REIGN OF V1 : CHAPITRE 2

Arts de L’Épée

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Traduction : Colonel Raclette
Correction : Raitei
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Kimberly, le temple enchanté —- Difficile de dire ce qu’était exactement ce bâtiment géant et énigmatique. Les avis divergeaient même parmi les étudiants en recherche génie civil et il existait même un domaine d’apprentissage désigné sous le nom « d’études structurelles de Kimberly ».

C’était plus une forteresse qu’une école, avec de grandes décorations sur ses murs extérieurs et ses hautes tours qui semblaient percer les cieux. Ainsi, beaucoup pensaient qu’elle avait une architecture de type Cygan, populaire au huitième siècle. Entre ses murs, on trouvait au moins vingt salles de banquet et plus de trois cents pièces plus petites, bien que leur nombre fluctuât selon les jours, car la découverte de nouvelles pièces était monnaie courante. La taille de l’édifice tel qu’il apparaît de l’extérieur ne correspondait manifestement pas à son intérieur, sans compter les innombrables lieux mystérieux contenus dans les sombres entrailles de ce palais magique.

Quant aux dortoirs des étudiants, ils étaient situés assez loin du bâtiment principal. Dans la chambre 106 d’une des tours des garçons qui se tenait sur cinq étages, Oliver se réveilla en clignant des yeux sur un lit qui était sans doute là depuis des générations.

— …Mmm ?

La première chose qu’il avait ressentie en ouvrant les yeux fut la confusion. Avant d’aller se coucher, il avait placé une horloge sur la table de chevet. Ses aiguilles indiquaient maintenant qu’il était 9h27 du matin. Si c’était vrai, alors non seulement il ne s’était pas réveillé pour le premier jour de classe, mais il était aussi incroyablement en retard. Son horloge biologique interne lui indiquait intensément que quelque chose n’allait pas. Il ramassa calmement l’horloge et l’étudia. En plissant les yeux dans la pénombre, il avait pu distinguer des choses accrochées aux aiguilles des heures et des minutes.

Leurs corps étaient longs et fins, ainsi que légèrement translucides, avec des protubérances comme des ailes ou des nageoires de chaque côté. Satisfait, le garçon hocha la tête.

— Oups, j’avais oublié que cet endroit abritait des chronofées[1], dit-il en soufflant.

[1]Le terme original est « clocknock », littéralement, « cogneurs du temps » mais nous avons adapté, car ce n’est pas une créature référencée dans la fantaisie.

Il n’en fallut pas plus pour que les créatures accrochées aux aiguilles du cadran se dispersent lamentablement. Les Joueuses de Temps, comme on les appelait plus communément, étaient une race mineure de fées qui s’amusaient avec les aiguilles d’horloges et de montres. On les trouvait le plus souvent dans les endroits à forte concentration de particules magiques.

Je devrais mettre un couvercle en verre dessus, pensa Oliver en sautant du lit et en commençant à se préparer pour la journée. En enfilant une chemise, il examina la pièce. Une faible lumière brillait à travers les rideaux. Dans le lit voisin, son colocataire, Pete, dormait profondément et ronflait légèrement.

— Ha-ha… N’attrape pas froid, Pete.

Le garçon avait dû se retourner dans la nuit, car sa couverture avait été jetée, exposant son ventre. Une fois l’uniforme d’Oliver enfilé et son athamé à la taille, il remonta doucement la couverture pour ne pas le réveiller. Si possible, il voulait s’entendre avec son colocataire lunatique. Il se souvenait encore de la mine renfrognée de Pete, la nuit dernière, lorsqu’ils avaient appris qu’ils allaient partager leur chambre.

— Ok, il est temps d’y aller.

Oliver se ressaisit et quitta la chambre. Il était encore un peu tôt pour se lever, mais il pouvait ainsi explorer les environs de l’école à sa guise. Ce haut degré de liberté était l’un des principes de Kimberly —- cela signifiait également que la sécurité de chacun était de sa propre responsabilité.

Avec cette idée en tête, il entra dans le hall du dortoir. Aucun autre étudiant ne semblait être dans les parages, la pièce étant aussi silencieuse qu’une bibliothèque. La plupart des nouveaux étaient probablement encore endormis, épuisés par la journée précédente. Beaucoup d’entre eux furent susceptibles d’être victimes des chronofées et durent s’endormirent de nouveau. Oliver envisagea de revenir et de les réveiller plus tard.

— Vous êtes un lève-tôt, n’est-ce pas ?

Alors qu’il s’approchait de la porte arrière au bout du couloir, soudainement et sans surprise, une bouche apparut sur la poignée de porte. Les cousins d’Oliver lui avaient dit que cette poignée était sceptique par nature, ce qui lui permettait de suivre les allées et venues des élèves. Par conséquent, Oliver lui parla sans la moindre surprise.

— Je m’appelle Oliver Horn, je suis en première année. Je pensais faire un tour autour du dortoir.

— Je vois. Vous pouvez faire ce que vous voulez, mais ne pensez même pas à entrer dans le dortoir des filles.

Et avec ce léger avertissement, la porte s’ouvrit d’elle-même. Oliver s’inclina, puis sortit. Même cette liberté tant vantée de Kimberly devait avoir une limite quelque part. À l’extérieur, Oliver contempla le ciel de l’est. Le soleil ne s’était toujours pas levé alors il supposait qu’il était un peu plus de cinq heures du matin. L’air était vif, et le ciel était aussi clair que la veille.

— …Haah…

La zone présentait une concentration de particules magiques bien plus dense que dans n’importe quel autre endroit où il avait vécu, à tel point que son rythme cardiaque augmenta un peu lorsqu’il prit une profonde inspiration. Oliver fit le tour du bâtiment du dortoir, inspirant et expirant pour essayer de s’y habituer.

Côté hommes, plus de mille étudiants de la première à la cinquième année vivaient dans ces deux tours, si bien que même une seule semblait massive. Les dortoirs des filles étaient à peu près de la même taille. Les élèves de sixième et de septième année, cependant, avaient leur propre dortoir ailleurs. Un grand nombre d’étudiants qui avaient atteint les sixième et septième année de leur scolarité étaient eux-mêmes de véritables chercheurs.

Ils pouvaient demander des arrangements appropriés pour leur logement, leurs recherches ou bien diverses choses dont ils avaient besoin.

Après avoir jeté un coup d’œil à l’extérieur du bâtiment, Oliver se dirigea vers le jardin situé entre les dortoirs des garçons et des filles. Il n’y avait pas beaucoup de végétation, seulement une grande fontaine entourée de plusieurs autres plus petites et des bancs où les gens pouvaient s’asseoir et discuter. Il avait entendu dire que cet endroit était utilisé non seulement pour se mêler aux étudiants, quelle que soit leur année, mais aussi comme point de rendez- vous pour les amoureux.

— Le jardin est plus grand que je ne le pensais, aussi… Hmm ?

En atteignant la fontaine centrale et en regardant autour de lui, il avait remarqué une silhouette dans l’une des six petites fontaines. Au moment où ses yeux se concentrèrent pour mieux voir, Oliver fut presque assommé de surprise.

— Pfiou ! Si froide et claire ! Une eau excellente !

Il entendit des éclaboussures alors que la jeune aziane puisait de l’eau dans le bassin de la fontaine avec un seau et la déversait sur sa tête à plusieurs reprises

—- complètement nue à partir de la taille.

— Mmm ? C’est vous, Oliver ? Un lève-tôt aussi à ce que je vois !

Le remarquant, Nanao agita sa main énergiquement. À cet instant, Oliver se précipita en avant aussi vite qu’il le put, la fit tourner autour de lui, tout en psalmodiant un sort et en pointant son athamé en direction du dortoir des garçons.

COVEL !!

Instantanément, des pigments sombres se mirent à bouillonner devant ses yeux, s’accrochant ensemble pour former un rideau sombre qui les cachait tous les deux. Nanao fut surprise par cette démonstration magique à bout portant.

— Ohhh ! Un seul sort a créé cette barrière noire ? Vous êtes en effet bien un mage !

— Plus important !

Oliver cria sans se retourner, en essayant de maintenir le sort de barrière malgré son cœur qui s’emballait.

— Que fais-tu bon sang ?! C’est un espace public ! Les garçons passent par là aussi ! Et si quelqu’un te voyait t’exposer comme ça ?

— Pourquoi ? qu’y a-t-il à cacher ?

— Peut-être que tu n’as pas honte, mais pense à tous   les autres ! …Émettre ce genre d’hypothèses me gène un peu, mais est-ce habituel en Azia ? Est-ce que les filles se baignent en public sans prendre la peine de se couvrir ?!

— Nay, dans mon pays, les femmes se couvrent même lorsqu’elles sont entre elles. Mais avant d’être une femme, je suis une guerrière,

Dit Nanao sans honte, en s’aspergeant à nouveau. Oliver resta bouche bée alors qu’elle poursuivait.

— De plus, ce n’est pas un bain, mais un rituel de purification. Avant de me lancer dans une autre guerre ici, j’ai pensé devoir me laver du sang de la précédente. Pourquoi ne pas vous joindre à moi, milord ? Cela dissipera toutes les pensées parasites afin d’avoir l’esprit clair.

— Donc, c’est comme une sorte de lavage rituel ? Quand bien même, tu ne devrais pas utiliser l’eau de la fontaine —- Ah ! Hé ! Reste tranquille, tu veux ?!

Le rideau noir n’était pas particulièrement grand, mais elle ne semblait pas s’en soucier. Elle se déplaçait librement. Dans la panique, Oliver regarda accidentellement derrière lui et se figea instantanément, le souffle coupé.

Sa peau étincelait dans le soleil du matin et d’innombrables cicatrices y étaient gravées.

— …Comment les as-tu eus ?

— Hmm ? Ah, ce sont les vestiges d’une précédente guerre. Si cela vous offense, je m’en excuse.

— Euh… non…

Oliver ne pouvait pas se résoudre à poser toutes les questions qui lui venaient à l’esprit. Quelle guerre ? Que devait avoir vécu une fille de son âge pour avoir autant de cicatrices ? Que lui était-il arrivé chez elle ? Il ne la connaissait pas assez bien pour le demander.

Et pourtant, il ne pouvait pas détourner les yeux. Ses muscles s’étendaient sous sa peau cicatrisée à chaque respiration, son corps trempé comme une épée ayant été longuement entraîné. Du mana pur coulait en elle à chaque battement de son cœur. Et pour couronner le tout, elle avait une personnalité sincère et droite. Pendant quelques secondes, Oliver put avoir un aperçu de cette image complète. Et puis…

Allez ! Admire, Noll. C’est le moment !

Une fois, il avait été témoin d’une beauté tout aussi sublime —- par accident, les deux scènes se superposèrent dans son esprit.

— … !

Avec un souffle, il revint à la réalité et détourna les yeux. Il lui tourna le dos pour tenter de retrouver son calme. Après plusieurs respirations profondes, Oliver fut finalement en mesure de parler.

— …Ta ‘purification’ ou quoi que ce soit—- tu peux la terminer cette fois-ci, mais au moins fais vite.

Je comprends. Dans ce cas, ce sera mon dernier tour.

Nanao ne semblait pas réaliser l’effet qu’elle produisait sur lui. Elle se versa de l’eau sur la tête et la secoua, laissant échapper des gouttelettes étincelantes. Elle posa ensuite le seau sur le bord de la fontaine pour indiquer qu’elle avait terminé.

Tout à coup, elle s’arrêta.

— Bon sang… J’ai laissé ma serviette dans ma chambre…

— Utilise ça !

Voyant où cela allait mener, Oliver l’interrompit, lui jetant sa robe. Nanao la rattrapa et inclina sa tête.

— Utiliser ça ? Oliver, c’est votre robe, n’est-ce pas ?

— Utilise-la ! J’aimerais bien te sécher avec un sort de rafale, mais si je fais ça, je ne pourrai pas maintenir la barrière !

Il durcit le ton pour dissimuler son malaise. La jeune aziane gloussa et hocha la tête.

— Vous êtes un homme curieux, Oliver. Si vous insistez, alors je vais l’utiliser… Mais avez-vous une robe de remplacement ?

Oliver garda le silence et ne répondit pas. Nanao ricana et s’exprima ensuite.

— Alors c’est une grande dette que j’ai envers vous désormais.

Les étudiants de Kimberly prenaient leurs repas sur le campus tous les jours, sauf durant les vacances. Selon le règlement, ils pouvaient choisir de manger dans l’une des trois cafétérias géantes, mais grâce à un code tacite, de nombreux étudiants de la première à la troisième année mangeaient dans la plus basse, la Confrérie.

— Bonjour, Guy, Pete, et Oliver. Avez-vous bien dormi cette nuit ?

La cafétéria de la Confrérie était déjà bondée d’étudiants prenant leur petit- déjeuner lorsque les trois garçons étaient arrivés. Chela les avait appelés, et ils l’avaient rejointe à une table avec les autres filles.

— Oui, j’ai bien dormi. Peut-être un peu trop bien, même. Les profs auraient dû nous dire que cet endroit a des Chronofées !

Grommela Guy en frottant ses yeux endormis. Il s’était presque rendormi, mais fut sauvé par Oliver in extrémis. Chela remarqua la chose et sourit.

— Je vous suggère d’abandonner rapidement ces pensées naïves. Comme il s’agit d’une école de magie, il est tout à fait naturel que vous ayez à faire face à un certain nombre de soucis magiques au quotidien. Si vous voulez savoir comment faire face à quoi que ce soit, demandez à un professeur ou à un ami.

— Oui, tu as raison… Bon sang, tu es vraiment stricte dès le matin.

Guy fut irrité, car blessé dans sa fierté. Katie quant à elle était occupée à couper ses œufs au plat lorsqu’elle demanda la chose suivante :

— Des Chronofées, hein ? Nous n’en avions pas dans notre chambre. Bien que Nanao se soit levée super tôt.

— Je ne sais pas ce que sont ces « Chronofées », mais mon corps est fait pour se réveiller à la sixième heure, chaque aube. Je ne peux pas manquer l’entraînement et laisser mes compétences se détériorer.

Dit Nanao en dévorant son assiette pleine de saucisses, de tartes et d’autres mets du petit-déjeuner. Oliver fut quelque peu soulagé —- ses compétences en matière de fourchettes et de couteaux étaient chancelantes, mais au moins, elle respectait le strict minimum de l’étiquette de table.

— Oh ! s’exclama Guy.

Il lui fallut un peu plus de temps qu’Oliver pour remarquer son changement majeur.

— Nanao, tu as ton uniforme aujourd’hui.

— En effet ! Il avait été livré dans ma chambre hier soir. La jupe a été transformée en hakama[2] ! La longueur est parfaite n’est-ce pas ?

[2] Pantalon large plissé traditionnel japonais. En Aikido (art martial japonais), il est courant d’en porter.

— Je lui ai appris à le porter. Autrefois un samouraï, maintenant un mage. Elle a l’air superbe ! dit Katie, interrompant son repas pour complimenter le style de Nanao.

Cela avait rendu Oliver curieux.

— Pete et moi sommes colocataires… C’est pareil pour vous deux ?

— Oui, nous le sommes. Je suis tellement heureuse !

Katie et Nanao se tapèrent dans les mains avec joie. Oliver ne put s’empêcher de sourire. Elles semblèrent très amicales à la fête d’hier, et passer la nuit ensemble ne fit que les rapprocher. En face d’elles, Guy ruminait en les regardant, les bras croisés.

— Allez, ça ne peut pas être une coïncidence, non ? demanda-t-il.

— J’ai entendu dire que l’administration changeait le placement des chambres pendant la fête de bienvenue.

— Comme vous venez tous les deux de l’étranger, vous avez déjà quelque chose en commun. De cette façon, vous avez moins de chances de vous sentir ostracisés. Ça m’a l’air logique.

— Hmm. Je suppose qu’ils ont bien réfléchi à tout ça, eh ? Guy tourna ensuite son regard des deux filles vers le garçon assis à côté de lui.

— …Au fait, Oliver. C’est moi, ou ta robe de chambre est un peu mouillée ?

— C’est définitivement juste toi !

Répondit Oliver sèchement et sans dire un mot de plus. Guy hocha la tête de manière suspicieuse. Finalement, vint l’heure de leur premier cours. Plus de cinquante étudiants s’étaient réunis dans une grande salle sans bureaux ni chaises. Devant eux, leur premier professeur apparut dans une robe blanche.

— Mmm. Tout le monde est là, alors ? Bien. Commençons. Bienvenue au cours d’arts de l’épée.

C’était un bel homme d’une trentaine d’années. Certaines filles poussèrent des cris de joie, mais le « Oh ! » de Nanao avait une tout autre raison. Oliver savait ce qu’elle pensait. On disait que ceux qui avaient reçu une bonne formation pouvaient comprendre les talents d’un épéiste juste à partir de ses pas.

— Je suis votre instructeur, Luther Garland, et je vous enseignerai tous les arts du sabre pendant au moins les quatre prochaines années, peut-être sept. Vous pouvez m’appeler Instructeur Garland. Maître Garland ne me dérange pas non plus, mais je n’ai pas l’intention d’être très strict sur les formalités. Cela ne m’intéresse pas non plus, vous voyez.

Garland parlait franchement, comme s’il essayait de soulager les nerfs de ses élèves. Après avoir vu que cela s’était avéré efficace, il continua.

— Nous n’allons pas dégainer nos athamés tout de suite —- il est de tradition de commencer par une introduction le premier jour. Cela peut être ennuyeux, mais nous devons passer en revue l’histoire des épées magiques. L’un d’entre vous peut-il expliquer leur origine ?

— Moi, Maître Garland !

Assis à côté d’Oliver, il y avait Pete, dont la main s’était levée plus vite que celle de n’importe qui d’autre. Garland lui sourit.

— J’aime votre énergie, Mr Reston. Très bien, vous avez la parole. Prenez votre temps si vous en avez besoin.

Le visage de Pete rayonna une fois qu’il reçut l’approbation. Après s’être raclé la gorge, il s’expliqua longuement :

— De nos jours, nous portons un athamé et une baguette blanche, mais les mages d’antan n’utilisaient que des sceptres —- ce que nous appelons « baguettes blanches ». C’était tout ce dont ils avaient besoin pour lancer des sorts. Ils n’avaient pas de lames. En fait, c’était

un déshonneur pour un mage de brandir une épée, car c’était l’arme des non-initiés, de la plèbe incapable de connaître l’occulte.

— Correct. Continuez.

— Oui, monsieur. Ce n’est qu’il y a environ quatre cents ans, en 1132 du Grand Calendrier, que cette attitude a commencé à changer. C’était l’année où un épéiste roturier a tué le Haut Sorcier Wilf Badderwell. Quelques mages avaient été tués par des gens ordinaires auparavant, mais deux choses rendaient cet incident spécial. La première était que Badderwell était la célèbre Bourrasque de Darmwall. L’autre chose était que, euh …

Pete s’embrouilla. Il parlait trop vite et avait du mal à trouver la phrase suivante. Avant qu’il ne puisse paniquer, Oliver lui chuchota à l’oreille : « Ce n’était pas un assassinat » .

— C-c’est ça ! L’autre chose, c’est que ce n’était pas une attaque- surprise, mais un duel équitable entre deux combattants préparés.

— Je suis impressionné que vous vous souveniez du surnom de Badderwell. Continuez.

— Oui, monsieur ! Jusqu’à cet incident, on croyait que le commun des mortels ne pouvait tuer un mage qu’au bénéfice de l’élément de surprise. Après tout, il suffisait d’un sort rapide et basique pour rendre quelqu’un impuissant. Mais les mages qui assistèrent à la mort de Badderwell réalisèrent que c’était trop lent.

Oliver hocha la tête à lui-même. La dégaine d’un épéiste expert était bien plus efficace qu’un sort lancé rapidement.

— Ils arrivèrent rapidement à une conclusion indéniable, à une certaine distance, même le mage le plus compétent pouvait être tué par une attaque physique à bout à courte portée avant d’avoir lancé un seul sort. De plus, Badderwell était célèbre pour sa rapidité d’incantation, alors sa mort était une preuve irréfutable. C’était un

combat à la loyale alors la négligence n’y était pour rien.

Sentant une rupture dans le flot de paroles, Garland applaudit.

— Merveilleux, Mr Reston. C’est l’explication la plus facile à comprendre que j’ai entendue depuis des années. Je lui donne mon sceau d’approbation. J’aimerais bien sûr que vous continuiez, mais je n’ai pas envie de me retrouver sans emploi voyez-vous. Et si on s’arrêtait là ?

— O-oui, monsieur ! Pardonnez-moi !

Les joues de Pete devinrent rouges à cause de la reconnaissance de l’instructeur. Oliver était heureux pour lui, mais en même temps, il pouvait voir certains autres élèves chuchoter entre eux. Étaient-ils jaloux ? Les élèves aisés issus de familles magiques ne voyaient pas toujours d’un bon œil les actions de ceux qui n’étaient pas issus d’une lignée magique.

— Eh bien, comment puis-je poursuivre cette excellente explication ? Oui, c’est la raison pour laquelle nous, les mages, portons des épées à nos côtés —- Pour nous défendre contre les attaques physiques à bout portant auxquelles aucun sort ne peut réagir, nous avons dû prendre les armes. Pour que personne d’autre n’ait à mourir comme Badderwell.

Garland s’arrêta une seconde et posa la main sur son athamé.

— Et pourtant, ce n’est que le début. Une épée vous met simplement sur un pied d’égalité avec votre adversaire. Je suis sûr que cela vous rend tous nerveux. Après tout, quel est l’intérêt d’être un mage si vous êtes trop près pour lancer un sort ? Mais ne vous inquiétez pas. Si c’était vrai, je ne donnerais pas ce cours.

Sur ce, il dégaina sa lame et la leva au-dessus de sa tête pour que tous les élèves puissent la voir. Instantanément, une flamme soudaine jaillit. Tout en agitant l’athamé enflammé d’un côté et de l’autre, Garland continua :

— Comme vous pouvez le voir, même si on vous empêche de lancer des sorts, il est toujours possible de faire de la magie sans incantation. En un instant, vous pouvez allumer une flamme, invoquer des vents, créer de l’électricité—- et bien plus encore.

La flamme s’éteint, et à sa place, des étincelles bleues et blanches jaillirent de la pointe. Les étudiants poussèrent des oooh d’admiration.

— Bien sûr, la force d’une telle magie n’est rien en comparaison d’une incantation correcte. Elle est loin d’être suffisante pour rendre un adversaire impuissant. Compte tenu de la difficulté à la contrôler et de la quantité de pratique requise, ce n’est toujours pas beaucoup plus qu’un tour de parloir. C’est pour cette raison que les mages de la période pré-Badderwell ont ignoré ce domaine d’étude. Mais je suis sûr que vous vous êtes tous demandé ce qui se passait quand la magie et l’épée se combinaient ?

Cette question trouva écho chez les étudiants. Par exemple, même s’ils étaient seuls et impuissants, il restait de nombreuses utilisations pratiques de la magie, comme aveugler ou distraire leur adversaire. Combiné à l’art de l’épée, le nombre d’options de combat à leur disposition monterait en flèche. Ainsi, de nouvelles formes de techniques systématisées ont été développées dans ce but précis. Garland mit fin à son sortilège, abaissa la lame à mi-parcours et fit un mouvement de balancier comme s’il coupait un adversaire imaginaire devant lui.

— Si vous pouvez faire un pas et frapper votre adversaire avec votre athamé, vous êtes dans ce qu’on appelle la « distance d’un pas, d’un sort ». Dans ce domaine limité, vous combattez en utilisant votre compréhension de l’épée et de la magie—-C’est ce que nous appelons arts de l’épée.

Sa présentation sur la théorie terminée, Garland balaya du regard les visages des étudiants. Après avoir confirmé qu’ils avaient compris, il continua.

— Après avoir entendu tout cela, je suis sûr que certains d’entre vous ont des doutes. Ceux d’entre vous dont les familles honorent les valeurs magiques traditionnelles pourraient même être révoltés par cela. Peut-être croyez-vous que les arts de l’épée sont une hérésie—- qu’un vrai mage tuerait n’importe qui avant qu’il ait la chance de s’approcher de si près. C’est peut-être vrai. Mais si vous pensez cela, j’ai quelques faits à vous rappeler. D’une part, les arts de l’épée sont principalement un art d’autodéfense. À moins que vous n’ayez l’intention de devenir un reclus social total, vous n’avez rien à perdre à apprendre comment faire face à une attaque-surprise. Vous ne pouvez absolument pas dire que le monde est suffisamment sûr pour que cela soit inutile —- même à Kimberly. D’autre part, maintenant que l’étude des arts de l’épée s’est popularisée, c’est devenu plus qu’un moyen d’auto-défense contre les non-mages. En fait, notre compréhension de ces arts s’est approfondie grâce aux duels entre mages. En outre, plus deux mages sont de force égale, plus il est probable que le coup de grâce sera porté à bout portant. Compte tenu de tout cela, il y a un grand intérêt à l’apprentissage des arts de l’épée.

Oliver avait senti un léger sourire se dessiner sur ses lèvres tandis qu’il écoutait l’instructeur expliquer délibérément tous les mérites de cette discipline afin d’étouffer toute opposition. Il utilisait ce premier jour de cours pour leur inculquer la volonté d’apprendre les arts de l’épée. Les techniques réelles pouvaient venir plus tard, il accordait surtout de l’importance à l’ordre d’enseignement.

— Eh bien, c’était long. Je suis sûr que beaucoup d’entre vous ont déjà appris ces arts dans leur famille. Cependant, il est de tradition ici d’animer les choses en demandant aux élèves expérimentés de s’affronter pour la classe.

Les étudiants avaient commencé à marmonner avec excitation dès qu’ils entendirent ces mots. Garland sourit ironiquement à ces réactions clichées en scrutant leurs visages.

— C’est juste un petit spectacle. Si personne ne veut, alors on peut ignorer la chose, mais y’a-t-il des volontaires ?

L’audience se tendit alors que les élèves se jaugeaient les uns les autres, ressentant un mélange de fierté dans leurs propres compétences et de réticence à être embarrassés devant leurs pairs—- tout cela les faisant hésiter.

— Moi ! J’aimerais bien essayer !

