REIGN OF V1 : CHAPITRE 3

Le Colisée

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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Deux semaines s’étaient écoulées depuis la bagarre en classe. Peu après 20h, les cours de la journée étant terminés, Oliver et ses amis étaient restés dans le bâtiment de l’académie, sachant que l’empiètement avait déjà commencé.

— Oh, vous êtes vraiment venus.

— Laissez-moi vous montrer le chemin. Vos épées sont prêtes ?

Deux étudiants de deuxième année inconnus les attendaient dans la salle de classe du troisième étage, comme indiqué dans la lettre d’Andrews. Oliver secoua la tête.

— Non, s’il vous plaît, laissez-nous un peu de temps. Tout le monde, sortez vos athamés.

Dit-il à ses amis en se tournant vers eux. Ils acquiescèrent tous, sortant leurs compagnons de toujours de leurs fourreaux.

— Maintenant, faisons comme convenu : ACUTUS !

— ACUTUS !

Ils suivirent tous son exemple et firent l’incantation en simultanée. Les athamés brillaient d’une lumière bleue et l’acier avait impulsé et s’était resserré, comme s’ils s’étaient souvenus de leurs origines en tant qu’armes. Les six athamés devinrent six lames tranchantes de métal brut.

— Écoutez. Si jamais vous vous sentez en danger, n’hésitez pas à vous défendre

Avertit Oliver, avec un air ferme sur le visage. Les cinq acquiescèrent. Normalement, les élèves étaient autorisés à porter seulement des athamés émoussés sauf lorsqu’ils entraient dans le labyrinthe. Explorer ses profondeurs était bien plus dangereux que de se promener dans l’enceinte de l’académie, et ils avaient besoin de se défendre contre toute menace éventuelle.

Oliver indiqua aux deux étudiants de deuxième année qu’ils étaient prêts. Les deux se tournèrent vers la peinture à l’huile géante sur le mur et sautèrent rapidement dedans. La surface de la peinture ondula en les avalant. Nanao expira, émerveillée. C’était juste l’une des nombreuses entrées du labyrinthe dans l’académie.

— Je vais ouvrir la voie. Chela, tu peux prendre l’arrière ? dit Oliver.

— Je m’en occupe. Allons-y.

Accepta Chela alors qu’elle se déplaçait à l’arrière de leur groupe. Oliver sauta alors à travers la peinture. Après un moment déconcertant qui ressemblait au passage au travers d’un liquide collant, il vit devant lui une vue similaire à celle qu’il avait quittée. Le couloir apparemment sans fin était enveloppé d’un voile d’obscurité.

— Continuez les nouveaux.

— Si vous vous perdez, débrouillez-vous tout seul.

Les deuxième année avaient donné leurs affreux avertissements et commencèrent à presser le pas. Une fois que la dernière personne, Chela, fut passée, le groupe d’Oliver se dépêcha de la rattraper. Leurs pas résonnaient dans le vaste espace.

— …Je me demande où on va. T’as une idée, Oliver ?

— C’est difficile à dire. Si tout ce qu’il voulait était un duel, on aurait pu le faire n’importe où en dehors du labyrinthe.

Oliver ne pouvait pas en être sûr. La lettre d’Andrews avait seulement mentionné que leur duel aurait lieu dans la première couche du labyrinthe, sans mentionner un endroit précis.

— …Tu ne penses pas que ce duel soit un piège, n’est-ce pas ?

— J’en doute. Surtout quand les choses sont aussi tendues.

Dit Oliver, apaisant les craintes de Pete.

Ce n’était pas une blague quand un mage d’une maison noble proposait un duel et préparait lui-même l’arène. Les embuscades et les attaques surprises n’avaient aucun sens. Andrews poursuivait la victoire et l’honneur, ce qu’il ne pouvait pas obtenir s’il utilisait des méthodes sournoises. Comparé au fait d’être coincé entre Salvadori et Rivermoore, Oliver avait beaucoup moins de chances de perdre la vie dans ce duel.

— ……

Ils marchèrent pendant environ vingt minutes, faisant un certain nombre de tours et de détours avant d’arriver au bout du couloir. Il y avait une porte géante à deux battants, et les élèves de deuxième année s’arrêtèrent devant.

— Nous y sommes. Les deux duellistes peuvent aller tout droit. Le reste d’entre vous, prenez les chemins latéraux vers les sièges du public.

— Hein ? Des sièges pour le public ?

Guy pencha la tête. Les deuxième années incantèrent ensuite un sortilège. Ce devait être la clé pour ouvrir la porte. Sitôt, les lourdes portes commencèrent à s’ouvrir. Les six avalèrent leur salive devant ce qu’ils avaient sous les yeux.

— …Le Colisée, hein ? murmura Oliver.

Et en effet, devant eux se trouvait une grande arène recouverte de sable blanc entourée de nombreux sièges situés en hauteur. Le Colisée pouvait accueillir un total de trois cents personnes, et il semblait être actuellement à environ 80% de sa capacité. Comparé à des arènes du genre, c’était assez petit, mais si l’on considérait qu’il s’agissait de l’un des nombreux établissements de ce type dans le labyrinthe, son échelle était assez impressionnante. Katie en eut le souffle coupé.

— Bon sang… ? Tant de gens…

— Plus d’une centaine de première et deuxième année en tout cas, mais pas d’étudiant de classe superieure… Mr. Andrews est tout à fait sérieux, dit Chela après avoir rapidement balayé les lieux du regard.

Par-derrière, les deuxième année les pressèrent de rentrer à l’intérieur. Chela hocha la tête et se tourna vers Oliver et Nanao.

— Nous quatre, nous serons dans le public. Mais si jamais vous en avez besoin–

S’il y a un problème, je serai là pour aider, fit-elle, mais Oliver secoua la tête.

— Non. Chela, je veux que tu gardes les trois autres en sécurité. On s’occupera du reste nous-mêmes.

— Oliver ? Mais–

— Cela fait trois personnes dont tu es responsable. Il serait plus dangereux de te laisser distraire.

Conscient des nombreux risques, Oliver insista tout de même pour qu’ils s’en tiennent à leur rôle. Chela réfléchit pendant quelques secondes, puis hocha la tête.

— …Très bien. Bonne chance à vous deux.

Et tirant par la main une Katie anxieuse, elle la conduisit, ainsi que Guy et Pete, vers les tribunes. Oliver les regarda partir, puis tourna son regard vers Nanao. Ils se firent un signe de tête et s’apprêtèrent à entrer dans l’arène lorsque les deuxième année les interpellèrent par-derrière.

— Restez en arrière. La démonstration passe en premier.

— La démonstration ?

Oliver fronça les sourcils, perplexe. À ce moment-là, les portes géantes de l’autre côté s’ouvrirent, révélant un garçon familier aux cheveux longs–- l’organisateur de cet événement, Mr. Andrews. Le public applaudit et il leva le poing en réponse en entrant dans l’arène. Une fois arrivé au centre, le garçon leva son athamé de la main droite comme pour faire un signe. L’instant suivant, les barres de fer des murs de l’arène, directement sous le public, se levèrent. Une silhouette surgit des ténèbres.

— GRRRRRRRRR !

Ses membres étaient de type humanoïde, mais ses doigts étaient munis de griffes acérées et son corps, recouvert d’une fourrure résistante. Mais surtout, sa tête ressemblait incroyablement à celle d’un chien. C’était un kobold, un type de demi-humain. D’autres barrières se levèrent, révélant deux autres kobolds. Ils grognèrent tous les trois et attaquèrent Andrews de trois directions.

— IMPETUS !

Il répondit en incantant calmement un sort. Une lame de vent jaillit de l’athamé d’Andrews, coupant net les jambes du premier kobold. Au même moment, il se retourna et lança un autre sort, mettant facilement hors d’état de nuire le second kobold.

— GAAAAAH !

Le troisième kobold, cependant, était déjà proche de son visage. Il était trop tard pour lancer un sort. Le kobold sortit ses griffes pour déchirer sa proie, mais Andrews riposta avec l’athamé dans sa main droite, sans être inquiété le moins du monde.

— Hah !

Il esquiva la mâchoire du kobold, puis lui trancha le torse alors qu’il se précipitait sur lui. Le sang gicla de la blessure, et le kobold s’effondra sous les applaudissements du public. Nanao se tourna vers Oliver alors qu’une étrange ferveur envahissait le Colisée.

