment louables. Malheureusement, seuls les troisième année ou plus auraient été capables de reconnaître cela.

Pete hocha la tête en signe de compréhension devant cette cruelle vérité.

— Ouais, la méthode de combat de Nanao était sensationnelle et facile à comprendre. Pas étonnant que personne ne se souvienne de tout ce qu’Oliver faisait. Si précis, et pourtant si simple.

— Urrrgh !

— Hé, Pete ! Tu essaies de torturer Oliver ?

Gronda Guy en frottant le dos de son ami. Oliver tremblait comme s’il avait une crise cardiaque. Malgré ses efforts pour prétendre qu’il allait bien, la différence flagrante d’attention qu’il recevait avait un effet discret, mais dévastateur sur lui. Chela laissa échapper un grand soupir, puis jeta un coup d’œil autour.

— Mais bon certains ne sont pas de cet avis.

Elle ne manqua pas les regards acérés venant de différents points de la salle de la cafétéria qui contrastaient avec les fans en admiration autour de Nanao. Beaucoup d’étudiants de première et deuxième année qui n’avaient pas assisté au combat contre le Garuda avaient confiance en leurs propres compétences. Mais pour ces étudiants plus forts qui se cachaient dans l’ombre, Nanao n’était pas la seule à être surveillée. Les regards qu’ils lançaient étaient variés. Certains étaient plus amicaux, tandis que d’autres cherchaient ouvertement la bagarre. Mais Chela savait que les évoquer ne ferait qu’augmenter la douleur d’Oliver, alors elle les avertit en silence tout en gardant un visage impassible.

— Mais si ce n’est la faute de personne, c’est agaçant. Certes Nanao a été la plus visible, mais ils ne devraient pas être traités si différemment. Il faut savoir récompenser quand il le faut. Puisque c’est comme ça.

Chela se leva de son siège et se dirigea avec force vers Oliver. Elle se pencha à ses côtés, alors qu’il se retournait avec méfiance.

— …Attends. Qu’est-ce que tu fais, Chela ?

— J’allais te donner un baiser de félicitations. Je crains que ce ne soit pas grand-chose, mais c’est tout ce que j’ai pu trouver en si peu de temps.

— Quoi ?!

S’écria Katie, encore plus surprise qu’Oliver lui-même. La panique se lisant clairement sur son visage, il attrapa les épaules de Chela pour l’arrêter.

— J’apprécie, mais retourne à ta place avant d’empirer les choses.

Il essaya de se sortir de cette situation difficile alors que ses lèvres se rapprochaient de plus en plus. Leur lutte sembla durer une éternité quand soudain, Nanao revint en trottinant à leur table.

— Ouf, j’ai enfin réussi à m’échapper… Oh ? Qu’est-ce qu’on a là ?

Nanao hocha la tête, étonnée en voyant deux de ses amies se chamailler.

— Tu es devenu si populaire, et Oliver n’a presque rien eu, expliqua Guy avec un sourire. —- Comme il a travaillé si dur, Chela disait qu’il méritait un baiser comme récompense.

Tout d’un coup, tout semblait s’éclaircir pour Nanao. Elle hocha la tête.

— Je vois, murmura Nanao pour elle-même—- Un baiser comme récompense, c’est ça ? Hmmm, dans ce cas…

Elle s’approcha d’Oliver, se pencha à l’opposé de Chela, et…avant qu’il ne puisse réagir, elle posa ses lèvres sur sa joue. Pendant un moment, il y eut un silence. Puis, le visage d’Oliver explosa dans un désordre de confusion.

— ?!?!?!?!

— Qu…? Nanao ?!

— J’ai pris la liberté d’octroyer ta récompense. Ha-ha, Il est vrai que c’est assez embarrassant.

Katie resta bouche bée pendant que la jeune aziane se grattait la joue avec le doigt. Puis se pencha à nouveau, présentant cette fois sa joue droite au garçon.

— Viens, Oliver. C’est à ton tour désormais.

— ….. ?!

— Si tu mérites une récompense, alors moi aussi. Alors, viens.

Demanda Nanao, comme si c’était une évidence. Oliver pressa une main sur son torse, son cœur battant la chamaille. Chela ne sembla pas perturbé.

— …Eh bien, vas-y. Elle a raison, après tout. Le travail qu’elle a fourni mérite au moins un baiser ou deux.

— Hmm, ça a du sens, dit Guy

— Ce n’est que justice de rendre la pareille, pas vrai ? Dit Pete.

— A-Attendez une seconde ! Vous comptez aller où comme ça ?

Guy et Pete encouragèrent Oliver tandis que les yeux de Katie passaient entre lui et Nanao avec frénésie. Oliver, réalisant que son chemin de fuite avait été coupé, essaya de s’excuser.

— É-écoutez, je n’ai jamais–

— Oliver, j’attends, insista Nanao, s’impatientant.

Les yeux de Chela, Guy et Pete le transperçaient. Il pouvait pratiquement les entendre le traiter de lâche ingrat. Seule Katie semblait s’y opposer, mais elle ne pouvait même pas aligner plus de deux mots. Finalement, Oliver céda.

— T-très bien, si tu insistes

Murmura-t-il en vain, en fixant Nanao de côté. Son adorable joue ouvertement tendue et sa peau rosée, si pleine de vie, attendaient avec excitation son approche.

— …… !

Calme-toi. Un baiser sur la joue est une façon de se saluer. Il n’y a pas de quoi s’agiter, se dit-il en approchant nerveusement ses lèvres de sa peau, les yeux fermés.

— Noll ?

Juste avant que ses lèvres n’entrent en contact, une voix douce parvint à ses oreilles. Il se figea.

— Frangine ?

Dit-il, s’adressant à son interlocutrice en se tournant dans sa direction. Une étudiante plus âgée aux cheveux blond pâle se tenait là, lui souriant silencieusement.

— On se croise enfin, huh

Dit-elle hésitante, comme si elle n’avait pas l’habitude de lui parler.

À ce moment-là, elle remarqua le regard d’Oliver, et, réalisant sa propre erreur, elle fit un petit cri de surprise, mettant une main sur sa bouche.

— Oh… je dérange ? Désolée. J’étais juste… si heureuse de… te voir, je…

— Non, non, pas du tout !

Répondit Oliver sans une seconde d’hésitation. Malgré cela, la jeune fille recula avec culpabilité en regardant les visages des élèves qui l’entouraient.

— Tu as tellement… d’amis. C’est merveilleux…

Murmura-t-elle en mettant une main sur sa poitrine en signe de soulagement. Ce seul geste suffisait à montrer à quel point elle tenait à lui.

— Je devrais… y aller. Mais avant… de le faire…

— Oh–

Elle se faufila vers lui, glissant ses doigts pâles autour de ses épaules, et le serra contre elle. En même temps, elle l’embrassa doucement sur la joue.

— À bientôt… Noll. Prends soin de tes amis !

Et sur ce, elle lâcha prise et fit un petit signe de la main tout en se retournant. Tout le monde la regarda en silence pendant qu’elle partait. Chela fut la première à reprendre ses esprits.

— Oh ! Quelle négligence de ma part d’oublier de faire les présentations avec une étudiante plus âgée. Oliver, c’était ta sœur ?

— Ma cousine en fait. Je l’ai déjà mentionné, n’est-ce pas ? Sa famille m’a accueilli et ils ont toujours été bienveillants avec moi.

Expliqua Oliver en essayant de stabiliser sa respiration, incapable de suivre tout ce qui se passait autour de lui. Les yeux de Katie se plissèrent.

— Hmmm… « bienveillant », tu dis, hein ? Hmm, dit-elle en le fixant d’un regard glacial.

Le visage d’Oliver se crispa à cause de la pression.

— Katie, hum, c’est juste moi, ou tu te méfies ?

— C’est toi. Ça ne doit pas être une habitude pour elle de te faire ça.

— Erk… !

Oliver serra sa poitrine et trébucha un peu en avant. Le regard glacial de Katie était polaire et il essaya désespérément de s’expliquer.

— Attends, Katie. C’était juste sa façon de dire bonjour…

— Elle a même un surnom pour toi, « Noll ». Ça sonne bien. Dommage qu’on ne puisse pas l’utiliser.

— Urrrggghhh !

Cette fois, un coup fatal lui avait transpercé le cœur. Oliver tomba à genoux et resta immobile. Katie lui lança un regard et, le nez en l’air, se leva de son siège.

— Allons-y, Nanao. Je t’achèterai plein d’encas comme récompense.

— Mm ? Mais Oliver n’a pas encore…

— Pour Oliver, un baiser n’est rien de plus qu’une salutation. Quelque chose d’aussi mineur n’est pas à considérer comme une récompense.

Dit-elle avec une forte dose de sarcasme. Sur cet au revoir, elle attrapa Nanao par la main et la tira hors de la cafétéria. Oliver était assis là, découragé, sans même pouvoir proposer une excuse.

— …Où me suis-je trompé… ?

— …Mm. Eh bien, courage, Oliver.

Dit Guy en tapotant l’épaule de son ami en étouffant un rire. Guy avait l’air absolument ravi. Des disputes de ce genre correspondaient davantage à ce qu’il avait imaginé de la vie à l’école, pas à des batailles avec des monstres magiques. Pete grogna en dérision, et Chela sourit maladroitement. Ensemble, ils essayèrent d’offrir à Oliver quelques conseils de vie.

Leur premier cours d’alchimie commença l’après-midi même. Leur professeur était Darius Grenville, avec qui ils avaient déjà eu une altercation auparavant, alors les six amis firent de leur mieux pour s’organiser afin d’être tous dans la même classe.

— Certaines personnes semblent encore avoir l’impression que ce cours consiste à écraser des herbes et à les faire bouillir dans un chaudron, commença Darius alors que les étudiants faisaient face aux chaudrons et aux ingrédients sur leurs bureaux. Mais l’alchimie est à l’origine de l’étude de la transmutation de l’or. Il s’agit de prendre des éléments de piètre catégorie et de les transformer en quelque chose de précieux. La création de potions magiques, que la masse pense être l’objectif principal de l’alchimie, n’est rien d’autre qu’une application pratique des techniques développées par ce processus.

Intérieurement, Oliver était d’accord. Au fond, c’était certainement ce qu’était l’alchimie. Transformer le plomb en or, la boue en humains, le néant en quelque chose–- la quête de la transformation, si cruciale pour le concept de magie, se trouvait dans l’alchimie.

— Vous ne vous contenterez pas de mélanger des ingrédients dans ce cours. Les matériaux que vous allez manipuler vont fréquemment engendrer des transformations soudaines. Autrement dit, pour que vos cerveaux le comprennent, c’est très dangereux. Des chaudrons ou des bras fondus sont le cadet de vos soucis.