L’Aziane, visiblement pas embarrassée, leva la main en premier. Garland croisa les bras avec un air troublé.

— …Miss Hibiya. J’apprécie votre enthousiasme, mais avez-vous vraiment de l’expérience dans ce domaine ?

— J’aimerais me porter volontaire aussi, Instructeur Garland.

Un autre élève leva la main, cette fois, un garçon aux cheveux longs derrière Oliver. Ses manières et son ton étaient assez similaires à ceux de Chela, ce qui signifie qu’il était probablement issu d’un milieu tout aussi distingué. Mais il y avait quelque chose de désagréable dans le sourire qu’il arborait.

— J’ai ouï dire qu’elle avait terrassé un troll avec une épée le jour de la cérémonie. Si c’est vrai, alors je serais ravi de saisir cette chance afin de me confronter au style azian, dit-il en regardant Nanao sans la moindre lueur de bonté dans les yeux.

Les élèves près de lui ricanèrent. C’est à ce moment qu’Oliver comprit—-ce garçon avait l’intention de ruiner la réussite pour laquelle Nanao avait risqué sa vie en profitant de son manque de familiarité avec les arts de l’épée.

— …Hmm. Eh bien, si c’est ce que vous voulez tous les deux—

— Je demande un duel contre Nanao !

Avant qu’Oliver ne le réalise, sa main se leva. Des murmures envahirent la pièce. L’autre garçon lui lança un regard mauvais, irrité par cette interruption.

— Recule, J’ai levé ma main en premier.

— Non. J’ai rencontré Nanao bien avant. On a même combattu ce troll ensemble, répondit Oliver avec insistance.

Le visage du garçon devint rouge, tordu par la colère. Oliver se rendit compte qu’il avait été l’un des nombreux élèves à faire demi-tour et à avoir fui devant ce troll. Non pas qu’il y ait eu une quelconque honte à le faire.

— Tu… !

Sa fierté blessée, lança un regard assassin à Oliver qui fit de même. Le message était clair : Et si on se battait ?

— Alors je me porte volontaire, Mr. Andrews.

Lança une voix gracieuse au moment où Oliver se tenait prêt à se lancer dans le combat. C’était Chela, qui se trouvait juste devant, à côté de Katie. Le garçon sursauta en entendant son nom de famille et se tourna nerveusement vers elle.

— ……Miss McFarlane…

— Nanao est habile à l’épée, mais elle est encore novice en matière de magie. Il lui serait difficile de lutter contre les arts de l’épée auxquels ta famille s’est tant consacrée au fil des années. Si tu devais vaincre quelqu’un alors ne suis-je pas un adversaire plus approprié ?

Le garçon eut du mal à trouver une réponse à la logique de Chela.

— Bien entendu s’il n’y a pas la peur de se mesurer à moi en public ?

— Comme si c’était le cas ! répondit instantanément le garçon,

comme si toute autre réponse risquait de ternir la réputation de sa famille.

En les regardant se disputer, Oliver offrit mentalement ses remerciements les plus sincères à Chela qui venait de prendre la moitié de la colère du noble.

— …Alors, tout est réglé si je ne m’abuse ? Le premier round sera Miss Hibiya contre Mr. Horn. Le deuxième round sera Mr. Andrews contre Miss McFarlane. D’autres volontaires ?

Garland n’était pas intervenu et n’avait même pas reconnu la querelle qui se déroulait sous ses yeux, ne semblant pas vouloir se mêler des affaires de ses élèves. Une fois qu’ils furent à l’arrêt, il intervint pour les mettre en action.

— Très bien, alors commençons. Tout le monde, laissez un peu d’espace au centre de la pièce. Bien, comme ça. Une fois que c’est fait—- M. Horn, miss Hibiya, vous devrez vous mettre au milieu.

Suivant les indications de l’instructeur, les élèves s’écartèrent pour observer le duel. Les yeux de tous braqués sur eux, Oliver et Nanao se placèrent au milieu de la pièce. Ils allaient s’affronter à cette distance d’un pas, d’un sort.

— Saluez…Dégainez !

Ils suivirent tous les deux le signal et dégainèrent les athamés de leur fourreau près de la ceinture. Immédiatement, Garland lança un sort.

SECURUS !

Une lumière blanche enveloppa leurs lames. Après quelques secondes, elle s’estompa, laissant Nanao perplexe.

— J’ai lancé un sort pour vous empêcher de vous entretuer tous les deux, expliqua Garland —-Tant qu’il est en vigueur, vos lames ne blesseront pas l’autre. Non pas que vos athamés soient affutés pour commencer, mais on ne sait jamais.

En entendant cela, Nanao avait doucement pressé la pointe de son sabre dans son doigt. Soudainement, une mystérieuse élasticité la repoussa. Amusée, elle commença à utiliser de plus en plus de force, allant jusqu’à frapper sa paume avec le sabre. Il n’y eut pas une seule goutte de sang, la rendant stupéfaite.

— Ohhh, ça ne blesse vraiment pas !

— Les combats entre élèves ne sont autorisés qu’avec ce sort. Quiconque enfreint la règle s’expose à une sanction sévère, alors gardez ça à l’esprit. Une fois que vous serez plus âgés, vous serez autorisés à atténuer l’effet pour rendre l’expérience plus réaliste.

Une fois ce point établi, Garland passa à la mise en place des règles du duel.

— Pendant le combat, il se peut que vous dépassiez la distance prescrite, mais si cela arrive aujourd’hui, vous n’aurez pas le droit de jeter des sorts. Il ne faut pas qu’un cours de maniement de l’épée se transforme en un cours de lancement de sorts, après tout. Vous avez un temps illimité et si l’un de vous porte un coup fatal, le match sera terminé. Je serai le juge et je rappelle que les coups portés à la tête, à la poitrine et au torse sont considérés comme mortels. Il en va de même pour les coups portés au bras armé. Pour l’autre bras, à moins que vous ne bloquiez avec le sortilège ADAMANT, vous éviterez d’utiliser ce bras pour le reste du match.

Garland marqua une pause, leur donnant le temps d’indiquer qu’ils avaient compris. Oliver hocha la tête. Après un moment, Nanao posa une question.

— Maître Garland, que se passe-t-il si l’on tient le sabre à deux mains ?

Les yeux de Garland montrèrent sa surprise. Il regarda ses mains, enroulées autour de la poignée. Les règles qu’il venait d’énoncer supposaient que les duellistes maniaient leur épée d’une seule main. L’instructeur croisa les bras et réfléchit un moment, puis haussa les épaules en signe de défaite.

— …Il n’y a pas assez de précédents pour qu’il y ait une règle claire. Pour aujourd’hui, nous considérerons qu’une frappe sur l’un des deux bras est létale.

— Compris.

Nanao acquiesça. Au cours de leur échange, Oliver avait confirmé une chose qui l’intriguait depuis hier. Pendant son combat contre le troll, elle avait aussi utilisé ses deux mains. C’était une épée à deux mains, alors ? Les athamés que les mages maniaient normalement étaient des épées courtes de 33 à 55 cm. Plus longues elles étaient et plus il était difficile de les manier ce qui rendait dépendant des sorts rapides. Utiliser une main était devenu la convenance.

Cependant, la lame de Nanao était clairement plus longue que 55 cm. En comptant la poignée, elle dépassait probablement les 63 cm. Ce n’était pas le genre d’épée longue que les non-mages utilisaient habituellement, mais on ne pouvait nier que c’était un désavantage en tant qu’athamé.

— Et c’est tout pour moi. Duellistes, en garde, dit Garland.

Oliver étendit son bras droit et sa jambe droite en avant, lame à mi-hauteur. Il était normal que la lame de Nanao ne soit pas adaptée à l’utilisation d’une baguette, puisqu’elle n’avait jamais eu d’entraînement de mage. Comment pouvait-elle connaître les bases des arts de l’épée ? Cela n’allait jamais être plus qu’un duel entre un novice et un vétéran. Il avait donc décidé de s’abstenir d’utiliser la magie et de se concentrer sur le plaisir de croiser le fer avec le style d’épée d’un autre pays. Il n’allait pas se focaliser sur la victoire ou la défaite et, après plusieurs passes d’armes, il comptait y mettre fin. Avec cela en tête, Oliver fit face à son adversaire.

— Haaah…

En face de lui, Nanao leva lentement sa lame au-dessus de sa tête. Oliver n’avait jamais vu une telle position haute dans le style d’épée qu’il avait appris.

— Commencez !

Garland donna le signal du début du duel. Oliver resta immobile, gardant sa position. Comme prévu, il allait rester sur la défensive et observer. Il attendit qu’elle fasse le premier pas.

— Ça te convient vraiment ?

Une voix se moqua de son ineptie. Une secousse lui parcourut l’échine.

— Regarde-la. Peux-tu encore être aussi naïf ?

L’image de son corps meurtri lui revint en mémoire. Un frisson inquiétant jaillit du plus profond de sa poitrine—- sans aucun doute, son instinct tirait la sonnette d’alarme.

— Ayons un bon et honorable combat, Oliver.

Au moment où son instinct prenait le dessus et mettait le garçon sur ses gardes, le corps de la jeune aziane ne fit plus qu’un avec le vent.

— ?!

Replie-toi, et c’est la fin. Sentant cela, Oliver s’avança rapidement à la place. L’instant d’après, un coup féroce secoua son bras droit, levé pour se défendre. Les deux épées se heurtèrent à hauteur des yeux, envoyant des étincelles partout. La peur envahit le cœur du garçon—-Elle est super rapide et forte !

— Oh… !

La pression de l’épée le fit reculer. Une seconde à peine après le premier coup, son poignet se mit à souffrir. Il n’en pouvait plus. C’est alors qu’Oliver comprit—- Il ne pouvait pas se permettre d’observer. À ce rythme, il allait être écrasé. Son corps réagissait déjà, son entraînement prenant le dessus.

— Mm ?!

Nanao perdit soudainement ses appuis. Le sol autrefois solide avait avalé sa jambe jusqu’à la cheville. C’était la position de terre du style Lanoff des arts de l’épée : Tombeau de la terre. En utilisant un peu d’interférence magique, le sol devint aussi mou qu’un marais, ce qui coinça son pied.

— !

Avec Nanao déséquilibrée, Oliver esquiva rapidement sur le côté en balançant une attaque plongeante visant son dos. La pitié était la dernière chose à laquelle il pensait maintenant. Mais à mi-chemin de sa frappe, une lame apparut sur l’épaule de son adversaire.

— ?!

Sentant le danger, Oliver sauta en arrière. Dès qu’il le fit, la pointe de la lame arriva à un centimètre de son visage— Elle avait montré son dos, seulement pour pouvoir le planter aussitôt. Mais au lieu de faire une rotation puis de le poignarder, elle avait opté pour un coup direct de dos.

— Haah…

Nanao se redressa à présent, et l’avantage positionnel qu’Oliver avait si durement acquis avec son Tombeau de la terre avait disparu. Son esprit s’emballa alors que ses cheveux d’un blanc pur, remplis de magie, capturèrent son regard. Ils étaient encore plus proches que la distance d’un pas, d’un sort ! — Yaaah !

Une autre confrontation allait venir. Faisant circuler la magie dans son athamé, Oliver mit en jeu tout le duel sur cette seule technique à pleine puissance. Le son d’un bambou craquant explosa entre eux alors qu’ils s’élancèrent en même temps en ligne droite. Les lames s’entrechoquèrent l’une contre l’autre dans laissant échapper un éclair dans le choc métallique.

— Guh !

— !

La lutte n’avait duré qu’un instant, leur élan les ayant fait prendre la place de l’autre. L’espace s’ouvrit à nouveau entre eux et Oliver se retourna immédiatement pour attaquer une fois de plus.

—   Huff… Huff…

Elle était à une bonne distance, et pourtant la chair de poule sur tout son corps ne se calmait pas. Ce n’était pas une simulation—- elle se jeta sur lui avec l’intention de le tuer. Oliver réalisa qu’elle avait pris des vies dans le passé, et pas seulement une ou deux ou une quinzaine. Combien de sang avait-elle versé pour en arriver là ? Elle avait une véritable destinée à la guerre.

— Là…

Nanao marmonna quelque chose, mais Oliver ne comprit pas, trop occupé à analyser la situation. Devait-il essayer de la repousser avec un autre sort ? Ou devait-il prendre l’initiative d’attaquer ? Dans tous les cas, les tactiques conventionnelles n’étaient d’aucune utilité ici.

Peut-être que je peux avoir un indice observant son regard, pensa Oliver en

jetant un coup d’œil au visage de son adversaire.

— Te…voilà.

Ce qu’il vit le laissa sans voix. Des larmes, claires comme du cristal, coulaient sur les joues de Nanao. Ses lèvres, tremblantes de joie, peinaient à rassembler les mots. Soudain, il réalisa que ses yeux étaient rivés sur lui.

— …..

L’esprit d’Oliver se vida. Il n’avait jamais vu une fille pleurer auparavant, le ressentant comme si une lance avait été enfoncée dans sa poitrine. Il ne comprenait pas. Qu’avait-elle appris dans ces deux brèves confrontations qui avaient duré moins de dix secondes ? Ils ne se connaissaient que depuis deux jours. Il n’y avait aucune chance qu’il puisse comprendre ce qu’elle ressentait.

— Ne pleure pas.

Et pourtant, bien qu’il ne sache rien, une seule pensée envahit l’esprit d’Oliver. De toutes les fibres de son être, il voulait arrêter ces larmes.

— Hey. Ne pleure pas, j’ai dit !

Sous les yeux de Nanao, la position du garçon passa de la position médiane orthodoxe du style Lanoff à une position diagonale plus basse qui ne correspondait à aucun des trois styles de base. Quoi qu’il en soit, personne dans la salle n’en comprenait la signification. Cependant…

— Merci.

Seule la fille aziane comprit qu’il était sérieux. Leurs esprits combatifs étaient déchaînés en plus d’être en phase. Comme en réponse, la lumière du sort de sécurité autour de leurs épées se dispersa. De plus, tout le reste de la salle avait disparu de leur conscience, à l’exception de la présence de l’autre. Le bruit avait disparu et le monde se ferma dans un silence pur. C’était le signal. Personne n’allait les interrompre jusqu’à ce que l’un d’entre eux ne meure. Sans l’ombre d’une hésitation, ils firent un pas en avant—-

— Ça suffit !

Juste avant qu’ils ne puissent se confronter une troisième fois, Garland sauta entre eux, empêchant vivement leur prochaine joute.

— J’ai dit ça suffit, Mr. Horn, Miss. Hibiya ! Baissez vos armes ! Ils se figèrent, serrant toujours leur épée. L’instructeur était en colère.

— Je vous l’ai dit dès le début, ce n’est qu’une petite exhibition. Je ne vous ai pas dit de vous battre jusqu’à la mort.

Le visage d’Oliver devint de plus en plus pâle. C’est vrai, ce n’était censé être rien de plus qu’un faux duel. Alors qu’est-ce qu’il faisait ?

— Ce sera suffisant pour ce premier jour, dit Garland, les réprimandant encore plus. —-Maintenant, rengainez vos épées et faites une pause. Je vous interdis de les dégainer à nouveau jusqu’à ce que vous soyez tous les deux calmés. Compris ?

Oliver rengaina son athamé avec culpabilité et Nanao fit de même avec regret.

— Hum… Que vient-il de se passer ?

Katie demanda cela depuis sa position dans le public, un regard confus sur son visage. Guy, Pete, et beaucoup d’autres élèves autour d’elle furent également frappés de stupeur.

— Je ne vous blâme pas de ne pas comprendre. C’était un duel d’un niveau incroyablement élevé, dit Chela à une certaine distance derrière.

Elle continua, cette fois-ci en s’adressant à la foule.

— Laissez-moi vous expliquer depuis le début. Tout d’abord, la frappe initiale de Nanao fut un coup porté depuis une position très haute, mais Oliver fit une parade magistrale. Je suis certain que quatre-vingt-dix pour cent d’entre vous n’auraient pas été capables d’en faire autant. La vitesse de son avancée erratique, combinée au poids de sa frappe pleine de magie, aurait tranché quiconque ayant essayé de simplement croiser sa lame. Il en va de même pour celui qui aurait reculé par peur. Elle aurait instantanément suivi pour l’abattre. Chela dégaina son athamé et commença à reproduire le duel du point de vue d’Oliver. Sa main droite tendue à mi-chemin, comme il l’avait fait, elle fit face à une version imaginaire de Nanao.

— Pour bloquer un coup pareil, nous n’avons d’autre choix que de nous interposer pour couper la trajectoire de l’attaque à la base avant qu’elle ne puisse prendre son élan. Ensuite, il faut tordre le coude et tirer notre poignet vers l’arrière, tout en balançant notre jambe et notre bras droit pendant que nous pivotons. Ne pas le faire c’est voir votre poignet se faire fracasser.

Elle bougeait tout en s’exprimant, reproduisant lentement les mouvements instantanés. Les élèves écoutaient avec attention sa fine analyse fine tandis qu’elle continuait la démonstration avec fluidité.

— À partir de là, ça devient difficile. Le coup initial est dévié, comme je l’ai expliqué, mais dans un combat, l’avantage de l’épée à deux mains devient clair. Tenter de la prendre de front n’aboutirait qu’à une défaite. Ainsi, pour sortir de l’impasse, Oliver a utilisé le Tombeau de la terre, un sort de base dans le style Lanoff. En visant le moment où elle a mis du poids sur son pied avant, il a réussi à la déséquilibrer.

Chela dirigea la pointe de son épée vers ses pieds. Une question se forma dans l’esprit de Katie.

— Je pouvais plus ou moins comprendre ça en regardant, mais Oliver n’a pas pointé sa baguette vers le sol. Alors comment a-t-il utilisé la magie pour la déséquilibrer ?

— C’est une technique appelée magie spatiale. Normalement, un sort s’envole du bout de la baguette. Mais à très courte distance, il est possible de diriger un sort avec sa volonté indépendamment de la direction cette dernière. Par exemple, comme ça.

Au moment où elle dit cela, un éclair d’électricité jaillit directement sur son côté—- juste devant les yeux de Katie. Elle cria et fit un bond en arrière. Chela utilisa la magie, mais son athamé fut toujours dirigé vers ses pieds.

— Les débutants ont tendance à déplacer leurs yeux vers leur cible, mais Oliver… Son sort était d’une précision extrême sans qu’il ait à déplacer son regard. C’est une autre compétence très impressionnante.

Les yeux de Chela se tournèrent vers Oliver et Nanao. Un peu à l’écart, ils écoutaient ses explications d’un air étourdi, mais ne semblaient pas mécontents de celle-ci.

— Je continue donc. Avec Nanao qui basculait en avant, Oliver s’est déplacé bien entendu pour attaquer par-derrière. Mais ici, nous avons vu une réponse incroyable de Nanao. Elle a instantanément transféré son poids sur sa jambe gauche libre et a relâché son sabre directement derrière elle sans se retourner. Sentant cette contre-attaque, Oliver a arrêté son assaut à mi-chemin et a sauté en arrière pour mettre plus de distance entre eux.

Cette fois, Chela reconstitua le duel du point de vue de Nanao en assenant son coup arrière et faisant imaginer un Oliver en train de reculer. Chela éleva la voix un peu plus fort.

— C’est ici que ça devient vraiment intéressant. En un instant, ils ont déclenché simultanément une attaque. Du côté d’Oliver, il s’agit de la technique avancée du style Lanoff, Croisement. D’autres styles emploient quelque chose de similaire, mais comme il a utilisé une posture de style Lanoff, nous dirons que c’est de celle-ci dont il s’agit. Évidemment, je ne peux pas l’expliquer complètement, mais pensez-y comme à une technique de contre permettant de ramener au sol l’attaque de l’adversaire pour le tuer ensuite. Quant à Nanao…. Ciel… Que j’ai été surprise. Voyez-vous, je ne peux pas prétendre connaître le style qu’elle employait, mais sa technique était exactement la même que celle d’Oliver. Leurs instructeurs et même leur nation ne pouvaient pas être plus différents, et pourtant, ils se sont affrontés en utilisant la même technique, comme s’ils en avaient discuté à l’avance. Ce fut sans retenue et avec une précision incroyable. Aucun des deux n’a réussi à porter un coup fatal, et le duel s’est soldé par un match nul.

Ces duellistes croisèrent le fer avant de s’éloigner l’un de l’autre ce que Chela avait retranscrit aussi. Elle finit par rengainer son épée. Puis elle tourna son regard vers un étudiant solitaire à quelques pas de distance.

— Combien de coups de Nanao auraient pu être parés, Mr Andrews ?

— …… !

Elle s’adressait au garçon aux cheveux longs qui avait choisi Nanao comme adversaire pour la démonstration plus tôt. Il paniqua, incapable de trouver une réponse, et elle soupira. Chela se retourna ensuite vers l’instructeur.

— Maître Garland. Ça m’attriste de le dire, mais même si Andrews et moi devions faire un duel, nous ferions pâle figure à côté de celui-là. Je me retire ainsi avec tout mon respect, vous laissant continuer la leçon.

— Si c’est ce que vous voulez, alors très bien.

Garland acquiesça, quelque peu soulagé. Il fit signe que le cours allait reprendre, faisant sortir les élèves de leur état d’euphorie temporaire. Un par un, ils retournèrent à leur position d’origine. Et c’est ainsi que leur cours d’arts de l’épée, étonnamment chaotique, prit fin. Oliver fut parmi les premiers à quitter la classe. Il marchait seul dans le hall de l’académie, réfléchissant intensément à ce qui s’était passé.

— ……

Il n’arrivait juste pas à comprendre. Pourquoi avait-il fait ça ? Pourquoi s’était- il perdu dans son duel avec elle ? Dès que Nanao et lui avaient croisé le fer, il avait été très impressionné par sa force. C’était vrai. Finalement, son plan pour mener la dance tranquillement était tombé à l’eau. Cependant, il ne regrettait pas cette partie. Ses années d’entraînement s’étaient instantanément révélées, ce dont tout mage aurait dû se réjouir. Mais le problème était ce qui venait après. Lorsqu’il s’était éloigné après leur troisième affrontement, retrouvant un peu de calme, et lui faisant face à nouveau, Il avait son visage en larmes.

— …… !

À ce moment-là, tout s’était effondré. Toute logique avait disparu sans laisser de trace. Seule l’envie de lui répondre avait surgi, certain qu’il y avait un vide que lui seul pouvait combler. Avec cet instinct qui le poussa dans le dos, il adopta une position léthale qu’il avait juré de ne jamais révéler.

— …C’était imprudent.

Il serra fortement son poing, mais cependant, il était certain qu’elle avait également senti sa sincérité. Dans ce silence total, Oliver se souvint d’être parvenu à un accord mutuel —-Battons-nous jusqu’à ce que l’un de nous meure. —- C’était clairement un désir mutuel. À cet instant, un contrat avait lié les destins de leurs épées.

— Oliver !

Une voix familière résonna, perturbant ses pensées répétitives. Il revint à la réalité et vit qu’il avait tourné au coin du couloir. Nanao courait vers lui.

— Vous voilà ! Vous avez disparu juste après la fin de la leçon alors je vous ai cherché partout.

Elle s’était arrêtée devant lui, souriant innocemment comme un gentil chiot. Oliver ne savait pas quoi dire.

— Ce duel était excellent, vraiment excellent, poursuivit-elle. —- Je peux honnêtement dire que je n’ai jamais vécu un moment aussi épanouissant dans ma vie, depuis la première fois que j’ai manié l’épée jusqu’à aujourd’hui.

Elle parlait avec passion, les yeux émerveillés. Soudainement, elle baissa les yeux et ferma son poing.

— Mon seul regret est que ce plaisir fut interrompu. Même maintenant, je ne peux m’empêcher de penser à ce qui aurait pu se passer. Mon cœur brûle de désir. Ne ressentez-vous pas la même chose ?

— ……

Oliver resta silencieux, incapable de répondre. Sans aucun doute qu’il ressentait la même chose, Nanao releva la tête, les yeux pétillants de joie.

— Je te demande de m’affronter à nouveau en duel, Oliver ! Proclama- t-elle —- La prochaine fois, nous pourrons nous battre à cœur joie sans aucun handicap ! insista Nanao, tout à fait sérieusement—- combattons jusqu’à la mort la prochaine fois !

Sa demande était tellement en désaccord avec l’expression innocente de son visage. Un frisson parcourut l’échine d’Oliver. Il répondit instinctivement.

— Hors de question,

La faisant taire complètement. L’expression de Nanao se raidit.

— …Hein ?

— J’ai dit non. Je ne me battrai plus jamais avec toi. Encore moins dans un combat mortel, déclara Oliver à la jeune fille figée.

Après l’avoir dit à haute voix, cela semblait si naturel. Il n’y avait aucune raison d’avoir un duel à mort avec un camarade de classe.

— M-Mais pourquoi ?

Et pourtant, la jeune fille ne semblait pas comprendre que c’était ainsi que les choses se passaient. Elle était secouée en son cœur, sa voix tremblante. La culpabilité transperça le cœur d’Oliver, même s’il n’avait rien à se reprocher. Ces larmes cristallines qu’il avait vues pendant leur duel, le souvenir en était encore frais dans sa mémoire et il s’efforça de conserver son attitude froide.

— C’est évident. Je ne veux pas te tuer, ou être tué par toi. C’est tout.

C’est là que le dialogue se termina. Oliver tourna les talons et s’éloigna, mettant fin à la conversation. Nanao le regarda, hébétée, disparaître au loin, une larme glissant sur sa joue.

— ………Mais pourquoi… ?

Le deuxième cours fut consacré aux incantations. Avant que les élèves de première année ne s’entassent sur les bancs, une vieille sorcière vêtue d’une robe fit son apparition.

— Bienvenue aux cours de sortilèges. Je suis votre professeur, Frances Gilchrist. Et il semble que chaque année, je sois destinée à être profondément déçue en voyant les première année.

Les élèves furent choqués par ce début de cours brutal.

— Ces choses métalliques disgracieuses à vos tailles… Comment pouvez-vous vous considérer comme des mages en les portant ? Je ne peux tout simplement pas le comprendre. Ils sont peut-être nécessaires pour les pauvres non-mages, mais nous, qui vivons avec les mystères de ce monde, seule une baguette est appropriée.