— …Oliver, qu’est-ce que c’est ? demanda-t-elle, l’expression tendue.

— …Une chasse au kobold. C’est un sport traditionnel chez les mages. Après que le mouvement des droits civiques ait pris de l’ampleur, cette pratique a été abandonnée ces dernières années.

Expliqua Oliver alors qu’un mauvais pressentiment s’insinua dans son cœur. Sa démonstration terminée, Andrews se dirigea rapidement vers eux.

— Vous êtes donc venus, Mr. Horn, Miss Hibiya. Dois-je expliquer comment se déroule ce duel ?

— Quel est le motif derrière tout ça ? Qu’est-ce qui se passe ici ? Je pensais que nous allions avoir un duel.

Demanda Oliver, refusant de suivre l’exemple du garçon. Andrews ricana.

— Ne te fais pas d’illusions. Il n’y aurait aucun honneur pour moi à vaincre des gens inférieurs tels que vous sans handicap approprié.

Il fit un geste vers l’arène. Oliver grimaça. C’était donc vraiment son plan.

— Ainsi, ce sera un deux contre un. L’équipe qui en tuera le plus pendant la chasse aux kobolds sera victorieuse. Un simple duel serait trop enfantin. Je dois au moins vous donner une chance de gagner.

Se vanta Andrews, en imposant son autorité sur eux. Oliver doutait que ce soit vrai cependant, même si deux contre un sonnait comme un avantage, il était clair qu’Andrews était un expert dans ce sport. Oliver, quant à lui, ne connaissait que les règles générales, et Nanao n’avait jamais vu un kobold de sa vie. La différence d’expérience n’était pas le seul problème, cependant. Dans une chasse au kobold, l’élégance de la mise à mort était le clou du spectacle. Pour cette raison, les chasseurs devaient rester indemnes. La moindre blessure entraînait la disqualification immédiate. Cela mettait Nanao dans une situation désavantageuse. Comme elle n’avait pas encore appris de sorts offensifs, elle allait devoir se battre au corps à corps. Elle ne pouvait pas repousser une horde de kobolds attaquant de toutes parts sans dégâts.

— …Alors c’est pour ça, huh ?

Oliver réalisa alors le plan exact d’Andrews. Tout en ayant l’air d’être juste et de leur donner un avantage à deux contre un, la vérité était que les chances d’Andrews de perdre étaient extrêmement faibles. Oliver savait en arrivant que ça n’allait pas être en leur faveur puisque leur adversaire pouvait choisir l’arène, mais c’était encore plus astucieux qu’il ne l’avait imaginé.

— ……

Pourtant, Oliver pensait qu’accepter ça était peut-être le meilleur plan à suivre.

La situation n’était pas si simple que seule la victoire puisse tout résoudre, alors peut-être que si Andrews sortait vainqueur, Oliver pourrait en profiter pour améliorer leur relation. Contrairement à ce qui s’était passé auparavant, lorsqu’il avait accidentellement laissé échapper sa réticence à se battre, il pouvait faire en sorte qu’une défaite semble tout à fait naturelle dans cette situation.

Une fois qu’il fut sur le point de prendre une décision, il jeta un coup d’œil à Nanao qui se tenait à côté de lui. L’un des élèves de deuxième année était en train de réaliser une autre démonstration pour chauffer la foule jusqu’au début du duel. Nanao les regardait en silence, sans même sourciller.

— Hé, l’arbitre ! La proie s’enfuit dans le coin !

— Ah, mes excuses. Cela arrive avec les plus lâches.

L’étudiant concurrent s’était plaint, et le deuxième année faisant office d’arbitre entra dans l’arène, se dirigeant vers un kobold qui s’accrochait aux barreaux fermés et qui pleurait. Il avait complètement perdu son sang-froid après avoir vu ses frères tués de près.

— Hé, toutou, arrête de pleurnicher et retourne au combat ! DOLOR !

L’étudiant lança un sortilège de douleur, faisant rouler le kobold hurlant sur le sol. Il leva à nouveau la baguette, et le kobold bondit avant que le garçon ne puisse lui administrer une seconde dose. Sans moyen de s’échapper, il courut dans l’arène en tremblant.

Voilà, c’est fait. Quand même, tu devrais les tuer avant qu’ils aient la chance de s’enfuir.

— Bordel, dressez ces foutus chiens au moins !

Répondit l’autre avec irritation, puis il pointa son athamé vers le kobold qui se dirigeait vers lui. Avant que la créature ne puisse l’atteindre, il lui coupa une jambe avec un sort, la faisant trébucher. Cependant–

— Whoa !

Le kobold profita de son élan pour bondir vers l’avant, grinçant des dents. L’étudiant réussit de justesse à esquiver, et le kobold brisa ses mâchoires à l’endroit où se trouvaient ses pieds. Ce n’était pas très gracieux, et le public éclata de rire.

— Ha-ha-ha ! C’était chaud, hein ?

— Hé, tu as deux jambes ! Aie un cœur et laisse le chien en avoir une !

Des huées brutales fusèrent de la foule. Ce n’était pas inattendu, car ils n’étaient pas que là pour regarder une prestation d’art époustouflante. Tout le monde voulait voir d’horribles incidents et des problèmes inattendus, entre autres, plus le sang était versé, plus ils étaient excités.

— ……

— Qu’y a-t-il, Nanao ?

Elle était de plus en plus sur les nerfs. Ignorant son inquiétude, Nanao fit silencieusement quelques pas en avant, inspira profondément, et…

— Assez !!! …

Comme un éclair, elle rugit. Les ondes sonores explosives avaient fait résonner toutes les oreilles humaines du Colisée.

— Qu’est-ce qu’il y a de si amusant ?

Dans ce silence soudain, Nanao s’adressa au public. Sa voix n’était pas particulièrement forte, mais ses mots atteignaient mystérieusement les oreilles du public sans problème. Comme ce sur champ de bataille où elle faillit y passer, sa voix se fraya un chemin à travers tous les sons parasites avec autorité.

— Laissez-moi vous le redemander : Qu’est-ce qu’il y a de si amusant ? Ces créatures n’ont aucune volonté de se battre, mais vous les forcez à entrer dans une arène en compétition pour voir qui peut en tourmenter et en tuer le plus. Non seulement cela, mais l’écrasante majorité d’entre vous ne risque même pas sa propre sécurité, se contentant de regarder d’en haut. N’avez-vous aucune idée de la vulgarité dont vous faites preuve ?

Son regard balaya les tribunes. Même s’ils venaient de pays différents, en tant qu’épéistes, ils devaient avoir le même code d’honneur.

— N-Nanao est en colère…

Balbutia Katie depuis un coin de la tribune feutrée. Depuis le début de la démonstration d’Andrews, elle s’opposa farouchement   à   la   chasse aux kobolds. Mais maintenant, elle s’arrêta et resta bouche bée devant le spectacle s’offrant à elle. Guy, Pete et Chela se joignirent à elle.

— …je ne l’ai jamais vue comme ça.

— Oui, et dans un environnement aussi hostile…

Chela regarda autour d’elle. La foule, abasourdie par cette soudaine réprimande, reprit lentement ses esprits et avait commencé à froncer les sourcils, contrariée et de plus en plus hostile.

— Elle se prend pour qui celle-là ?

— Ha-ha, regardez-moi cette première année qui se croit forte.

— La ferme ! Si tu ne veux pas te battre, rentre chez toi !

— Ouais, ouais ! On est venus ici pour voir du sang ! »

Ils avaient répondu par des cris féroces, comme s’ils essayaient de dissimuler tout sentiment de culpabilité, et le silence temporaire fut rompu.

— ……

Nanao se tint résolument parmi la pluie d’insultes. Elle avait beau attendre, il semblait qu’ils n’avaient que des mots pour la combattre. La foule, assise sur ses hauts sièges, lançait à la jeune fille toutes les insultes possibles, mais

personne n’avait osé descendre dans l’arène pour faire taire l’impertinente prétendante. Même après avoir mis en doute leur honneur, ils ne restèrent que des spectateurs. Il s’écoula plus de temps qu’il n’en faut pour qu’elle le confirme, et finalement, Nanao tourna les talons.