Le ton condescendant et moqueur de l’instructeur faisait partie intégrante de ses cours, et les élèves ne prenaient pas la peine de réagir à chacune de ses insultes. Lentement mais sûrement, chacun s’habituait aux méthodes de l’académie.

— Comme vous le savez, il n’y a rien que je déteste plus que de devoir nettoyer inutilement après des échecs. Gardez cela à l’esprit lorsque vous tenterez de réaliser la préparation que je vais vous enseigner maintenant.

Avertit Darius avant d’exposer la recette d’une potion apaisante. Oliver savait instinctivement que ça n’allait pas être simple. C’était une préparation délicate avec de nombreux pièges pour quelqu’un qui s’y essayait pour la première fois. Et bien sûr, même à Kimberly, il n’y avait aucune chance que tous les étudiants se présentent en classe complètement préparés.

— Ok, faisons ce truc, dit Guy.

— Guy, je vais vérifier chaque étape de ta potion, alors prend ton temps.

Avertit Oliver sérieusement à son ami, qui commença négligemment à chauffer son solvant. Pendant ce temps, Chela partit aider Nanao, tout aussi inquiète. C’était la meilleure matière de Katie, donc ils n’avaient pas à s’inquiéter pour elle. Le seul problème restant était Pete…

— Ne perdez pas votre temps à m’aider. Je me suis entraîné à la perfection.

— D-d’accord…

Pete fit signe à Oliver avant même qu’il ne puisse dire un mot. Oliver s’était préparé secrètement au pire en se résignant à nettoyer le désordre que Pete allait probablement créer. Personne ne dit un mot alors qu’ils faisaient face à leurs chaudrons. Les vingt premières minutes se passèrent sans incident. Ceux qui voyaient déjà des résultats, comme Oliver, se plongèrent dans la seconde moitié du processus. Cependant, il n’osait pas baisser sa garde. C’était en fait la partie la plus dangereuse, lorsque tout le monde était à des stades différents.

— Whoa ?!

Comme prévu, un cri vint de la table derrière lui. Un liquide vert sortit du chaudron d’un garçon comme un volcan. Oliver comprit immédiatement où l’élève s’était trompé, puis interrompit ce qu’il faisait et se précipita pour aider. Le garçon avait ajouté trop d’herbe à bulles pendant la phase d’ébullition.

— Excuse-moi, je vais m’en occuper !

Dit-il en écartant l’élève paniqué et en se plaçant devant le chaudron. Il commença par éteindre le feu, puis jeta une poignée de poudre de chaux dans le mélange pour agir comme un neutralisant. Le liquide, qui avait atteint des dizaines de fois sa taille initiale, reflua miraculeusement.

— Me-merci

— Waaaaaaaaah !

Oliver n’eut même pas le temps de lui répondre qu’une autre mésaventure surfit d’une autre table. Une fille cria et se mit les mains sur les yeux après avoir pris une bouffée de vapeur rouge vif de son chaudron. Encore une fois, Oliver s’est précipita. N’a-t-elle pas attendu cinq secondes après avoir mis la racine de fleur de vampire avant de retirer le couvercle ?

— Rincez-lui les yeux ! Utilisez de l’huile d’olive, pas d’eau ! Éloignez-vous du chaudron tout le monde !

Il s’était exclamé tout en courant. Prenant soin d’éviter la vapeur, il se baissa et couvrit le chaudron avec son couvercle. Au lieu d’éteindre le feu, il le réduisit à une flamme très basse. Si la température baissait trop, elle allait commencer à produire des effets secondaires encore pires.

— Ok, tout est bon ! Maintenez le feu à ce niveau pendant cinq minutes.

Cria-t-il, puis il tourna rapidement les talons. Il dut retourner vérifier son propre chaudron bientôt. Regardant sa table, ses yeux s’écarquillèrent lorsqu’il vit Pete verser une cuillère à soupe de poudre fine dans son propre chaudron.

— Pete, baisse-toi ! Tu dois diluer ça dans dix fois son volume en eau, puis ajouter une cuillère à soupe !

— Huh– ?

— INVERSUM !

La lumière de son sort d’inversion frappa directement le chaudron de Pete, le faisant basculer avec son support. Oliver se jeta en dessous du chaudron à l’envers, utilisant la table comme couvercle.

— Guh !

Il grimaça à cause de la chaleur du fond du chaudron, mais s’accrocha à la table avec ses deux bras et y mit tout le poids de son corps. Soudain, le corps d’Oliver s’éleva dans les airs avec le bruit d’une explosion sourde résultant de l’erreur de dosage. Le chaos régnait dans la classe, car d’autres incidents se produisirent.

— Eh bien, eh bien.

Darius, qui resta sur son estrade pendant tout ce temps, montra finalement son premier semblant de réaction. Il ferma le grimoire qu’il lisait, le posa sur son bureau et s’approcha d’Oliver avec une profonde curiosité.

— Quelles réponses appropriées. Quel est votre nom ?

Il regarda le garçon avec une lueur intimidante dans les yeux. Oliver avait habilement éteint le feu de son propre chaudron avant de répondre.

— …Oliver Horn, professeur.

— Horn… Je n’ai jamais entendu ce nom. Une famille récente j’imagine.

Darius expira par le nez et balaya du regard les trois chaudrons que le garçon avait sauvés.

— Mais vous avez de bons instincts. Il faut avoir une compréhension très intime des changements qui se produisent au cours du processus de brassage, ainsi que des propriétés uniques de chaque étape, pour pouvoir réagir de manière efficiente. Je peux voir que vous êtes très assidu dans vos études.

Le professeur était étrangement flatteur. Il prit le silence stupéfait d’Oliver pour de la peur et ricana.

—Je me souviendrai de votre nom et de votre visage, Mr. Horn. Cependant, un petit conseil : choisissez vos amis plus judicieusement.

Ajouta-t-il à la fin en regardant Katie, Pete, et Guy. Oliver dut faire plus d’efforts que jamais pour tenir sa langue.

— C’était excellent, Oliver ! Enfin, les gens ont pu être témoins de ton talent !

Dit Chela, en l’embrassant presque dans son excitation. Elle l’avait vu se faire remercier dans le couloir après la classe par les élèves qu’il avait sauvés, et maintenant elle débordait de satisfaction. Guy se mit à rire.

— C’est tout à fait ton genre de venir en aide à tout le monde, ajouta-t-il

—-Tu as même réussi à t’occuper de ton propre chaudron.

— …Je ne suis pas si impressionnant, insista Oliver.

— La seule raison pour laquelle j’ai su comment gérer ces choses était parce que j’ai fait des tonnes d’erreurs. Le simple fait de me rappeler mes échecs passés est assez embarrassant.

Oliver essaya de cacher cet embarras, mais il était plus ou moins complètement honnête. Les trois erreurs vues aujourd’hui furent déjà expérimentées par lui dans le passé. Il avait juste pris de l’avance.

— Si tu as si bien appris de tes erreurs passées, alors c’est une raison de plus d’être fier ! Cesse cette modestie et garde la tête haute ! L’honneur d’un ami est mon honneur, et tu sais que ça n’est pas donné !

Chela continua les éloges. À côté d’elle, leur ami à lunettes fut abattu.

— Je déteste l’admettre, mais tu m’as sauvé. Je t’en suis reconnaissant… Et je suis désolé. Je sais que tu as été brûlé.

S’excusa maladroitement Pete. Oliver fit un sourire gêné et secoua la tête. La brûlure sur son bras était surtout le résultat de sa propre inattention. Les uniformes de Kimberly étaient fabriqués avec du textile magique de haute qualité, de sorte que le fond chaud d’un chaudron ne pouvait pas brûler la peau à travers. C’était sa propre faute pour avoir touché le métal chaud avec sa peau nue tout en le tenant, et d’ailleurs, la blessure avait déjà été guérie. En face de lui, Katie laissa échapper un hmmm en marchant à côté de Nanao.

— Alors même toi, tu échoues, huh… ? Mon avenir s’annonce difficile.

— Fais toutes les erreurs que tu veux au contraire ! Pour chaque grand succès, il y a dix échecs. C’est comme ça que je vois les choses.

Encouragea Chela alors que Katie sombrait dans l’insécurité. Soudain, une voix venant de derrière interrompit leur conversation.

— Mr. Horn.

Oliver se retourna avec surprise au son de cette voix familière. Une seconde plus tard, les cinq autres se retournèrent également, puis se raidirent nerveusement. C’était Andrews.

— Mr. Andrews. Puis-je vous être utile en quelque chose ?

Demanda poliment Oliver, en veillant à ne pas provoquer de dispute. Le garçon marqua une pause, puis ouvrit la bouche.

— Tu peux trouver ce conseil inutile, mais laisse-moi te dire que tu ferais mieux de te méfier de ce professeur. Il y a beaucoup de rumeurs terribles à son sujet.

Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent devant cet avertissement inattendu.

— Des rumeurs ? Comment ça ? Dit-il sur un ton grave.

— Il aime repérer les étudiants talentueux et les piéger pour en faire ses assistants. Il vole les résultats des recherches de ses étudiants les plus brillants en les présentant comme les siens. Certes, nous n’avons pas de preuve pour la dernière partie, mais il n’y a pas de fumée sans feu, déclara Andrews en regardant Oliver dans les yeux. —-Attends-toi probablement à recevoir une invitation. Tu penseras que c’est généreux de sa part, mais n’accepte pas ce cadeau empoisonné. C’est une croyance très ancrée chez les mages que le talent le plus exceptionnel se manifeste en premier. En revanche, les mages polyvalents comme toi sont souvent traités comme des touche-à-tout spécialistes de rien… Cela ne se limite pas non plus à ce professeur.

Le garçon soupira de façon malheureuse. Oliver eut du mal à en croire ses yeux. Il était si différent d’avant. Andrews n’était plus constamment sur les nerfs, il lui parlait naturellement. Cette tension dans son regard, comme une bombe à retardement avait disparu.

— … Je m’en souviendrai. Merci pour l’avertissement, Mr. Andrews.

— Nul besoin de tes remerciements. Je ne faisais que de bavarder. Au revoir, dit-il sèchement en tournant sur ses talons.

Andrews commença à s’éloigner rapidement, mais s’arrêta après quelques pas.

— J’oubliais…

— ?

— Ce que j’ai énoncé sur les mages polyvalents tout à l’heure…Pour moi c’est un non-sens de les considérer comme des non spécialistes.

Dit-il, sans se retourner, avant de partir pour de bon cette fois. Après qu’il ait tourné, disparaissant du champ de vision dans le hall, Guy étonné, s’exprima.