Soupirant, la vieille instructrice sortit sa baguette de sa taille. Katie leva la main, incapable d’accepter cela.

— P-pardonnez-moi, Professeur.

— Oui ? Quel est votre nom, ma chère ?

L’attention de la sorcière se porta instantanément sur la fille aux cheveux bouclés. Après que Katie se soit présentée, Gilchrist hocha la tête et lui demanda de continuer.

— Très bien, Miss Aalto. Partagez vos pensées avec nous.

— O-oui, madame. Vous les avez qualifiés de ‘choses métalliques disgracieuses’, mais tous les professeurs de Kimberly portent des athamés, sauf vous. La directrice est même une pratiquante réputée des arts de l’épée. Avez-vous l’intention de les insulter également ?

Katie chercha le conflit en quelque sorte. La classe bourdonnait, mais la vieille institutrice ne fut pas décontenancée.

— Quelle question idiote. Je respecte mes collègues, et je n’ai évidemment aucune intention de ternir le nom de la directrice, mais aucun mage de cette école n’a vécu plus longtemps que moi.

L’expression de Katie tourna à la stupeur. Gilchrist posa doucement une main sur sa poitrine.

— Je sais comment les mages d’antan se présentaient. C’est pourquoi j’agis comme je le fais, peu importe combien de personnes me traitent de vieille folle.

Le regard de la vieille instructrice passa de Katie au reste des élèves.

— Mais cela ne suffit pas à vous convaincre, je suppose, poursuit Gilchrist — – Alors permettez-moi de critiquer cette mode récente des arts de l’épée… Comme vous le savez, les mages du monde entier ont commencé à brandir des athamés après la défaite embarrassante de Badderwell. Pour se défendre contre les attaques des non-mages, ont- ils dit, un slogan bien pratique. Cependant, savez-vous quels ont été les résultats ?

Sa question resta sans réponse tandis qu’elle poussait un profond soupir.

— C’est pour ainsi dire assez comique. La réduction des décès dus aux non-mages s’est accompagnée d’une augmentation des décès dus aux violences entre mages. Cela a donné un prétexte de porter une épée chaque fois que vous alliez rencontrer quelqu’un. Et pour ceux qui voulaient nuire à leurs concurrents, c’était un avantage.

Le silence s’installa parmi les étudiants. Un moyen d’autodéfense se transformant en une arme pour blesser les autres était une évolution incroyablement naturelle.

— Considérant cela, je peux dire avec certitude que la popularité des athamés n’a pas rendu le monde magique plus sûr, mais l’a au contraire desservi. C’est une réalité indéniable, qui serait facilement résolue si vous remplaciez toutes vos épées par des baguettes. Cependant, ce n’est pas si facile à faire. Vous là, pouvez-vous nous dire pourquoi ?

La question fut posée à Oliver, assis dans un coin de la classe. La présence de Nanao l’empêchait de se concentrer sur le cours, ce que l’instructrice avait dû remarquer. Il se ressaisit tout en se levant.

— …Parce qu’ils sont traités comme un mal nécessaire. Par exemple, lorsqu’un mage muni d’un athamé commet un crime, ceux qui tentent

de le traduire en justice doivent être équipés de la même manière ou être désavantagés. On peut dire la même chose concernant l’autodéfense. C’est pourquoi personne ne veut renoncer à son épée.

— Correct. Quel est votre nom ?

— Oliver Horn, madame.

— Une excellente réponse. J’espère en voir plus, dit-elle, indiquant que sa réponse était satisfaisante.

Oliver s’inclina légèrement et alla se rasseoir quand son regard rencontra celui de Pete. Il sourit en retour, ce qui fit détourner le regard de Pete. Le sourire d’Oliver devint gênant et il allait falloir un certain temps avant qu’ils ne deviennent plus proches.

— Comme l’a dit Mr. Horn, il n’est pas facile de rejeter une mauvaise pratique une fois qu’elle a pris racine. Et pourtant, ce n’est pas une excuse pour se reposer dans la complaisance dans notre monde moderne. C’est précisément parce que tout le monde est si à l’aise avec les athamés partout dans la société magique que j’essaie de rappeler aux autres une époque meilleure, où de telles choses n’existaient pas, énonça Gilchrist.

Les yeux sur elle, Guy chuchota à sa voisine, Chela.

— …Hé, ça veut dire qu’elle a vécu pendant plus de quatre cents ans ?

— Tu ne le savais pas ? Elle est l’une des rares sorcières de toute la société magique à avoir directement connu la période pré-Badderwell.

— Sérieusement ? dit Guy, abasourdi.

La figure historique vivante interrompit sa conférence et se tourna vers ses élèves, qui étaient tous encore plus jeunes que ses arrière-arrière-petits- enfants.

— Cela dit, je n’ai qu’un seul credo—- si vous êtes un mage, résolvez vos problèmes avec la magie. C’est tout.

Cette conclusion avait évidemment fait froncer les sourcils des étudiants. Après tout, la difficulté de cette tâche n’était-elle pas la raison pour laquelle les mages post-Badderwell avaient porté l’épée ?

— Je vois que vous pensez tous que c’est impossible. Mais ce n’est que l’incarnation de votre immaturité. Laissez-moi vous donner un exemple, dit Gilchrist à la foule sceptique.

Soudainement, des silhouettes apparurent autour d’elle. Une fois libérées de leur camouflage, elles semblaient être des constructions de formes diverses. Sur leurs visages se trouvaient six yeux de verre, et leurs membres furent reliés par des rotules. Leurs mouvements furent incroyablement détaillés, mais ne dégageaient aucune présence de vie.

— Whoa, des marionnettes !

— Toi là, celui qui a parlé. Quel est ton nom ?

L’instructeur désigna immédiatement Guy. Il se leva rapidement et se présenta.

— C’est faux, Mr. Greenwood ! dit-elle en le corrigeant sévèrement. —- Ce sont des automates, des familiers façonnés par la main des mages, et qui peuvent se déplacer sans qu’il ne soit nécessaire de contrôler chacun de leurs gestes.

Pendant qu’elle parlait, les automates avaient formé un cercle défensif autour d’elle. Leur organisation était parfaite et Oliver déglutit devant tant d’efficacité.

— Vous comprenez maintenant ? Même le mage le moins qualifié peut renforcer ses défenses à courte portée de cette façon. Il n’est même pas nécessaire qu’il s’agisse d’un automate, un familier peut aussi faire l’affaire. Quoi qu’il en soit, si vous étudiez les techniques pour les maîtriser, l’utilité de vos épées devient naturellement nulle.

Gilchrist déclara cela avec confiance, puis fit signe aux étudiants.

— Si pour vous les automates ne sont pas fiables, je vous invite à essayer de les trancher. Si vous parvenez à leur arracher un bras avec vos épées, vous pourrez peut-être me convaincre de réviser ma politique.

Oliver regarda nerveusement Nanao, craignant qu’elle ne relève le défi comme elle l’avait fait pendant le cours d’arts de l’épée. Mais à sa grande surprise, la jeune aziane resta silencieuse aux côtés de Katie pendant toute la période.

— …Mec, je suis crevé. Je veux dire, je m’y attendais un peu, mais c’est beaucoup plus intense que je ne le pensais pour un premier jour.

Les cours du matin étant terminés, il était maintenant midi. À la demande de Guy, ils avaient décidé de manger dehors, et après avoir emballé leurs repas de la cafétéria pour les emporter, les six trouvèrent un banc à l’extérieur du bâtiment de l’académie pour s’asseoir et manger.

— Déjà avec le cours de sortilège, je suis déjà dépassé par la théorie. Et c’est quoi cette histoire de nous enseigner le cours d’arts de l’épée pour ensuite enchainer sur une matière qui nous dit que c’est inutile ? C’est légal de faire ça ?

Guy se plaignait en se gavant d’un sandwich ouvert chargé de bacon et de laitue. À côté de lui, Pete mangeait la même chose, mais de manière beaucoup plus réservée.

— Je suis d’accord en grande partie avec l’instructrice, répondit doucement Pete—-, Mais je ne suis pas d’accord avec le fait qu’elle ait raison sur tous les points.

— Eh bien, c’est curieux. Pete, pourrais-tu me dire pourquoi ? demanda Chela, intriguée.

Pete réajusta ses lunettes avant de répondre.

— Ces automates étaient manifestement de haute qualité. Un novice comme moi n’aurait jamais été capable de les trancher, peu importe le nombre d’essais. Mais la charge de contrôler autant d’automates à la fois n’est pas normale non plus.

Cette fois, c’est Katie qui avait levé la tête de son déjeuner à moitié mangé.

— Tu as raison sur ce point. Je peux invoquer des familiers de moindre puissance, mais si j’en avais trop à la fois, je serais exténuée en un rien de temps. Les réserves de magie augmentent avec le temps et l’entraînement, mais il y a toujours des limites. Et tout le monde n’est pas pareil.

— Même si nous étions tous capables de faire ça, on ne pourrait pas utiliser cette magie pour autre chose. Cela signifie que nos autres sorts seraient limités, ce qui n’est pas pratique. La seule raison pour laquelle elle peut mettre sa théorie en pratique est parce qu’elle a des réserves monstrueuses de magie, supposa Oliver.

Après les avoir entendus parler, Chela sourit.

— C’est vrai. Néanmoins, je crois que Ms. Gilchrist le comprend lorsqu’elle parle de ses idéaux. Même si nous ne pouvons pas tous la copier, nous devrions trouver une autre solution magique. Peu importe l’époque à laquelle nous vivons, il faut polir ses compétences et ne pas les laisser rouiller. Peut-être est-ce la signification ultime de son credo, « Un véritable mage sait résoudre tous les problèmes à l’aide de la magie ».

Dit Chela. Katie croisa les bras et hocha la tête.

— …Tu as raison. Elle semble stricte, mais c’est peut-être aussi un bon professeur. Elle s’est souvenue de mon nom, après tout.

— Qui va oublier une personne s’en prenant à elle ? Tu devrais vraiment arrêter de contester les opinions des autres, tu es nulle en débat.

— Tai-tais-toi ! Je comblerai les lacunes de mes connaissances bien assez tôt ! Et je ne conteste pas les opinions d’autrui ! Tu inventes !

— Objection votre honneur, la plaignante nage en plein délire.

— Pourquoi, tu–!

Katie frappa les épaules de Guy alors qu’il la taquinait. Ce n’était jamais un moment de calme avec ces deux-là. Leur jetant un regard en coin, Chela se tourna vers Nanao, qui n’avait pas encore dit un mot.

— Tu as l’air un peu mal, Nanao. Les cours ont été épuisants ?

— ……Mm, non, je vais bien. J’étais tout simplement perdue dans mes pensées un petit moment, répondit Nanao docilement.

Elle n’avait même pas touché à son repas. Chela secoua la tête gentiment.

— Il n’y a pas besoin de faire semblant. Personne ne t’en voudra si tu prends un peu de temps pour t’habituer à l’environnement avant de faire des efforts. Pour l’instant, concentre-toi sur ton acclimatation ici, dit- elle en prenant une bouchée de son sandwich.

Nanao fit de même, mais sa bouchée fut très petite. Elle n’avait plus son appétit d’avant. Une fois leur courte pause terminée, ils se dirigèrent vers un espace extérieur pour continuer leurs cours.

— Ah, de nouveaux étudiants. Bienvenue en biologie magique. Je suis votre professeur, Vanessa Aldiss. Retenez bien mon nom.

La voix qu’ils entendirent fut celle d’une femme en tenue décontractée. Par la suite, la classe se répartit en groupes de six autour de grandes tables de travail. Elle se déplaçait autour de ces dernières, tout en parlant.

— Laissez-moi d’abord vous poser une question : est-ce que l’un d’entre vous aime les animaux ? Est-ce que vous ou vos parents êtes des défenseurs des droits des demi-humains ?

Sa question étrange fit que les élèves se regardèrent les uns les autres. Finalement, quelques mains se levèrent. Une fois qu’un tiers de la classe avait levé la main, Vanessa se mit à renifler.

— Huh, il y en a beaucoup cette année. Eh bien, je déteste dire ça, mais vous devez tous jeter vos précieux idéaux à la poubelle. Je vous préviens dans votre propre intérêt ici. Si vous ne le faites pas, vous ne ferez pas long feu dans ma classe.

L’agitation traversa les visages des élèves à son avertissement soudain. À côté d’Oliver, Katie serra les lèvres. Mais Vanessa était insensible.

— Laissez-moi être claire tout de suite. Nous allons manipuler des créatures magiques, et elles seront considérées comme des ressources naturelles. Il n’y a aucune place pour vos idéaux de cohabitation ou d’amitié. Vous n’auriez pas tort de supposer que ces ressources incluent tout ce qui n’est pas humain et ceux qui ont des droits civils reconnus. Accessoirement, les centaures étaient considérés comme des ressources il n’y a même pas vingt ans. La cour ne s’était pas encore prononcée sur les droits civils de leur espèce à l’époque. Les chasser, les tuer et les manger était totalement normal. Bon sang, j’ai même aimé quelques brochettes de foie de centaure. Je ne me suis toujours pas remise du fait qu’on ne puisse plus les manger.

— Qu-que-quoi- ?!

Incapable d’écouter plus longtemps son discours barbare, Katie lança sa main en l’air, affichant clairement son intention de contester. Vanessa lui jeta un regard avant de l’ignorer.

Peut-être que c’est normal de perdre du temps sur la théorie le premier jour de cours, mais moi je suis plus du genre à plonger ou à nager directement. C’est de l’expérience dont vous avez besoin, pas de théorie. Et donc le sujet d’aujourd’hui est celui-ci.

Elle sortit la baguette blanche de sa taille et l’agita. Les couvercles des boîtes en bois sur leur poste de travail s’ouvrirent, et les étudiants regardèrent avec curiosité à l’intérieur pour trouver des créatures blanches blotties à l’intérieur.

— Certains d’entre vous le savent peut-être déjà, mais ce sont des vers à soie magiques. Ces insectes sont complètement domestiqués grâce à une reproduction sélective et ne peuvent survivre que s’ils sont nourris de magie par des mages. Pour cette raison, ils essaient souvent de se blottir contre les humains. Certaines personnes les gardent comme animaux de compagnie. Pour l’instant, ils ne sont pas dangereux, alors allez-y, touchez-les.

Encouragés, les élèves tendirent prudemment leurs mains vers les créatures. Les insectes magiques étaient couverts de fins poils blancs. De la taille d’un chaton de trois mois, ils n’avaient rien à envier aux variétés que les non-mages élevaient, mais grâce à leurs formes duveteuses et à leurs jolis yeux ronds, il était peu probable que l’on ressente l’aversion associée aux insectes normaux. Les élèves les ramassèrent un par un, commençant par le plus proche.

— I-Ils sont si mignons et doux !

— Ils se blottissent vraiment contre nous…Ma famille n’élève pas de vers à soie, alors je n’en ai jamais touché un non plus.

Les insectes magiques rampèrent vers les élèves sans aucune prudence, et ils les laissèrent joyeusement sauter sur leurs mains pour les regarder de plus près. Souriant en les regardant, Vanessa commença sa conférence.

— La valeur de ces créatures provient évidemment de leur production de soie. Nous récoltons les cocons qu’elles produisent en vue de leur métamorphose. Ils sont plus gros que les vers à soie normaux, produisent plus de soie et ajoutent des propriétés magiques au produit, mais ce qui est vraiment spécial chez eux, c’est qu’un spécimen peut créer plusieurs cocons.

— Huh ? Ils ne deviennent pas des adultes ?

— Si on les laisse seuls. Mais si le cocon est récolté avant le point de non-retour, leur métamorphose s’inverse. Ils peuvent vivre comme des larves pour toujours. En les nourrissant de magie et en répétant ce processus, elles peuvent produire une quantité presque illimitée de soie au cours de leur vie. Ils vivent ainsi pour servir les humains. Malheureusement, ce n’est pas sans inconvénient. Le contrôle de la température et de l’environnement alimentaire mis à part, le process écologique est plutôt ennuyeux. Laissez-moi vous montrer.

Et avec ça, elle se dirigea vers une table. Prenant grossièrement l’un des insectes dans sa boîte en bois, elle le souleva pour que tout le monde le voie.

— Tous les insectes ici ont vu leur développement s’arrêter juste avant qu’ils ne puissent produire des cocons par eux-mêmes. Donnez-leur un peu de magie, et ils commenceront à tourner. Comme ceci.

Tout en parlant, elle avait rapproché sa baguette blanche de l’insecte. L’instant d’après, la créature se mît à trembler sous l’effet de la magie et commença à cracher du fil par la bouche. L’élégant tissu blanc pur recouvrit son corps et un peu plus de dix secondes plus tard, ce fut cocon complet, nouvellement formé. Les étudiants poussèrent des ooh d’admiration.

— Cependant, la dernière partie est la plus délicate. Si vous leur donnez trop de magie, les choses se gâtent. Laissez-moi vous montrer.

Vanessa posa un autre insecte sur la table et y approcha sa baguette. Au début, tout semblait être comme précédemment, mais l’instant d’après, la créature eut de violents spasmes à cause de l’afflux de magie et commença à cracher du fil noir par la bouche. Les étudiants déglutirent en la voyant noircir.

— Un c-cocon noir… ?

— Reculez. Il va bientôt éclore.

Prévint-elle, en éloignant les élèves. Après quelques secondes, ils entendirent un bruissement à l’intérieur du cocon. Quelque chose éclata ensuite.

— … ?!

— Whoa !

— Waaah !

Sa carapace noire était faite d’un matériau dur, et les ailes battaient à grande vitesse pour propulser le mini insecte dans les airs. Les élèves reculèrent de peur devant ce vol soudain et les cliquetis menaçants de ses mandibules.

— Ok, ok. FLAMMA !

Voyant leur réaction, Vanessa brandit sa baguette. Une flamme orange vacilla, enflammant l’insecte noir qui bourdonnait autour. Il plongea ensuite au sol. Les élèves regardèrent la scène en silence, horrifiés, tandis qu’il brûlait en se tordant de douleur. Une fois à moitié cendré, elle écrasa ses restes sous sa botte et reprit la parole.

— Comme vous venez de le voir, une overdose de magie les transforme en des monstres violents. C’est un effet secondaire de leur développement accéléré. Un processus lent permet d’éviter cela, mais leur production de soie est alors beaucoup trop lente. Ainsi, vous devrez accepter quelques pertes. Même le plus expérimenté des éleveurs de vers à soie perd une larve sur trente.

Vanessa haussa les épaules, la seule émotion affichée étant une pointe de regret à l’idée que la récolte de soie soit amputée d’un ver. Qu’ils en soient heureux ou non, les élèves savaient maintenant ce que cela signifiait de traiter les créatures magiques comme des ressources.

— Comme vous l’avez peut-être deviné, votre tâche aujourd’hui est d’effectuer cette dernière étape. Chacun d’entre vous va recevoir dix vers. Avec cinq succès ou plus, vous réussissez. Ça a l’air amusant, non ?

Les étudiants firent des bruits de dégout à l’idée de leur future tâche. Vanessa leur donna un dernier avertissement.

— Si vous échouez, vous devrez nettoyer vous-même. Ils ne sont pas difficiles à tuer. Il suffit juste de les brûler avec un sort de feu avant qu’ils n’éclosent ou de les transpercer de vos athamés. Vous n’avez pas le droit de vous entraider. Le secret est de considérer vos baguettes comme des cuillères à café et la magie comme de l’eau. Vous devez leur donner trois cuillères à café et demi de magie par exemple, mais chaque ver est différent alors c’est juste une estimation approximative. Ce que je veux dire, c’est qe leur survie ne dépend que de vous.

Et sans leur laisser le temps de se préparer, Vanessa frappa dans ses mains.

— Vous avez compris ? Bien. Maintenant, au travail !

C’était exactement comme jeter à l’eau quelqu’un qui ne savait pas nager. Baguettes à la main et cœurs vacillants, de nombreux élèves attrapèrent un ver et exactement comme les années précédentes, ce fut la cata.

— Agh ! Il est soudainement devenu noir… !

— Dépêche-toi de le brûler, crétin ! S’il éclot, on devra nettoyer !

— Trois cuillères à café et demie ? C’est quoi ? Je suis nul pour les mesures précises.

— Tais-toi ! Je peux pas me concentrer !

Même une moindre erreur de mesure gâchait leurs efforts. Tout autour de Chela, les mages en formation essayaient désespérément de réussir tandis qu’elle seule semblait déçue.

— …Quelle tâche facile. Cela ne me prendra pas beaucoup de temps.

Dit-elle en plaçant les dix vers en rang sur la table de travail. Elle ondula sa baguette au-dessus de chacun d’entre eux, les infusant de magie et leur faisant cracher de la soie. Un cocon, cependant, devint noir.

— Neuf cocons réussis sur dix, avec un échec. Bien, c’est suffisant. FLAMMA !

Dès que ses résultats furent connus, Chela lança un sort de feu sur le cocon noir et le brûla. Guy fut bouche bée devant sa nonchalance.

— Bon sang, tu n’as pas hésité une seconde !

— Hein ? Même un éleveur chevronné perd environ trois pour cent

de ses vers, donc un seul échec est plutôt bon. Obtenir un score parfait relève de la pure chance. Si tu n’as pas l’intention de devenir cultivateur de soie, il n’est pas nécessaire de t’entraîner aussi intensément.

Expliqua-t-elle avec évidence. Comme elle était la première à terminer ses devoirs, elle regarda ses amis.

— Oliver, je parie que ce genre de tâche est aussi dans tes cordes. Je vais surveiller Nanao, alors pourquoi tu n’aiderais pas Katie et Pete ?

— Pas d’aide pour moi ?

— Guy, va d’abord échouer cinq fois. Une fois que tu auras acquis la sensation, tu pourras demander conseil.

— Merde, c’est si évident que je suis nul à ce truc ?

Apparemment inadapté au travail délicat requis, Guy reprit sa baguette avec résignation. Oliver détourna son attention. Il était préoccupé par Nanao, mais il avait surtout son attention sur quelqu’un d’autre en ce moment.

— …Katie, tu peux y arriver ?

Demanda gentiment Oliver. Le visage de Katie était pâle et elle fixait les vers à l’intérieur de la boîte en bois. Après être restée figée pendant quelques secondes, elle hocha la tête avec raideur.

— J-je vais bien. Sache que je suis douée pour ajuster mon mana.

Comme pour faire appel à sa propre volonté. La main tremblante, elle sortit la baguette de sa taille. Son visage était bien plus sérieux que celui de tous les autres élèves. Oliver ne savait pas s’il devait ajouter quelque chose. Ce serait terrible s’il perturbait sa concentration.

— Pete, est-ce que tu—- ?

— Pas besoin de conseils. Tu me distrais, alors ne reste pas derrière.

Oliver reçut une réponse sèche, mais ce n’était pas comme s’il ne s’y attendait pas. Obéissant, il s’éloigna. Il avait choisi ses propres vers dans la boîte en bois tout en jetant un œil sur Chela qui donnait des instructions à Nanao.

— Je suppose que je vais m’atteler à ma tâche alors.

Il aligna dix vers à soie magiques sur la table de travail et les infusa avec de la magie, tout comme Chela l’avait fait. Il y eut neuf succès comme prévu, mais un échoua et se transforma en un cocon noir.

— …..

Après un moment d’hésitation, Oliver réajusta habilement la situation de sorte à cacher le cocon noir dans un angle mort de Katie.

— …FLAMMA !

Il récita le sort, et sous ses yeux, cette vie indésirable fut rapidement réduite en cendres. Vingt minutes après avoir donné le devoir, Vanessa, qui ne faisait qu’observer, s’adressa à la classe.

— Très bien, c’est assez, je pense. Alors, les enfants ? Avez-vous eu une moyenne de trois réussites ?

Elle se faufila dans la classe, un regard sadique sur le visage. Les résultats des élèves variaient énormément. Vanessa évaluait les restes carbonisés repérant les tables de travail comme on pouvait le faire avec des accessoires dans un bazar, souriant joyeusement en papillonnant.

— Hmm, hmm… Eh bien, mieux que les autres années, je suppose. Personne ne s’est fait attaquer parce qu’il n’a pas réussi à tuer ses erreurs, non plus… Hmm ?

Elle cessa soudainement de marmonner. En visitant une cinquième table, son regard se posa sur Katie, face au vers et baguette à portée de main et complètement figée. Autour d’elle, ses amis observaient, retenant leur souffle.

— Hey, hey, tu n’as toujours pas fini ? Tu prends beaucoup trop de temps. C’est juste un peu d’infusion de mana.

— Je le fais maintenant ! S’il vous plaît, taisez-vous ! cria Katie.

Elle n’était même plus consciente qu’elle parlait à l’instructrice. Toute sa concentration était sur les vers en face d’elle, refusant d’échouer même une fois sur dix mille essais. Oliver transpirait en regardant Chela surgir à côté.

— C’était pour la plupart des échecs, mais Nanao a terminé. Alors ?

— …Tout le monde a fini, sauf Katie. Elle a été très prudente jusqu’à présent, ce qui signifie heureusement qu’elle a eu neuf succès, mais…

— C’est merveilleux. Elle n’a pas besoin d’être aussi prudente, alors.

Voyant la confusion sur le visage de Chela, Oliver se mordit la lèvre. Des sentiments compliqués tourbillonnaient en lui. Ce n’était pas un problème de personnalité ou de bon sens. Elle venait d’une célèbre lignée de mages, tout cela était normal alors difficile de compatir pour le conflit interne de Katie.

— Un de plus… Un de plus… ! C’est bon. Je peux le faire… ! Je jure que je vais te sauver… !

Katie se murmura cela à plusieurs reprises. Puis, finalement, elle balança sa baguette avec conviction. Juste à ce moment-là, une simple brise, comme un doigt glacé, souffla sur la sueur qu’elle avait accumulée sur sa nuque après tant de concentration.

— Voilà ! …Huh ?

Sa concentration ne se relâcha que d’un poil. Et pourtant, c’était la différence cruciale entre le succès et l’échec. Sous ses yeux, le ver surinfusé commença à cracher du fil noir.

— Ah-ah, ah, ah… !