— Partons, Oliver.

— Nanao…

— Il n’y a pas de bataille qui vaille la peine de dégainer nos épées ici.

Et avec ça, elle commença à quitter le Colisée. Aux yeux d’Oliver, elle semblait plus seule que jamais et Il ne put dire un mot. Derrière lui, une voix troublée se mit à crier :

— S-stop, Miss Hibiya ! Il ne faut pas partir comme ça !

Andrews se précipita alors qu’elle s’apprêtait à partir. Oliver pressa une main sur sa tête. S’il avait été à la place d’Andrews, il aurait peut-être fait la même chose. Mais après avoir vu son discours, il savait qu’aucune exhortation au monde ne parviendrait à la faire participer à la chasse aux kobolds. Il devait trouver un compromis avant que les choses ne se compliquent.

— …Mr. Andrews, je sais qu’il faut beaucoup de préparatifs pour cela, mais honnêtement, je n’ai aucun intérêt pour les chasses aux kobolds moi- même. Ne pouvons-nous pas simplement avoir un duel normal ? Nanao accepterait avec joie.

— Quelle insulte ! As-tu vraiment la moindre idée du nombre de ficelles que j’ai dû tirer pour mettre tout ça en place ?!

Des postillons s’échappaient du bord des lèvres d’Andrews alors qu’il était en colère. Dans l’esprit d’Oliver, c’était la faute d’Andrews pour ne pas les avoir consultés au préalable, mais il pouvait compatir avec quelqu’un qui s’était laissé peu d’options. La foule était trop nombreuse, trop excitée pour accepter autre chose que ce qui leur avait été promis. Les décevoir aurait été un suicide social. En même temps, Andrews n’était pas le seul à vouloir éviter cela. Une

horde de première année familiers marchait devant la fille qui essayait de sortir par où elle était venue.

— Retourne là-dedans, samouraï.

— Pas question de te laisser partir.

— Ou tu préfères qu’on te refasse le portrait d’abord ?

La bande d’étudiants avait lancé un regard menaçant à Nanao. La plupart d’entre eux étaient les mêmes que ceux qui avaient intimidé Katie il y a quelques semaines. Ils avaient probablement poussé Andrews à l’action. Nanao sourit à la menace de la force.

— …Oui, c’est exactement ce que je préférerais.

Dit-elle avec un souffle de soulagement ironique. Elle posa sa main sur le fourreau de son sabre, et une énergie nerveuse parcourut la bande. Contrairement à ce qui s’était passé en cours, les athamés des deux camps étaient maintenant aiguisés. S’ils se battaient ici, le sang allait couler.

— V-vous allez vous battre ?

— …Amenez-la !

— Hein ? Attends, on va vraiment faire ça ?

— Peut-être que tu n’es pas prêt, mais elle, elle l’est !

Ils avaient bêtement supposé qu’elle reculerait s’ils venaient en groupe. Les élèves avaient visiblement reculé devant son insistance à se battre. Oliver soupira devant leur naïveté. Si elle l’avait voulu, Nanao aurait déjà pu en éliminer la majorité.

— …Ils ont vraiment des comptes à régler, hein ?

— Ça ne fait aucune différence pour moi. Mais combien de temps devons- nous continuer à attendre comme ça ?

Les deuxième année chargés d’occuper la foule commençaient à se méfier. Le public ne pouvait être satisfait qu’un certain temps avant de commencer à exiger l’attraction principale.

— … ? Hé, les prochains ne sortent pas de leurs cages !

— Encore ? Bon, je vais les chercher !

Un concurrent s’était plaint, convoquant à nouveau l’arbitre. La gestion des kobolds était la partie la plus longue du travail, il n’était donc pas rare qu’ils soient sollicités encore et encore. Pourtant, si cela se produisait trop souvent, l’excitation de la foule allait retomber. Maniant son athamé dans sa main droite, l’étudiant jeta un coup d’œil dans la cage. Dans un coin sombre, il pouvait voir cinq kobolds recroquevillés et tremblants. Il secoua la tête. Ils avaient déjà mélangé des stimulants à la nourriture des kobolds pour éviter cela, mais le groupe d’aujourd’hui semblait particulièrement docile.

— Hé, sors d’ici ! Tu veux que je te frappe– ?

Au moment où il les menaça avec son épée, une paire d’yeux brillants apparut dans l’obscurité en face des kobolds recroquevillés.

— Huh ?

Surpris, il fit pivoter son épée vers la chose. Il ne devait en rester que cinq dans la cage, pensa-t-il distraitement. Lorsqu’il sentit le vent et la présence, il était trop tard. L’instant d’après, il valsa dans les airs au-dessus de l’arène.

— …Huh ?

L’arbitre glissa sur le sol, du sang coulant de ses lèvres, puis ne bougea plus. L’autre étudiant dans l’arène pâlit quand vit ce qui se passa ensuite.

— KRRRRRR..

Une bête magique seule grogna et apparue dans l’obscurité d’une cage. Ce n’était pas un kobold. À la lumière, on pouvait voir qu’il faisait plus de deux mètres de haut. Des muscles souples recouvraient son corps humanoïde et ses longs membres. Il n’était pas difficile d’imaginer à quel point cette chose était forte. Ses serres étaient acérées, et le bec sur sa tête ressemblait indéniablement à celui d’un rapace. Les plumes qui devaient autrefois recouvrir son corps étaient maintenant en grande partie tombées, laissant apparaître des morceaux de peau.

— Attendez, c’est quoi ce bordel ? Hey, l’arb–

Face à une menace inattendue, il se tourna vers l’arbitre pour y faire face–- une erreur fatale. Se concentrant sur sa prochaine proie, la bête se précipita en avant. Sa vitesse dépassa de loin tout ce que l’étudiant avait imaginé, et en conséquence, il fut pris presque complètement au dépourvu.

— Guh !

Le garçon tente d’attaquer avec son épée, mais les serres de la créature passant sous sa poussée paniquée, s’enfoncèrent profondément dans son estomac. Avant même qu’il ne puisse ressentir la moindre douleur, la bête recula sa jambe, quatre serres toujours serrées.

— Gaaaaaaaahhhh !

Un cri jaillit de la gorge du garçon. Quelques secondes avant de s’évanouir de douleur, il vit ses propres entrailles être arrachées de son torse.

— … ?!

— Hé, c’est mauvais !

— Contrôlez ce truc !

Comprenant que les choses n’allaient pas, le reste des référents de deuxième année sautèrent dans l’arène avec leurs athamés à portée de main. Ils avaient lancé une série de sortilèges, tous dirigés vers la bête au centre de l’arène, là où gisait le corps du garçon.

— KIYAAAAAAAAAH !

Son cri était assourdissant. Le coup de vent féroce produit par la bête traversa l’arène, détruisant tous les sorts. Les deuxième année se figèrent de peur. La bête les observa, les yeux brillants.

— B-bon sang !

— C’est parti ! Préparez-vous !

Les mages passèrent sur la défensive, réalisant la puissance anormale de la bête. Les sorts volaient chaotiquement dans l’air, mais la bête ne s’arrêta pas

une seule seconde. À chaque coup de griffe, le sang jaillissait telle une énorme éclosion rougeâtre. Une véritable bataille commença, signalant la fin de l’ère du respect et des règles de la compétition.

— Oliver, qu’est-ce que c’est ? demanda Nanao en se retournant.

— Un Garuda[1]…

[1] Homme oiseau fabuleux de la mythologie hindouiste puis bouddhiste. Garuda signifie « aigle ». Dans ce LN, cette créature provient de la région de l’Indus.

Murmura Oliver, distrait. Il n’essaya même pas de cacher le tremblement dans sa voix. À chaque seconde qui passait, un autre deuxième année tombait sous les griffes de la bête.

— C’est une bête magique humanoïde à tête d’oiseau qui vit dans les hauteurs de l’Indus. Ils possèdent un corps robuste et une grande résistance à la magie, et on dit que leurs ailes sont bénies par les éléments du vent et du feu… Je n’en ai jamais vu auparavant.

Oliver regarda autour de l’arène pendant qu’il expliquait. Il lança un regard perçant au garçon qui se tenait debout, abasourdi, à proximité.