— C’était un… avertissement amical, non ?

— O-oui… Je crois que oui… Quoiii ? !

Katie commença à approuver, quand soudain elle remarqua que des larmes coulèrent sur le visage de Chela qui se mit à renifler. La jeune fille aux boucles anglaises sortit un mouchoir pour s’essuyer les yeux.

— Pardonnez-moi. J’étais juste tellement émue… De voir Rick parmi toutes ces personnes existantes être respectueux envers un ancien ennemi et en lui donnant des conseils… !

C’est elle qui fut le plus impressionnée par le changement de son ami d’enfance, longtemps éloigné, et elle s’en réjouit du fond du cœur. À côté d’elle, Pete se souvint de leur conversation précédente.

— « Les mages polyvalents sont spécialistes de rien », marmonna Pete. Je me demande quel est le degré de vérité dedans.

— …Cela pourrait être une tendance qui se dessine bien sûr, mais ça ne décide pas de notre avenir. Les mages ne sont pas que ça. Je n’ai pas l’intention de me contenter d’être juste un touche-à-tout superficiel.

Répondit Oliver. Il était conscient qu’aucun de ses talents ne se distinguait des autres, et dire que cela ne le dérangeait pas était un mensonge. Cependant, il ne lui était jamais venu à l’esprit de cesser d’essayer de progresser.

— Je vais croire en moi. Je ne voudrais pas décevoir Sir Andrews après tout.

Et plus que tout, il avait maintenant le soutien d’une personne de plus. Oliver fixa le couloir dans lequel son camarade avait disparu, se souvenant chaleureusement de ce fait.

Maintenant que sa vie n’était plus aussi menacée qu’avant, Katie essayait de plus en plus de communiquer avec le troll. Elle se rendait en moyenne deux fois par jour à sa cage, pratiquement tous les matins, à la pause déjeuner, ou au moins après les cours. Cela la tenait extrêmement occupée, mais elle n’avait jamais pensé une seule fois à sécher les cours.

— Et ensuite, je le jure, Nanao a dit la chose la plus drôle–

Elle chuchota à l’oreille du troll. Bien sûr, elle ne recevait pas de réponse, mais ce n’était pas un problème pour elle. L’important était que le troll voyait qu’elle venait s’amuser.

— ……

Et en vérité, un certain changement se faisait sentir. Au début, le troll était resté recroquevillé dans un coin de sa cage, mais maintenant il était assis juste devant les barreaux qui le séparaient de Katie. Petit à petit, il commençait à manger la bouillie de céréales qu’elle lui laissait. Katie n’avait plus besoin de la compagnie de Miligan, et elle pouvait définitivement sentir la distance entre elle et le troll se réduire.

— Oh, désolée, c’est moi qui monopolise toute la conversation. Je sais !

Pourquoi ne pas chanter ensemble aujourd’hui ?

— ……

Un son semblable à celui d’une grande flûte en coquillage résonna de la bouche de Katie. Après une pause, le troll se mit à chanter sur le même ton. Ensemble, ils formèrent un duo.

— Oui ! Bien ! Je dirais que tu es aussi bon que Patro !

La fille applaudit. Le troll la fixa intensément, et elle eut un sourire troublé.

— Si seulement tu pouvais parler… Hé, à quoi tu penses en ce moment ? Probablement à quelque chose comme « La fille bizarre est de retour », n’est-ce pas ?

Demanda-t-elle, sachant que c’était inutile. Il était impossible de deviner parfaitement les pensées d’un autre, surtout lorsque ces pensées appartenaient à un type de créature complètement différent. Mais c’est ce qui rendait la communication intéressante. Cependant, le fait qu’ils ne soient que de lointains parents et en même temps assez proches rendait les choses un peu frustrantes.

— Quand j’étais plus petite, j’ai demandé la même chose à Patro et je le mettais mal à l’aise… Oh, Patro est le troll avec lequel j’ai grandi à la maison. Je t’ai déjà parlé de lui, non ? Je voulais lui dire tous les nouveaux mots que j’avais appris avec mon meilleur ami, mais il ne pouvait pas répondre. Finalement, j’ai fondu en larmes et j’ai fait paniquer Patro.

Le cœur de Katie lui fit mal en repensant à cette scène, mais elle secoua la tête.

— Mais c’est ainsi que j’ai appris que je ne peux pas imposer ce que je voulais aux autres. Au contraire, il est important de chercher quelque chose que l’on peut faire ensemble. Il ne sert à rien d’essayer de faire en sorte que quelque chose se produise avant l’heure… Il faut juste être avec la personne que l’on veut connaître.

Dit doucement Katie, comme si elle se réprimandait elle-même. Elle ne pouvait pas se débarrasser de l’envie d’obtenir des résultats rapidement, cependant. Si elle ne le faisait pas, on ne savait pas quand ce troll pourrait être exécuté. Elle voulait au moins établir une relation qu’elle pourrait utiliser comme preuve qu’il n’attaquerait plus jamais les humains.

Même ainsi, elle ne pouvait pas précipiter les choses. Gagner la confiance d’une créature méprisée par les humains prenait des heures et des heures, contrairement à l’instant unique qu’il fallait pour détruire cette confiance. C’était vrai non seulement pour les demi-humains et les autres bêtes, mais aussi pour les hommes. La jeune fille se rappelait de rester forte quand soudain, une série de mots incroyablement tremblants parvinrent à ses oreilles.

— …Arrête venir.

— Huh ?

Confuse, elle regarda autour d’elle. Elle était censée être la seule ici. Après avoir vérifié tous les coins, elle était sûre d’être seule.

— … ?

Est-ce que j’entends des choses ?  Ayant des soupçons, Katie regagna son calme et se tourna de nouveau vers le sujet à l’intérieur de la cage.

— Ça, mauvais… Toi, reste loin.

Et puis, elle réalisa ce qui s’était passé. Pour la première fois depuis des semaines de présence, le demi-humain géant avait parlé en langage humain.

— FLAMMA !

La voix d’une fille résonna dans la salle de classe vide. Le feu enveloppa la pointe de sa lame, formant une boule de flamme, puis s’élança–- seulement pour exploser et se disperser en étincelles à quelques centimètres de distance.

— Mmgh, ça ne marche vraiment pas, murmura Nanao.

— Hey, tu es tellement meilleur qu’avant. Ton maniement de l’athamé et ta prononciation sont bien à ce stade. Maintenant, il ne reste plus qu’à travailler ton imagination et la gestion plus efficiente de ton mana.

Dit Oliver en surveillant l’entraînement de Nanao. Il l’avait aidée à pratiquer les bases de la magie depuis leur premier cours de sortilèges.

— Un sort est le pont qui relie l’imagination d’un mage à la réalité. Le feu de ton athamé doit d’abord exister en toi. Imagine-le dans ton esprit, doucement, patiemment. La chaleur, la couleur, même le scintillement de l’air.

Sous sa tutelle, Nanao avait tenté répétitivement de lancer le sort de boule de feu qu’ils avaient vu le premier jour de cours. Elle s’était améliorée à pas de géant par rapport à l’époque où elle n’arrivait même pas à faire apparaître une

étincelle. Cependant, elle n’arrivait pas à se débarrasser de la nervosité qui accompagnait la tentative d’une technique inconnue. Oliver croisa les bras et réfléchit.

— …C’est tellement étrange. Tu as une meilleure circulation interne du mana que la plupart des élèves de notre année. Tu es si doué pour cela que tu peux inconsciemment renforcer tes capacités physiques et même contrôler ta masse. Pour un mage moyen, c’est très difficile.

— On m’a appris à gérer l’énergie qui coule en moi pendant mon entraînement à l’épée. Cependant, j’ai encore du mal à comprendre comment contrôler cette énergie une fois qu’elle quitte mon corps. Oliver, comment fais-tu ?

Demanda Nanao en interrompant ses coups d’épée. Il considéra la question pendant un moment.

— La chose la plus importante dans la pratique de la magie spatiale est… de démolir les barrières entre toi et le monde extérieur. Fais tout ce que tu peux pour fusionner ton esprit avec le domaine qui s’étend au-delà de ta peau. Une fois que tu auras expérimenté cette sensation, tes sortilèges ne se « lâcheront » plus.

— Démolir les barrières entre moi et le monde extérieur. Autrement dit le « non-être » ?

Demanda-t-elle, faisant référence à un mot qui n’existait pas en Yelglish. Heureusement, Oliver comprit où elle voulait en venir.

— Tu parles de la technique secrète aziane qui consiste à oublier sa personne pour ne faire qu’un avec l’environnement, huh ? C’est un concept curieux, mais aussi très différent malgré les similitudes. Le but d’un mage en essayant de se connecter au monde est en fin de compte de développer son être. Au fond, c’est un moyen invasif de contrôler et de dominer la réalité dans son ensemble. Je ne connais pas bien la

technique que tu as mentionnée, mais elle est de nature plus modeste, n’est-ce pas ?

— Mm, c’est vrai c’est plutôt pour la maîtrise de l’égo du guerrier.

La jeune fille fronça les sourcils en réfléchissant. Oliver la rejoignit et porta une main à son menton, essayant de trouver un moyen de la pousser dans la bonne direction.

— Mais peut-être que le point de départ est assez similaire. Tu te libères de l’idée que « toi-même » est limité à ce qui se trouve au sein ta propre peau, et tu libères ton esprit des chaînes que constitue ton corps. En ce qui concerne l’entraînement à la magie, c’est certainement la première étape. Oui… Si tu peux penser à une méthode d’entraînement de ton esprit dans ce sens, alors vas-y et essaie. Ce n’est pas idéal de s’éloigner tout de suite de la voie traditionnelle, mais la sensation d’expansion du soi varie d’une personne à l’autre.

C’est ce qu’il a pu proposer de mieux après mûre réflexion. Il devait se rappeler que cette fille avait grandi dans le lointain pays d’Azia, où elle n’avait jamais été en contact avec la magie. Elle devait apprendre à partir de zéro, en reliant les deux mondes avant de pouvoir essayer des concepts plus compliqués. Actuellement, Nanao n’avait presque aucune idée de la magie. Nanao reprit son entraînement en tenant compte de ses conseils, et Oliver la surveilla consciencieusement. Soudain, ils ne furent plus seuls dans la salle de classe. Chela passa la tête dans l’embrasure de la porte.

— Oh, vous êtes là tous les deux.

— Chela ? Qu’est-ce qu’il y a ? Il s’est passé quelque chose ?

Oliver se retourna pour voir Guy et Pete avec elle également. Les trois entrèrent dans la classe, la confusion sur leurs visages.