Un noir profond et sinistre recouvra la créature dans sa main. Le désespoir remplit ses yeux, les épaules de Katie tremblèrent et elle resta immobile. Inquiet, Oliver s’approcha en courant.

— C’est un échec, Katie ! Dépêche-toi de le brûler ! Il va bientôt éclore !

Le cocon noir devait être brûlé rapidement. C’était la règle la plus importante de cette tâche et cela passait avant même le succès ou l’échec. Mais elle ne voulait pas le faire. Katie jeta sa baguette sur la table de travail et ramassa le cocon à deux mains.

— K-Katie ?!

— Il est encore temps ! Si je peux enlever le cocon avant…

Son esprit était tellement grillé qu’elle ne put trouver qu’un plan aussi téméraire. Dans son désespoir, elle était comme un parent berçant son enfant mort, là pour recevoir sa punition pour avoir brisé un tabou. L’insecte, dont le visage sortait du cocon après s’être libéré, mordit impitoyablement sa main droite.

— Augh… ?! Ah-ahhhh… !

— Eh bien, c’était stupide. Je t’avais dit qu’ils étaient violents. Si tu ne le tues pas rapidement, il va te manger le doigt, dit Vanessa, peu impressionnée.

Et pourtant, elle ne tenta pas d’intervenir. Comprenant cela, Oliver et Chela dégainèrent leurs athamés et tranchèrent l’insecte qui agressait leur amie.

— ……Ah…

Abasourdie, Katie regarda l’insecte tomber au sol en trois morceaux. La morsure avait touché un os, mais elle ne semblait pas le remarquer. Elle continua à fixer les restes de la vie qu’elle n’avait pas réussi à sauver.

— Ça va, Katie ?! C’était imprudent de mettre la main dans ce cocon raté.

— Montre-moi ta main ! Je vais lancer un sort de guérison tout de suite…

Chela et Oliver se mirent de chaque côté. Nanao, Guy et Pete accoururent également, mais les voix de ses amis ne parvenaient plus aux oreilles de la jeune fille.

— …Ah…oh…

Katie tendit sa main droite ensanglantée vers les restes de l’insecte, comme si elle avait oublié toute la douleur. Le visage d’Oliver se tordit de chagrin.

 Il l’avait vu venir à des kilomètres et pourtant il n’avait rien pu faire pour l’empêcher. Vanessa, qui regardait ses élèves sautiller pour prendre soin de leur ami, grimaça avec dédain.

— Un court-circuit, hein ? Dès le premier jour, en plus. Que Dieu me vienne en aide, ce genre de princesses…

Ses mots étaient dépourvus de toute forme d’empathie. Les épaules d’Olivier tressaillirent. En observant son expression, Chela fut décontenancée.

— …Professeur, Katie a également été blessée lors de la parade d’hier. Son doigt n’est pas trop mal, mais elle est en état de choc. Pouvons- nous l’emmener à l’infirmerie ? Demanda Oliver sans émotion, refusant de la regarder.

Vanessa agita grossièrement sa main.

— Oui, oui. Allez-y. Oh, Mr. Horn et Miss McFarlane c’est ça ? Vous échouez pour avoir ignoré mon avertissement. Celui de ne pas aider à l’élimination des échecs des autres. C’est votre pénalité.

Elle appliqua la punition sans pitié. Chela l’accepta tranquillement en prêtant une épaule à Katie et en la levant.

— Je n’ai aucun problème avec ça. Maintenant, allons-y, Katie. Je vais t’accompagner à l’infirmerie.

— Je viens avec toi. Guy, Pete, Nanao, restez en classe. Je reviens.

Et avec ça, ils avaient quitté l’espace d’entraînement extérieur, soutenant Katie des deux côtés. Une fois qu’ils étaient assez loin, Chela chuchota à Oliver.

— Oliver, prends une grande respiration.

— …Huh ?

— Il y a eu quelque chose de dangereux dans ton regard. J’étais sûre que tu allais attaquer le professeur à ce moment.

Dit-elle, la voix remplie d’inquiétude. Oliver se mordit la lèvre et respira profondément. La main encore tremblante de rage, il avait réussi à rengainer son épée.

Le cours de biologie magique continua sans eux trois, comme si rien ne s’était passé et une fois celui-ci terminé, Guy, Pete et Nanao retournèrent au bâtiment de l’académie, où ils retrouvèrent Oliver et Chela dans l’un des halls.

— Le cours est terminé, mais… et maintenant ? Est-ce qu’on va tous aller la voir cette fois-ci ? demanda Guy, suggérant la première chose qui lui est venue à l’esprit.

— Ce n’est pas une mauvaise idée, mais je pense qu’Oliver devrait y aller en premier, ajouta Chela.

Oliver leva les sourcils de surprise.

— Juste moi ? Pourquoi ? Nous sommes tous les cinq ici.

— Parce que tu es le plus à même de comprendre ce qu’elle ressent là.

Déclara Chela en croisant les bras. Même si l’admettre semblait la faire souffrir.

— Je comprends qu’elle aime les animaux, et j’ai vu son trauma pour ne pas avoir pu amener ce ver en toute sécurité dans son cocon. Mais… c’est juste une conjecture. Je ne peux pas vraiment compatir.

Oliver pouvait voir que cet incident lui avait fait réaliser à quel point Katie et elles considéraient différemment les êtres vivants. Et qu’elle avait peur de la blesser davantage en essayant de lui remonter le moral.

— Je crois que Guy ressent la même chose que moi, poursuivit Chela– Nanao n’est plus elle-même depuis le déjeuner, et Pete n’est pas du genre à apaiser les autres. Il ne reste que toi, Oliver. Toi seul peux avoir assez d’empathie pour savoir comment l’encourager.

Le visage d’Oliver se raidit et il croisa les bras devant l’affirmation qu’il était fait pour ce rôle. Chela lui sourit avec mélancolie.

— Je suis sûre que cette responsabilité soudaine te déplaît. Alors si tu as des problèmes, sors. Nous rentrerons avec toi en équipe.

— …Ok, je vais le faire. Je ne sais pas si ça va marcher, mais attendez- moi à la cafétéria.

Sa décision prise, le garçon tourna les talons et s’éloigna. Portant le poids des inquiétudes et des espoirs de ses amis, il se dirigea rapidement vers l’infirmerie. Après qu’Oliver ait annoncé qu’il était là pour rendre visite à un élève, le médecin de l’académie lui montra un lit au fond de l’infirmerie. Sentant la fille derrière le rideau, Oliver parla nerveusement.

— …C’est Oliver. Je peux entrer, Katie ?

— Oh, bien sûr. Vas-y

Sa réponse fut rapide, et Oliver franchit le rideau. La jeune fille était assise tranquillement sur le lit. Oliver sourit légèrement.

— Désolé, il n’y a que moi. Tous les autres voulaient venir, mais je me suis dit que ce serait plus difficile de parler. Si tu préfères voir quelqu’un d’autre, dis-le-moi…

— Non, je suis contente que tu sois venue… Désolée de t’avoir encore inquiété. C’est presque l’heure du dîner, n’est-ce pas ? Ne vous inquiétez pas, je vais rentrer…

Elle parla rapidement et essaya de se lever, mais Oliver l’arrêta d’une main.

— Assieds-toi, Katie… S’il te plaît, assieds-toi !

L’exhorta Oliver. Elle se rassit et Oliver fit de même, mais dans le fauteuil du visiteur de façon à ce qu’ils soient en face. Il soupira.

— Je savais que tu essaierais d’arranger les choses, peu importe qui venait te voir… Mais si ça ne te dérange pas, pourrais-tu me faire plaisir ? Je voudrais parler de quelque chose d’un peu compliqué.

— Oh…o-ok.

Katie, sentant son sérieux, se redressa sur le lit. Oliver continua.

— Nous venons à peine de nous rencontrer, et il serait impoli de te demander tout à coup de t’ouvrir à moi… Alors d’abord, ça te dérange si je te raconte une histoire de mon passé ? Je peux ?

La jeune fille hocha la tête. Oliver fit une pause pour choisir ses mots, puis commença.

— Quand j’avais sept ans, j’avais un animal de compagnie. Il s’appelait Doug. C’était un Beagle[3] ordinaire, pas très intelligent, mais il était gentil et très amical. Comme j’étais enfant unique, nous sommes devenus les meilleurs amis du monde du jour au lendemain. On faisait vraiment tout ensemble à l’époque.

[3] Race de chien originaire d’Angleterre.

Un léger sourire effleura ses joues alors qu’il se rappelait ces jours heureux. Katie écouta attentivement.

— Un jour, Doug a soudainement eu de la fièvre. Il ne voulait pas manger et avait toujours des douleurs. J’étais très inquiet. Mon père m’a dit que c’était une maladie saisonnière et qu’il était sûr qu’après une semaine de repos, Doug irait mieux.

L’expression d’Oliver se noircit alors qu’il se souvenait en détail de la maladie de son chien adoré.

— Mais je ne pouvais pas attendre une semaine. Je ne pouvais pas supporter de rester assis à regarder Doug souffrir… Alors j’ai eu l’idée de créer un médicament pour le guérir. À ce moment-là, j’avais appris les bases de la préparation des potions magiques. Mes parents m’avaient dit que j’étais doué pour ça, alors j’étais sûr de pouvoir préparer quelque chose de simple. En secret, j’ai lu les grimoires de mes parents, rassemblé les ingrédients, et les ai mélangés. Puis je l’ai donné à Doug.

Il fit une pause, serrant ses mains et la tête se baissant.

— Les résultats ont été dramatiques… Moins d’une heure plus tard, Doug a commencé à cracher du sang. Il a fini par mourir.

— …… !

Le souffle de Katie s’arrêta. Les yeux toujours baissés, il s’efforça de continuer.

— J’avais pris les mauvais ingrédients. Je me suis renseigné plus tard, et j’avais mélangé une plante hautement toxique avec les herbes que j’avais récoltées. La bonne herbe avait des feuilles similaires, mais des racines de forme différente. Si j’avais su, j’aurais pu les différencier. Mais je n’avais pas assez étudié, donc je ne savais pas la différence. J’ai donc écrasé la plante sans savoir qu’elle était toxique et je l’ai fait bouillir dans un pot. J’ai dit à Doug que ça l’aiderait à se sentir mieux. Il n’avait pas douté de moi une seule seconde.

— …… !

— Non pas que j’essaie de comparer ça à ce qui s’est passé plus tôt en classe, mais… j’ai juste l’impression de pouvoir compatir un peu. C’est ce que je voulais dire.

Et sur ce, il termina son histoire sur une erreur douloureuse de son enfance. Un long silence s’installa entre eux.

— … J’avais aussi beaucoup d’animaux à la maison. Katie avait enfin commencé à s’ouvrir lentement.

— Des chiens, des chats, des oiseaux, des reptiles, des grosses bêtes magiques, et même des demi-humains. J’étais plus proche de Patro, notre troll. Il a été mon protecteur depuis petite. Patro était toujours gentil. Quand je pleurais, il me mettait sur son épaule et m’emmenait faire une promenade. Les nuits où je ne pouvais pas dormir, il restait à mes côtés et me chantait des berceuses. Tu savais que les trolls peuvent chanter ? Leurs voix sont étranges, comme une flûte faite d’un gros coquillage.

La douceur de sa voix et de son expression fit sourire Oliver. Remarquant le regard calme qu’il posait sur elle, Katie recula un peu par gêne et sourit.

— Vu de l’extérieur, ma famille doit paraître bizarre. Guy a probablement raison. Mes parents m’ont dit qu’ils étaient autrefois de fervents utopistes. Quand ils étaient plus jeunes, ils ont consacré beaucoup d’efforts à la recherche de moyens pour créer un monde où toutes les créatures pouvaient vivre sans se faire du mal. Du végétarisme au développement de particules magiques remplies de nutriments, ils ont tout essayé… Mais quand ma mère est tombée enceinte de moi, je suppose qu’elle a réduit ses recherches à la protection des demi-hommes. C’est pourquoi—- et peut-être que ça va paraître étrange, mais sache qu’il y avait de la viande sur nos tables lors des diners comme dans toutes les familles.

La jeune fille se mordit amèrement la lèvre en se souvenant de cela.

— …Oui, je mange aussi de la viande et du poisson. Ils ne sont pas différents de cet insecte magique. J’avais essayé de comprendre la logique de ma mère. La société ne peut pas progresser si nous interdisons tout parce que cela pourrait blesser quelqu’un d’autre. C’est vrai pour les magiciens et les non-mages.

— ……

— Mais mes sentiments ne peuvent pas suivre. Je ne peux pas m’engager dans cette façon de penser—- que toutes les créatures autres que celles auxquelles on a accordé des droits civils sont des ressources que les mages peuvent utiliser. Je ne peux pas accepter que des lignes soient tracées. Je ne veux pas accepter ce qui est considéré comme normal ici… !

Katie serra ses genoux et secoua violemment la tête. Oliver considéra silencieusement son dilemme avant de reprendre la parole.

— … Disons que ce « paradis » auquel croient les non-mages existe.

— …Hein ?

— C’est une citation d’un livre que j’ai lu il y a longtemps. « Les anges qui y vivent n’ont jamais faim, soif, ne se battent pas ou ne se jalousent pas. Si tout le monde autour de toi est comme ça, alors il est facile d’être gentil. »

Katie le regarda d’un air absent tandis qu’il poursuivait.

— « Mais nos estomacs se vident, et nos gorges se dessèchent. Il est courant que les gens soient plus nombreux que le pain. Ceux que nous n’aimons pas, nous les combattons et ceux qui nous dépassent, nous les envions. Dans un monde où il est si difficile d’être gentil, que devons-nous faire pour nous améliorer ? »

Katie retint son souffle. La citation terminée, Oliver prit une inspiration.

— La citation est tirée de la seconde moitié du livre. Elle représente le conflit que le protagoniste de l’histoire a porté en lui. Chaque fois que je vois des gens souffrir pour avoir essayé d’être gentils, je me rappelle ce passage.

— ……

— Aussi longtemps que nous vivrons dans ce monde, l’adversité et la gentillesse existeront toujours. Être gentil, c’est essentiellement renoncer à son avantage. Cela ne se limite pas seulement à notre traitement des demi-hommes, non plus au fait que donner du pain à quelqu’un d’autre signifie qu’il y en a moins pour soi. Donner son manteau à quelqu’un signifie qu’on n’a rien pour se couvrir quand il fera froid. Tu n’y gagnes rien, et c’est ce que la bonté doit toujours combattre.

Katie fixa le visage d’Oliver pendant qu’il parlait. Personne d’autre que ses parents ne lui avaient jamais parlé aussi sérieusement.

— C’est beaucoup plus facile de vivre sans affronter ce vent contraire. Personne ne se plaindrait si tu le faisais. Mais malgré tout, il y a toujours des gens qui se défendent. Je l’ai vu toute ma vie des gens qui s’efforcent d’être gentils malgré les difficultés. À qui pense-t-il ? se demanda Katie.

— Tes parents devaient être pareils. Donc, dans un certain sens, peut- être que la maison dans laquelle tu as grandi était une maison d’anges, débordant de gentillesse et d’hospitalité, où toutes sortes de créatures étaient présentes. Un havre où toutes sortes de créatures pouvaient vivre dans le bonheur et l’harmonie. Mais maintenant, tu es descendu sur Terre et as fait l’expérience de sa cruauté. Donc… tu ne peux plus rester un ange.

— …… !

— Il t’appartient d’accepter cette réalité et de continuer à vivre, ou de la refuser et de lutter. Quel que soit le choix que tu feras, il ne sera pas faux. Personne ne te blâmera pour ta position. Mais si tu fais le choix d’essayer d’être gentil avec les autres…

Oliver marqua une pause et la regarda droit dans les yeux. Katie, captivée, plongea son regard dans le sien.

— Ce mode de vie, à mon sens, est noble. Beaucoup, beaucoup plus noble que n’importe quel ange.

Ses mots contenaient une incroyable vulnérabilité. Une seconde plus tard, le visage de Katie rougissait.

— Um…er…

Assise sur le lit, elle baissa son regard et déplaça maladroitement ses épaules. Oliver, réalisant que son choix de mots avait été intense, éleva vite la voix.

— B-bref… ! Ce que j’essaie de dire, c’est que tu n’es certainement pas seule ! Notre mode de vie est constamment remis en question par la bioéthique du monde magique, et nous faisons des progrès. C’est la raison pour laquelle le mouvement pour les droits civiques a une telle influence. Tu ne te bats pas seule… Tu ne peux pas te laisser aller à penser que l’opinion du professeur est véridique.

Souligna-t-il, avant de la regarder à nouveau dans les yeux.

— Ne te précipite pas, Katie. Tu n’as vu qu’une petite partie de Kimberly. Ton désespoir et ta décision peuvent attendre plus tard. Cherche dans cette école, et je suis sûr que tu trouveras des personnes partageant les mêmes idées. Nous te soutiendrons, nous aussi. Même si nos opinions et nos valeurs diffèrent… nous sommes amis maintenant, n’est-ce pas ?

Au moment où ces mots atteignirent ses oreilles, c’était comme si un poids fut enlevé de ses épaules.

— Tu as raison. Tu as tellement raison, Oliver. Je suis vraiment stupide. À quoi je pensais, en essayant d’être une sorte de croisé solitaire ?

Son humeur avait complètement changé. Le monde semblait à nouveau lumineux, et elle sauta du lit.

— Merci, Oliver. Je vais bien maintenant. Et je suis sérieuse.

Sa voix était ferme et sa force, ravivée. Oliver lui sourit chaleureusement en retour. Une heure plus tard, après avoir terminé le dîner à la cafétéria de la Confrérie, les six amis se promenèrent dans les couloirs alentour.

— Ahhh, c’était bon ! Je suis pleine ! dit Katie avec énergie. Chela sourit en marchant à côté d’elle.

— Je suis contente que tu te sentes mieux. Je ne pouvais pas supporter de vous renvoyer toutes les deux déprimées dans votre chambre, dit-elle, son regard se tournant vers leur autre amie. Nanao resta silencieuse le reste de la journée. De nouveau animée, Katie se rapprocha d’elle et tenta d’engager la conversation.

— Nanao, est-ce que ça va ? Je sais ce que tu ressens, en venant de si loin. Bien sûr, tu as le mal du pays. Si quelque chose te tracasse, dis- le-moi. Je serai toujours là pour te prêter une oreille.

— …Mm. Merci, Katie.

Nanao sourit faiblement à la prévenance de son amie. Par rapport à hier, c’était comme si une flamme était morte en elle. Du coin de l’œil, Oliver l’observa. Il était évident que ça avait quelque chose à voir avec leur altercation du jour.

— …Oh, souffla Pete.

Semblant réaliser quelque chose une fois sorti du bâtiment, il s’arrêta. Les autres le regardèrent avec curiosité alors qu’il fouillait dans son sac. Il avait froncé les sourcils, puis ouvert la bouche.

— …Je dois retourner à l’intérieur. Continuez sans moi.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu as oublié quelque chose ?

— Juste un livre. J’ai une idée de la classe dans laquelle il se trouve, donc je me débrouillerai bien tout seul.

Dit Pete en tournant sur ses talons. Juste à ce moment-là, deux silhouettes apparurent immédiatement de chaque côté de lui.

— Deux têtes valent mieux qu’une, pas vrai, Pete ?

— Et trois devrait être particulièrement rassurant, n’est-ce pas ?

Pris en sandwich entre Oliver et Chela, Pete paniqua. Les deux continuèrent en parfaite synchronisation.

— On ne retrouve pas les objets perdus à Kimberly si facilement.

— Des fées farceuses l’ont peut-être ramené dans leur nid. Est-ce que tu sais ce qu’il faut faire si ça arrive ?

Le garçon à lunettes fit un couinement quand ils lui firent remarquer, et il eut un sourire gêné. Tout comme Nanao, Pete n’était pas habitué à vivre comme un mage. Il n’y avait aucune chance qu’ils le laissent retourner dans le bâtiment de l’académie par ses propres moyens.

— Ne t’inquiète pas. Je suis en fait assez bon pour retrouver les objets perdus. Avec Oliver et moi réunis, je te garantis qu’on serait capables de trouver presque n’importe quoi.

— Trois c’est plus que suffisant. Nanao, Katie, allez-vous coucher tôt. Et, Guy, tu ne fais pas attendre ton colocataire ?

— …Ouais. Difficile pour moi de lire en lui, donc ce serait bien si nous pouvions avoir une chance de discuter. Je ne suis pas non plus doué pour trouver des trucs, alors je vous laisse faire, répondit Guy en agitant la main pour les saluer.

Katie et Nanao hochèrent la tête et continuèrent leur chemin à deux. Pete grimaça et Oliver se mit en route vers le bâtiment de l’académie.

— C’est ça, alors. Allons-y !

Le bâtiment de l’académie était calme, comme un endroit différent par rapport à ce qu’il était pendant la journée. Tous les trois marchèrent dans le hall et arrivèrent bientôt à l’endroit où Pete prétendait avoir perdu son livre.

— La salle de cours des sortilèges, hein ? Pete, tu étais assis là-bas ? demanda Oliver.

— C’est exact. Si personne ne l’a déplacé, il devrait être sous le bureau.

Répondit Pete en trottinant vers les bureaux, puis en s’arrêtant là où il s’était assis pendant le cours. Il se pencha et fouilla sur l’étagère sous le bureau. Ses doigts touchèrent la sensation familière d’une couverture en cuir. Il poussa un soupir de soulagement.

— …Je l’ai trouvé ! Vous voyez, c’était facile.

— Eh bien, tant mieux, dit Chela.

— J’étais convaincu qu’on allait devoir suivre les empreintes d’une fée.

— Ou un fantôme aurait pu le prendre. Pete, tu as de la chance.

— Vous faites exprès d’essayer de me faire peur ?! Votre première hypothèse devrait être qu’un autre élève l’ait pris !

Pete plaça soigneusement le livre dans son sac en faisant la moue devant leurs blagues. Oliver et Chela sourirent.

— Quand même, je suis content qu’on en ait fini rapidement. Rentrons aux dortoirs avant qu’il ne soit tard, dit Oliver.

— En effet. Il est trop tôt pour que nous passions des nuits ici,

Dit Chela. Les deux se firent un signe de tête et se retournèrent. Pete fronça légèrement les sourcils.

— …Il y a vraiment… des choses comme des fantômes et tout ?

— Bien sûr. C’est Kimberly, après tout.

— C’est particulièrement dangereux la nuit, avertit Oliver.

— C’est à ce moment-là que les « empiétements » se produisent. Les fantômes sont une chose, mais on peut tomber sur bien pire.

Ils sortirent de la salle de classe et pénétrèrent dans le hall. Alors qu’ils revenaient sur leurs pas, Oliver poursuivit son explication.

— L’académie Kimberly est également connue sous le nom de Temple des Démons, principalement parce que l’école a été construite comme couverture d’un immense labyrinthe—-

— Je le sais bien. Le premier mage à en explorer les profondeurs fut notre fondateur.

— Précisément. Cependant, il y a un problème. Le bâtiment de l’académie est un couvercle qui garde quelque chose de scellé. Mais le temple lui-même est vivant., dit Chela, en regardant ses pieds.

Pete, au milieu de son prochain pas, se pencha vers l’avant.

— Pendant la journée, il est silencieux, mais la nuit, lorsque les particules magiques sont plus denses, le temple se réveille. C’est à ce moment-là que ces empiètements arrivent, poursuivit Chela.

— Le temple commence à apparaître par endroits, et les frontières entre lui et l’académie commencent à s’estomper.

— Plus on avance dans la nuit, plus les frontières sont floues. Il n’y a pas vraiment de danger à cette heure-ci, mais plus tard, on pourrait se faire emporter.

Oliver était au milieu de sa phrase quand ils s’étaient tous les trois figés. Devant eux se trouvait un mur de pierre s’étendant du sol au plafond. C’était si soudain, que ça avait coupé le couloir dans lequel ils marchaient.

— …Une impasse. Avons-nous pris un mauvais tournant ?

Pete se retourna avec méfiance. Les deux à ses côtés, cependant, avaient des expressions beaucoup plus sinistres.

— …Ce n’est pas le cas. C’est le chemin lui-même qui a changé. Chela !

— Oui !

Ils se mirent en position se rapprochant de Pete, en surveillant leurs environs.

— Pete, ne fais pas de mouvements brusques, avertit Oliver.

— On s’est mis dans une situation délicate.

— En effet… Je n’ai jamais entendu dire que l’empiètement se produisait si rapidement après le coucher du soleil au point de déformer les couloirs.

— Une lourde tension pesait sur leur conversation. La confusion montait sur le visage de Pete face à ce qui se passait.

— O-on ne va pas s’en sortir si on retourne juste par où on est venu ? Il y a plein d’autres couloirs qui mènent à la sortie…

— Il n’y a aucune garantie qu’ils n’aient pas été déformés aussi. Rappelle-toi ce que Chela a dit. Le temple est vivant. Au moment même où nous parlons, il empiète sur l’académie.

Au moment où Pete entendit ces mots et les mit en relation avec la réalité devant lui, le garçon à lunettes sentit un frisson lui parcourir l’échine. Son dos sur l’impasse, Oliver parla fermement.

— Décidons de notre plan d’action. Je pense que nous devrions attendre de tomber sur un élève plus âgé ou un professeur tout en cherchant la sortie. Tout le monde est d’accord avec ça ?

— Je suis d’accord. Je pourrais déployer un sort d’alerte, mais j’aimerais le garder en cas de dernier recours. Je peux gérer les dommages que cela pourrait causer à ma réputation, mais il y a aussi la possibilité qu’il convoque quelque chose de pire.

Les deux acceptèrent sans discuter. Pete étant trop agité pour placer un mot.

— Huh ? Uh, ah–-

— Pas besoin de paniquer, Pete. C’est arrivé beaucoup plus tôt que prévu, mais ce genre de choses ne sort pas de l’ordinaire à Kimberly. Les professeurs et les élèves de classe supérieure devraient patrouiller dans l’académie pour éviter que les nouveaux étudiants ne disparaissent. Être un peu perdu n’est pas la fin du monde—-

— Ouiiii. Je suis tellement contente que tu me trouves digne de confiance.