— C’est de votre fait, Mr. Andrews ?

— C-comment le saurais-je ? Personne ne m’a parlé de ce monstre… !

Il secoua la tête avec force. Oliver serra les dents. Il aurait préféré que ce soit un piège de sa part.

— Donc personne ne contrôle cette chose ? … C’est insensé…

Pendant ce temps, l’oiseau démoniaque de l’Indus se déchaînait, à la recherche de sa prochaine victime. Plus de la moitié des vingt deuxième année en charge furent noyés dans une mare de sang. Dans sa frénésie, le Garuda défonça certaines des barres de fer de l’arène, libérant des kobolds effrayés qui grimpaient frénétiquement dans les tribunes pour échapper à une mort imminente.

— Merde ! Reste à l’écart, maudit chien ! Recule !

— Tu veux que je te brûle avec de la magie ?!

— GAAAAAHHH !

Les kobolds ne s’arrêtèrent pas même avec des baguettes pointées sur eux. Ils chargèrent dans le public, préférant faire face aux baguettes plutôt que de rester en bas. La panique éclata au premier rang. En tant que bêtes magiques, les kobolds étaient faibles, mais une meute fuyant pour leur vie était trop pour la plupart des étudiants de première année. Mais même cette scène chaotique était idyllique comparée à la tragédie qui se déroulait au centre de l’arène. Oliver sortit son épée par peur.

— Les kobolds et les trolls ne sont rien comparé au Garuda ! Cria-t-il —- C’est un familier de type mythique ! Les première et deuxième année ne peuvent pas gérer un monstre de ce niveau !

Soudain, il sentit une présence au-dessus de sa tête et leva les yeux. Il fut interloqué. Sur le toit du Colisée s’élevait un message écrit avec du sang.

« Comment veux-tu être chassé ? »

Ce message le frappa comme un éclair, et Oliver comprit exactement ce qui se passait. De l’autre côté, les étudiants qui tentèrent d’arrêter Nanao plus tôt avaient succombèrent à la terreur et se jetèrent contre les portes.

— Les portes ! Elles ne s’ouvrent pas !

— C’est une blague ?! Quelqu’un ! Quelqu’un, ouvrez !

Des élèves de deuxième année accoururent et scandèrent le mot de passe, mais les portes ne bougèrent pas. Les étudiants pressèrent leurs mains sur l’entrée, le visage tordu de désespoir.

— Ça ne sert à rien. Elles sont verrouillées avec un autre sortilège !

— Je n’arrive même pas à comprendre cette formule. Nos sorts de crochetage ne font pas effet !

Ils se tinrent debout, désabusés par une magie qui les dépassait, tandis que les première année essayaient encore plus fort d’ouvrir les portes. Soudain, le bruit de quelque chose qui dégoulinait vint de derrière eux. Effrayés, ils se retournèrent et virent ce qui semblait être les tripes d’un deuxième année fraîchement vaincu qui leur fut jetées à leur pied.

— Wa-waaaaahhhh !

— Faites quelque chose ! Dépêchez-vous ! Dépêchez-vous ! Vite, vite !

— On peut enfoncer la porte avec de la magie ?!

— C’est le labyrinthe ! Les portes ne sont pas si fragiles !

— Alors qu’est-ce qu’on fait ?

— On va mourir ! Si on ne se dépêche pas, cette chose va tous nous tuer !

Une cacophonie de cris et de gémissements éclata. Alors que les étudiants paniquaient, les serres de l’oiseau transpercèrent un autre étudiant de deuxième année, qui s’effondra sur le sol. Le Garuda ne s’arrêta que pour achever ses victimes. Son regard balya la zone, pour finalement se concentrer sur le groupe rassemblé devant les portes. Il avait repéré sa prochaine cible.

— FOOOOOOO…

En contraste total avec son comportement précédent, le Garuda s’approcha lentement. Que ce soit pour préserver son énergie ou parce qu’il n’avait pas besoin de se précipiter contre des êtres aussi faibles, c’était impossible à dire. Le sable se soulevait sous ses pas, comme les cliquetis d’un pendule qui décomptait le massacre des première année.

— Ah… Urgh…

Andrews resta immobile alors qu’il se rapprochait. Il ne pouvait même pas prendre une posture basique, et la pointe de sa lame dans sa main droite trembla violemment. Oliver le remarqua.

— Ressaisissez-vous, Mr. Andrews ! Cria-t-il —- Il chasse d’abord les plus craintifs !

— Uh-uuuhhh… !

Comprenant qu’un combat ne pouvait être évité, Oliver éleva son épée en une garde intermédiaire et fit face à l’oiseau démoniaque. Sentant sa volonté de se battre, le Garuda s’arrêta. Ses yeux de rapace pivotèrent entre les deux garçons, les évaluant–- jusqu’à ce que l’un d’eux succombe à la pression.

— Yeek ! U-uwaaaah !

— Andrews !

Le garçon tourna le dos à l’oiseau démoniaque et courut. Presque au même moment, le Garuda se lança en avant. Ses serres, capables d’écraser des lances et d’arracher des boyaux, se précipitèrent droit vers le dos d’Andrews. Oliver n’aurait jamais pu arriver à temps.

— Halte !

Mais au moment où une nouvelle fontaine de sang était sur le point de jaillir, la lame d’une fille intervint. L’impact se répercuta sur ses poignets, ses épaules et ses hanches jusqu’à ses jambes plantées contre le sol comme les racines profondes d’un arbre géant.

— C’est un déshonneur d’attaquer un adversaire en fuite.

Murmura la jeune fille alors que sa lame luttait contre les serres du Garuda, le repoussant à peine. Dans ses yeux, il n’y avait aucune once de peur, ni même de malice. Elle accueillait son adversaire avec la joie d’une guerrière.

— C’est moi qui vais te combattre. Par ici, Garuda, espèce d’oiseau monstrueux !

— KUUUUUUU…

Du mana translucide coulait dans ses cheveux, les rendant blancs. Après une longue lutte, l’oiseau démoniaque retira sa patte et sautilla en arrière. Nanao leva à nouveau son épée en position haute, et ils se firent face en silence pendant quelques secondes. Pas un mot ne fut prononcé, mais il semblait y avoir une sorte de compréhension mutuelle entre eux.

— En garde !

— KEEYAAAAAAAH !

Dans une synchronisation presque parfaite, ils se lancèrent l’un sur l’autre.

— Haaaaaaaaaah !

— KEEYAAAAAAAH !

Une patte d’acier s’élança instantanément, ses serres étant capables de mettre fin à une vie en un seul coup. L’attaque à pleine puissance du Garuda aurait facilement mis en lambeaux un corps humain frêle, mais Nanao se défendit avec son épée. Le Garuda déclencha un coup de pied croissant, qu’elle avait instantanément repoussé. Il abattit ensuite ses serres dans un coup de pied puissant comme une hache, qu’elle attrapa et laissa glisser sur le bord de sa lame. À cet instant, une ouverture apparut, dans laquelle elle glissa une contre- attaque tranchante.

— Hiyah !

— KEEYAAH !

Même pour les mages témoins, cela ressemblait à une scène surréaliste. C’était si différent des combats qu’ils connaissaient. Les chasses aux kobolds étaient connues pour l’élégance plus qu’autre chose, mais rien de tout cela ne se trouvait ici. Devant eux existait un avatar de lame d’une pureté et d’une simplicité insondables, comme une sorte de miracle.

— KEEYAAAAAAH !

Mais le Garuda était un familier magique alors Il défiait toute logique. Il fallait s’appuyer sur plus que de simples attaques physiques. En réponse à son invocation, le vent autour de lui commença à rugir. Le Garuda s’éleva du sol et déploya ses ailes, soulevé par un puissant courant ascendant.

— KEEYAAH !

— Mm ?!

Profitant du vent arrière, il décocha un coup de pied en plein vol. Mais contrairement au sol où il avait une jambe en appui, dans les airs, il pouvait attaquer avec les deux jeux de serres à la fois, un mouvement aérien qui n’était pas possible avec un corps humain. Même Nanao, qui avait repoussé ses attaques féroces avec seulement son sabre, ne pouvait pas juger de l’étendue de cette nouvelle attaque.

EXTOL DEITOR !