— Je ne suis pas exactement certaine. Mais Katie vient d’arriver en courant et nous a dit de donner rendez-vous à tout le monde devant la cage du troll.

— Katie a dit ça… ? Qu’est-ce qu’elle a dit d’autre ?

— Elle parlait trop vite pour que je puisse comprendre la plupart des choses. Quand elle avait fini, elle est partie à la recherche de Miss Miligan. Mais elle a dit que le troll parlait, je crois…

Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent devant ces mots totalement inattendus.

— Il a parlé ? Le troll a parlé ? …En langage humain ? a-t-il demandé, à voix basse, après une longue pause.

— …C’est une façon de voir les choses, oui. Attends–

Avant qu’elle ne puisse terminer, Oliver fut déjà à mi-chemin de la porte.

— Allons voir Katie tout de suite. Chela, sais-tu où elle est ?!

— N-non, juste qu’elle est allée chercher Miss Miligan. Ça nous a pris du temps pour vous trouver tous les deux. Cela fait presque dix

minutes que ça dure.

Dit Chela, surprise par le changement soudain de son attitude. Les lèvres du garçon se tordirent en une grimace.

— Alors elle est près de la cage du troll… !

Tous les cinq coururent aussi vite qu’ils le purent dans les escaliers et s’élancèrent hors du bâtiment sans faire de pause pour reprendre leur souffle, pour finalement arriver dans l’enceinte des bêtes magiques.

— Katie ! Katie, où es-tu ?

Oliver cria dès qu’il s’approcha de la cage, mais personne ne répondit. Guy rattrapa son retard et essaya d’atténuer le regard furieux d’Oliver.

Calme-toi, Oliver, dit Guy.

— Elle est allée chercher Miligan. Elle est encore à l’académie je pense.

— C’est pas sûr, ça !

Répondit Oliver qui cherchait des pistes. Ses yeux se posèrent sur la cage, et il s’approcha des barreaux de fer.

— Si tu as vu quelque chose, dis-le-moi s’il te plait ! Cria-t-il —-Katie était-elle ici à l’instant ?!

— H-hey…

— Je te l’ai déjà dit, calme-toi ! Ce troll ne va pas te répondre !

Pete ne pouvait pas être plus confus, tandis que Guy attrapait l’épaule de son ami pour essayer de le calmer. Les yeux dans son dos, Oliver continuait à fixer la cage. Soudain, ils entendirent une voix.

— … Enlevé.

Fut la réponse hésitante. Guy et Pete se figèrent en simultané.

— H-hey, est-ce qu’il vient de … ?

— …Ouaip. Il a définitivement parlé.

— Ce n’est pas possible…

Toute couleur disparut de son visage alors que Chela s’approchait des barreaux. Oliver continua son interrogatoire.

— Sais-tu où elle a été emmenée ?

— …Pas savoir. Mais…Endroit je emmené avant, ça doit être. Endroit sombre et profond.

Répondit le troll, son grand corps tremblant de peur. Oliver se tourna vers Chela, grimaçant.

— Chela, tu sais ce que cela signifie, n’est-ce pas ?

Il ne fallut pas longtemps pour qu’elle fasse le lien. Alors que la compréhension fleurissait dans ses yeux, la jeune fille aux boucles d’oreilles et se retourna.

— Retournez à l’académie, maintenant ! Cria-t-elle ! —- Séparons-nous et cherchons Katie !

Ses ordres soudains avaient choqué Guy et Pete. Chela voulut partir tout de suite, mais Oliver la rattrapa.

— Attends ! C’est trop dangereux d’agir seul. Chela, tu prends Guy et Pete avec toi pour aller du dans le côté Ouest de l’académie. Nanao et moi on part côté Est.

— Compris ! Envoyez un familier si vous la trouvez.

Ils partirent dans des directions séparées. Nanao suivit Oliver.

— Oliver, qu’est-ce qui se passe ? Demanda-t-elle ?

— Je t’expliquerai en chemin ! Nous devons vite retourner à l’académie.

Ils firent irruption par les portes de l’académie, interrompant deux première année qui discutaient. Oliver les interrogea immédiatement.

— Huh ? Aalto et Miligan ?

— Oh, je les ai vues plus tôt. Elles sont parties dans cet escalier me semble.

Dès qu’il entendit cela, Oliver repartit. Les élèves restèrent bouche bée alors qu’il empruntait les escaliers deux par deux. Simultanément, il commença à expliquer la situation à Nanao.

— On ne connaît toujours pas l’identité de la personne derrière le déchaînement du troll pendant la cérémonie. Cependant, je me suis toujours demandé si ce troll était vraiment contrôlé à ce moment-là.

— Que veux-tu dire ?

— Miss Mackley, celle qui avait ensorcelé de force Katie à courir lors de la parade, n’avait rien à voir avec les actions du troll. Elle a fait ce qu’elle a fait parce qu’elle était en colère après les commentaires de Katie sur les demi-humains. Si un autre élève avait tenu les mêmes propos, elle l’aurait probablement ciblé à sa place. Dans ce cas, on peut considérer l’enchantement de Katie lors de la parade comme une coïncidence.

Au troisième étage, ils arrivèrent à un cul-de-sac, les chemins se séparant à gauche et à droite. Après avoir interrogé un autre étudiant, ils tournèrent à gauche. Alors qu’ils fonçaient dans le couloir, des dizaines de personnes leur lançaient des regards étranges.

— Ça veut dire que les actions du troll avaient un autre but. Katie était juste au mauvais endroit au mauvais moment. Alors qu’est-ce que le troll essayait d’accomplir ? Pourquoi a-t-il soudainement chargé en plein milieu de la parade de bienvenue ?

Pendant qu’il parlait, Oliver dégaina sa baguette blanche et la tint en l’air. Elle réagissait au mana résiduel dans l’atmosphère, à savoir, les particules de parfum infusées dans la robe de Katie, et se mit à briller légèrement.

— Il a peut-être essayé de s’enfuir d’ici— c’est ce que je pense. Essaie de te souvenir de ce moment. Quand le troll a chargé Katie, qu’est-ce qui était derrière nous ?

Demanda Oliver, en suivant la lueur dans les couloirs. Pour tous les six, les souvenirs de la cérémonie d’entrée étaient encore frais. Nanao n’a pas eu à chercher la réponse dans son esprit.

— …La porte de l’Académie.

— Exact. Plus précisément, la porte principale grande ouverte pour permettre aux étudiants derrière nous d’entrer dans le campus. Si toi et Katie ne l’aviez pas arrêté, la trajectoire de ce troll l’aurait mené directement à ce point. Si son but était de s’échapper, c’est cohérent.

Nanao hocha la tête en signe de compréhension. Les couloirs étaient de moins en moins fréquentés à mesure qu’ils s’enfonçaient dans le bâtiment.

— Et c’est là que j’ai été bloqué pendant un long moment, continua Oliver.

—- Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi le troll voulait s’échapper. Bien sûr, il pouvait être mécontent de sa vie ici. Les trolls sont considérés comme des bêtes de somme et ne sont pas aussi maltraités que les kobolds, mais cela ne change rien au fait qu’ils sont contraints à la servitude. Certains trolls ont certainement une profonde rancune.

Cela dit, aucun troll n’a jamais essayé de s’échapper de sa captivité. Ils sont assez intelligents pour savoir que s’ils essaient, ils seront tués. Tu te souviens de notre premier cours de biologie magique ? Le professeur supervise toutes les créatures du campus. Tous, jusqu’au dernier kobold, savent à quel point elle peut être terrifiante.

En suivant la trace, ils sautèrent dans une salle de classe. Dans un coin se trouvait un ancien miroir en pied, et alors qu’ils s’approchaient, la lueur de la baguette d’Oliver s’intensifia. Nanao et lui échangèrent un regard et firent un signe de tête, puis ils dégainèrent leurs athamés et lancèrent le sort d’affûtage. Leurs épées à la main, ils sautèrent tous deux dans le miroir. De l’autre côté, ils ouvrirent les yeux sur une section lugubre du labyrinthe. Prudemment, Oliver scruta leur environnement en suivant la lumière de son athamé.

— Mais admettons qu’un troll décide de s’échapper malgré les risques–- la seule raison qui me vient à l’esprit pour cela serait qu’il ait vécu quelque chose qu’aucun autre troll n’ait vécu. Une sorte de souffrance plus atroce que de soulever une cargaison. Quelque chose de si terrible que ça valait la peine de risquer la mort. Quelque chose dont il a probablement souffert quotidiennement. Ça n’aurait pas eu de sens qu’il risque sa vie autrement.

— Une douleur rendant la mort préférable…Qu’est-ce ça pourrait être ?

Demanda Nanao, tendue. Après quelques instants de silence, Oliver répondit lentement.

— …Il n’y a pas si longtemps, une faction du groupe pro-droits civiques recherchait des moyens d’intellectualiser les demi-humains.

— Intellectualiser ?

— Comme le nom l’indique, l’idée était de rendre les demi-humains plus intelligents à partir d’un standard biologique magique. Les elfes, les nains et les centaures ont obtenu des droits civils parce qu’ils sont intellectuellement similaires aux humains. Certains militants pensaient que s’ils pouvaient répondre aux mêmes exigences, les autres demi- humains seraient facilement acceptés comme égaux aux humains.

Dit Oliver, avec une expression de plus en plus amère. Il y a beaucoup de points dans l’histoire du monde magique dont l’apprentissage suffisait à donner des vertiges. C’était l’un d’entre eux.

— L’une des expériences les plus notables consistait à tenter d’enseigner le langage humain aux trolls. Cependant, je n’ai jamais entendu dire que cela avait réussi. Avant qu’ils aient pu effectuer suffisamment d’essais pour obtenir des résultats, les critiques du reste de la faction pro-droits civils contre l’intellectualisation des demi-humains avaient fait avorter le projet. Leur raison… Eh bien, je n’ai pas besoin de l’expliquer.

Oliver omit la dernière partie, et Nanao hocha rapidement la tête. Ce dont il parlait, c’était d’expériences qui cherchaient à déformer la vie des demi- humains pour qu’ils conviennent aux sensibilités humaines. C’était clairement contraire à leur objectif éthique.

— Depuis, les recherches sur l’intellectualisation des demi-hommes ont stagné. Mais les documents n’ont jamais été détruits. Je ne serais pas du tout surpris d’apprendre que, quelque part, un mage les a rassemblés et aie poursuivi ces expériences jusqu’à aujourd’hui. Surtout dans un endroit aussi sombre que Kimberly.

— ……

— Après tout ce dont on a été témoin, je suis certain maintenant que quelqu’un a joué avec le cerveau de ce troll. Il n’en pouvait plus et a décidé de s’échapper malgré les dangers.