La voix fut charmante. Un doigt blanc glissa dans l’obscurité ambiante qui enveloppait le labyrinthe, le traversant. Les trois amis se retournèrent vers le bruit pour trouver une sorcière solitaire avec un large sourire.

— Trois petits agneaux perdus… Comme c’est adorable. J’ai juste envie de vous croquer.

Elle se dirigea vers eux, le son de ses pas résonnant avec un léger décalage. Immédiatement, Oliver s’avança.

— …Bonsoir. Vous êtes… une élève de classe supérieure, exact ?

— Oui. Je m’appelle Ophelia Salvadori. Je suis une quatrième année.

Répondit la sorcière, puis elle pencha la tête d’un air perplexe et posa un index sur son menton pour réfléchir.

— …Je suis toujours une quatrième année, je crois ? Je ne me suis pas présentée en classe depuis un certain temps, donc je ne peux en être sûre. Mais je pense que c’est ça. Ça doit être ça. Ravie de te rencontrer, petit agneau.

Elle esquissa un léger sourire, sa beauté ensorcelante suffisait à faire fondre tout sens. Chela avala sa salive.

— Oliver…

— Ouais, je sais.

Il hocha la tête avec précaution. Salvadori— pour autant qu’il le sache, c’était l’un des noms de personnes qu’ils ne voulaient surtout pas croiser dans le labyrinthe. Oliver se lécha les lèvres. Un silence vain n’allait pas les sortir de cette situation.

— Je m’appelle Oliver Horn, en première année. Je n’aurais jamais imaginé rencontrer la célèbre Salvadori ici même.

— Oh, tu as entendu parler de moi ?

— Mais bien sûr. J’avais été très intéressé par Une Étude du Développement Rapide des Croisements entre Krakens et Scyllas avant de devenir étudiant ici.

Bien, approuva Chela en silence. Il avait établi qu’ils n’étaient pas ignorants, laissant penser qu’Oliver n’était pas un première année naïf. Il était difficile de dire à quel point Ophelia avait compris son implication, mais elle avait maintenu sa position de réflexion pendant un moment avant de taper dans ses mains.

— …Ah, cette dissertation que j’avais griffonnée en troisième année. Comme c’est embarrassant. Je suis sûre que vous l’avez trouvée disgracieuse.

— Non, je pouvais difficilement croire qu’une étudiante de troisième année avait écrit cette théorie, sans mentionner à quel point le raisonnement était précis … Ça m’avait donné des frissons.

Ajouta Oliver, la gorge sèche à cause de la nervosité. Maintenant, il avait clairement déclaré qu’il connaissait les profondeurs de sa terreur. La bouche de la sorcière se recourba en un sourire. Il n’en fallut pas plus pour qu’il sache qu’elle avait compris.

— Tu es sage pour un première année. Puis-je connaître les noms de tes compagnons ?

— Je crains que non. Si vous souhaitez leur parler, veillez le faire pendant la journée.

Il avait maintenu le strict minimum de respect qu’un élève plus âgé méritait tout en la rejetant catégoriquement. Sa tentative de pousser les autres à parler était la preuve qu’elle le considérait comme difficile à dominer.

— Hee-hee-hee. Tu n’as pas besoin d’être si effrayé. N’est-ce pas, petit garçon ?

La sorcière avait appelé Pete par-dessus l’épaule d’Oliver. Le garçon à lunettes tressaillit.

— ……

— Pete ?!

Il fit un pas vers la sorcière, les yeux vides. Oliver l’attrapa par l’épaule et le tira en arrière. À ce moment-là, le nez d’Oliver perçut une odeur musquée et séduisante qui tournait autour de la zone.

— C’est du parfum ! Cria-t-il !

— Chela, retiens ta respiration ! Bouche le nez de Pete !

— Je l’ai !

Chela comprit le danger presque en même temps et couvrit le visage du garçon avec sa main. Oliver lança immédiatement un regard noir à Ophélie, dont le visage était un mélange de déception et d’étonnement.

— Tu peux me résister ? Hee-hee, quelle maitrise de soi…

— ……

— Ne sois pas si en colère. Je n’ai utilisé aucune drogue pour charmer ton ami. C’est juste comme je suis. J’ai simplement répandu mes charmes naturels.

Un peu d’autodérision suintait dans son ton. Mais l’instant d’après, cela avait disparu. La sorcière rigola et leur fit signe de la main.

— Vous n’êtes pas un peu loin ? Pourquoi ne pas vous rapprocher ?

La fragrance était devenue beaucoup plus lourde. C’était une odeur lascive qui faisait perdre la raison et attisait l’instinct. Faisant appel à sa maitrise de soi et à son dégout, Oliver résista à la tentation.

— On refuse ! Cria-t-il résolument.

— Allons-y, !

Il s’était précipité en avant. Chela tira par la main le Pete hébété, et tous trois coururent devant Ophélie. Mais avant qu’ils aient pu faire dix pas, d’interminables barrières blanches se levèrent pour leur barrer la route.

— … ?!

— Pas besoin de se précipiter, mon garçon. Elle se sent juste seule. Ça ne te tuera pas de lui faire un peu plus plaisir, entonna une voix grave et virile dans le hall.

Mais avant même qu’Oliver ne pense à en chercher la source, il avait frissonné en voyant ce qu’il avait devant lui. Des os. Les barrières étaient toutes construites avec des os provenant d’une grande variété de créatures, reliés entre elles à l’infini.

— Je suis Cyrus Rivermoore, un cinquième année. Apparemment, tu es assez studieux. As-tu aussi lu ma thèse, Oliver ?

Au-delà des clôtures grotesques émergea un sorcier, une odeur mortuaire à vomir se dégageant de sa direction. Ses yeux sombres les évaluèrent tous les trois avec un air digne d’un prêtre hérétique. Pete, qui venait d’être libéré de sa malédiction, tressaillit en sentant le regard de Rivermoore sur lui.

— Ugh… Ah-

— Reste tranquille, Pete !

Oliver cria sévèrement, attrapant le bras du garçon qui, par réflexe, atteint l’athamé à sa taille. Le poignet de Pete fit un bond, puis se figea. Chela posa également sa main sur lui.

— En effet. Si tu dégaines, c’est fini. Tu lui donneras juste l’alibi de la légitime défense.

Le mage nommé Rivermoore regarda Chela avec joie.

— Tu dois être la fille de McFarlane. Bon sang, ce groupe de première année est si vif.

L’homme ricana de l’autre côté de la barrière d’os. Tous les trois firent face en silence à son aura menaçante tandis que la sorcière s’approchait lentement d’eux par-derrière.

— Pourquoi, ça fait longtemps qu’on ne s’est pas vu, Rivermoore. Je crois que la dernière fois que je t’ai vu, c’était à la quatrième strate. As-tu déjà terminé avec ton ravage nocturne des morts ?

— C’est dans la nature humaine de vouloir toucher de la viande fraîche de temps en temps. Je vois que tu t’es déjà trouvé un jeune jouet. Tu ne peux toujours pas résister aux pulsions de ta moitié inférieure, pas vrai, Harlot Salvadori ?

Rivermoore répondit avec une étrange familiarité et une quantité écrasante de mépris. Le sourire disparut du visage de la sorcière.

— Je suppose que tu es prêt à mourir si tu as osé m’appeler par ce nom.

— Ha ! As-tu déjà oublié comment je t’ai arraché la moitié de tes intestins lors de notre dernière escarmouche ?

— Ooh, je n’ai pas oublié. Ça fait très mal. C’est pourquoi je ne peux m’empêcher de penser à la façon dont je vais jouer avec tes entrailles pendant que tu respires encore.

L’air devenait plus lourd à chaque menace qu’ils se lançaient l’un à l’autre. Leur haine meurtrière grinçait désagréablement comme deux engrenages géants qui ne voulaient pas s’aligner. Pour ceux qui étaient coincés entre eux, c’était une pure torture alors que leurs esprits et leurs consciences se déchiquetaient.

— Ugh… Ah… Ahhhh !

— Calme-toi, Pete ! Tout va bien.

Oliver enroula un bras autour de Pete, qui avait succombé à la peur, et tenta désespérément de le calmer. Ce ne serait pas long avant qu’ils ne puissent tout simplement plus supporter cela. Chela en était également consciente et chuchota anxieusement.

— On doit courir, même si cela semble impossible. Nous serons touchés par un sort perdu si nous restons au milieu d’une bagarre entre un quatrième et un cinquième année.

— Oui… Je vais faire le décompte. Quand je donnerai le signal, courez aussi vite que vous le pouvez.

Chela hocha la tête avec amertume à sa suggestion. Il n’y avait aucune garantie qu’ils puissent s’enfuir, mais ils n’avaient pas d’autre option. Le fait qu’ils étaient cruellement dépassés allait de soi–- si un combat éclatait, ne serait-ce qu’un instant, cela les toucherait aussi violemment que n’importe quelle catastrophe naturelle.

— …Ok, maintenant !

Il trancha une ouverture dans la clôture d’os et courut, refusant de s’arrêter peu importe ce qui se passait derrière lui. Gardant son sang-froid, Oliver commença à bouger quand…

— Je sens une bataille ! dit une personne.

Une Aziane familière apparut avec grâce de l’autre côté de la barrière d’os.

— …Nanao ?

— Mm ? Ohhh. Oliver, Chela, et Pete ? Je vous ai finalement rattrapés !

Repérant ses amis, Nanao se mit à courir sans aucun signe de prudence. La distance entre eux se réduisit devant leurs yeux—- soudainement, une nouvelle cage d’os poussa, s’enroulant autour d’eux.

— ?! Merde !

— Plus de chair fraîche, hmm ? Les première année, ne quittez pas mon territoire, ou je ne peux pas garantir vos vies.

— Plus on est de fous, plus on rit ! Soyez juste patients, petits agneaux. Je serai bientôt là pour vous accueillir tous.

Leurs paroles furent le signal du début du combat—- la sorcière et le mage dégainèrent leur athamé exactement au même moment.

BALTHUS !

L’entonnement d’Ophélie résonna. Sa poitrine brilla d’une légère lueur violette, et de cette lumière mystérieuse jaillit un bras géant. Presque aussi épais que son buste, se plaçant désormais dans cette nouvelle réalité énigmatique.

CONGREGANTA !

Rivermoore suivit avec un sort de son cru. Des os de toutes formes et tailles se rassemblèrent sous leurs yeux, formant rapidement une bête à quatre pattes. Avec des membres tordus et prêts à bondir, on aurait dit un loup géant sans chair, ou un lion rôdant dans le royaume des morts.

— Ha ! Tu as encore donné naissance à un autre sinistre enfant, je vois.

— Dit l’homme qui refuse d’arrêter de jouer avec les os. Je suis surprise que tu ne te sois pas encore lassé.

Les deux bavardèrent, chacun ridiculisant la magie de l’autre. La paire était inhumaine—- surtout Ophélia, avec sa forme bizarre. Pete, qui réussit finalement à retrouver un peu de sa raison, frémit en ouvrant la bouche.

—…Je…Est-ce de la magie d’invocation ?

— Non. Un simple sort ne serait pas capable d’invoquer une bête magique aussi puissante, répondit Chela, la voix tremblante.

Ils regardèrent Ophélia chanter à nouveau.

— BALTHUS !

Le bras tendu s’agrippa au sol et s’extirpa entièrement de sa poitrine. L’expression de la sorcière oscillait entre la douleur et l’extase, brouillant la distinction entre les deux. Recouverte de mucus rouge foncé, la chimère géante avait pris totalement forme.

— ROOAAAAAAAAAAAAARRR !

Un hurlement joyeux jaillit de la gorge de la chimère, comme pour célébrer sa propre naissance. L’atmosphère du labyrinthe frémit d’électricité, et le parfum déjà présent dans l’air se mêla à la puanteur du sang et du liquide amniotique.

— Elle vient d’accoucher, déclara Oliver, en pleine chair de poule. —- Je n’ai pas les mots.

À ce moment-là, la chimère d’Ophélia bondit en avant. Son bras massif flasha horizontalement, détruisant facilement la créature osseuse.

— CONGREGANTA DEFORMATIO !

Mais en réponse au sort de Rivermoore, les os éparpillés se reconstituèrent rapidement. Quoi qu’il fasse, c’était bien plus mystérieux que le travail de la sorcière. Était-ce du marionnettisme ? Une bête magique qui lui servait de familier ? De la nécromancie ? Plus probablement, c’était un mélange des trois. La bête d’os, aux prises avec la chimère, se retransforma en un serpent géant et se resserra avec une force incroyable alors qu’elle n’avait pas de muscles.

— RAAAAAAHHHHHHHH !

La chimère se débattit en poussant un hurlement rauque. Les os du serpent craquèrent sous la force herculéenne. Rivermoore fit claquer sa langue.

— …Alors un serpent ne peut pas l’étrangler, huh ? Quelle monstruosité était en gestation dans ton corps de dévergondée cette fois ?

— Je pourrais demander la même chose. Je ne me rappelle pas avoir vu cette colonne vertébrale avant. Dis-moi, sur quel cadavre l’as-tu pillée ?

Le serpent d’os n’avait pas réussi à contenir la chimère et s’effondra de nouveau. Rivermoore commença une autre incantation, invoquant de nouveaux os derrière lui.

— Unh… Ugh…

La main de Pete s’agrippa à la manche de la robe d’Oliver. Ce n’était pas surprenant—- c’était probablement la première fois qu’il assistait à un duel entre mages. Tout ce qu’Oliver pouvait faire était de tenir la main tremblante de Pete pour qu’il ne perde pas la raison à cause de la peur.

— Ah, c’est un lieu de mort certaine. Ça me rend nostalgique.

Dit Nanao, de façon tout à fait inappropriée. Oliver la regarda, consterné. Mais l’instant d’après, elle dégaina la lame à sa taille et trancha les barrières osseuses qui les entouraient d’un seul coup.

— Puis-je me joindre à vous ?

— … ?!

Les trois première année n’arrivaient pas à croire ce qu’ils venaient d’entendre. Même Ophélia et Rivermoore avaient interrompu leur duel pour la regarder avec curiosité. Nanao resta imperturbable.

— Oliver, Chela, Pete, si vous devez battre en retraite, c’est le moment, a-t-elle prévenu par-dessus son épaule. —- Une fois que je me serai jointe à eux, cela deviendra une lutte à trois. Dans un tel combat à armes égales, il ne sera pas possible pour l’un des parties de se déplacer facilement.

Est-elle stupide ? pensa Oliver par réflexe, mais une partie de lui avait également réalisé qu’elle avait eu une bonne idée. Si l’un des deux duellistes se laissait distraire par l’entrée de Nanao ne serait-ce qu’une seconde, le tier restant terrasserait son opposant. Il n’était pas impossible que Nanao ait un impact sur le combat.

— Qu’est-ce que tu— ?

Malgré tout, il ne pouvait pas rester sans rien faire et la regarder se faire tuer. Oliver tendit une main pour attraper son épaule–-, mais juste avant qu’il ne le fasse, l’énergie qui irradiait de son dos l’arrêta.

— Je n’ai pas besoin de votre sollicitude. Depuis ma première bataille, l’arrière-garde est ma position.

Dit Nanao, repoussant sa tentative de l’arrêter. Tout comme lorsqu’elle avait affronté le troll, il n’y avait pas la moindre lueur d’hésitation dans son regard.

— Un cadavre ambulant s’est simplement vu offrir un endroit pour mourir, c’est tout. Allez-y, vous trois !

Nanao cria et, épée en main, fit un pas hors de la barrière d’os. Oliver manqua sa chance de l’arrêter–- après un moment d’hésitation, Chela suivit.

— Oliver, prends Pete et cours.

— Chela ?!

Après avoir traversé les os, elle dégaina également son athamé. De façon inattendue, elle sourit et a dit par-dessus son épaule :

— Protégeons un ami chacun. Ça devrait marcher, n’est-ce pas ?

Le souffle d’Oliver s’arrêta dans sa gorge. Son cœur brûlait, incontrôlable à l’idée que Chela aille jusqu’à sa mort pour protéger un ami.

— …… !

Fais demi-tour et cours ! La partie logique de son cerveau lui cria cela. Ça aurait été une bonne réponse. S’il restait, il ne ferait qu’augmenter la probabilité qu’ils meurent ensemble. Pete perdait le contrôle de sa santé mentale. Ils n’auraient pas une meilleure chance de s’échapper. Et pourtant… Combien de fois vais-je devoir endurer cela ? pensa Oliver.

Cela le brûlait intérieurement de profiter de la gentillesse et du dévouement des autres pour survivre. Combien de fois encore devrait-il souffrir de cela, regardant d’autres mourir pour le protéger alors qu’il voulait plus que tous les protéger lui-même ?

— Fait chier !

Hurla-t-il en s’arrêtant. Oliver sortit son athamé de son fourreau.

Chela le fixa d’un air choqué, mais il ne se souciait plus de ce qu’elle pensait. Ce fait lui apportait un réconfort ironique. Sa direction était claire : il allait participer à cette bataille surhumaine impossible à gagner. Il n’allait jamais survivre, mais d’une manière ou d’une autre, il arracherait la victoire des dents de la défaite. En tant que mage, il durcit sa résolution…

— IGNIS !

— —?!

— Gwah… !

Soudainement, une flamme cramoisie consuma les êtres surnaturels, les enflammant.

— Ça suffit. Je pensais vous avoir prévenus de ne pas harceler les nouveaux élèves, résonna une nouvelle voix.

Elle était sévère et disciplinée, fondamentalement différente des deux autres. Oliver se retourna pour regarder dans le couloir et vit un mage en uniforme de Kimberly comme eux, son athamé dégainé résolument.

— …Ash peut pas te répondre. Je vois que tu frappes d’abord et que tu avertis ensuite, Purgatory[4], ricana Rivermoore.

[4] Signifie Purgatoire en anglais. Dans le catholicisme, c’est une étape de purification où les âmes des défunts doivent expier leurs péchés, car leur pénitence n’a pas été suffisante pour le Paradis.

D’une manière ou d’une autre, il avait réussi à former un bouclier à partir des os et avait évité les flammes. L’autre homme ricana.

— S’il te plaît, n’utilise pas ce surnom terrible devant les nouveaux étudiants. Ne vous inquiétez pas, vous quatre. Je ne les laisserai plus vous causer du tort, ou je ne m’appellerai plus Alvin Godfrey, président des étudiants de Kimberly.

Il parla doucement, mais ils l’avaient tous entendu clairement comme une cloche. Du coin brûlant de la salle, une autre silhouette apparue.

— C’est compris ? La fête est finie. Maintenant, sois une bonne fille, Lia.

— Carlos… !

Ophélia, qui s’était cachée dans l’ombre de sa chimère calcinée, attendit l’occasion de riposter, réalisant soudainement que quelqu’un se tenait derrière elle, lame pressée contre son cou. Rendant la sorcière immobile, le quatrième étudiant plus âgé prit la parole de manière amicale.

— Je suis Carlos Whitrow, votre préfet de cinquième année. Ravi de vous rencontrer, les chatons.

Dit-il. De sa main gauche libre, il fit un baiser. Il était mince et androgyne, avec une façon très particulière de parler. Mais surtout, sa belle voix aiguë était si envoûtante qu’elle faisait oublier à Oliver et aux autres où ils se trouvaient.

Sa carrure était celle d’un homme, mais Oliver n’arrivait pas à situer immédiatement son genre.

— Vos punitions seront distribuées plus tard. Salvadori, Rivermoore, si vous avez compris, alors retournez à vos ateliers. Les résidents des profondeurs comme vous n’ont rien à faire dans les strates supérieures, déclara sévèrement l’élève le plus âgé qui se faisait appeler Godfrey.

Deux langues claquèrent en signe de frustration.

— …Tous les os que j’avais rassemblés ont été brûlés dans cette farce. Tu as de la chance, succube.

— Oh, c’est toi qui as de la chance, charognard. Va pourrir dans ton cimetière jusqu’à ce que je vienne te tuer la prochaine fois.

— Heh-heh, c’est drôle !

Ils se disputèrent violemment une dernière fois avant de se fondre dans l’obscurité. Une fois partis, Godfrey soupira et abaissa sa lame.

— Ils sont partis, huh ? … J’ai une idée de ce qui s’est passé ici. Vous quatre n’avez certainement pas de chance de vous faire coincer par des gens comme eux si tôt dans l’année.

Dit l’homme avec sympathie. Tout en laissant entrevoir un léger sourire.

— Tout d’abord, laissez-moi vous remercier d’avoir tenu bon jusqu’à notre arrivée. Cela aurait été beaucoup plus difficile si l’un d’entre vous avait été kidnappé. Je n’aurais pas aimé avoir à les poursuivre dans les profondeurs.

— Ils ne traînent jamais dans les strates supérieures, mais juste après les cérémonies, ils ont tendance à sortir de leur nid. Je suppose qu’il est naturel d’être curieux des nouveaux visages, quelle que soit l’année dans laquelle on se trouve.

Whitrow gloussa d’un air fatigué. Il fallut un petit moment avant qu’Oliver et les autres ne réalisent que la conversation plaisante signifiait qu’ils étaient sauvés. Les jambes toujours parcourues par les frissons, Oliver s’avança et s’inclina devant les élèves plus âgés.

— …Je suis Oliver Horn, un étudiant de première année. Merci beaucoup de nous avoir sauvés, moi et mes a–, commença-t-il avant que Godfrey ne lève la main.

— Pas de formalités. Partons d’ici rapidement. J’aimerais vous entendre louer mon héroïsme, mais je suis sûr que vous êtes aussi épuisés. Nous pourrons faire mieux connaissance dans la journée.

Et sur ce, il désigna l’entrée du hall. Whitrow, qui avait pris position derrière eux, lui emboita le pas.

— Vous avez entendu. Je vais garder l’arrière, alors suivez les instructions de Godfrey. Il n’y a pas d’endroit plus sûr dans tout Kimberly que dans un rayon de 50 mètres autour de lui.

Ironiquement, il ne leur fallut que quelques minutes pour atteindre la sortie en suivant leur guide dans le labyrinthe. Au moment où ils avaient franchi la porte d’entrée familière, les voix de leurs amis les interpellèrent.

— O-Oliver !

— Et il y a Nanao, aussi ! Oh, Dieu merci… !

Ils se précipitèrent avec un soulagement non dissimulé. Katie attrapa le bras de Nanao à deux mains.

— Je me suis retournée, et tu n’étais plus là… J’étais si inquiète !

— Pardonne-moi, Katie.

S’excusa un peu Nanao. C’est alors qu’Oliver remarqua l’étudiante plus âgée derrière leurs amis. Elle avait un air d’érudite et de sorcière et sa longue frange couvrait son œil gauche, mais il pouvait voir une lueur bienveillante dans son œil droit.

— Oh ! s’exclama Katie.

— Laissez-moi vous présenter. Voici Miss Miligan, une quatrième année. Elle nous a trouvés, Guy et moi, errants dans les couloirs et nous a guidés jusqu’ici.

— Les ainés sont toujours chargés de cette tâche à cette période de l’année. Ne vous inquiétez pas. Mais quand même…

La fille nommée Miligan fit une pause et renifla l’air.

— L’odeur de la mort…Vous quatre, vous empestez pour sûr le danger.

— Nous les avons trouvés piégés entre Salvadori et Rivermoore, expliqua Godfrey par-dessus l’épaule d’Oliver.

Une profonde sympathie remplit le visage de Miligan.

— C’est terrible. Vous auriez été plus en sécurité coincé entre un cerbère et une hydre.

L’expression désespérément juste donna le vertige à Oliver. Miligan gloussa, puis se retourna.

— Je vais vous accompagner aux dortoirs. Président Godfrey, préfet Whitrow, vous pouvez y retourner maintenant.

— Merci, Miligan. On dirait que quelques personnes de plus sont encore perdues à l’intérieur. À plus tard.

Avant même que Godfrey ait fini de parler, lui et Whitrow avaient fait demi- tour vers l’académie. Katie essaya de demander quelque chose, mais ils étaient déjà trop loin.

— …Ils sont partis. Je n’ai même pas pu demander leurs noms.

— Ces deux-là sont très occupés à cette période de l’année. Tu pourras les saluer comme il se doit plus tard, insista doucement Miligan avant de les conduire tous les six vers les dortoirs —- Vous vous êtes assez amusés pendant vos aventures nocturnes ? Maintenant, rentrons.

Une fois dans la courette des dortoirs, Miligan les quitta sans leur faire la moindre leçon. Dans l’obscurité silencieuse, les six se regardèrent.

— Il est, euh, assez tard, hein ? On devrait faire une pause–

Katie commença à parler quand Oliver la coupa, attrapant Nanao par le col.

— Est-ce que t’essaies de te faire tuer ?

Demanda-t-il, la voix tremblante de rage. Les quatre furent tellement surpris qu’ils ne réagirent pas Katie essaya rapidement de l’arrêter, mais il la maintint fermement à distance avec son autre main.

— Je peux te pardonner de nous avoir suivis seuls dans l’académie la nuit, poursuivit-il durement —- Chaque nouvel étudiant est forcément naïf et curieux, et je suis aussi en faute pour ne pas avoir expliqué les dangers.

Nanao resta là en silence, le visage vide, tandis qu’Oliver la passait au crible. Il la fixa profondément dans les yeux.

— Mais s’immiscer dans un duel entre deux élèves plus âgés n’est ni l’un ni l’autre. Tu as dit toi-même qu’un cadavre ambulant avait simplement trouvé sa place pour mourir.

— ……

— Tu savais que c’était du suicide, mais tu as quand même essayé ! Non, la mort était exactement ce que tu voulais, n’est-ce pas ?!

— Calme-toi, Oliver !

Chela s’exclama, incapable de rester là à regarder. Réalisant qu’il était allé un peu trop loin, Oliver serra les dents.

— Je comprends ce que tu ressens, dit Chela.

— J’allais aussi lui poser la question plus tard. Mais maintenant que c’est arrivé, nous devrions peut-être en discuter tous ensemble.

La tension retomba. Prenant Nanao par la main, Chela la conduisit avec les autres dans un coin de la cour. Ils avaient pris place autour d’une petite fontaine, et elle récita un sort d’insonorité pour les couvrir.