Juste avant l’impact, une force horizontale poussa son corps hors de la trajectoire des serres. Oliver, en inversant le sort de traction qu’il avait déjà utilisé dans son sketch de comédie magique, lui sauva la vie. Le Garuda ne subit aucun dégât, mais le sort avait rempli son rôle.

— KEEYAAH !

— Le voilà !

Réalisant qui avait interféré, le Garuda atterrit et changea de cible pour Oliver en s’élançant avec une vitesse incroyable. Oliver dut réprimer de force son instinct qui l’urgeait de lancer un sort. Il savait déjà que la plupart des attaques basées sur des sortilèges étaient inutiles face à sa barrière de vent.

— Hah !

Sachant cela, Oliver s’élança vers le Garuda qui arrivait. Juste avant l’impact, il activa un sort spatial et le sol sous ses pieds s’inclina à quatre-vingts degrés. Il s’accroupit pour prendre appui afin de s’élancer dans une nouvelle course tout en se baissant. C’était la position de terre du style Lanoff : Impulsion tombale[2]. En manipulant le sol, il fut capable de modifier instantanément sa position.

[2] En anglais, Grave step

Le Garuda essaya de frapper Oliver dans l’abdomen, mais ses serres passèrent juste au-dessus de sa tête. Soudainement, le Garuda et lui se retrouvèrent à une très faible distance. Oliver posa sa main gauche sur le sol pour éviter de basculer complètement en avant, puis il tenta une frappe sur la patte d’appui de l’oiseau démoniaque.

— KEEYAH ?!

— Haah !

Il visait ce qui aurait été une cuisse pour un humain, évitant les sections couvertes par des serres et des écailles résistantes. Au moment où son épée entra en contact avec sa chair, le Garuda fit un bond sur une jambe tout en lançant un puissant coup de pied.

— Guh… ?!

Oliver fut pris au dépourvu par la sensation de sa lame tranchant à travers l’air. Après s’être échappé, le Garuda fit un saut périlleux, soutenu par un courant d’air, et atterrit avec grâce à une bonne distance. Une petite quantité de sang s’écoulait de l’égratignure sur sa jambe. L’attaque-surprise du garçon s’arrêta malheureusement juste avant de trancher la chair.

— La blessure est trop superficielle… !

— Oliver !

De retour sur ses pieds, Nanao courut vers Oliver et se plaça à côté de lui, son épée à mi-hauteur. Oliver prit une position intermédiaire aussi, et ils firent face à l’oiseau démoniaque ensemble.

— Ne fonce pas sans plan ! Je te l’ai dit, les éléments de vent et de feu protègent le Garuda !

Dit-il sévèrement. Ils ne pouvaient pas simplement juger de ses capacités en se basant sur ce qu’ils pouvaient voir–- c’était une règle d’or d’un combat contre une bête magique de haut niveau. Dans le cas du Garuda, même s’il leur ressemblait avec ses deux bras et ses deux jambes, avec l’aide du vent, ses mouvements défiaient facilement les lois de la physique. Son avertissement fut prouvé par la réalité des faits et Nanao hocha la tête.

— Mm, je l’ai senti moi-même… C’est un vrai yôma[3].

[3](Yôma (妖魔) ou (鬼に金棒) désigne un Yokai ou un démon dans le folklore japonais qui est invaincu ou qui peut aussi exprimer quelque chose de puissant au-delà de ce qui est connu).

Pendant ce temps, Chela et les autres regardèrent le match à mort depuis les tribunes en proie au chaos.

— …Nanao est partie affronter ce Garuda frontalement. Elle est pleine de surprises… !

Murmura Chela, avec une expression étant un mélange d’admiration et de peur. Guy se tint désespérément debout pour ne pas être emporté par le flux d’étudiants en panique, ses yeux rivés sur l’arène.

— Hey, on doit les aider ! Cria-t-il —- Les deuxième année sont au sol !

— Oui ! Attendez, vous deux ! J’arrive–

Guy et Katie voulurent se jeter dans la bataille, mais Chela tendit brusquement son bras. Toujours dos à eux, elle leur cria dessus comme jamais.

— Aider ? Vous pensez que vous pouvez les aider dans ce combat ? Ne soyez pas ridicules.

— Qu— ? Nous pouvons au moins les assister avec de la magie.

— Ça ne marchera pas. Vous avez vu comment il a massacré les deuxième année, n’est-ce pas ?

Dit Chela, en regardant la mer de sang qui se répandait dans l’arène. Dans son esprit, elle pouvait voir clairement ses amis courir à leur perte.

— Si tu t’approches, tu finiras comme eux. Non, en fait, Oliver et Nanao vont essayer de te protéger… Je n’ai pas besoin d’expliquer la suite, n’est-ce pas ?

Interloqué, elle disait qu’ils seraient plus une gêne qu’une aide. Katie ne pouvait pas le nier, mais elle ne voulait toujours pas abandonner.

— Mais… Mais qu’en est-il de toi, Chela ?! Même si nous ne pouvons rien faire, peut-être que tu…

TONITRUS !

Un sort la coupa. L’électricité jaillit de l’athamé de Chela et frappa un kobold qui était sur le point de se jeter sur Katie. Le demi-humain s’effondra en convulsions. Ses amis restèrent bouche bée, et Chela se mordit la lèvre.

— Si seulement je pouvais. Mais essayez de vous calmer. Si je vous laisse ici, qui vous protégera de ces bêtes ?

Demanda-t-elle en faisant des gestes autour d’elle. Plus de dix kobolds frénétiques se rapprochaient, cherchant la meilleure occasion de planter leurs dents dans les étudiants. Il y avait même un Warg parmi eux qui devait s’être échappé d’une autre cage, ou qui avait dû être lâché sur eux par celui qui avait mis en place ce chaos. Dans tous les cas, c’était un ennemi de plus qu’ils devaient repousser.

— Maintenant, dégainez vos athamés. Concentrez-vous sur votre protection et croyez en nos amis. C’est tout ce qu’il y a à faire !

Dit-elle résolument, la première à préparer son épée. Elle avait promis à Oliver de protéger le groupe. Elle fixa les kobolds, les tenant à distance, tandis que du coin de l’œil, elle surveillait le combat à mort dans l’arène.

— Je te fais confiance, Oliver… chuchota-t-elle.

Les serres de l’oiseau démoniaque élevèrent un nuage poussière en s’enfonçant dans le sol. Oliver avait réussi à esquiver et, alors qu’il se préparait à la prochaine attaque, il cherchait désespérément un moyen de s’en sortir.

—   Huff… Huff… !

Pendant qu’il se battait avec la magie et l’épée, il analysait les mouvements de l’ennemi. La différence entre leurs capacités physiques était claire, tant qu’ils se battaient à portée de ses coups de griffe, il n’y avait pas une seule attaque contre laquelle ils pouvaient se défendre complètement. De plus, tous les sorts qu’il lançait étaient bloqués par la barrière de vent divin de la bête. Même son attaque-surprise impliquant l’utilisation d’une technique d’art de l’épée avait manqué de peu de porter un coup fatal.

La seule bénédiction dans cette situation désastreuse était que le Garuda avait été affaibli afin d’obéir au mage auquel il servait. Les étendues de plumes cruellement arrachées en étaient la preuve. Par conséquent, le Garuda ne pouvait pas utiliser l’autre élément pour lequel il était connu : le feu. Si ce n’était pas le cas, Nanao et lui auraient été déjà morts depuis longtemps.

— Haaaaah !

— KEEYAAAAAH !

Nanao se confronta au Garuda, prenant la place d’Oliver en première ligne. Ses seuls choix étaient d’éviter ses attaques avec de la technique ou de parer d’une manière ou d’une autre, alors le fait qu’elle fonçait tête baissée était la chose la plus stupide qu’il ait jamais vue. Il supposait que le flux inconscient de magie en elle était ce qui lui permettait de le faire, mais quand il considérait le terrible coût que cela représentait pour son petit corps, il se demandait combien de temps elle pouvait tenir.

— …… !

Il n’y avait aucun espoir d’aide de la part d’autres étudiants. Même les étudiants de deuxième année, sans aucun doute compétents, avaient été abattus dès le début de la bataille. Les étudiants de première année qui mouillaient leur pantalon de peur ne valaient pas la peine d’être considérés. Que pouvait-il espérer de gens qui avaient couru le long des gradins, pour aller trembler devant l’entrée ?