La lueur de son athamé devint plus brillante alors qu’il parlait. La gorge asséchée par la nervosité, Oliver poursuivit prudemment.

— Il n’y a pas beaucoup de mages assez qualifiés pour produire des résultats, même en prenant la responsabilité. Le seul exemple qui me vient à l’esprit est celui de quelqu’un qui a fait des recherches sur les demi-humains pendant des années et qui connaît les moindres détails de leur biologie.

Au moment où il dit cela, la pointe de son athamé brilla plus fort qu’elle ne l’avait jamais fait auparavant. Avalant sa salive, Oliver leva les yeux. Un mur épais se tint résolument devant eux, coupant une section du labyrinthe.

— Le sentier continue au-delà de ce mur… Retournons au campus, Nanao.

— Mm ? Mais Katie est de l’autre côté, n’est-ce pas ?

— C’est au-delà de nos capacités désormais. Notre meilleure chance d’aider Katie serait de prévenir un préfet comme Godfrey ou Whitrow–

Leurs voix se turent, ils se retournèrent. Le mur derrière eux s’effondra.

— — ?!

— Ngh !

Le vide laissé par le mur du labyrinthe les aspira avant qu’ils ne puissent réagir. Après quelques secondes de flottement dans les airs, l’aspiration s’atténua, et ils tombèrent au sol. Heureusement, Oliver et Nanao parvinrent à atterrir de manière experte et se relevèrent.

— Ha-ha ! J’accueillerai bien des invités, mais pas ces deux-là. Mes recherches ne sont encore qu’à moitié terminées. Je préférerais que les flammes du purgatoire me réduisent en cendres bien plus tard.

Les deux levèrent instantanément leurs athamés et se préparèrent au combat lorsqu’une voix sortit des ténèbres. La lumière d’une petite lampe en cristal éclairait un lit. Sur celui-ci, Katie était allongée, les yeux fermés, tandis qu’un étudiant plus âgé et familier se tenait au-dessus d’elle.

— Bienvenue dans mon atelier, Mr. Horn, Miss Hibiya. Je suis heureuse que vous ayez pu venir.

— Miss Miligan…

Son sourire doux et accueillant était le même que d’habitude. Mais c’était ça qui dérangeait tant Oliver.

— Quelle surprise. Le fait que vous ayez trouvé cet endroit signifie que vous avez dû placer quelque chose sur elle. Ça ne me ressemble pas d’avoir manqué une potion de localisation ou un familier.

Dit Miligan en inclinant la tête. Oliver fut content d’avoir atténué les effets du parfum juste assez pour qu’il soit le seul à pouvoir suivre sa trace. Cela signifiait également qu’il s’estompait plus rapidement, ne lui laissant pas le temps de chercher de l’aide.

— …Qu’as-tu fait à Katie ?

— Oh, rien encore. Je l’ai juste endormie pour l’instant.

Répondit la sorcière d’un air détaché. Elle les regarda tour à tour, puis retroussa ses lèvres avec joie.

— Quand même, quelle belle récolte pour les nouveaux étudiants de cette année. Je n’arrive pas à croire qu’il n’ait fallu que trois d’entre vous pour tuer le Garuda que j’ai entraîné. C’était la moitié d’une année de travail, vous savez. Mais il a fini par mourir le jour même où je l’ai révélé au monde. Ce n’était clairement pas prévu.

La sorcière fit un sourire en coin, comme si elle voulait dire : Vous m’avez eu ! Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent.

— Alors tu étais à l’origine de la dernière attaque du Colisée ?

— Oui. Je m’excuse de vous avoir mêlé à ça. Je ne m’attendais pas à ce que vous veniez tous assister à quelque chose d’aussi grotesque qu’une chasse aux kobolds. Quand j’ai appris les détails plus tard, je me suis senti si mal à ce sujet. Je devrais mieux préparer ce genre d’attaques.

Miligan croisa les bras en signe de regret. Cela ne dura que quelques secondes, cependant, avant qu’elle ne recommence à bavarder joyeusement.

— Maintenant, écoutez-moi. Le Garuda a été une énorme perte après tout le travail que j’y ai consacré, mais ce n’est rien comparé à la joie que je ressens aujourd’hui. Enfin un troll parle le langage des humains ! Plus de cent ans se sont écoulés depuis que mon grand-père a commencé ces recherches, et elles ont enfin porté leurs fruits !

Son sourire scintillait dans l’obscurité. Son visage, couvert d’un côté par sa longue frange, débordait d’excitation.

— Pendant si, si longtemps, je n’ai pas réussi à comprendre la dernière étape. J’étais certain d’avoir parfaitement ajusté leurs cerveaux. Cette recherche ressemble moins à l’étude des esprits, domaine majeur de la magie, qu’à la neuroscience des non-mages. Peut-être qu’on ne devrait pas les mépriser autant. Il est impossible de reproduire la fonction de la parole sans d’abord comprendre le fonctionnement du cerveau. C’était la première chose que je me suis efforcé de maîtriser. Malgré tout cela, ils ont refusé de me parler.

La jeune fille soupira en se remémorant ses jours d’échec. Elle se dirigea vers le lit sur lequel Katie était allongée et continua.

— Donc, si rien ne clochait dans leurs cerveaux,était-ce mes méthodologies d’apprentissage qui étaient mauvaises ? Je me suis toujours posé cette question. Mais peu importe comment j’ajustais mes méthodes, rien ne fonctionnait. Le mieux qu’ils pouvaient faire était de répéter les sons que je faisais, sans jamais réussir à avoir une conversation. Après des années, j’étais à bout de nerfs–- et c’est là que Eureka. Qui aurait pu deviner que la clé était dans le partenaire humain ?

Elle caressa doucement la joue de Katie, comme si la jeune fille était un bijou précieux qu’elle avait découvert par hasard après des années de recherches infructueuses.

— C’est sans aucun doute le grand travail d’Aalto qui a permis au troll de parler. Je ne peux que supposer que ses tentatives quotidiennes de communication ont débloqué ses capacités latentes. Qu’est-ce qui était

si efficace, je me le demande ? La cadence de ses mots ? Son attitude lorsqu’elle interagissait avec lui ? Une magie dans sa voix ? Non, non, il est inutile de se précipiter pour ne faire que des suppositions. Je le saurai bien assez tôt.

Dit Miligan en essayant de se calmer. Elle sortit sa baguette et la fit tourner en incantant un sort. Soudain, les outils éparpillés dans la pièce volèrent vers elle. Paniqué, Oliver se précipita en avant.

— Qu’est-ce que tu comptes faire ? Cria-t-il.

— Ha-ha ! Ne t’inquiète pas. Je ne vais pas lui faire de mal. Ce serait un tel gâchis d’endommager celle qui a sauvé mes recherches. Je veux juste inspecter son corps. Son cerveau, pour être précise, afin d’analyser son talent.

Déclara Miligan sans détour. Oliver se souvint avoir vu plusieurs de ces outils à l’infirmerie, et quand il fit le rapprochement avec ce qu’elle disait, il pâlit rapidement.

— Ne me dis pas que tu vas pratiquer une craniotomie… ?!

— Mais bien sûr. Tu ne te souviens pas ? J’ai dit que l’une de mes maîtrises était les neurosciences. Le cerveau est tellement plus facile à manipuler que l’esprit, puisqu’il a une forme physique réelle. De plus, il est possible d’observer les tendances caractéristiques des individus les plus doués. Hee-hee ! Je suis sûre que son cerveau recèle de merveilleux secrets.

Ses doigts fins caressaient les cheveux de Katie avec excitation. La sorcière était en train de dire qu’elle allait ouvrir le crâne de la jeune fille et en inspecter le contenu. L’expression d’Oliver s’aiguisa en un instant.

— Oh, ne vous inquiétez pas. Ce n’est pas une procédure qu’un amateur peut réaliser. Je ne lui ferai pas sentir de douleur et il n’y aura certainement pas de cicatrices. Quand elle se réveillera, elle ne saura même pas que j’ai regardé son cerveau. Restez assis et laissez-moi m’occuper de ça. Je suis vraiment expérimentée dans le domaine.

Miligan donna un coup de baguette et jeta un sort. D’innombrables feux follets dansèrent au plafond, éclairant la pièce sombre de leurs flammes bleu-blanc.

— Qu… ?

La vue du spectacle laissa Oliver et Nanao sans voix. La couleur de la chair scintillait humidement dans la lumière vacillante. Des corps de toutes formes et de toutes tailles remplissaient silencieusement le vaste espace. L’un d’entre eux avait l’estomac ouvert, la joue supérieure gauche d’un autre avait été enlevée, et un autre encore flottait dans un liquide de conservation vert pâle dans un récipient en verre. Les diverses opérations étaient toutes dans des états différents d’achèvement, mais il s’agissait, sans aucun doute de cadavres humanoïdes avec une majorité d’espèces demi-humaines. Oliver savait que tout genre d’espèce était réuni là, à l’exception des trois à qui on avait accordé des droits humains. Les cadavres ne bougeaient pas et étaient bien disséqués signe d’années de labeur d’une sorcière solitaire. Une terrible envie de vomir monta à la gorge d’Oliver.

— Combien… Combien de demi-humains as-tu massacrés ici… ?

Demanda-t-il, la voix tremblante.

— Oh, tellement, se vanta Miligan—-Si je pouvais compter mes cobayes sur le doigt de la main, je ne serais pas l’experte que je suis aujourd’hui. Vous voyez, dans ce domaine, la plus grande preuve de la compétence d’une personne est le nombre de corps disséqués. On ne peut pas être un digne biologiste magique sans personnellement atteindre une cage thoracique et toucher un cœur qui bat.

L’absence totale de honte dans ses explications était la marque d’un véritable mage. Une vanité inébranlable lui permettait de piétiner l’Humanité sous toutes ses formes dans la poursuite de ses recherches. Rien que le fait de découper des demi-humains tout en prêchant leur salut ne semblait pas la déranger. Oliver ne savait plus quoi dire. À côté de lui, Nanao fit un pas en avant.

— Rends-moi Katie, exigea-t-elle.

— Oh, je le ferai. Une fois que j’aurai jeté un œil à son cerveau, bien sûr.

Répondit rapidement la sorcière. Comme pour signifier qu’elle ne ferait jamais de compromis sur ce point, elle jeta un coup d’œil dans un coin de la pièce éclairée par la lumière.

— Cependant, la procédure prendra un certain temps. Prenez du thé à cette table pendant que vous m’attendez.