— Maintenant nous n’avons plus besoin de nous inquiéter des oreilles indiscrètes. Nanao… tu peux prendre ton temps, mais pourrais-tu nous dire ce qui t’amène à faire ça ?

Chela s’était assise sur le banc de la fontaine, invitant Nanao à s’asseoir à côté d’elle. Katie s’assit également, mais Oliver resta obstinément debout. Guy et Pete l’imitèrent. Avec les yeux de tout le monde sur elle, Nanao finalement commencé à s’ouvrir.

— Oliver a probablement raison… J’ai depuis longtemps perdu la volonté de vivre, dit-elle en serrant, un peu docilement, les doigts de sa main droite—-, Mais plus important encore, j’ai du mal à me sentir vraiment vivante en ce moment.

Ses cinq amis rechignèrent devant cet aveu inattendu. Nanao, regardant le ciel nocturne étranger avec un regard distant dans les yeux, leur parla de son passé. Elle avait depuis longtemps cessé de compter le nombre d’ennemis qu’elle avait tués et le nombre d’alliés tombés au combat. Son raisonnement était simple : tant qu’il y avait des adversaires à vaincre, il n’y avait aucun sens à tenir le compte. De même, si leur nombre devait finir par atteindre zéro, compter en cours de route ne changerait rien.

—————–

—   Haaah !

Elle para la lance qui chargeait, la balaya et abattit l’ennemi devant elle. Elle fit cela toute la journée, depuis que le soleil avait atteint son zénith. Après avoir repoussé d’innombrables vagues d’assaillants, la jeune fille et ses alliés survivants purent continuer à respirer un peu plus longtemps.

   Huff ! Huff ! Huff ! Huff… !

Le chemin de montagne était étroit. Ils étaient là depuis ce qui semblait être des heures, luttant pour protéger leur force principale en retraite d’une attaque complémentaire. Depuis leur formation défensive improvisée sur le chemin de montagne, ils furent capables de repousser résolument les forces ennemies écrasantes qui tentaient de passer. C’était un miracle en soi. Tout ce qu’ils avaient pour repousser une armée de cinquante mille personnes était deux cents soldats. Ils avaient largement dépassé le stade où ils pouvaient élaborer une quelconque stratégie. Des heures de combat acharné les avaient laissés avec moins de la moitié de leur nombre initial. Cependant, ils étaient restés de bonne humeur. Aucun d’entre eux n’avait essayé de faire demi-tour et de fuir, et même leurs alliés tués avaient basculé en avant avec leurs derniers souffles, ne montrant aucun signe de fuite, car en première ligne se trouvait une petite fille, et personne ne pouvait se permettre d’être lâche devant elle.

—   Quel est le problème les Kiryuu ? Vous tremblez ! Maudits maniaques suicidaires que vous êtes, que soit maudit Soumah Yoshihisa, commandant en chef des forces du clan Kiryuu.

Un passage de son propre livre sur l’art de la guerre qu’il avait écrit il y a des années était apparu clairement dans son esprit : Ce n’est pas le maître que vous devez craindre sur-le-champ de bataille, mais l’homme qui n’a plus rien à perdre. C’était comme une sorte de blague. Comme c’était parfait pour cette situation !

—   Qu’est-ce qu’il y a ? Vous êtes plus nombreux que nous à cent contre un ! Pas besoin de plans ou de manœuvres fantaisistes ! Si vous êtes vraiment les grands guerriers Kiryuu de la légende, alors un seul d’entre vous devrait suffire à dégager le chemin !

Quelqu’un narguait les hommes de Yoshihisa depuis le sommet de la colline. La voix était claire et agréable à l’oreille, mais aussi incroyablement exaspérante. Comment se fait-il que cela ait pu couper les cris de guerre des guerriers ? Yoshihisa leva les yeux vers l’orateur. Au sommet de l’endroit surélevé se tenait le chef du camp perdant, un guerrier de petite taille. Cette personne était l’unique raison pour laquelle ils étaient si attachés, alimentant les esprits combatifs de ses compatriotes meurtris et battus, les transformant en soldats suicidaires de haut vol.

—   …Elle avait banni la peur du cœur des soldats, son existence même leur permettant de se battre contre des adversités colossales. C’était une véritable héroïne, cette… enfant.

Le visage de Yoshihisa se déforma ; il ne pouvait pas accepter cela. Au son de sa voix, il pouvait dire qu’elle était très jeune. Au début, il avait pensé qu’il s’agissait d’un garçon qui venait d’avoir sa cérémonie de passage à l’âge adulte et il se prit de pitié pour lui—-, mais au moment où il avait réalisé qu’il s’agissait d’une fille, sa tête tourna tellement qu’il avait failli basculer. Après une heure, son opinion commença à changer et après trois heures, il réalisa que sa pitié initiale avait été complètement inutile. Une fille ? Ha ! Cette chose n’avait rien de si charmant.

—   …Décochez les flèches, murmura Yoshihisa après un long silence. Son commandant en second recula.

—   Vous êtes sûr, Père ? Ils sont si peu nombreux…

—   Fais-le. Si même un enfant peut se moquer de nous sans répercussions, alors notre honneur de guerriers est perdu depuis longtemps. Est-ce notre travail d’ajouter des pages au récit de leur mort héroïque ? Réponds-moi, Yasutsuna !

Répondit Yoshihisa, en appelant le guerrier devant lui par son nom. Yasutsuna baissa les yeux et grimaça. Après quelques efforts, il leva les yeux de nouveau.

—   Avant-garde, retirez-vous ! Archers, en avant !

—   Mmm.

Les soldats de l’avant-garde reculèrent, et à leur place, les archers s’avancèrent. En voyant l’armée ennemie bouger, la jeune fille sentit que la fin de cette longue bataille approchait.

—   On dirait qu’ils veulent en finir, murmura-t-elle en gloussant.

Ils ne disposaient d’aucune sorte de bouclier et n’avaient donc aucun moyen de se défendre contre les flèches. L’ennemi s’en était rendu compte dès le début. Le fait qu’ils ne les utilisent que maintenant signifie qu’ils n’avaient pas eu le droit de le faire auparavant. Il aurait été déshonorable de se débarrasser d’à peine deux cents soldats à longue portée. Mais maintenant, cette obstination s’était effondrée. Une armée de soldats du célèbre clan Kiryuu dirigée par le fameux commandant Soumah Yoshihisa, un homme de sagesse et stratège de valeur, échangea l’honneur contre des résultats afin de défaire l’armée rebelle campée sur la colline. Pour la fille, c’était une victoire.

—   Cavalerie !

Mais ce n’était pas encore fini. En réponse à son signal, quelqu’un derrière elle bougea. Une centaine de chevaux étaient cachés de l’autre côté de la crête, là où l’armée ennemie ne pouvait pas les voir. Désormais libérés, ils apparurent rapidement sur le chemin de la montagne. La jeune fille sauta sur l’un des chevaux, puis regarda ses alliés lui emboiter le pas. Avec un sourire parfaitement clair, elle s’adressa à eux.

—   Soldats, Allons-y !! Vers notre dernier champ de bataille !

—   Rahhhhh !

L’esprit des guerriers n’était en rien touché par le chagrin. Puis, se tournant vers le champ des morts au bas de la colline, la jeune fille chargea tout droit.

— Qu… ?!

—   Impossible ! Ils avaient encore des chevaux ?!

Le sang se vida de la tête des soldats de Kiryuu lorsqu’ils virent ça. Naturellement, ils s’attendaient à ce que leur ennemi fasse une dernière charge désespérée avant que la pluie de flèches ne les balaie. Mais ils n’avaient tenu compte que de la vitesse humaine. Qui aurait pu prédire qu’au dernier moment, après avoir perdu tant de soldats dans ces multiples affrontements, cette bande d’inconscients avait encore assez de chevaux pour un assaut ?

—   Je viens pour la tête du Général Yoshihisa ! Venez croiser le fer, fiers guerriers de Kiryuu !

Clama bruyamment la jeune fille depuis l’avant-garde. Les archers, qui avaient eu du mal à s’installer sur l’étroit chemin de montagne, ne purent se placer à temps derrière leurs lanciers. Ils n’avaient offert que peu de résistance aux chevaux qui arrivaient. Les cris et les hurlements des soldats, ainsi que les craquements des os brisés, résonnaient sur-le-champ de bataille.

—   Haaah !

Au centre de ce chaos, la jeune fille sauta de sa selle, s’élançant dans les airs. Elle atterrit gracieusement de l’autre côté des archers, juste devant les lanciers.

—   Qu’est-ce que… ?!

—   Elle a sauté toute seule ?

—   Ne t’y crois pas trop, petite fille !

En réponse à l’accueil des guerriers enragés, elle dégaina le sabre de son fourreau. C’était sa seule arme, et elle ne faisait pas la moitié de la longueur d’un tachi[5] normal. De plus, elle ne portait que le strict minimum d’armure.

[5] Sabre de l’époque féodale.

—   Haaah !

Elle laissa échapper un souffle en allant en avant. Les lances qui s’élançaient pour l’arrêter ne perçaient que l’air, mais les guerriers de Kiryuu étaient un peu trop lents pour comprendre cela. Leurs yeux ne pouvaient même pas suivre son ombre avant de la sentir juste devant eux.

—   Gwah !

—   Gaaah !

Au moment où ils tendirent leurs épées, elle les abattit. Le sang gicla dans l’air derrière elle alors qu’elle se précipitait à travers l’armée, sans s’arrêter une seconde. Elle se déplaçait de soldat en soldat, esquivant leur lance à bout portant. Un par un, elle les massacrait dans les angles morts.

Père, reculez !

Tant bien que mal, le commandant en second des forces Kiryuu, Yasutsuna, parvint à appréhender le danger et appela son beau-père. Comment cela avait- il pu arriver ? La fille était petite, mais d’une rapidité surhumaine. À chaque saut, elle prenait les lanciers pour des imbéciles. Leur formation serrée pour protéger le général jouait contre eux-– La petite fille avec son épée courte wakizashi était plus agile que n’importe lequel des guerriers en armure volumineuse pressés les uns contre les autres.

… Maudit sois-tu.

La garde personnelle n’avait plus de raison d’être. Alors que la fille s’approchait à une vitesse fulgurante, Yasutsuna fou de rage, dégaina son sabre. Contrairement aux autres guerriers, il n’était pas prêt à baisser sa garde. Avec le sabre à la main, l’entraînement gravé dans son corps, et un cœur bien trempé, il fit face au combat.

Raaaaaah !

Une fontaine de sang jaillit d’un lancier voisin, et presque au même moment, une petite silhouette surgit de l’ombre. Yasutsuna, qui avait prédit cela, s’élança de toutes ses forces, avec l’intention de la couper en deux. C’était une frappe frontale sans merci, une moquerie à l’égard de toute ruse fantaisiste. La taille et la vitesse de la fille lui permettaient de danser autour des guerriers Kiryuu qui ne pouvaient contrer cela.

Haaah !

C’est pourquoi, lorsqu’elle choisit d’y aller frontalement face à lui, laissant son sabre s’entrechoquer avec le sien, son étonnement fut indescriptible.

— Qu… ?!

Il passa directement de l’étonnement au frisson. Il se faisait repousser. En taille et en force, il aurait dû la surpasser, mais la pression de son épée était si forte qu’il dut céder du terrain.

Ahhhhhhhhh !

À chaque seconde qui passait, cette pression augmentait. Le sabre que son beau-père lui avait offert pour son entrée en service hurlait sous le stress inattendu. La peur envahit Yasutsuna. Qu’est-ce que c’est ? Quelle est cette chose qui se fait passer pour une fille ?

Oh…oh…ohhhhh !

Abandonnant la lutte contre cette puissance envahissante, il sauta en arrière. N’aie pas peur. Si tu ne peux pas l’écraser par la force, utilise une technique. Il n’avait jamais manqué un jour d’entraînement, mais cette fois, il avait échoué. Comme si tous ses plans ne servaient à rien, la fille était déjà sous son nez.

Qu— ?

Il avait perdu au moment où il avait fait un pas en arrière. Aucun des guerriers de Kiryuu n’avait été capable de l’atteindre à cause de sa vivacité. Et jusqu’à ce moment, Yasutsuna n’avait pas pu prédire à quel point elle pouvait être rapide dans sa poursuite. La lame de la fille transperça le torse sans défense de l’homme comme le vent. Petite et rapide, téméraire et efficace. Les yeux de Yasutsuna avaient vu ces qualités chez son ennemi, mais ses observations n’avaient pas été pas suffisantes. C’était sans compter le point le plus important de tous.

Gah

La force. Cette fille était incroyablement forte. Bien plus forte qu’il ne pouvait espérer rivaliser. En concluant que c’était la raison de son échec, il mourut.

Haaah… !

Une fois son adversaire tué, la fille s’arrêta. Mais pas de son plein gré. La raison était évidente—- c’était un miracle qu’elle ait pu continuer après autant de temps. Après avoir mené une bataille défensive pendant des heures, sans parler de l’utilisation de ces incroyables mouvements à l’instant, la jeune fille fut submergée par l’épuisement. Son corps gémissait, comme si quelqu’un avait laissé tomber du plomb sur son dos.

Encerclez-la !

Yoshihisa cria immédiatement, et elle fut assaillie par un cercle de personnes qui voulaient sa mort. Elle scruta les alentours pour se retrouver piégée par un mur de lanciers, sans le moindre interstice.

…Eh bien, eh bien. Vous n’avez certainement pas ménagé vos efforts pour moi. J’en suis honorée, dit calmement la jeune fille à la ligne de guerriers prêts à l’écraser.

Yoshihisa lui lança un regard amer, mais ses yeux étaient tranquilles, sans peur ni anxiété. Elle n’avait jamais espéré survivre. Tout comme les soldats sous ses ordres, elle était aussi une guerrière suicidaire.

Tu t’es bien débrouillé pour ton âge. Veux-tu un bonbon en guise de récompense, petite fille ?

Il voulait s’emporter et l’insulter, mais en tant que général, il ne pouvait pas s’abaisser à ce point. Mais, à la place, il réprima ses émotions et opta pour le sarcasme. La jeune fille gloussa et secoua la tête.

Malheureusement, ce n’est pas un bonbon qu’un guerrier désire dans ses derniers instants, mais un combat loyal, déclara-t-elle sans détour.

Elle veut toujours se battre, même après tout ça ? Yoshihisa la fixait, mi- incrédule, mi-effrayé.

J’ai entendu dire que votre gendre, Yasutsuna, est un guerrier Kiryuu de haut niveau. Si vous souhaitez me récompenser pour mes exploits, accordez-moi un duel avec lui.

Dit la jeune fille, complètement sérieuse. Au moment où il entendit ces mots, Yoshihisa perdit tout contrôle de lui-même.

…Tu ne sais donc même pas qui tu viens de tuer.

Sa voix tremblait, l’ombre du désespoir se dessinait sur son visage. Sa réaction fut ce qui mit les pièces du puzzle ensemble pour elle.

— Ce n’est pas possible…

Elle déplaça son regard vers un endroit pas trop éloigné de l’anneau de pointes de lances, où gisait le corps de sa dernière victime. Même dans la mort, l’écusson de sa maison était fièrement gravé sur son armure. Yoshihisa avait désespérément forcé sa voix à se stabiliser, mais il ne put supprimer entièrement ses émotions. Il était difficile de dire s’il pleurait ou riait.

Oui, c’était un excellent guerrier… Mais il était bien plus que ça.

Il commença à se vanter de son beau-fils d’une manière qu’il n’avait jamais faite auparavant, même lorsqu’il était ivre.

Il aimait les chansons, les poèmes et les fleurs. Pour quelqu’un comme moi qui n’avait de talent que pour la guerre, il était comme l’étoile la plus brillante. Tu n’en avais aucune idée, n’est-ce pas, jeune fille ? Non, je suis sûre que tu ne le savais pas.

Il serra les dents avec force tandis que la fille restait là, figée et silencieuse. Yoshihisa expira profondément et, une fois qu’il eut retrouvé un peu de sang- froid, il parla doucement.

Ne t’inquiète pas, petite. Je ne vais pas te torturer. Je n’emploierais pas de telles méthodes sur un vaillant guerrier qui s’est battu jusqu’à la toute fin d’une bataille perdue, et surtout pas sur une enfant.

— …..

Mais je ne te demanderai pas ton nom. Tu mourras en soldat inconnu, et personne ne se souviendra de toi. C’est ma vengeance.

Déclara solennellement Yoshihisa. Il leva ensuite sa main droite bien haut pour que tous ses hommes la voient.

Faites-le ! lança-t-il en laissant tomber son bras.

Les soldats agités hésitèrent une seconde, puis partirent la transpercer.

— …..

Dans ce bref délai qui lui fut accordé, derrière des paupières doucement fermées, la fille pensa—-Enfin, ma fin est proche, et pourtant je n’ai pas pu trouver le bonheur dans la bataille. C’était véritablement décevant. Elle s’était battue si vaillamment jusqu’au bout, mais sa vie allait se terminer sans qu’elle ait réalisé son plus grand souhait. C’était trop dur à supporter pour son voyage dans l’au-delà. Mais elle n’eut pas le temps de ruminer. Les pointes de lances mortelles foncèrent vers sa poitrine sans défense et son dos et–

Bon sang, je n’arrive pas à m’habituer à la culture de ce pays.

La voix d’un homme totalement inconnu coupa court à ses dernières pensées.

Pourriez-vous m’expliquer cela ? Quelle sorte de logique veut que ne pas demander son nom soit une vengeance ? Cela a-t-il un rapport avec le Bushido que j’ai appris l’autre jour ?

— … ?

L’inconnu continua de s’exprimer. Fatiguée d’attendre une fin qui ne venait pas, la jeune fille ouvrit lentement les yeux pour voir que les lances abattues vers elle avaient toutes été immobilisées en l’air à quelques centimètres de son corps.

Qu-Quoi… ?

Ma lance ! Mes bras ne bougent pas—

Les guerriers avaient à moitié crié. Une puissance mystérieuse les avait figés en plein élan, et ils ne pouvaient faire un pas dans aucune direction. Déconcerté par ce qui arrivait à ses hommes, Yoshihisa leva les yeux- là, dans le ciel, où se trouvait la source.

Un sorcier occidental… !

Sa voix tremblait à parts égales de peur et de colère. La jeune fille leva les yeux, hébétés. Dans le ciel se tenait un homme sur un balai.

Bien sûr, je comprends certaines choses. J’aime moi-même les chansons, les poèmes et les fleurs. La nourriture de ce pays est délicieuse. Et normalement, j’ai pour politique de ne pas me mêler des affaires des autres.

Pendant qu’il parlait, l’homme fit tourner l’épée courte dans sa main droite. Elle était plus courte de taille que le wakizashi dans les mains de la fille. Il y avait aussi une fine tige de bois de la même taille à sa taille. Mais ce qui ressortait vraiment, c’était ses cheveux dorés en spirale.

Et pourtant, sous mes yeux, je vois une enfant au potentiel énorme tenter de mourir inutilement. En tant que professeur, c’est la seule que je ne peux ignorer.

Dit le sorcier, le visage très sérieux à présent. Les pieds toujours sur le manche à balai, il se retourna et laissa tomber sa tête à la hauteur de ses yeux. Ses yeux bleu clair étaient parcourus d’une lueur de curiosité incontrôlable.

Fille sans nom, voudrais-tu venir dans mon pays afin de devenir mage ?

Demanda-t-il, lançant une invitation qu’elle ne comprenait pas le moins du monde.

— ……

La jeune fille était sûre de vivre une hallucination de mort imminente. Et pourtant, comparé à ses précédents rêves éveillés, le début était assez bizarre.

…Très bien, alors. J’accepte.

Elle hocha la tête, ne comprenant toujours pas une partie de ce qu’il venait de dire. Mais elle était curieuse. Si c’était un rêve qui finirait par s’évaporer comme de l’écume, alors pour l’instant, c’était la seule raison dont elle avait besoin. Après avoir terminé sa longue histoire, Nanao poussa un long soupir. Ses amis avalèrent leur salive. Aucun d’entre eux n’avait imaginé un récit aussi sanglant, ils ne trouvaient rien à dire.

— Ce fut une bataille terrible. Pas même un dixième de nos forces n’avait la moindre chance de survivre. Moi aussi, j’aurais dû mourir là-bas. Puis… Lord McFarlane est apparu. Il m’a sauvé la vie d’une manière bien inattendue.

Serrant et desserrant les poings, Nanao fixait ses mains comme si elle n’arrivait pas à croire que c’était la réalité.

— Depuis lors, j’ai l’impression d’être dans un rêve prolongé. Je pensais que j’étais morte sur ce champ de bataille, et que tout cela n’était qu’une illusion avant que je ne sois emmenée de l’autre côté. Si cela est réel, alors quelle réalité absurde c’est. Comment se peut-il qu’un mage apparaisse au moment où je vais mourir, me sauve la vie, et m’emmène seule dans une école de l’autre côté de l’océan ?

Un léger sourire se dessina sur ses lèvres, mais il disparut vite, et tout dans son langage corporel respirait la tension et le stress.

— J’étais donc désespérée. Désespérée de réaliser mon souhait le plus cher avant de me réveiller.

— …Ton souhait le plus cher ? Répéta Oliver. Nanao hocha la tête.

— « Ne jouissez pas de l’épée de la vengeance, mais de l’épée de l’amour mutuel », déclara-t-elle.

— Qu’est-ce que c’est ?

— C’est une idéologie transmise dans mon école de sabre. En substance, un véritable épéiste ne doit pas répondre à la haine par la haine et combattre pour la vengeance. Se battre en duel avec un adversaire que l’on accepte et respecte, sans animosité, sur la voie du sabre, cela s’appelle le shiawase.

Katie hocha la tête en entendant le mot inconnu d’une autre langue.

— …Shiawase ?

— Bonheur… Fortune… Mes études sont insuffisantes, donc je ne connais pas la traduction correcte, répondit Nanao, ne trouvant pas le mot juste.

Oliver comprit immédiatement l’implication et un frisson lui parcourut l’échine.

— Vous appelez un duel à mort avec une personne que vous aimez et respectez… le bonheur ?

Demanda-t-elle, la voix raide. Nanao lui sourit tristement.

— Mm… C’est tordu, n’est-ce pas ? Je comprends cela. Les émotions peuvent être partagées sans croiser le fer. Parler, se toucher et prendre soin les uns des autres est le vrai bonheur–- d’un point de vue normal, c’est naturel.

Elle parla comme si elle regardait une étoile au loin, puis laissa tomber son regard sur ses genoux.

— Et pourtant, c’est ça combattre. C’est quand les épées, et non les mots, relient les gens. Ainsi, même si c’est un bonheur tordu, c’est toujours un bonheur à rechercher.

Personne ne pouvait dire un mot. Après avoir exprimé la cruauté du monde dans lequel elle avait vécu, Nanao releva tranquillement la tête. Les larmes aux yeux, elle regarda Oliver droit dans les yeux.

— Ainsi, Oliver, lorsque nous avions eu notre échange de lames, j’ai ressenti cela plus que jamais auparavant.

— …… !

Le garçon se figea, comme si son cœur venait d’être transpercé. Les yeux toujours fixés sur lui, Nanao continua.

— À ce moment-là, j’ai été envahie par la joie. Ici, j’avais enfin trouvé mon shiawase. C’est pourquoi j’ai demandé que nous puissions continuer, dans un vrai duel. Et après avoir péri par votre lame, le panthéon des épéistes m’aurait été ouvert.

Elle se coupa, fermant les yeux. Comme si elle délirait à cause d’une fièvre, elle regardait le ciel. Après un long silence, ses épaules s’affaissèrent promptement.

— Mais bien sûr, vous avez refusé. J’aurais dû m’y attendre. Ce n’était pas correct de ma part de demander à quelqu’un que je connaissais à peine de m’aider dans cette sinistre démarche. Je suis une sotte impuissante qui ne peut même pas envisager de telles choses. J’étais si blessée, déçue et malheureuse d’avoir été rejetée… Que dans mon désespoir, j’ai commencé à chercher ma propre mort.

Sa voix était rauque, et les larmes coulaient sur ses poings serrés. Katie s’empressa de lui poser une main sur l’épaule, mais Oliver ne pouvait que rester là, confus. D’une manière ou d’une autre, ses actions avaient poussé la fille devant lui à chercher la mort–- cela, il le savait.

— Ton duel avec Oliver t’a vraiment laissé une si grande impression ? demanda Chela en posant sa main sur le poing de Nanao.

Essuyant ses yeux avec le dos de sa main, la jeune fille hocha la tête.

— Vous devriez en faire l’expérience par vous-même, Chela. Il n’est pas seulement fort et habile. L’épée d’Oliver a un poids insondable. Son entraînement et l’étude qu’il a accumulés au fil du temps, ainsi que toutes les expériences, les émotions et les préoccupations qui sont devenues les pierres angulaires de son style–- le fait d’en faire l’expérience de près lors de notre duel a fait palpiter mon cœur.

Sa description extrêmement détaillée fit bondir le cœur du garçon. Katie croisa les bras en réfléchissant.

— Hum, donc pour résumer ce que tu dis, Nanao…

Une dizaine de secondes s’était écoulée alors qu’elle était plongée dans une profonde réflexion. En pointant son index, elle finit par énoncer sa conclusion.

— Tu as été déprimée parce qu’Oliver t’a rejetée, c’est ça ?

— Désolé, Katie, mais ça t’ennuierait de te taire ?

— Quoi ?!

D’une seule phrase, Oliver trancha la garde de son adversaire pour lui porter un coup verbal fatal. Un sourire se dessina sur les lèvres de Nanao.

— Elle a en grande partie raison. Était-ce la personne dont je m’étais entichée, ou l’épée ? Tant est que les épées sont maniées par l’homme, il n’y a peut-être pas de réelle différence.

— Tu entends ça, Oliver ?

— Il n’y a pas beaucoup de différence.

Dirent Guy et Pete à l’unisson. Oliver mit sa tête dans sa main, sentant un mal de crâne arriver. En gloussant, Chela intervint.

— Véritablement, la façon de penser d’un épéiste… Mais je ne peux pas dire que je ne comprends pas. Ce sentiment de se heurter à l’adversaire parfait–- quel que soit le sujet, rien ne peut remplacer ce moment de joie.