Son seul allié fiable, Chela, s’occupa à la défense de ses amis contre les kobolds et il était d’accord avec sa décision. Si elle laissé Katie, Guy et Pete derrière elle ou qu’ils venaient dans l’arène ici, il ne voyait pas comment ils s’en sortiraient sans un mort. Pour les première année qui manquaient d’expérience au combat, l’arène était un véritable bain de sang. Les seuls ici qui pouvaient repousser le Garuda étaient Nanao et lui. Et à partir de cette analyse, un plan spécifique se forma dans son esprit. Cependant, il ne pouvait pas nier qu’il avait, au mieux, un peu moins de 50% de chance de réussir.

— Guh… !

Il n’avait pas réussi à esquiver un coup de griffe, et les serres du Garuda lui avaient entaillé le côté. Une douleur brûlante traversa son corps. Nanao se précipita rapidement à son secours et réussit à empêcher la seconde attaque de le tuer. Oliver fit claquer sa langue en se repliant. La blessure était trop profonde pour être ignorée. Il pouvait ignorer la douleur, mais alors sa blessure s’ouvrirait davantage. Il n’avait pas le temps de se soigner complètement, mais peut-être pouvait-il au moins réparer la peau en surface. Sa décision prise, il pointa son athamé sur la blessure et du coin de l’œil, il aperçut un garçon familier sur le sol. Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent.

— Mr. Andrews ?! Il ne faut pas rester là ! À l’abri vite !

— …Ah… Ugh…

Le garçon pouvait à peine former des mots. Oliver appuya à contrecœur sa main contre sa blessure et courut vers lui. Il était moins préoccupé par sa sécurité que par le fait qu’il pourrait perturber la concentration de Nanao. Gardant un œil sur elle alors qu’elle continuait à se battre, il tira Andrews par la main et sauta dans une des cages vides du Colisée.

— Guh… !

Une fois à l’intérieur, il se mit à genoux et relança rapidement un sort de guérison. Andrews le fixait tandis qu’il serrait la mâchoire de douleur.

— Vous n’avez pas peur tous les deux… ?

Demanda-t-il, la voix tremblante.

— Quoi ?!

La question était si stupide qu’elle lui fit oublier la douleur pendant une seconde. Quel première année n’aurait pas peur de cet oiseau démoniaque ? Oliver voulut s’en prendre à Andrews, mais il se retint. Ses yeux se concentrèrent sur la fille qui continuait à se battre loin d’eux.

— Non… Je doute qu’elle ait peur.

Nanao échangeait coup pour coup avec le Garuda, sans jamais faiblir ou reculer. Cela lui rappela la nuit où elle essaya de se mêler à une bagarre entre les deux élèves plus âgés, mais c’était un peu différent désormais. Nanao ne cherchait plus à mourir. Elle était la guerrière parfaite, avec un ennemi puissant à vaincre devant elle et des gens à protéger derrière. Et cela lui procurait de la joie.

— Nanao préfère combattre une bête magique déchaînée en un contre un plutôt que de tuer des dizaines de kobolds apeurés. C’est sa façon de manier l’épée, Mr. Andrews.

— …… !

— Stupide, pas vrai ? Je le pense aussi… Même maintenant, j’ai une peur bleue. Quand je pense à retourner dans cette arène, je commence à souhaiter à ce que ma blessure ne se referme pas. Si ses actions sont héroïques, alors les miennes sont ordinaires.

Oliver ne put empêcher les mots de venir alors qu’il attendait que sa blessure guérisse un peu. Il n’était pas exactement en train de réfléchir profondément. Les mots étaient juste sortis de sa bouche.

— Mais c’est pour cela que je ne peux pas l’abandonner. C’est Kimberly, pas le monde extérieur. Je dois lui apprendre à être ordinaire, sinon elle et son héroïsme s’éteindront plus tôt que prévu. Et c’est pourquoi je ne peux pas rester effrayé pour toujours.

Il se moqua de lui-même. Du coin de l’œil, il vit Andrews baisser la tête en silence. Soudain, Oliver se souvint de quelque chose.

— Elle voulait aussi voir vos talents d’épéiste, ajouta-t-il.

— … !

— Nanao était la plus excitée par le duel d’aujourd’hui. Il fallait la voir hier soir, sautillant comme un petit enfant la veille de Noël–- elle ne se souciait certainement pas de ce que je ressentais… C’est pourquoi la chasse aux kobolds n’était pas une bonne idée. Il n’a jamais été question de gagner ou de perdre. Elle est venue ici spécialement pour sentir l’impact de votre épée contre la sienne.

Si le duel s’était déroulé comme Nanao le souhaitait, ils auraient peut-être pu se comprendre un peu. Réalisant à quel point il était encore naïf, Oliver sourit amèrement. On ne pouvait rien pour lui. À quel point cette fille l’avait-elle influencée ?

— Nous deux, vous deux, nous continuons tous à nous manquer d’une manière ou d’une autre… même si nous voulons tous apprendre à nous connaître davantage.

Marmonna-t-il, tristement.

La blessure sur son côté étant maintenant refermée, Oliver prit une profonde inspiration et se mit sur ses pieds. Seule la surface était guérie, la douleur était donc encore intense, mais cela ne l’empêchait pas de faire ce qu’il devait faire.

— Mais tout ne se passe pas toujours comme on le souhaite, n’est-ce pas, Mr. Andrews ?

Demanda-t-il, avant de se retourner et de sortir de la cage en courant. Si l’expression d’Andrews avait changé ou pas, Oliver ne le vit pas.

— Par ici, oiseau démoniaque d’Indus !

— KEEYAAAAAAAH !

Oliver revint en courant dans l’arène et sauta directement entre Nanao et le Garuda. Il fut accueilli par une vague déferlante de coups de pied. Oliver fit une feinte en allant dans une direction puis dans l’autre, parvenant tout juste à les esquiver l’un après l’autre. Il n’allait pas se laisser mettre en pièces si facilement. Même s’il ne pouvait pas prendre le monstre de front comme Nanao, il avait un ou deux tours dans son sac.

— FRAGOR !

Immédiatement après avoir fait un bond sur le côté pour esquiver un coup de pied, il lança un sort explosif vers le visage de son ennemi. Juste avant qu’il ne soit repoussé par les vents protecteurs du Garuda, il l’enflamma.

— KEEYAAH ?!

La lueur éclata devant son visage avec un bruit terrible. La lumière vive brûla les yeux du Garuda, arrêtant momentanément la créature. Oliver en profita pour battre en retraite et se remettre en ligne avec Nanao pour ce qui semblait être la millième fois.

— On n’a pas assez d’endurance pour continuer comme ça. Finissons-en avec la prochaine attaque, Nanao.

— Compris. Quel est le plan ?

— Tu esquives son prochain coup de pied et tu te rapproches de lui pour lui donner le coup final. Je vais empêcher son vent de te repousser.

C’était bien trop bâclé pour être appelé un plan. Mais il n’avait pas le temps de l’expliquer en détail. Cependant, Oliver était tout de même prêt à ce qu’elle s’y oppose. Et pourtant, Nanao acquiesça sans hésiter.

— Très simple en effet. Le découper de toutes mes forces, vous dites ?

— Je suis content que tu sois d’accord, mais normalement, c’est là que tu me dis que je suis fou.

— Ah bon ? Votre yelglish est assez difficile à comprendre parfois, Oliver.

Ses sourcils se froncèrent dans la confusion. Oliver ne put s’empêcher de sourire maladroitement. Cela devait être l’un de ses talents également. Il n’arrivait pas à croire qu’il se sentait détendu dans une situation pareille.

— Je dirais que tu n’es pas si mauvaise en yelglish. Prête ? C’est parti !

— D’accord !

Ils avaient fait signe qu’ils voulaient en finir. Les yeux fixés sur l’oiseau démoniaque qui se trouvait sur leur chemin, ils se précipitèrent en avant.

— Haaaaah !

Nanao poussa un cri de guerrier en courant. Le Garuda décocha un coup de pied, qu’elle bloqua avec sa lame pour la sixième fois. Avec toute sa force et son âme derrière elle, elle triompha finalement des serres de la bête. Le Garuda retira sa patte et se recula. Quand Nanao se positionna pour l’attaque suivante, il s’éleva et s’écarta du chemin avec ses deux jambes, sautant dans les airs.