Elle désigna une grande table qu’elle semblait utiliser fréquemment. Un service à thé était en effet posé dessus. Mais à côté de la table se trouvait un petit cadavre ressemblant à un gobelin, dont les entrailles se répandaient. Oliver serra la mâchoire et grogna. Était-ce l’idée que se faisait la sorcière d’une sorte d’amusement pour la pause thé ? La détermination s’installa dans les yeux de Nanao. Elle avait déjà compris qu’il était inutile d’essayer de convaincre

— Oliver, converser avec elle est une perte de temps, murmura-t-elle.

— Attends, Nanao !

La jeune aziane se précipita vers le lit sur lequel Katie dormait. Miligan ne fit aucune tentative pour se défendre, sa baguette pendait mollement dans sa main droite. L’instant d’après, un terrible frisson parcourut t le corps de Nanao.

— Mm ?!

CONTRAV !

Le sort d’Oliver frappa Nanao dans le dos, la libérant pour qu’elle puisse à nouveau bouger. Elle recula instantanément de plusieurs pas. La sorcière renifla en regardant.

— Hmm, de vif instinct. Cela aurait été beaucoup plus facile si ça s’était terminé comme ça. Tu n’as pas l’air d’un première année du tout, dit- elle doucement.

Son œil droit. Oliver avala sa salive à la vue de ce dernier qu’elle avait caché pendant si longtemps par-delà sa frange. Son iris était un mélange de rouge et de vert, et sa pupille était longue et divisée verticalement. Ce n’était clairement pas un œil humain.

— L’œil maudit d’un basilic, dit Oliver dans un silence, frissonnant en réalisant ce que c’était. Miligan gloussa et posa sa main dessus.

— Mes parents m’en ont fait cadeau quand j’étais enfant. Malheureusement, il a sa propre volonté. Il a rejeté mes cinq frères et sœurs aînés avant moi, les tuant, avant de s’installer en moi. L’amour d’un parent est en effet une chose bien lourde.

Oliver avait déjà entendu parler de ça. Il n’était pas rare que les mages manient les yeux de créatures aux propriétés uniques, plus communément appelés des yeux maudits. Cependant, l’œil maudit du basilic était connu pour être extrêmement dangereux pendant le processus de transplantation. Il ne pouvait être implanté que chez un jeune enfant, lorsque les risques de rejet étaient moindres, mais même dans ce cas, les chances de réussite étaient inférieures à 10 %. Ceux qui n’avaient pas cette chance étaient pétrifiés de l’intérieur, suffoquant à mort.

— …… !

Soudain, comme un éclair, Oliver compris. Pour Miligan, il était parfaitement logique de réaliser des expériences sur les demi-humains qu’elle prétendait aimer, de les découper et de les disséquer. C’est ainsi qu’elle avait été élevée, après tout. Ses parents lui avaient greffé l’œil maudit tout en sachant qu’elle avait 90% de chances de mourir, et elle appelait toujours cela « l’amour ». Ainsi, elle montra son amour pour les demi-humains de la même manière. Convaincue que les résultats de ses recherches finiraient par les sauver, elle ne sourcilla jamais devant les innombrables sacrifices. Nanao tint son épée avec précaution, mais la terreur parcourait Oliver lorsqu’il pointa son athamé en l’air. La sorcière rangea tranquillement sa baguette, puis dégaina son épée.

— Eh bien, maintenant que vous avez vu ce que je faisais, laissez-moi me présenter officiellement. Je suis Vera Miligan, une quatrième année de Kimberly. Ma spécialité est la biologie magique, et plus particulièrement la recherche des demi-humains. Ils ont souffert pendant des générations aux mains de notre race, et en tant qu’activiste pour leurs droits civiques, c’est mon plus grand souhait d’élever leur position. Ceux qui connaissent cet œil m’appellent Miligan à l’œil de serpent.

Au-dessus d’eux, les feux follets dansaient avec frénésie. La fin de son introduction était le signal du début de la bataille.

— Ne laisse pas son œil rester trop longtemps sur toi, Nanao !

— Compris !

Oliver et Nanao prirent les devants. Oliver fit face l’œil de serpent au côté gauche de la sorcière à distance tandis que Nanao allait s’occuper de son côté droit qui était normal. Aucun d’entre eux n’avait suggéré cela avant–- c’était simplement la formation naturelle en laquelle ils croyaient. De l’électricité jaillit de la pointe de l’athamé d’Oliver, ce à quoi Miligan répondit par un sourire.

TONITRUS !

L’électricité des deux protagonistes s’entrechoqua dans l’air. Le sort d’Oliver fut facilement balayé par celui de Miligan, qui continua vers lui sans perdre de sa puissance. Il serra les dents et sauta sur le côté. La différence de force était inimaginable.

— Haaaaah !

Au moment où Nanao se mit à portée, elle déclencha furieuse frappe fendue. Miligan la bloqua avec son épée, reculant en arrière de quelques centimètres à cause de l’impact.

— Je vois. Oui, très impressionnant. Maintenant je comprends comment tu as réussi à combattre le Garuda de front, murmura-t-elle, admirative.

Apparemment, même pour elle, le jeu d’épée de Nanao était impressionnant. Continuant à tourner autour de l’angle mort de l’œil du basilic, Nanao frappa encore et encore. Miligan bloquait tout sans retenir sa joie.

— Oh, comme ton avenir sera passionnant. Et pourtant, tu sembles un peu trop téméraire pour tes compétences actuelles.

Une partie du sol se souleva. C’était la technique d’arts de l’épée du style Lanoff, la posture de la terre : Tombeau de la terre. Au moment où Nanao fit un pas en avant, son pied fut bloqué, et elle bascula en avant.

— Ngh !

FLAMMA !

Juste avant que Miligan ne puisse lancer une contre-attaque, le sort d’Oliver la fit reculer d’un bond. La sorcière hocha la tête en signe de compréhension.

— Quelles intrusions précises. Tu couvres son manque de vigilance, eh ?

Son expression était au-delà de la simple confiance tandis qu’elle souriait aux deux jeunes étudiants qui se battaient de leur mieux. Pour elle, ils étaient comme d’adorables enfants. Cependant, le garçon s’avança, prêt à lui faire regretter son excès de confiance.

CLYPEUS !

— Ngh–

Juste avant qu’il ne puisse se mettre à la distance d’un pas, d’un sort, un mur gris s’éleva entre eux. Normalement, il s’agissait d’un sort défensif pour protéger l’utilisateur de sortilèges. Mais à cette distance, il était efficace pour bloquer la vision de son adversaire. Miligan recula rapidement afin de le chercher derrière, comme il s’y attendait.

— IMPETUS !

Le sort de vent déchira le mur, la prenant au dépourvu.

— Haah !

Elle parvint de justesse à esquiver sur la gauche, annulant le reste du sort avec son athamé pointé de manière défensive. C’était une réaction parfaite et instantanée à son attaque-surprise. Oliver se tint derrière son mur en ruine, épée en main, tandis que la sorcière lui lançait un regard approbateur.

— Quelle surprise. Tu as donc invoqué un mur de défense fragile pour–

Nanao l’interrompit à nouveau, sans attendre qu’elle ait fini, mais Miligan la bloqua facilement alors qu’elle continuait.

— …me faire reculer afin de lancer ton attaque à travers celui-ci ? En jouant sur la réaction habituelle d’un sort défensif, tu as tenté une attaque surprise. Quelle vilaine stratégie. Qui te l’a enseigné ?

Réalisant qu’elle ne mettait pas assez de pression sur Miligan, Nanao augmenta la férocité de ses attaques. Elle faisait pleuvoir les coups comme un ouragan, ce qui provoqua un sourire en coin de la part de Miligan.

— Mon Dieu, mon Dieu, très impressionnant. Tu es devenue plus affûtée.

Dit-elle en lançant une fois de plus un Tombeau de la terre aux pieds de Nanao. Mais ne voulant pas se faire avoir deux fois par le même tour, elle changea de direction et l’évita. Elle fit un mouvement horizontal, que Miligan para encore.

— Ohhh ! Cria Miligan en état de choc —- Je suis impressionnée que tu aies déjà appris à gérer ça. Un vrai duel contre toi me poserait de gros problèmes. Je devrais peut-être adopter une approche plus magique !

Son œil maudit se verrouilla sur Nanao alors qu’elle s’apprêtait à combiner un autre mouvement d’épée, la forçant à reculer. Miligan gagna quelques secondes, qu’elle utilisa pour les avoir tous les deux en visu et lancer un sort.

— Maintenant, dansons ! TONITRUS !

La stratégie de Miligan changea instantanément. Contrairement à tout à l’heure, où elle sembla jouer avec eux, la sorcière sauta en arrière en restant à distance tandis qu’elle enchainait les sorts.

— Quoi, pas de contre ? Pas l’habitude des batailles de sorts, n’est-ce pas ?

Nanao sautait de couverture en couverture pour tenter de se rapprocher tandis que Miligan continuait de la tenir à distance avec des sorts. Oliver serra les dents. Il avait du mal à répondre d’une manière ou d’une autre, devant constamment s’éloigner de Nanao, mais les sorts de la sorcière les repoussaient sans cesse ensemble. Ce positionnement frustrant en disait long sur la richesse de l’expérience de leur adversaire en matière de combat.

FRAGOR !

Dans un échange de sort à longue distance, Oliver n’était pas sûr de pouvoir se débarrasser de cette élève plus expérimentée. C’est pourquoi il feignit de viser directement Miligan, puis changea de direction juste avant que le sort n’émerge. Le sort explosif éclata juste à côté de la sorcière, au-dessus d’un ensemble de couverts de fioles aux solutions diverses.

— Mm– !

Les fioles se brisèrent, et leur contenu extrêmement dangereux se répandit en direction de Miligan. Elle se retourna, couvrant rapidement son corps avec sa robe. La solution crépita en atterrissant, rongeant complètement le sol. La sorcière sourit.

— Je ne peux jamais baisser ma garde avec toi, n’est-ce pas ? Pourquoi ne pas lancer un sort de manière honnête pour changer ?

Elle le complimenta de façon sarcastique, et Oliver serra sa mâchoire. Elle était clairement plus douée que lui. Toutes ses attaques surprises ne pouvaient même pas arrêter son bavardage, et encore moins la blesser.

— — !

Ne t’arrête pas. Réfléchis plus ! Sois intelligent ! Sois rusé ! Qu’est-ce que je peux utiliser pour la toucher à coup sûr ? Si j’utilise toutes les techniques possibles, est-ce que le sabre de Nanao pourra la transpercer ?

— …Mm ?!

Alors qu’Oliver essayait de réfléchir à un nouveau plan, il entendit inopinément Nanao grogner. Sortant de ses pensées, Oliver se retourna pour regarder–- et vit la fille être aspirée dans ce qui ressemblait à un piège à Fourmilion.