Après que Chela eut indiqué qu’elle avait compris, son expression redevint sérieuse alors qu’elle regardait Nanao.

— Cependant, lorsqu’il s’agit d’un duel mortel, je ne peux pas passer outre. Un match d’entraînement n’est-il pas suffisant ?

Demanda-t-elle, connaissant déjà à moitié la réponse.

— Puisque vous êtes tous deux étudiants ici, il s’ensuit que vous devriez avoir de multiples occasions de vous entraîner.

Après un certain silence, Nanao secoua la tête.

— Si le but était de m’améliorer à travers une rivalité, ça irait. Cependant, l’art du sabre que j’ai appris est, en son cœur, un outil pour tuer. Mon âme ne peut tout simplement pas s’engager dans un duel sans enjeu mortel.

— Donc tu ne peux pas être sérieuse à moins que ça ne te coûte la vie ?

Humm c’est dur…..

Dit Pete en fronçant les sourcils. Considérant tout ce qui avait été dit jusqu’à présent, Chela hocha la tête.

— Je vois… Oui, je comprends maintenant. C’est un problème assez profond. Cependant, tout d’abord, je suis heureuse que tu aies décidé de t’ouvrir à nous.

Dit-elle en posant une main sur l’épaule de Nanao, la regardant dans les yeux.

— Et donc, laisse-moi te dire ceci, en tant qu’amie : Il est temps de changer ta façon de vivre, Nanao.

— Chela.

Nanao leva les yeux vers elle. Le ton de Chela devint plus ferme, comme pour

s’assurer que son message atteigne le cœur de Nanao.

— Ceux d’entre nous ici et cette école ne sont certainement pas un

rêve ou des illusions. Tu n’as pas besoin de paniquer, nous n’allons pas disparaître soudainement devant toi. Sans l’ombre d’un doute, tu es en vie. Et tu vis une nouvelle vie ici.

Elle serra l’épaule de la fille plus fort, comme pour prouver qu’elles existaient vraiment toutes les deux.

— Cesse cette mascarade et ta quête d’un endroit où mourir. Kimberly t’en donnera à de nombreuses occasions, que tu les cherches ou non. Tant que tu t’efforces d’apprendre la magie ici, le spectre de la mort sera toujours proche. C’est pour cette raison que nous avons besoin de fortes volontés, afin de pouvoir en faire abstraction.

L’autorité avec laquelle elle parlait fit que Guy, Pete et Katie se redressèrent instinctivement. Ce qu’elle partageait avec eux était la clé de la survie dans cet environnement magique.

— Nanao, tu m’as demandé tout à l’heure si c’était de la personne ou de l’épée dont tu t’étais éprise. Et tu as suggéré qu’il n’y avait peut-être pas beaucoup de différence entre les deux.

— …Mm, j’ai dit ça.

— Alors regarde la personne. Oliver et toi n’avez pas besoin d’utiliser vos épées pour vous voir l’un et l’autre. Si vous le souhaitez, et s’il est d’accord, vous pouvez échanger des mots ou même vous toucher.

Elle fit une pause. Avec une expression extrêmement gentille, Chela regarda entre les deux devant elle.

— Si vous faites cela, je suis sûre que vous éprouverez de la joie. Après tout, ce court duel a été suffisant pour t’affecter à ce point. Le temps que vous passerez tous les deux en tant qu’amis sera sûrement spécial, lui aussi. Et Oliver n’est pas le seul ici. Tu as Katie, Guy, Pete, et bien sûr moi–- tout le monde ici veut passer son avenir avec toi. Personne ne veut que tu abandonnes ta vie si facilement.

Le regard de Chela balaya le groupe, et celui de Nanao suivit. Pour la première fois, elle remarqua l’anxiété, l’inquiétude et l’irritation dans les yeux de chacun de ses amis.

— …Elle a raison. Ce serait ennuyeux si tu claquais la porte après notre folle première rencontre. Amusons-nous un peu plus, Nanao. On peut traîner ensemble et faire des trucs idiots, dit Guy, pris dans l’instant. Après une pause, il sourit avec un léger embarras. — – En plus, j’avais de grands espoirs en toi. La façon dont tu as battu ce troll, j’étais sûr que tu ferais encore quelque chose de fou.

Il avait mis à nu ses sentiments honnêtes. Ensuite, la fille aux cheveux bouclés, Katie, saisit la main de Nanao.

— La prochaine fois que tu seras en danger, ce sera à mon tour de venir te sauver. Je ne te laisserai pas mourir. Nous sommes amies maintenant… Je ne supporterais pas d’être toujours sauvée sans jamais te rendre la pareille, annonça-t-elle en fermant les yeux, se faisant un serment pour elle-même.

Pete suivit avec un commentaire qui lui ressemblait.

— Il n’y a aucune raison de se précipiter vers la mort. J’ai beaucoup à apprendre sur cet endroit, moi aussi. Si tu considères ce qui t’attend, il n’y a rien de mal à avoir plus de visages familiers autour de toi

Dit-il, le visage de marbre comme d’habitude. Mais pour un garçon qui était habituellement si réservé, c’était sa meilleure tentative d’encouragement. Une fois que les trois ont transmis leur message, le regard de Chela se porta sur le dernier membre.

— Oliver, qu’est-ce que tu as à dire ?

Les yeux de tous se rivèrent sur lui. Le silence était cette fois-ci le plus long. Après avoir mûrement réfléchi à la jeune aziane et à lui-même, Oliver s’exprima solennellement.

— …Quand on essaie de survivre à Kimberly, on ne peut pas se permettre de fréquenter des gens qui ont des envies de mourir. Ils ne font qu’entraîner les autres dans leur propre bêtise. Comme ce qui a failli arriver tout à l’heure.

C’était l’avis le plus strict jusqu’à présent. Katie se pencha en avant, prête à défendre Nanao. Mais d’une main, Oliver l’arrêta et continua.

— Alors je n’ai qu’une seule question à te poser. Peux-tu me promettre, Nanao, que quoi qu’il arrive dans le futur, tu ne te précipiteras pas vers la mort ? Que tu brandiras toujours ton épée avec l’intention de vivre ?

C’était la seule chose qu’il voulait savoir. Tant qu’ils étaient ici chez eux, il ne pouvait pas reculer. Les quatre autres avalèrent de travers. Nanao fixa Oliver dans les yeux, sans bouger, tandis que les autres les observaient. Après un long moment, elle leva soudainement les deux bras.

— Hyah !

En se déplaçant si vite que ses mains sifflaient dans le vent, elle gifla ses deux joues.

— …Pardonnez-moi. J’ai été une lâche et une idiote.

Lorsqu’elle retira ses mains, des empreintes rouge vif avaient été laissées sur son visage. Mais en échange de cette douleur, la lumière revint dans ses yeux. Le vide fut remplacé par une détermination à aller de l’avant.

— Il est faux de penser que ne pas craindre la mort, c’est être obsédé par celle-ci. Et je m’étais tellement perdue que je ne me souvenais même plus d’une telle logique, murmura-t-elle en se levant du banc.

Redressant son dos avec dignité, Nanao inclina profondément la tête vers ses amis.

— Oliver, Chela, Katie, Guy, Pete— Je suis vraiment désolée. Je vous jure maintenant que je ne tenterai plus jamais de jeter ma vie. À partir de ce jour, je lui accorderai de la valeur en restant à vos côtés.

Après avoir juré fermement, elle releva la tête, avec un sourire innocent.

— Alors, si vous le voulez bien, enseignez-moi le mode de vie ici. Bien que, je dois vous avertir, je suis une cancre dans tous les domaines de la vie excepté le sabre. Honnêtement, je n’étais pas du tout sûre de pouvoir suivre les cours d’aujourd’hui, dit-elle en se grattant la tête avec embarras.

Ses amis furent soulagés d’entendre sa résolution.

— Bien sûr qu’on va t’aider. Pete commence tout juste à apprendre la magie, lui aussi. Tu n’es pas en retard, dit Oliver.

— En effet. Tu m’as moi aussi, et en tant qu’élève, tu n’as rien à craindre. À ce stade, tu es plus prometteuse que Guy.

— Attends, qu’est-ce que j’ai fait ?! Chela, suis-je si peu talentueux ?

— Cela signifie simplement que tu devras faire plus d’efforts dans tes études. Mais ne t’inquiète pas, j’ai déjà préparé quelques devoirs pour demain.

— J’ai un mauvais pressentiment. Surtout ce sourire ! Pete, faisons de notre mieux demain, hein ?

— Ne me mêle pas à ça !

Guy prit l’initiative de détendre l’atmosphère entre eux six. Ils auraient bavardé toute la nuit, mais finalement, Chela s’était levée du banc pour y mettre un terme.

— On devrait y aller, sinon on va rater le couvre-feu. Je déteste dire ça, mais on va se séparer pour aujourd’hui.

— Huh ? Whoa, regarde l’heure ! Nanao, retournons dans notre chambre ! On doit se préparer pour demain !

Katie se leva précipitamment et tira Nanao par la main. Elles disparurent dans le dortoir des filles, et peu après, Guy et Pete se dirigèrent vers le dortoir des garçons. Une fois tous les quatre partis, Oliver et Chela attendirent seuls devant la fontaine du soir.

— …Désolé, Chela. Tu m’as vraiment aidé.

— Ce n’était pas un gros problème. Pas quand cela implique la vie d’un ami en tout cas, répondit-elle en souriant doucement.

Après une nouvelle pause, elle ajouta tranquillement :

— Je peux aussi comprendre le fait de perdre son calme dans cette situation. Te sens-tu responsable ?

L’expression d’Oliver se raidit quand elle le fit remarquer. La fille aux boucles anglaises continua, comme si elle pouvait lire dans son esprit.

— Ce que Nanao a ressenti lors de votre duel, je suspecte qu’elle n’était pas seule. À ce moment, tu as répondu de la même manière.

— … !

C’était comme s’il avait été frappé en plein cœur. Oliver ne pouvait pas penser à une seule réponse. Comment pouvait-il même la réfuter ? C’était en effet la même. Il s’était oublié dans ce duel, tant il souhaitait désespérément voir ce qui allait se passer. En tout cas, à ce moment-là, ses sentiments n’étaient pas différents de ceux de Nanao.

— Mais ensuite tu l’as rejetée. Pour cette raison, je crois que la douleur de Nanao était encore plus grande. Bien sûr, je ne te blâme pas. En fait, je suis soulagé que tu aies pu te calmer. La dernière chose que je veux voir, c’est deux de mes amis se battant jusqu’à la mort.

Un silence pesant s’ensuivit. Après un moment, Chela continua, un regard troublé sur le visage.

— Mais au moment où vos épées se sont entrechoquées, vous avez réalisé que vos destins étaient entrelacés. J’ai entendu dire que c’était un phénomène rare dans le monde de la magie et des lames. Peut- être que toi et Nanao avez formé une telle connexion. Si c’est vrai, je suis aussi craintive qu’envieuse.

Chela s’arrêta brusquement et porta la main à sa poitrine, comme pour tenter désespérément d’éteindre un feu qui brûlait en elle.

— Pardon. Il semble que j’ai été touchée par une étincelle. Votre duel était si brillant que j’ai à peine réussi à le regarder.

Dit-elle jalousement, puis elle tourna tranquillement les talons. Sa fière silhouette disparut dans l’obscurité. Même après qu’elle soit partie dans le dortoir des filles, Oliver resta derrière pendant un long moment jusqu’à ce que son cœur battant revienne à la normale. Le lendemain matin de leur nuit agitée–- c’est le moins qu’on puisse dire–- ils se retrouvèrent tous les six dans la cour où ils avaient eu leur conversation.

— Bonjour, Oliver !

Nanao s’exclama avec enthousiasme dès qu’elle le vit. Oliver fut un peu surpris par la différence d’humeur de la jeune femme.

— O-ouais, bonjour.

— Tu sembles de bonne humeur aujourd’hui. Tu te sens mieux Demanda Guy en souriant.

— Bonjour, Guy, Pete ! Répondit Nanao en souriant de la même façon.

— Pardonnez-moi de vous avoir inquiétés hier soir !

Elle inclina sa tête. Pete souffla et se détourna.

— Je n’étais pas inquiet… Mais je pense que tu es plus toi-même maintenant, ajouta tranquillement le garçon à lunettes.

Oliver et Guy se regardèrent et échangèrent des sourires en coin.

— Nous sommes tous ici maintenant, à l’académie !

Pleine d’énergie, Nanao se précipita pour ouvrir la voie–- puis ralentit, marchant plutôt à côté d’Oliver. Elle lui sourit innocemment.

— …Nanao, pourquoi es-tu à côté de moi ? Demanda-t-il, confus.

— Pour vous observer de plus près, bien sûr. Milady Chela m’a demandé de vous observer sans épée.

— Je ne pense pas qu’elle voulait que tu m’étudies de près…

— Je vous dérange ? Demanda-t-elle, soudainement anxieuse.

Il ne pouvait pas vraiment l’envoyer promener après la nuit dernière, alors Oliver soupira en signe de résignation.

— Non, je n’ai pas dit ça. Tu es libre d’être où tu veux.

Ayant obtenu sa permission, Nanao balança ses bras et ses jambes dans une expression dramatique de joie. Elle s’était collée à lui comme de la glu pendant qu’ils marchaient. De l’autre côté Guy et Pete étudiaient l’expression d’Olivier.

— …je crois voir un sourire.

— Je crois que moi aussi.

— Guy ! Pete !

Oliver leur cria dessus alors qu’ils chuchotaient entre eux en plaisantant, ayant l’impression d’être le seul adulte présent. Katie, qui observa par-derrière, tira sur la manche de Nanao du côté opposé à lui.

— Ahem… N-Nanao ? Si tu restes trop près de lui, tu pourrais avoir des problèmes pour avoir violé, hum, la conduite de l’académie. Oliver est un garçon après tout, tu sais ?

Dit-elle en tirant plus fort sur sa manche. Guy et Pete avaient approché leurs têtes à nouveau.

— …On dirait qu’une tempête se prépare.

— Je le pense aussi.

— Hey, vous deux !

Lança la fille aux cheveux bouclés. Les garçons se dispersèrent comme des bébés-araignées. En gloussant, Chela regarda Katie leur courir après.

— Une belle matinée, pleine de vie. Pas si mal, n’est-ce pas, Nanao ?

— Mm, en effet !

Nanao acquiesça sans hésiter. En la voyant déborder de vie et d’énergie, Oliver poussa un soupir de soulagement. Il pouvait sentir que l’épée n’était plus la seule chose dans sa vie. Leur première période de la journée se déroula sans problème. Après avoir terminé leur cours d’histoire de la magie et être sortis de la classe, Guy et Nanao s’attrapèrent la tête en signe de douleur après l’énorme quantité de connaissances qu’ils venaient d’ingurgiter.

— Mec, ça va être dur… Y a tellement de choses à retenir en Histoire.

— Oh, les mots tournent dans ma tête.

Les deux gémissaient ensemble. Pete roula des yeux et soupira.

— Vous êtes tristes tous les deux. Vous échoueriez dans une école

normale avec cette attitude.

— Ne vous sentez pas obligé de tout retenir d’un coup. Commencez par les éléments de base, puis reliez les points à partir de là. Sinon, vous ne retiendrez rien. Et puis essayez d’en tirer un enseignement, dit Oliver, en essayant de leur donner le secret pour étudier.

À ce moment-là, il aperçut une fille familière qui courait vers lui depuis le bout du couloir. C’était Chela, qui avait assisté au cours avec Katie dans une classe d’une autre pièce.

— Oliver, tu dois venir avec moi !

— Chela ? Qu’est-ce qui ne va pas ?

— Katie vient de sortir en courant ! Elle a entendu dire qu’ils allaient exécuter le troll qui l’a attaquée ! Elle essaie d’arrêter tout !

Les yeux d’Oliver s’écarquillèrent. Il suivit Chela alors qu’elle ouvrait la voie, aucun d’eux ne perdant un seul instant. Le foyer des bêtes magiques se trouvait sous propriété de Kimberly, mais pour des raisons de contrôle de sécurité et de préservation de l’habitat, il était situé loin du bâtiment de l’académie en lui-même. Le terrain entouré de clôtures était vaste, mais en réalité, ce n’était que la partie émergée de l’iceberg, et la majeure partie de l’installation se trouvait dans le labyrinthe souterrain. Il s’étendait et se rétrécissait en fonction du nombre de créatures à soigner, il était donc impossible de se faire une idée précise de son ampleur. Cependant, d’après les anciens, les créatures les plus dangereuses étaient gardées dans les niveaux les plus bas.

Quant aux trolls, leur espace vital se trouvait à la surface. Tout le monde était libre de les observer derrière une barrière, et il n’y avait aucune barrière réelle pour empêcher de les toucher directement. Les créatures qui tuaient des milliers de non-mages chaque année n’étaient même pas considérées comme dangereuses pour les mages.

— Il y a très peu de choses qui m’exaspèrent vraiment.

Dans un coin de l’installation, un homme en cape noire se tenait solennellement devant une cage géante qui servait à mettre en quarantaine les créatures malades. À l’intérieur de la cage se trouvait un troll–- le même qui s’était déchaîné pendant la parade–- se recroquevillant devant la présence dominante de l’homme et tremblant de peur de sa mort imminente.

— L’une d’elles est de me répéter à la même personne. Il n’y a rien qui m’irrite plus que de voir mon temps précieux gaspillé par des imbéciles. Ce temps passé à parler pourrait être mieux employé à des activités mentales précieuses.

Et entre l’homme et le troll, dos à la prison de métal, se tenait une fille. Elle faisait face à l’homme, le regardant droit dans les yeux. Seule Katie Aalto aurait pu être là.

— Me répéter une fois est déjà assez vexant. Mais pour que je le fasse une deuxième fois, je n’ai pas d’autre choix que de supposer que je parle réellement à un singe à forme humaine. Première année, voulez-vous être un singe ? Demanda froidement l’homme.

Faisant appel à toute sa détermination, Katie répondit.

— S’il vous plaît, ne changez pas de sujet. Je vous en supplie, ne tuez pas ce troll ! Implora-t-elle de toutes ses forces.

L’homme fit craquer son cou.

— Ne pas le tuer, vous dites ? Laissez-moi vous demander—- dans quelle position êtes-vous pour faire une telle demande ?

— Je suis celle qui a été attaquée et blessée ! Je crois que cela me donne le droit de dire quelque chose !

Ce fait était sa seule carte à jouer. Mais cela ne servit à rien, l’homme n’avait pas bougé d’un pouce.

— Vous semblez avoir mal compris. Toute bête faisant du mal à un humain doit être abattue pour la sécurité des élèves et la vôtre.

Plutôt qu’une conversation, c’était plutôt un professeur qui donnait un cours. L’homme lança un regard froid au demi-humain qui se cachait derrière Katie.

— Disons que je laisse vivre ce troll. Comment en assumerez-vous la responsabilité ? Allez-vous le rééduquer ? Même un kobold aurait plus de chance de survivre à ça.

Katie fut interloquée. L’homme soupira devant cette réaction prévisible.

— « Ayez un cœur ! » « Ne le tuez pas ! » Quel que soit l’âge, il y a toujours des imbéciles irresponsables pour débiter de telles inepties. Vous n’avez aucune intention de faire le travail vous- même. Vous voulez simplement la satisfaction temporaire de sauver une vie. Tout en prétendant ne pas savoir combien d’autres humains pourraient y passer par la suite. Première année, quel est votre nom ?

— …Katie Aalto, professeur, répondit nerveusement la jeune fille. Tout d’un coup, tout sembla s’éclaircir pour l’homme.

— Aalto-ah, ces Aalto. Je comprends mieux. Même parmi les imbéciles

du mouvement pro droits civiques, personne ne suit la mode du jour avec autant de persistance qu’eux. Mes sympathies. Vous avez eu la malchance d’être né dans cette famille.

Oliver arriva juste à temps pour entendre ça. L’homme le regarda une seconde, mais c’est tout. Alors que les amis de Katie réfléchissaient à la manière d’intervenir, Katie elle-même serra les dents de colère face à son insulte.

— Pour cette fois, je vais faire comme si je ne vous avais pas entendu in- sulter mes parents. S’il vous plaît, ne tuez pas ce troll. Je ne fais pas que parler. Je le convaincrai de ne plus attaquer d’autres humains, plaida Katie, retenant désespérément ses émotions.

Mais au lieu de lui faire plaisir, l’homme éclata d’un rire exaspéré.

— Convaincre ! Le convaincre, vous dites ! Quoi, vous allez lui parler ? J’aimerais bien voir ça ! Peut-être le ferez-vous assis autour d’une table sur la terrasse en sirotant le thé de l’après-midi ?

— Arrêtez de rire !

Elle cria si fort que sa voix dérailla, faisant arrêter le rire de l’homme. C’était la limite de son contrôle de soi. Katie lui jeta un regard furieux, oubliant qu’elle avait en face un instructeur.

— Nous pouvons communiquer par les sentiments, même si nous ne pouvons pas parler la langue de l’autre. Même si nous sommes d’espèces différentes… ! insista la jeune fille, la voix sur le point de se briser.

Face à une telle passion, le sourire de l’homme disparut de son visage.

— …Je vois. Je suppose que je ne peux pas rire si vous êtes à ce point atteint, marmonna-t-il, la voix basse.

Au même moment, il avait tout naturellement sorti la baguette de sa taille.

DOLOR !

Sa baguette pointée vers Katie, il incanta le sort sans hésiter. Au moment où il donna un coup de baguette, une douleur comme elle n’en avait jamais connue, parcourut le corps de la jeune fille.

— Guh… ! Ee… Ah-ahhhhh… !

— Katie !

La fille tomba sur le sol, se tordant de douleur. Incapables de rester silencieux plus longtemps, Oliver et les autres sautèrent. Ils s’étaient tous tenus devant leur amie souffrante, la couvrant. Chela lança un regard aiguisé à l’homme.

— De jeter un sortilège d’affliction sur une première année… ?! Cela va trop loin, même pour un instructeur !

— Trop loin ? Pas du tout. La douleur est un excellent professeur.

La baguette siffla dans l’air comme un fouet tandis que l’homme poursuivait, indifférent.

— Peu importe le degré de raffinement de mon discours, il ne fera que rebondir aux oreilles des imbéciles. Mais tout le monde ressent la douleur. Seule la souffrance apprend aux sots comme aux sages. Ainsi, l’éducation ne peut être efficace sans celle-ci.

D’après son ton direct, il était clair qu’il y croyait du fond du cœur. Un frisson parcourut l’échine d’Oliver.

— J’essaie d’élever ce singe là-bas au rang d’humain, déclara froidement l’homme aux cinq enfants qui protégeaient leur ami.

— Si vous voulez interférer, alors peut-être avez-vous besoin d’être guidé vous aussi.

Lorsqu’il les menaça, tous les cinq saisirent instinctivement leur athamé. Mais en même temps, tous semblaient comprendre qu’il était inutile de résister.

— …… !

Leur seul choix était de se prosterner et d’implorer le pardon, Oliver se décida et relâcha sa main de la poignée. Il pouvait facilement imaginer que le fait d’être guidé n’était que de la torture sous un autre nom. Alors plutôt que d’exposer ses amis à cela, il était prêt à avaler toute humiliation.

— Une seconde, s’il vous plaît. J’admire vos convictions, mais le fouet seul n’est sûrement pas un outil éducatif efficace.

Juste avant qu’Oliver ne puisse ouvrir la bouche, une voix familière s’immisça. Le garçon regarda pour voir qui c’était et vit une étudiante qui se tenait là, sa longue frange couvrant l’un de ses yeux. Il se souvint d’elle.

— Elle était l’étudiante la plus âgée qui les avait conduits aux dortoirs après l’empiètement la nuit dernière. Peut-être qu’elle fut plus persuasive, mais en tout cas, le professeur ne pouvait ignorer l’intrusion et tourna son attention vers elle.

— Miligan, quatrième année, hein ? Que voulez-vous ?

— Je suis en fait venue vous dire qu’une objection a été soulevée concernant l’exécution du troll. L’intéressé devrait arriver bientôt.

Une seconde plus tard, une cape blanche voltigea derrière Miligan. Pete laissa échapper une petite exclamation de joie. Maître Garland était là, comme un rayon de lumière dans l’obscurité.

— Ça suffit, Darius. L’utilisation du sortilège d’affliction dans l’éducation a été interdite il y a cinq ans.

— …Garland. Je n’ai pas l’intention de déroger à mes principes d’enseignement. Plus important encore, quelle est cette objection ?

Demanda le dénommé Darius avec indignation. Garland regarda Katie, effondrée sur le sol et le troll coincé dans la cage. Une expression sévère sur le visage, il répondit :

— L’enquête sur l’origine de l’incident du défilé n’est pas satisfaisante. J’ai proposé que nous gardions le troll vivant comme preuve, et la directrice a accepté.

Ses mots étaient une opposition inébranlable aux actions de Darius, surtout en y mêlant la directrice. Darius fit claquer sa langue.

— Quelle niaiserie. Vous êtes l’un de ces idiots pro-droits civiques ?

— Non, j’ai toujours été dans une opposition farouche, cependant, ces mages que vous appelez « idiots » sont actuellement assez influents. Une exécution effectuée sans une enquête approfondie ne donnera pas de remède miracle.

Garland était resté incroyablement calme, soulignant les déficiences du plan de Darius sans recourir à des mots durs. Un silence pesant s’installa entre eux. Finalement, Darius tourna les talons.

— Faites comme vous voulez. Mais si on le laisse vivre, il ne fera

qu’écraser ce singe sous son pied, cracha-t-il, tout en s’éloignant.

— Je ne suis pas… un singe, cria une voix inattendue après lui.

— Je ne serai pas… si facilement… écrasée… !

Ses amis regardèrent avec étonnement Katie se redresser dans une douleur intense, luttant pour faire sortir les mots. Même Darius se retourna pour la regarder avec étonnement.

— …Quelle surprise. J’ai gardé certes le sortilège à un niveau bas, mais tu peux déjà parler ? Il semblerait que les singes d’aujourd’hui aient l’esprit et les nerfs émoussés. L’évolution est en deuil, dit-il avec méchanceté avant de partir pour de bon cette fois.