— KEEYAAH !

Il déploya ses ailes, provoquant des coups de vent. Survolant la bourrasque, il répéta l’attaque en plein vol avec son double coup de pied qui l’avait prise au dépourvu au début de la bataille, comme Oliver l’avait prévu.

— IMPETUS !

Il lança un sortilège de vent, visant le moment où les violentes bourrasques commençaient à tourbillonner dans le dos de l’oiseau démoniaque. Dans son esprit, il imaginait de mystérieuses montagnes géantes loin à l’est et les vents secs et glacés qui soufflaient sur les hautes terres rocheuses et sans vie. Sa vision lui permit de comprendre que le Garuda ne contrôlait pas les vents qui le protégeaient. C’était simplement une réponse automatique des élémentaires lorsqu’ils sentaient que la bête était en danger.

On ne savait rien de sûr sur les élémentaires, ces êtres qui existaient quelque part entre les marges des particules magiques et la vie. La biologie magique considérait des cas où les élémentaires habitaient un être vivant pendant de nombreuses années comme des exemples de relation symbiotique. En échange de la protection accordée au Garuda, ces élémentaires se nourrissaient du mana de leur hôte, créant ainsi une écologie de l’entraide. Cependant, bien qu’ils soient étroitement liés, ils n’étaient certainement pas le même être.

En règle générale, les élémentaires avaient tendance à se regrouper avec des élémentaires similaires. On pourrait dire que c’est leur instinct qui les poussait à devenir plus grands et plus forts pour stabiliser leur existence. Ainsi, une question se posait : Et si les élémentaires qui protégeaient le Garuda tombaient par hasard sur d’autres élémentaires ?

— KEEYAAH ?!

Il n’y avait qu’une seule réponse : la convergence. Le contrôle fin d’Oliver lui permit d’ajuster les flux magiques du vent pour qu’il ressemble à un autre élémentaire, faisant ainsi dévier les élémentaires du Garuda pour les fusionner avec son sort. Il s’agissait d’une technique de haut niveau connue sous le nom de magie de perturbation. Un vent capable de tromper les élémentaires qui ne pouvait être conjuré qu’au tout dernier moment, après qu’Oliver ait analysé toute leur bataille jusqu’à présent.

— Ohhhh !

Le Garuda, sans le soutien du vent qu’il attendait, bascula dans les airs et commença à tomber. Oliver anticipa cela jusque-là. Mais l’instant d’après, le mauvais pressentiment qu’il avait eu s’avéra.

— KEEYAAAAAH !

Deux vents violents jaillirent du dos de l’oiseau démoniaque. Tant que les élémentaires piégés par Oliver n’étaient qu’une partie d’un tout, il était naturel qu’ils se mettent rapidement à l’abri dans un autre groupe. Mais ce qui était terrifiant, c’était la rapidité avec laquelle cela s’était déroulé. Il a vite compris que le Garuda reprendrait pied avant que Nanao ne puisse frapper.

— Pas avec moi !

Il n’y avait pas de temps pour réfléchir. Il se jeta sur l’endroit que le Garuda voulait attaquer. Il allait probablement encaisser le coup, mais avec leur endurance limitée, c’était leur dernière chance. S’il n’était pas tué immédiatement, il renoncerait volontiers à une partie de son corps–- même un de ses membres ou une partie de ses tripes–- tant que Nanao pouvait porter le coup fatal. Oliver chargea en avant, prêt à mourir. Mais l’instant d’après, une masse d’air passa devant ses yeux. L’oiseau démoniaque bascula, pris de court par le souffle latéral du vent.

— … ?!

Ce n’était pas un tour de passe-passe comme la magie de perturbation. La force même de ce vent magique dispersa les élémentaires et balaya les pieds du Garuda juste avant qu’il ne puisse atterrir. Sa puissance destructrice dépassa tellement tout ce dont il était capable qu’Oliver fut convaincu d’avoir des hallucinations. Mais juste à ce moment-là, dans le coin de son œil, l’individu responsable apparut derrière le Garuda, à une légère distance de leur combat mortel.

Un garçon se tenait là, rassemblant son courage, son athamé à la main, faisant son possible pour ne pas s’effondrer en tremblant. Oliver, choqué et étonné, interpella une personne familière.

— Mr. Andrews !

— Haaaaaaaah !

Le Garuda tomba au sol, et cette fois, Nanao put se précipiter. Il tenta désespérément de donner un coup avec ses serres, mais celle-ci ne sourcilla même pas. Il ne lui vint même pas à l’esprit de tenter d’esquiver. Les serres déchiquetèrent sa chair comme une mandoline enveloppée dans une bourrasque de sang, la fille se rapprocha du Garuda, son sang comme ultime offrande. L’acier étincelait alors qu’elle tranchait la chair et les os du monstre. Sa frappe ascendante à mi-course sépara pour de bon la tête de son corps avant même qu’il ne puisse ressentir la douleur. La tête de l’oiseau démoniaque tomba et roula sur le sol.

Dans les quelques secondes avant que la vie ne le quitte et que la lumière ne disparaisse de ses yeux, la dernière vision gravée dans ses rétines fut la silhouette inspirante de la fille qui l’avait tuée. Quelques instants plus tard, le corps du Garuda en fit de même et bascula dans le sable. Les élémentaires du vent, ayant perdu leur hôte, avaient commencé à se calmer. Le public, qui tentait de s’échapper, et les kobolds, qui les attaquaient, avaient tous eu le souffle coupé devant cette scène. Le calme de la victoire remplit le vaste Colisée.

— Est-ce… Est-ce qu’elle… l’a fait ?

Demanda Andrews en tremblant, trop raide pour même abaisser son épée. Oliver se tourna vers son allié totalement inattendu et hocha la tête.

— Oui, elle l’a fait… Avec votre aide, Mr. Andrews.

Répondit-il sans rechigner. Après cette expérience contre le Garuda, Oliver savait à quel point il fallait du cran et de la concentration pour lancer un sort aussi précis à ce moment exact.

— Je vois. Ce dernier coup de vent était de votre fait, alors ? La pression a failli me faire perdre pied.

Dit Nanao en rengainant son épée et en s’approchant. Ses pas étaient fermes, mais son uniforme était déchiré en morceaux et taché de sang. Les deux garçons avalèrent leur salive en même temps même si cela aurait pu être pire au vu de l’âpre affrontement avec cet oiseau démoniaque.

— M-mais bien entendu. Je suis un Andrews. Personne ne peut me surpasser quand il s’agit de contrôler le vent…

Il essaya de jouer les durs, mais ne pouvait pas s’empêcher de frissonner après avoir sauté dans un combat à mort. Il s’agrippa désespérément à son épaule pour essayer de garder son bras immobile, mais Oliver secoua la tête. Ce n’était pas la peine. Ni lui ni Nanao n’étaient prêts à se moquer de lui.

— Grâce à vous, j’ai gardé toutes mes entrailles à l’intérieur. Permets-moi de vous remercier.

— …Tu as dit que vous vouliez voir mes talents d’épéiste, alors…

Répondit le garçon en hésitant. Oliver garda un ton léger dans le but d’apaiser l’état mental instable d’Andrews. En même temps, il scrutait le Colisée. Les élèves de deuxième année, voyant que le Garuda était mort, bondirent les uns après les autres dans l’arène pour s’occuper des victimes. Il poussa un soupir de soulagement en voyant qu’ils jetaient de la magie de soin sur la masse d’étudiants gravement blessés.

— Ce n’était pas… la mort qui me faisait peur.

— ?

Alors qu’Oliver s’approchait de Nanao pour soigner ses blessures, un murmure s’échappa des lèvres d’Andrews. Les mains tremblantes, il lutta pour rengainer son épée alors qu’il continuait.

— Enfin, disons que je pouvais accepter la mort, car elle est toujours proche d’un mage qui ne doit compter que sur lui-même. Je l’ai acceptée. Je suis prêt à l’affronter. Mais…

Il serra les dents. Ce qu’il craignait vraiment, qui était plus sombre et plus froid que la mort elle-même, brillait violemment au fond de ses yeux.