— Attention, c’est glissant par là. FLAMMA !

Miligan l’avertit sarcastiquement, puis lança impitoyablement une attaque de combinaison. Elle avait dû magiquement changer le sol, en attendant ce moment précis. Le feu engloutit le corps de la fille avant même qu’Oliver n’ait eu la chance d’essayer de l’aider.

— Nanao !

Il tourna son épée pour lancer un sort défensif sur elle, mais avant qu’il ne puisse le faire, une silhouette sauta hors du brasier.

— …Mm ?!

La fille chargea, couverte de flammes. Miligan, prit par surprise, fit pivoter son épée pour rencontrer son agresseur. L’uniforme de la jeune fille fut roussi par endroits, et son corps brûlé de partout, mais c’était étonnamment clément après avoir encaissé toute cette puissance de feu. La sorcière pencha la tête.

— Étrange. C’était un sort direct. Comment fais-tu pour être debout ?

— Haaaaah !

En lieu et place d’une réponse, Nanao balança sa lame directement sur elle. Miligan esquiva facilement en sautant en arrière, mais son adversaire ne voulait pas la laisser se reculer, alors elle lança un autre sort.

— IMPETUS !

Elle déchaîna une lame de vent à bout portant. La première vague coupant les extrémités superficiellement des membres de Nanao, envoyant des gerbes de sang partout. Un coup direct lui aurait sûrement coupé les deux jambes, mais Nanao avança la pointe de son épée en avant—

— Hah !

Et la fit virevolter comme une cuillère ramassant du miel, dirigeant le vent pour passer au travers. La force du vent s’abattit sur une table d’opération, la coupant en deux. Miligan, qui observa du coin de l’œil, fut très choquée.

— J’ai tout bien observé, et pourtant…

Murmura la sorcière. Son expression était bien plus que de la crainte. Elle était stupéfaite. Oliver ne pouvait que trop bien comprendre ce sentiment. En fait, il était tout aussi abasourdi.

— Je ne comprends toujours pas. Bonté Divine, comment as-tu fait ça ?

Demanda Miligan à Nanao alors qu’elle tentait de reprendre son souffle. Oliver comprit instinctivement ce que le silence de Nanao signifiait–- le plus probable étant qu’elle n’avait aucune idée de ce qu’elle avait fait, elle non plus.

— Tu n’as pas annulé mon sort avec un élément opposé. Non, c’était probablement quelque chose de similaire au Flux Tranchant du style Koutz. Mais je n’ai jamais entendu parler d’une précision qui pouvait trancher un coup direct.

Oliver était d’accord avec l’analyse de la sorcière. C’était une conclusion logique. L’ajout d’énergie à un élément compatible transformait la magie. C’était similaire à la magie de perturbation qu’il avait utilisée contre le Garuda. Les élémentaires et la magie ordinaire étaient tous deux facilement manipulables en utilisant le type d’énergie approprié.

— …… !

Et pourtant, Oliver avait dû observer les élémentaires du Garuda pendant un long moment avant de pouvoir obtenir des résultats. C’est dire à quel point il était difficile de se synchroniser avec les phénomènes magiques produits par un autre être. Dans le cas du Garuda, les élémentaires l’entouraient constamment, ce qui donnait une opportunité continuer de les observer. Mais si Oliver avait dû faire la même chose avec un sort juste après son lancement, il aurait pensé que ce serait impossible. Annuler l’attaque avec un type de magie opposé aurait été bien plus réaliste.

Mais Nanao avait rendu l’impossible possible. Très probablement, au moment où son épée entra en contact avec la magie de son adversaire, elle ajusta instinctivement sa compatibilité élémentaire et interféra avec le sort. Une telle chose ne devait pas être possible, mais c’était la seule explication plausible. Oliver fixait Nanao, oubliant même de cligner des yeux. À l’inverse, Nanao, ignorant son choc, souriait d’un air légèrement embarrassé.

— Mon corps ne peut toujours pas produire ne serait-ce qu’une flamme… Mais si un sort entre en contact avec mon épée, je sens cette énergie en moi.

Les pièces du puzzle se mirent rapidement en place pour Oliver. Oui, c’était bien comme elle le disait. Elle avait été entraînée à contrôler l’énergie qui circulait dans son propre corps. C’est donc exactement ce qu’elle avait fait. Utilisant son sabre, qui était pratiquement une extension de son corps, elle avait bloqué le sort de son adversaire et avait ressenti son énergie. Puis elle s’adapta instantanément à cette énergie pour la renvoyer sur le côté, très probablement inconsciemment.

Un frisson parcourut la colonne vertébrale d’Oliver tandis que son esprit rassemblait tout cela. Quel incroyable talent, d’être capable d’entrer en conflit avec le sort d’un adversaire inconnu et d’en faire une technique secrète ! Miligan, semblant arriver à la même conclusion, se tourna vers Nanao et leva lentement son épée.

— Je suis curieuse de voir jusqu’où tu peux aller. Que dis-tu de ça ?

FORTIS

Commença Miligan. Au moment où il se rendit compte qu’elle lançait une double incantation, Oliver sortit de sa torpeur et s’élança en avant comme un canon. Pourquoi je suis en train de rêvasser ? À en juger par les brûlures et les coupures sur tout le corps de Nanao, il était évident qu’elle n’avait pas perfectionné sa propre technique. Il ne pouvait pas rester là et la laisser répéter ça !

— Prête-moi ton feu !

Cria-t-il sèchement, se tenant au coude à coude avec Nanao. Il leva son épée, et elle comprit.

— … FLAMMA !

Hurla Miligan. Le sortilège de feu à double incantation se précipita vers eux, sa chaleur étant assez forte pour faire honte aux feux follets juste au-dessus d’eux. La boule flamboyante les engloutit, bien plus fort que n’importe quel sort de base qu’il aurait espéré faire.

  • FLAMMA !
  • FLAMMA !

Et pourtant, les flammes qui jaillissaient de leurs athamés luttèrent en retour. Le sort de Nanao éclata dès qu’il quitta la pointe de son épée, et le sort d’Oliver l’absorba, lui faisant gagner en puissance. Ensemble, ils repoussèrent de toutes leurs forces une partie du brasier de la sorcière. La chaleur et les flammes les dépassèrent et lorsque ce fut terminé, seuls Oliver, Nanao et une petite parcelle de terre autour d’eux ne furent pas brûlés.

— Vous avez surmonté ça avec une magie de convergence ? La blague !

S’écria Miligan avec une incrédulité jubilatoire. Qui aurait pu prédire que peu de temps après être entrée dans l’académie, deux première année pousseraient un vétéran comme elle dans ses derniers retranchements ?

— Ne m’excitez pas autant, je vous prie ! J’allais simplement vous avoir comme apéritif avant de commencer par Aalto, mais maintenant je commence à vouloir disséquer chaque centimètre de vos corps.

Un sourire glacial se répandit sur son visage. Son œil droit, rempli d’une curiosité érudite, scintillait encore plus dangereusement que celui de son œil basilic. Ce seul regard était suffisant pour qu’Oliver imagine exactement ce qu’elle leur ferait si leur endurance s’épuisait. Il mit en place une barrière insonorisée de la pointe de sa lame et chuchota à l’oreille de sa partenaire.

— …Nanao, tu l’as probablement déjà compris, mais–

— En effet, elle est complètement à un autre niveau.

Miligan jouait avec eux depuis le début. Ils auraient dû être aveugles pour ne pas le remarquer. Dans les batailles magiques, plus l’opposition était rude, moins les deux camps avaient le temps de faire autre chose que d’invoquer des sorts. Pourtant, Vera Miligan était là, à bavarder. Elle n’avait probablement même pas montré 20% de sa puissance.

— Peu importe nos efforts, elle va continuer à jouer avec nous jusqu’à ce qu’elle s’ennuie. Et tant que nous serons dans son atelier, on ne pourra compter sur personne pour nous venir en aide. Nous devons en finir tant que nous pouvons encore nous battre.

— Alors tu as un plan ?

Demanda Nanao avec espoir. Oliver expliqua rapidement le processus.

— ….Et c’est à peu près tout. Tu comprends ?

— Parfaitement. Ça a l’air excitant, je dois dire.

Tout comme pendant le combat contre le Garuda, Nanao était toujours partante pour se lancer. Les coins de la bouche d’Oliver se recroquevillèrent. Ils étaient encore dans une situation si désespérée, mais elle ne changeait guère. C’était l’un des plus grands réconforts.

— Si tu le dis, alors nous ne pouvons pas perdre. Allons-y !

— Bien !

Oliver donna le signal, et Nanao mena la danse en s’élançant en avant. Derrière elle, il prépara son épée. Miligan, reconnaissant leur formation, s’installa dans une position ferme et se prépara à contre-attaquer.

— Hup !

Mais au moment où Nanao s’approcha de la table d’opération, la sorcière réalisa son erreur. Nanao sauta sur la table et s’élança dans les airs.

— Oh— ?!

Le mouvement vertical fut une surprise après avoir passé tant de temps sans utiliser de hauteur. Oliver lança secrètement un sort d’élasticité sur le bureau, similaire au sort que Miligan avait utilisé pour ramollir le sol. Nanao passa facilement au-dessus de la tête de la sorcière, atterrissant avec force derrière.

FLAMMA ! IMPETUS ! TONITRUS !

Au même moment, Oliver déclencha une volée de sorts élémentaires variés sur des trajectoires distinctes : une boule de feu arquée, une lame de vent zigzaguant et un éclair d’électricité droit comme une flèche. Miligan fut stupéfait. Les sorts en eux-mêmes n’étaient pas particulièrement formidables, mais les angles et la vitesse différentes de chacun d’entre eux signifiaient qu’elle était obligée de les traiter séparément. Elle ne pouvait pas les contrer d’un seul coup.

Haaaaah !

Elle commença instantanément à incanter un sort défensif lorsque Miligan sentit Nanao arriver par-derrière. C’était trop pour Miligan. Son épée faisait face à Oliver pour arrêter ses sortilèges, et l’œil de son basilic ne pouvait pas se tourner assez pour atteindre Nanao. Cela aurait été différent si elle pouvait faire pivoter tout son corps, mais cela la rendrait vulnérable aux sorts d’Oliver. Il était certain que c’était un échec et mat. À ce stade, la différence de leurs capacités magiques n’avait pas d’importance. Tant que Miligan devait composer la situation, même la sorcière à l’œil de serpent ne pouvait pas bloquer cette prise en tenaille.

— Ha-ha !

Du moins, c’est ce qu’il pensait. Les lèvres de Miligan se retroussèrent en un rictus. Dès qu’il vu cela, un frisson parcourut l’échine d’Oliver, l’avertissant que sa vie était vraiment en danger. Il avait tout misé sur cette attaque, mais ce monstre prit tout à bras le corps, révélant le véritable sourire d’un mage. Miligan leva un bras. Les yeux et l’épée braqués sur Oliver, elle tendit sa main gauche libre vers le Nanao qui arrivait. Ce mouvement n’avait aucun sens. C’était impossible. Même le plus grand mage du monde ne pouvait pas faire

de la magie sans baguette. Et comme pour nier toute logique, la main gauche de la sorcière s’ouvrit pour révéler un œil.

— Ah–

De là où il était, Oliver ne pouvait pas voir ce qui se passait. Mais il pouvait le sentir. Il le savait instinctivement. La vision d’une défaite certaine se forma clairement dans son esprit. Comment ? Comment n’avait-il pas compris ? En repensant à la toute première fois qu’ils s’étaient rencontrés, elle avait toujours eu un œil caché, comme pour dire, Il y a un secret juste là. Si elle faisait des efforts pour cacher son œil, alors en tant que mage, il était naturel de la soupçonner de posséder un œil maudit. C’est pour cela qu’il avait été capable de réagir si rapidement lorsqu’elle avait fixé Nanao du regard pour la première fois. N’importe qui aurait pu le prédire. Ainsi, il n’y avait aucune chance que ce soit la carte maîtresse de Vera Miligan. Le vrai, le terrible secret qu’elle détenait devait être autre chose que son œil gauche et Nanao fonçait droit dessus, sans se douter de rien.

Dans sa main gauche se trouvait un œil maudit, un troisième œil, complètement éloigné du domaine de la raison humaine. Et pourtant, son existence était parfaitement logique. De toute évidence, deux yeux maudits pouvaient être récoltés sur le corps d’un seul basilic. Et si quelqu’un était assez chanceux pour survivre à la transplantation d’un œil, il n’y avait aucune raison pour que son corps résiste au second. Ses parents avaient dû penser à cela. Et pourtant, il n’y avait aucun avantage à perdre les deux yeux humains. Ils pouvaient encore s’avérer précieux pour leur fille dans son avenir de mage. Dans ce cas, il fallait implanter ce deuxième œil du basilic à un autre endroit. Un endroit qui pouvait être caché…que personne ne pourrait voir.

— Ngh–

Juste avant d’atteindre la distance de frappe, Nanao réalisa qu’elle n’y arriverait jamais. L’œil du second basilic dans la main gauche de Miligan était fixé sur elle. À l’instant où elle ferait un pas de plus, sa malédiction s’emparerait d’elle et transformerait son corps en pierre.

Mais elle ne pouvait pas battre en retraite. Elle s’élança avec l’intention de mettre fin à la bataille, et son élan fut trop fort pour être arrêté ne laissant aucun moyen d’esquiver. Si elle devait trouver un moyen de s’en sortir, elle devait avoir tous ces faits en tête. Dans ce cas, pensa Nanao en souriant, il n’y a qu’une seule solution : Je dois juste faire en sorte que mon coup l’atteigne. La prise sur son épée, positionnée sur son côté, se relâcha. Elle ne pouvait pas être raide si elle voulait de la vitesse. Non, même si elle relâchait chaque once de tension inutile, elle ne serait toujours pas assez rapide. Son ennemi était l’œil démoniaque qui s’ouvrait dans la paume de Miligan, ainsi que sa malédiction invisible. Si la malédiction dépendait de la lumière pour être transmise, alors il était juste de dire qu’elle se déplaçait à la vitesse de la lumière. Nanao décida : Ma lame doit devenir plus vive que la lumière alors.

— Haaah…

Elle laissa échapper un dernier souffle avant d’entrer à distance de frappe. Ce rituel aiguisa sa concentration au maximum, et elle ne faisait plus qu’un avec sa lame. Comment pouvait-elle abattre son épée pour triompher de la lumière

? Nanao connaissait déjà la réponse. Et elle savait comment y arriver, même si elle ne connaissait pas la vitesse de la lumière. Elle devait simplement couper ce qui se trouvait devant elle, renvoyer tous les obstacles en éther. Elle imagina donc une lame capable de trancher l’espace, le passage du temps, et tout ce qui se passait entre les deux Sa vision était extrêmement naïve, mais aussi extrêmement orgueilleuse. Les règles de la nature l’interdisaient, pourtant elle n’y pensait guère. Et puis, un sortilège vit le jour.

— Huh ?

Prononça Miligan, se rendant compte que quelque chose n’allait pas. La jeune aziane se figea dans la vision de l’œil de sa main gauche. La logique voulait qu’elle ne puisse pas bouger après avoir été frappée par la malédiction du basilic à cette distance. Et pourtant, quelque chose clochait. C’était juste un sentiment. Elle ne pouvait pas savoir ce qui n’allait pas, mais elle le ressentait. Quelque part, il y avait quelque chose qui ne devait pas exister. Au moment où Miligan s’en rendit compte, elle trouva une réponse unique et définitive.

Miligan supposa que c’était fini au moment où Nanao s’approcha à distance de frappe. La vision de l’œil de sa main le confirma. C’était réel. Alors pourquoi son coup de sabre avait-il fait mouche ?

— Ah–

Sa main, à partir du poignet, tomba sur le sol. Au même moment, l’œil de sa main fut aveuglé, après avoir été sectionné. Un œil séparé de son corps, même mystique, ne pouvait rien transmettre au cerveau. À contrecœur, elle tourna sa tête et ses deux yeux restants sur le côté. Cela la laissa sans défense contre le garçon, mais ce n’était plus un problème pour elle. Elle voulait juste voir par elle-même la dernière scène de sa vie–- pour graver dans ses yeux l’image du sortilège réussi de cette fille.

— Tu… Tu viens juste de–?

Miligan ne put finir sa question. La chaleur, due au sang jaillissant de son cou, et une étrange sensation de plaisir l’enveloppèrent alors que sa conscience glissait dans l’obscurité. Nanao regarda le corps de Miligan s’effondrer avec un bruit sourd, puis rengaina son épée et se retourna silencieusement. Oliver, qui oublier d’abaisser son athamé, la regardait simplement en silence.

— La victoire est à nous, Oliver !

Proclama Nanao innocemment et courut vers lui, apparaissant rapidement juste en face. D’une manière ou d’une autre, cela réussit à refaire démarrer son cerveau. Il put ainsi parler sans attendre.

— …Nanao, qu’est-ce que tu viens de… ?

— Mm ? Qu’est-ce qu’il y a ?

Demanda-t-elle, perplexe. C’est alors qu’Oliver réalisa qu’elle n’avait pas compris. Lui, il avait si bien compris qu’il passa de l’admiration au doute sur sa santé mentale. La question était de savoir comment cette fille avait obtenu la victoire face à cet œil maudit ? La réponse ? Elle trancha la sorcière dans le temps et l’espace. Tout ce qu’elle percevait comme obstacle, même la distance, fut dominé par une vitesse supérieure à la lumière. Oliver ne vit pas cela bien entendu. Il ne pouvait qu’en venir à cette conclusion logique.

— …… !

En vérité, il fallait un peu de temps pour que l’effet de l’œil maudit se fasse sentir. Tout le monde avait des niveaux de résistance différents, donc il y avait quelques rares façons pour elle de le couper en s’approchant de la distance de frappe. C’était une arme puissante, certes, mais elle ne rendait certainement pas son utilisateur invincible. La frappe de Nanao, d’un autre côté, était différente. Tant que sa cible était à portée de son épée, il n’existait aucune méthode pour résister à son coup. Même l’utilisation de techniques d’arts de l’épée totalement maîtrisés n’aurait rien pu y faire. Comment quelqu’un pouvait-il espérer se défendre contre une technique qui vous abattait dès que vous étiez à sa portée ?

Une technique ultime qui ne permettait aucune résistance de la part de l’ennemi, qui mettait fin au combat une fois utilisée—- dans le monde des arts de l’épée, on appelait cela une Spellblade. Et la technique que Nanao venait d’utiliser était, sans l’ombre d’un doute, l’une d’entre elles. Et ce n’était pas l’une des six Spellblade connues.

Autrement dit, une septième Spellblade.

Cette technique, encore sans nom, ne pouvant être exécutée que par cette unique fille.

— ……

Oliver ne savait pas comment lui faire comprendre. Elle n’était devenue mage que récemment. Quelle était la bonne façon de l’exprimer ? La réponse lui vint assez vite : ce n’était pas quelque chose qu’il pouvait décider immédiatement, et ce n’était pas une bonne idée de décider ici, tout de suite. Il prit une profonde inspiration, s’arrêta un moment, et se tourna vers Nanao.

— …Non, nous pourrons en parler plus tard. Ramenons simplement Katie à l’académie.

— Je suis d’accord. Mais qu’en est-il d’elle ?

Demanda Nanao, ses yeux sur Miligan, la fille qu’elle venait de terrasser. Pas mal de sang coulait de son cou et de sa main coupée. Oliver s’approcha prudemment de la sorcière et l’inspecta.

— Les seules coupures sont sur son bras droit et le côté gauche du cou.

— Mm, je l’ai épargnée. Elle ne voulait pas me tuer, après tout.

Dit Nanao avec respect. Oliver hocha la tête. Il ne voulait pas imaginer les horreurs qui les auraient attendues s’ils avaient perdu. Cela dit, il doutait de sa volonté de les tuer. Même pendant la bataille, Miligan avait conservé sa position d’aînée. Elle aurait pu avoir l’envie d’analyser leurs cerveaux après avoir vu la démonstration de leur talent, mais elle n’a jamais pensé à les      tuer.  Avec cela en tête, Oliver pointa son athamé sur la sorcière inconsciente et lança un faible sort de guérison juste pour arrêter le saig—nem…eEnllte. va se remettre maintenant. Elle se réveillera probablement dans quelques heures. Tu te souviens comme personne n’est mort de l’attaque du Garuda ? Les mages sont réputés pour être difficiles à tuer.

Une fois le sort terminé, Oliver s’éloigna du corps de Miligan. Nanao hocha la tête en signe de satisfaction, puis se souvint soudain de quelque chose et se tourna vers lui.

— Oh ! Oliver !

— … ?

Il lui rendit regard. L’épuisement se répandant sur son visage, Nanao porta son dernier coup :

— Ma récompense. J’attends un baiser cette fois-ci.

Quand Oliver se rappela de l’incident plus tard, il prétendit que le plus difficile avait été de ne pas s’effondrer sur place à ce moment-là.

—————————————————
<= Précédent // Suivant =>
———————————————