— ..Mais je ne pouvais pas supporter la déception et la pitié que j’aurais si je perdais. Les gens m’auraient traité comme un fils raté, la honte de la famille Andrews, et c’est la seule chose que je ne pouvais pas–

Il pouvait à peine supporter d’avouer cela. Né dans une famille prestigieuse et noble de mages comme les McFarlane et comparé à leur fille toute sa vie, il portait des cicatrices émotionnelles qui le faisaient encore souffrir.

— Comment peut-on ignorer tout ça… ? Comment peut-on vous dresser face à la supériorité ? Comment pouvez-vous vous jeter sans arrière- pensée dans une bataille alors que vous n’avez aucune idée des chances de gagner ? Comment… ?

Andrews se demanda cela sincèrement après s’être ouvert à eux deux. Peut- être, pour lui, que cela demandait-il bien plus de courage qu’il en avait fallu pour les rejoindre au combat contre le Garuda. Nanao réfléchit un peu, puis fixa son regard sur lui en répondant.

— On ne devrait pas connaître l’issue d’un combat avant que les épées ne s’entrechoquent. Je crois cela de tout mon cœur.

Dit-elle sans hésiter, comme le ferait un vrai guerrier. Elle partageait fièrement ces sentiments qu’elle avait forgés dans le feu de l’action.

— Les livres sur l’art de la guerre disent exactement le contraire, mais ce ne sont que les écrits d’un commandant militaire. Un guerrier sur le champ de bataille ne peut pas choisir son adversaire. On ne peut qu’accepter notre propre destin et croiser le fer avec ceux qui se tiennent devant nous. Que l’adversaire soit plus fort, plus faible, ou même totalement inhumain, nous n’avons pas le luxe de pouvoir choisir.

Acceptant son destin avec bravoure et sang-froid, elle parlait comme un moine azian ayant subi des années d’entraînement. Sa volonté était inébranlable, et laissant Andrews sans mots.

— Je peux ajouter que ma première bataille s’était terminée par une défaite totale. J’étais parti au combat sans savoir si je pouvais en sortir victorieuse. La victoire et la défaite sont comme des plats étalés sur une table. Une fois que l’on prend ses baguettes, il ne faut pas faire la fine bouche et prendre partout équitablement. Mon père, qui est mort dans cette bataille, me disait souvent cela.

Alors que Nanao parlait de souvenirs passés, ses yeux vacillèrent momentanément avec la nostalgie. Andrews resta immobile, submergé par l’émotion. Oliver fit un pas en avant. D’un côté, il avait un guerrier qui ne craignait pas même la mort et de l’autre, un mage qui avait peur de la honte. Leurs vies ne pouvaient pas être plus différentes, et pourtant il s’efforçait de combler le fossé.

— Personnellement, je ne suis pas d’accord avec Nanao. Il n’y a pas de honte à fuir un ennemi que l’on ne peut pas battre. Pour protéger ses amis, ou même pour sauver sa propre vie. Il y a de nombreuses situations où battre en retraite est la bonne décision.

— Oliver…

— Et les choses sont différentes pour toi maintenant, Nanao… Tu ne peux pas dire que tu n’auras pas le choix dans chaque combat à l’avenir. Se lancer sans considérer les détails de chaque situation n’est pas du courage, c’est juste de la violence. Tu dois apprendre à te retirer, si la situation l’exige. Enfin si seulement tu veux rester avec nous.

Dit-il en lui tapant sur l’épaule. Nanao hocha joyeusement la tête. Le destin va nous garder ensemble pendant un long moment… Oliver pouvait pratiquement le sentir en lui. Il tourna ensuite son regard vers Andrews.

— Cependant, un jour ou l’autre, il y aura un combat que vous ne pourrez pas éviter. Tant que vous visez les plus hauts sommets de la sorcellerie, c’est en partie votre destin. Et quand ce moment viendra, j’espère pour vous que vous ne vous dégonflerez pas parce que l’issue n’est jamais prédestinée.

Déclara Oliver avec conviction. Il savait mieux que quiconque que, malgré le talent dont on pouvait être doté, la voie du mage était un abîme, et qu’elle n’avait pas la gentillesse de distribuer des combats aisés.

— Nous ne sommes encore que des première année. Peu importe à quel point nous essayons de les éviter, nous sommes entourés de choses qui sont plus grandes et meilleures que nous. On peut se chamailler autant que nous voulons, mais ce sentiment de supériorité ne durera pas longtemps. Éventuellement, nous finirons par être confrontés à des monstres d’autres horizons, à des mystères qui défient l’entendement humain et à des vérités immuables. C’est dans ces moments-là que notre valeur réelle en tant que mages sera testée. À côté de cela, la critique de la société n’est qu’une note de bas de page.

Pendant qu’il parlait, Oliver pensait : il n’y a rien qui dise quelle voie magique il empruntera. Mais ça ne veut pas dire que je ne dois pas l’encourager.

— Tout cela mis à part, laissez-moi vous dire une chose : à la toute fin de cette bataille à laquelle on vient de survivre, vous vous êtes dressé contre le Garuda. Alors que presque tout le monde perdait la tête et essayait de s’échapper, vous avez gardé la tête haute et vous vous êtes battu. Je n’oublierai jamais le courage et la dignité dont vous avez fait preuve ici aujourd’hui, Richard Andrews.

— ……

Andrews accepta le compliment sincère, oubliant pour une fois d’être hautain. Comme en réponse aux paroles d’Oliver, Nanao dégaina son épée et la tint devant ses yeux à deux mains. Elle pointa le tranchant de la lame loin d’elle, et sa façade d’acier ondulé refléta le visage d’Andrews comme un miroir.

— …Que votre chemin soit béni par la lumière, et que les dieux se délectent du destin qui vous a été tracé. Et si le destin le permet, que le futur de mon compagnon d’armes soit aussi fier qu’un coup d’épée.

Sa prière n’était pas polie ni sophistiquée, mais elle était aussi directe et pure. Elle ressemblait à une sorte de rituel de son pays d’origine.

— Ah…

Un souffle sans paroles s’échappa de la gorge d’Andrews. Sa vision se brouilla rapidement alors qu’il sentait une certaine conviction monter en lui— Peu importe ce qui m’arrivera dans le futur, peu importe le destin cruel qui m’attend alors que je quitte l’Humanité pour étudier la magie, je n’oublierai jamais les mots que ces deux-là venaient de me dire. Je n’oublierai jamais le sursaut de fierté que j’ai ressenti à l’idée d’être appelé leur camarade. Je n’oublierai jamais, jusqu’au jour de ma mort.

— J’ai vu la tête du Garuda sauter ! Oliver, Nanao, vous êtes indemnes ?!

— Nous avons tué le warg, et les kobolds semblent s’être calmés. Ça va ?

Leurs amis vinrent en courant vers eux. Enfin, Oliver sentit la tension quitter son corps, et il expira profondément.

— vOuais, on va bien… Juste un peu à court de sang et de mana. Désolé, mais ça vous dérangerait de nous soigner ?

— Whoa, tu ne vas pas du tout bien ! s’exclama Guy.

— Ne parle pas— assieds-toi ! Allez !

— Qu-Qu’est-ce qu’on doit faire ? ! Je ne connais pas encore de sorts de guérison, dit Pete en panique.

— J’en connais ! Allez, Nanao, assieds-toi à côté de lui maintenant !

Katie tira Nanao et la fit assoir à côté d’Oliver sur le sol. Pendant que Katie lançait sa magie de guérison sur eux, Chela tournait un œil vers son ancienne connaissance qui se tenait sur le côté.

— …Je t’ai vu leur porter secours.

Andrews ne savait pas quoi dire. J’ai juste fait un tir chanceux à la fin, voulait- il lui dire, mais avant qu’il ne puisse le faire, la fille aux boucles anglaises sourit et le coupa.

— Merci, Rick. Cela faisait longtemps que je n’avais pas vu à quel point tu es merveilleux…

Les mots lui rappelèrent tant de souvenirs. Chela sourit, pratiquement rayonnante, comme pour montrer à quel point elle avait attendu pour appeler à nouveau son ami d’enfance par ce surnom. Comme sa timidité augmentait, tout ce qu’il pouvait faire était de détourner le regard.

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