Incapable de le laisser partir, la fille aux cheveux bouclés essaya de le suivre.

— Ah… guh… !

— Ne te force pas à te lever, Katie !

— Je vais atténuer la douleur pour toi… !

Oliver et Chela se précipitèrent au secours de leur amie qui hurlait et qui se recroquevillait à l’agonie. Mais avant qu’ils ne puissent faire quoi que ce soit de précis, l’élève plus âgée qui était venue avec Garland sortit sa baguette.

— Tu vas bien ? Tu es pour sûr une petite folle.

Dit doucement Miligan, en agitant sa baguette et en jetant un sort d’atténuation sur Katie. La souffrance disparue, Katie fixa le visage devant elle.

— Cela fait longtemps que je n’ai pas vu un élève ne pas se laisser intimider par ce professeur. Tu as du cran, ma petite.

La sorcière loua son combat acharné avec un sourire. Alors que la douleur s’atténua, le cerveau de Katie recommença à fonctionner normalement. Une fois qu’elle put distinguer la personne qui lui parlait, elle cria son nom.

— Oh…Miss Miligan… ?

— Je suis heureuse que tu te souviennes de moi. Je n’ai pas oublié ton nom non plus, Katie Aalto.

Miligan tendit une main, et la jeune fille aux cheveux bouclés la prit avec précaution. Tout en aidant la jeune fille à se relever, la sorcière à la longue frange regarda le troll qui tremblait dans la cage. L’exécution de ce troll a également attiré mon attention. En tant que passionnée aussi des demi-hommes, je pense que nous pouvons nous entraider de bien des manières. Si jamais tu as quelque chose en tête, n’hésite pas à venir me consulter.

— Oh—o-oui !

Le visage de Katie brillait de bonheur. Pour la première fois depuis son arrivée dans cette école, un étudiant plus âgé avait sympathisé avec elle. Pour elle, ces mots étaient le plus grand encouragement que son cœur pouvait recevoir. Un peu moins d’une heure plus tard, après s’être débarrassée d’Oliver et de Chela qui lui avait recommandé d’aller chez le médecin, Katie avait rejoint ses camarades en cours d’arts de l’épée.

— Haah ! Hyah ! Yah !

Avec une vigueur inhabituelle, elle lâcha ses coups d’entraînement. Guy, qui s’entraînait à côté d’elle, émit un sifflement.

— Eh bien, tu es vraiment motivée. Tu te sens déjà mieux ?

— Je ne peux plus laisser une chose comme ça me déprimer !

Dit-elle d’un ton vif. Comme pour faire disparaître le souvenir du sortilège d’affliction, Katie se plongea dans son entraînement basique. Garland observa ses progrès et ceux des autres élèves avec un air satisfait.

— Très bien ! Débutants, continuez votre entraînement de base. Les vétérans, mettez-vous par deux et entraînez-vous à vous frapper mutuellement. Veillez à vous relayer pour attaquer et vous défendre. Oh, et, Miss Hibiya, venez ici.

En entendant son nom, Nanao avait interrompu son entraînement pour se retourner, puis rengaina son épée et courut vers l’instructeur. Oliver l’observa du coin de l’œil tout en poursuivant son entraînement.

— Pour être parfaitement honnête, je ne sais pas comment te former. Ton maniement de l’épée et le mien sont très différents. Donc avant de commencer, je dois savoir ce qu’on t’a appris.

L’instructeur ne laissa aucune chance à Nanao de répondre.

— Cela dit, tu n’as pas à t’inquiéter. Je n’essaie pas de te piéger. Il y a longtemps, je vivais pour croiser le fer avec des maîtres d’autres styles. J’accueille à bras ouverts la stimulation avec un style inconnu.

Garland fit un sourire excité, comme un vilain enfant. Sentant son honnêteté, Nanao le regarda avec une franche appréciation. Alors qu’ils se faisaient face, l’expression de l’instructeur devint rapidement sérieuse.

— Avec cela en tête, ma première question : Tu manies ton épée à deux mains. Puis-je supposer que tu ne changeras pas cela ?

Nanao laissa tomber son regard sur la lame à sa taille et hocha la tête.

— En effet. Manier mon sabre d’une seule main signifierait qu’on m’ait coupé l’autre main.

Oliver, qui écoutait en s’entraînant à proximité, frissonna pour la centième fois depuis sa rencontre avec Nanao. Elle mentionna la perte d’une main avec une telle désinvolture, même si elle venait d’un monde où la magie de guérison n’existait pas, la sévérité était frappante.

— Très bien. Je suis heureux d’entendre cela. Si tu avais souhaité changer ta prise et apprendre l’un des trois styles de base depuis le début, en tant qu’instructeur, je n’aurais pas pu refuser. Cependant, le professeur McFarlane a insisté pour que je garde à l’esprit ta caractéristique unique dans mon enseignement. Mais plus important encore, c’est aussi mon souhait.

Les yeux de Garland brillaient d’espoir pour l’avenir. Cependant, il n’a pas fallu longtemps pour qu’un peu de culpabilité se glisse dans son expression.

— Quoi que l’avenir me réserve, je ne peux pas commencer sans en savoir plus sur ton style d’épée… Cependant, le titre d’instructeur des arts de l’épée de Kimberly est incroyablement lourd à porter. Je ne peux absolument pas affronter en duel une première année, aussi prometteuse soit-elle. Ce serait un affront pour ma fonction.

— Mm, c’est dommage, murmura Nanao, ses espoirs déçus. L’instant d’après, ce sourire coquin revint sur le visage de Garland.

— Mais tant que personne ne le découvre, tout ira bien, n’est-ce pas ?

Dit-il en se plaçant contre Nanao à la distance d’un pas, d’un sort. Il refusa de toucher son épée, mais voyant l’intention dans ses yeux, la jeune fille hocha la tête en réponse.

— Je vois. Une bataille mentale, c’est ça ? Très bien, alors je serai votre adversaire.

Une fois qu’ils avaient tous deux donné leur consentement, l’instructeur et l’élève s’affrontèrent. Oliver avait une idée de ce qui allait se passer. Dans le style Lanoff, cette technique s’appelait la Concordance des Ombres. Ainsi, ils allaient tous les deux combattre virtuellement.

— Haaah…

Garland resta sur la défensive, alors Nanao fit la première « frappe ». De l’extérieur, ils semblaient ne pas bouger du tout, mais dans leur esprit, tous deux pouvaient clairement voir une image de Nanao en train d’attaquer. En réponse, l’homme envoya également sa volonté dans le champ de bataille virtuel. Plus les duellistes étaient expérimentés, plus leur affrontement dans la Concordance des Ombres reproduisait de façon réaliste le combat.

— … ! … ! … !

— ……

Peu de temps après le début, des perles de sueur se formèrent sur le visage de Nanao. En face d’elle, Garland resta calme et imperturbable. Oliver déglutit. Même s’il ne pouvait pas voir la bataille qui se déroulait dans leurs esprits, ce n’était pas difficile à imaginer. Le duel dura moins de deux minutes. Finalement, sans grande surprise, Nanao posa un genou à terre.

— …Impressionnant. Vous m’avez décapité cent deux fois.

— Ah, mais tu as dépassé mes attentes. Et à un si jeune âge, en plus. L’art du sabre des Yamatsu est vraiment étonnant.

Avec une admiration sincère sur son visage, Garland loua les compétences de la jeune fille. Alors que Nanao peinait à reprendre son souffle, il continua.

— Je vais analyser notre duel et l’utiliser pour nourrir mes enseignements. Je suis désolé de te faire attendre, mais pour le reste de la journée, peux-tu observer les autres élèves ?

— Compris… Bien que j’aie besoin de quelques minutes de plus avant de pouvoir bouger.

La jeune fille hocha la tête, essayant désespérément de contrôler sa respiration. Finalement, elle se leva, s’inclina devant Garland et se dirigea en titubant vers les autres élèves. Ses yeux rencontrèrent vite ceux d’Oliver, et elle sourit.

— Ça s’est terminé avant que je puisse trouver une seule ouverture. Le monde est vaste, n’est-ce pas, Oliver ?

— …Oui, il l’est.

Son expression était composée à 30 % de frustration de ne pas être assez forte, et à 70 % d’excitation d’avoir rencontré un nouvel adversaire formidable. Il ressentit une pointe de jalousie en voyant à quel point elle avait l’air rafraîchie, et il ne put pas empêcher sa bouche de continuer.

— Si tu cherches des adversaires redoutables dans le monde des arts de l’épée, Maître Garland est l’un des hommes les plus forts et les plus célèbres qui existent. Tu as certainement dû te rendre compte lors de votre duel que je ne tiens même pas la comparaison…

— Mm ?

— …N’es-tu pas attirée par lui, en tant qu’épéiste ? Demanda-t-il avec hésitation. Nanao se mit à grogner.

— Disons qu’il y a une fille qui parfaite à vos yeux qui ne rivalisait avec personne.

— ?

— Puis un jour, la plus grande beauté du monde apparaît devant vous. Vos sentiments changeraient-ils ?

Demanda-t-elle en retournant les rôles. À cette réponse surprenante, un tel scénario surgit dans l’esprit d’Olivier.

— …Ils ne changeraient pas. Je me sentirais exactement comme avant l’apparition de la deuxième fille.

Répondit-il sans la moindre hésitation. Peu importe la beauté de cette fille hypothétique, il n’y aurait pas de place dans son esprit pour la considérer. Pour lui, la beauté extérieure n’était pas quelque chose qui pouvait s’emparer de son cœur et ne plus le lâcher.

— Je suis dans le même cas.

Nanao fit un grand sourire et regarda le garçon avec une joie absolue. L’embarras explosa en Oliver comme un geyser, et il était rapidement devenu hyper conscient que d’autres personnes pouvaient écouter. C’était juste une conversation triviale, mais c’était le genre de chose embarrassant.

— Ok, pause de trois minutes. Quelqu’un a des questions ?

Ignorant l’agitation d’Oliver, Garland frappa dans ses mains et appela les élèves. L’un d’entre eux leva la main instantanément.

— Moi, instructeur Garland !

— Très bien. Je t’écoute.

— Je suis très curieux. Pouvez-vous utiliser une Spellblade ?

La question était comme une pierre chutant sur la surface d’une eau calme, envoyant des murmures ondulant à travers la classe. Garland sourit d’une manière incroyablement maladroite.

— …je le savais. Chaque année à cette période, quelqu’un demande.

Les yeux des élèves brillèrent de curiosité. L’instructeur les regarda, se remémorant les années passées.

— Ma réponse est que je ne peux pas répondre. Je le dis chaque année. Mais vous le saviez avant de demander, n’est-ce pas ?

La plupart des étudiants râlèrent. Mais voyant que certains autres avaient l’air confus, Garland continua.

— Je vois une certaine confusion. Très bien, laissez-moi profiter de ce moment pour vous expliquer. Dans le monde des arts de l’épée, il existe des techniques secrètes connues sous le nom de Spellblades. Leur définition est extrêmement simple— une technique déclenchée en la distance d’un pas, d’un sort qui tuera instantanément l’adversaire. Il n’y a aucun moyen de leur résister.

Cette connaissance était difficile à accepter pour les non-initiés. Les yeux de Nanao s’écarquillèrent de surprise et de curiosité.

— Bien sûr, ils sont en grande partie un secret, même pour les mages. Il n’est publié nulle part comment accéder à de tel connaissances, et leurs utilisateurs sont rarement révélés. Certains se demandent même s’ils existent vraiment. Malgré cela, il y a un flot incessant de personnes comme vous qui veulent en savoir plus. Il y a longtemps, j’étais pareil.

Le ton de Garland était à moitié plaisantin, mais Oliver pouvait sentir un peu de honte dans la réflexion de l’instructeur sur ses jeunes années. Mais aussi vite que c’était apparu, celle-ci a disparu. Garland écarta les cinq doigts de sa main droite et les tendit aux élèves, ajoutant l’index de sa main gauche.

— Au total, il existe six Spellblades. Leur nombre était fréquemment en évolution à l’aube des arts d’épée, mais depuis deux cents ans, cela n’a ni augmenté ni diminué. Nombreux sont ceux qui essaient de construire de nouvelles Spellblades, ou d’analyser et de décomposer ceux que nous connaissons déjà. Et pourtant, après toutes ces années, seuls six d’entre eux ont vraiment subsisté.

Les élèves avalèrent leur salive. L’existence des Spellblades fut confirmée.

— Il va sans dire que ce sont des objectifs irréalistes pour des étudiants d’art de l’épée. Cependant, je ne crois pas qu’il soit inutile d’en discuter. Cela ne fait qu’attiser quelque chose dans vos cœurs, non ?

Garland fit un grand sourire. Les mains des étudiants excités se levèrent.

— Instructeur ! S’il vous plaît, donnez-nous au moins un indice !

— Les autres instructeurs peuvent-ils les utiliser ? Et la directrice ?

— Que se passe-t-il si deux utilisateurs de Spellblades s’affrontent ?

Les questions tombèrent comme une pluie de flèches. Voyant qu’ils réagissaient exactement comme il s’y attendait, Garland haussa les épaules comme les années précédentes.

— …Comme vous pouvez le voir, c’est un sujet qui peut instantanément ruiner un cours. Honnêtement, ça arrive toujours.

Oliver sourit ironiquement. Il aimait bien cet instructeur.

— Je ne répondrai plus à aucune question. Maintenant, retournez à votre entraînement. Vos trois minutes sont passées depuis longtemps !

Il tapa dans ses mains, signalant la fin de la discussion. Oliver se reconcentra rapidement sur son entraînement. Nanao croisa les bras et hocha la tête.

— Quelle curieuse histoire que celle-là. Oliver, vous connaissiez ces choses-là ?

— Eh bien, seulement ce qu’il vient d’expliquer. C’est le sujet le plus brûlant parmi tous les nouveaux.

Pour lui, ce n’était rien de nouveau, mais pour quelqu’un comme elle qui ne les connaissait pas, c’était probablement très stimulant. Il imaginait qu’elle était sur le point de le harceler de questions, mais avant qu’elle ne puisse…

— Discuter au lieu de s’entraîner ? Vous devez être assez confiants, Horn, Hibiya.

S’immisçant une troisième voix malicieuse. Ils se retournèrent pour voir un garçon aux cheveux longs serrant son athamé, Andrews.

— Nous discutions juste des Spellblades, comme tout le monde. Sans vouloir t’offenser.

— Comme tout le monde ? …Je suis inclus dedans ?

La colère dans ses yeux augmenta alors qu’il fixait Oliver. Il avait essayé de choisir ses mots avec soin pour ne pas le provoquer, mais apparemment, il avait échoué. Oliver tenta de calmer le jeu.

— Je n’essaie pas de me disputer, mais c’est un peu exagéré.

— Je vois. Alors c’est moi qui manque de confiance hein ? C’est ce que tu essaies de dire ?

Sa réaction ne fit qu’empirer. Oliver pouvait voir que rien de ce qu’il dirait ne changerait les choses. Chela, qui s’entraînait à proximité, comprit et intervint.

— Assez, Mr. Andrews. À force de critiquer le moindre de ses dires, je vais commencer à douter de l’intégrité de ce comportement.

— De quoi je me mêle, Miss McFarlane ? C’est à lui que je m’adresse.

Essayer de rester neutre n’allait pas marcher cette fois. Andrews était trop obsédé par Oliver pour qu’il puisse la jouer en douceur.

— …Donc qu’est-ce qui serait satisfaisant exactement ?

— N’est-ce pas évident ? Cette épée que tu as n’est qu’un accessoire ? Il jeta un regard à la main droite d’Oliver et pointa la pointe de son athamé.

— Un duel, avec sorts autorisés. Comme ça je ne perdrai pas la face contre une bande d’ahuris comme vous !

Il cherchait le conflit, et Oliver soupira devant la pugnacité brute du garçon.

— Très bien, je vais le faire. Faisons un duel d’entraînement alors.

— Peu importe ce que c’est, Horn, tiens-toi prêt. Je vais te rendre l’humiliation en dix fois pire !

Andrews se retourna avec colère. Allait-il obtenir l’approbation de Maître Garland ? Oliver doutait qu’il autorise un combat complet à ce stade, mais il le suivit quand même, avec l’impression que cela ne le concernait presque pas.

— Non, Oliver.

La main de Nanao attrapa la robe d’Oliver et la tira en arrière.

— …Nanao ?

— Il n’y a pas de volonté en vous. Vous comptiez perdre exprès !

Ses mots percèrent son cœur. Ses yeux vacillants, la fille continua.

— Je ne veux pas de ça. Je ne veux absolument pas ça. Je ne veux pas voir mon partenaire destiné tomber d’une manière aussi plate. Ce serait si triste. Je ne pense pas que je pourrais le supporter.

Des larmes lui emplirent les yeux tandis qu’elle le suppliait.

— Il ne s’agit pas seulement de gagner ou de perdre. Lorsque l’on se bat, il faut tout donner !

— Eh bien, je…

Ce n’était pas le duel qui le préoccupait, mais plutôt ses relations avec les autres à l’avenir. Mais alors qu’il essayait d’expliquer sa logique plutôt prétentieuse à Nanao, il rendit soudainement compte de sa propre erreur. Paniquant, il retourna son regard vers l’avant. Les yeux d’Andrews, écarquillés par le choc, racontaient toute l’histoire.

— Je suis déconsidéré à ce point ? Je ne suis même pas digne ?

— Mr. Andrews ! Ce n’est pas ça—

Il était trop tard pour trouver des excuses, mais son cerveau le voulait quand même. Il aurait dû le nier immédiatement. Si son plan était de perdre et de donner une bonne image de son adversaire, alors il devait maintenir l’acte comme s’il était sérieux.

— Esp…espèce de !!!

Le hurlement de l’orgueil blessé du garçon emplit la salle de classe. En répondant, même à peine, à la déclaration de Nanao, Oliver montra à son adversaire qu’il n’avait aucune envie de le combattre. C’était bien pire que n’importe quelle violence verbale, car cela heurta sa fierté.

— Assez parlé là-bas ! Concentrez-vous ! Encore cent coups de votre partenaire comme punition !

Le cri de l’instructeur arrêta la main d’Andrews juste avant qu’il ne tire son épée. Chela profita de l’occasion pour intervenir.

— Vous avez entendu l’instructeur ! Votre duel pourra attendre.

Elle les regarda tour à tour, les réprimandant plus sévèrement que jamais. Andrews serra les dents, jetant un dernier regard mauvais à Oliver et partit.

— Mon Dieu…

Après le cours, Oliver et Chela signalèrent aux autres d’y aller en premier. Dans un coin de la salle vide, ils se tinrent debout, dos au mur.

— Je sais que tu ne voulais pas causer de tort, mais ça s’est très mal passé. À ce stade, je doute qu’il soit facile de réparer votre relation.

Chela soupira. En appuyant une main sur sa tête, Oliver gémit.

— Je sais que je n’aurais pas dû répondre de cette façon, et je ne ferai plus cette erreur. Mais pourquoi Andrews a insisté à ce point-là ? Pourquoi est-il si obsédé de prouver sa force ? C’est bien plus que sa personnalité à ce stade.

C’était la partie la plus mystérieuse. Un regret amer colora le visage de Chela.

— Il n’a pas toujours été comme ça. Je porte probablement une certaine responsabilité à cet égard.

— Comment ça … ?

— Nous avons grandi ensemble. Nos familles sont liées depuis des générations.

Oliver écarquilla les yeux de surprise. De leurs brèves conversations, il avait senti qu’ils se connaissaient, mais il ne s’attendait pas à ce qu’ils soient si liés.

— Comme nous avons le même âge, il a inévitablement fini par être comparé à moi en grandissant. Je ne partagerai aucun détail pour préserver son honneur, mais il s’est toujours senti inférieur.

Ses mots étaient âpres et amers. Oliver essaya d’imaginer l’environnement dans lequel ils avaient grandi, eux qui étaient deux enfants de maisons historiques. Constamment comparés à leur entourage et obligés de rivaliser sur tout, la pression devait être énorme.

— À cause de cela, nous sommes restés la plupart du temps éloignés l’un de l’autre. Si tu me demandais de quel côté je suis, je dirais du tien, puisque tu es mon ami actuellement. Cependant, je ne veux pas que vous vous battiez comme aujourd’hui. Si tu apprends à le connaître, il a beaucoup de bons côtés.

Oliver serra les dents. Même la compassion dont Chela faisait preuve en ce moment était probablement considérée comme une insulte pour Andrews. Elle dut essayer un million de façons d’aider son ami d’enfance alors qu’il succombait à la négativité. Des sermons sévères, des réprimandes gentilles, mais tout cela a dû provoquer l’effet inverse, et son seul choix fut de lui laisser de l’espace. Il soupira lourdement. Maintenant, c’était encore plus difficile. Après avoir imaginé l’histoire du garçon, il ne pouvait plus le décrire comme étant simplement « une mauvaise personne ».

— Maintenant que je le sais, je ne peux pas simplement ignorer cela—

Alors qu’il parlait, il eut un déclic. C’était le souhait sincère de son amie et il avait déjà une dette envers elle pour leur premier cours ensemble.

— La prochaine fois, je ferai de mon mieux pour réparer notre relation. Je m’excuserai s’il le faut. J’aime à penser que je suis raisonnable.

Oliver haussa les épaules en assurant Chela de ses intentions. Un sourire douloureux apparut sur ses lèvres.

— Je suis heureux que tu dises cela, mais je ne peux pas te demander de t’excuser alors que tu n’as rien fait de mal. Je me demande même si Andrews aura la présence d’esprit d’accepter des excuses.

Elle s’arrêta un moment, portant un regard terriblement solitaire.

— Je ne veux pas non plus décevoir Nanao.

— C’est beaucoup trop difficile de faire les deux.

Gémit Oliver, se souvenant d’elle au bord des larmes. Il ne savait plus quoi faire. Tous deux restèrent silencieux pendant un moment et puis, comme pour bannir le marasme, Chela prit la parole.

— Ne nous morfondons pas plus. Parlons de Katie par exemple. Il sursauta. Dès qu’il entendit le nom de son amie, il pensa à elle.

— C’est l’autre gros problème, n’est-ce pas ? dit-elle — – Mes yeux ont failli sortir de mon crâne quand je l’ai vue se placer entre la baguette de l’instructeur et le troll.

— Oui, elle a un caractère bien plus fort que je ne le pensais. Tout le monde n’aurait pas pu dire tout ça après avoir subi un sortilège d’affliction. Je suis sûr qu’elle va continuer à mûrir.

— En effet… tant qu’elle ne se fait pas tuer accidentellement avant.

— Précisément. Sais-tu ce que c’est ?

Chela sortit une boule de bouts de papier de la poche de sa robe. Un cercle magique était dessiné à l’encre rouge sur sa surface, et la fourrure d’une créature semblait s’être tissée à l’intérieur. Oliver l’étudia un moment avant de donner sa meilleure supposition.

— …Un catalyseur magique ? On dirait un outil d’espionnage, peut-être une sorte de piège ?

— Je savais que tu le reconnaîtrais. J’ai récupéré ça devant la chambre de Katie ce matin, répondit Chela avec un ton sévère.

L’expression d’Oliver devint tout de suite plus sérieuse

— …Est-ce que quelqu’un en aurait après Katie ?

— Je ne vois pas comment ça pourrait être autre chose. Ce n’est pas un piège mortel, mais ce n’est pas non plus quelque chose que l’on peut faire passer pour une simple farce. Tu te souviens de l’incident du défilé ? L’auteur n’a toujours pas été arrêté. Même si l’Académie est censée s’en occuper, pourtant.

Dit-elle, tenant dans ses mains la preuve de la mauvaise intention de quelqu’un. Le ton lourd, elle continua.

— …Tous les éléments pour un désastre.

Réalisant la gravité de la situation, Oliver mit une main sur son menton et réfléchit. Une grande partie de cette affaire était entourée de mystères, mais une chose était claire : quelqu’un visait Katie. Quel que soit son objectif, rester silencieux n’améliorerait pas la situation.

— Bon, enquêtons. Penses-tu que l’on puisse déterminer qui a posé ce piège ? C’est très probablement quelqu’un du dortoir des filles.

— Bien sûr. Ce serait idéal si je pouvais simplement attendre son prochain mouvement, mais ce serait compter sur ses erreurs.

Répondit-elle calmement en le remettant dans sa poche. Oliver acquiesça.

— Nous devons être plus proactifs. Serait-il possible de trouver l’auteur de l’incident du défilé, aussi ?

— Cela va être difficile. Nous pourrions peut-être apprendre quelque chose en recueillant les déclarations de témoins oculaires, mais une fois que l’auteur aura compris nos plans, tout s’écroulera.

— Quel dilemme. Si seulement il y avait quelqu’un d’autre qu’un étudiant ou un membre de l’académie présent à ce moment-là…

Soudainement, il s’arrêta. Ses pensées convergèrent vers une seule possibilité, Oliver releva la tête.

— Attends, il n’y avait pas quelqu’un, mais quelque chose !

— Bonjour à vous tous ! Pourquoi êtes-vous là ?

— Ravi de vous revoir !

— Avez-vous apprécié la cérémonie ?

— Personne ne s’est fait dessus, j’espère.

— Kya-ha-ha-ha-ha-ha !

Trois jours plus tard, le week-end, ils mirent en pratique l’idée d’Oliver. Ils se tinrent tous les six devant le parterre de dahlias bruyants, attentifs.

— Hey, Oliver. Je comprends la logique de ton raisonnement, mais–

— Ne fais pas ça, Guy. Je n’ai pas choisi ça parce que je le voulais, coupa Oliver. Regardant les plantes balancer leurs tiges avec excitation, il continua. — – Mais c’est la seule piste. Ces plantes d’orgueil ont été témoins du défilé. Avec autant de yeux, les dahlias laissent difficilement passer des actions suspectes.

C’était la raison pour laquelle ils étaient tous ici pendant leur précieux jour de repos. L’Allée des fleurs se trouvait à l’extérieur des portes de l’académie, mais elle était toujours sur la propriété de Kimberly. Il était facile d’obtenir la permission de la visite auprès de l’administration. Ils devaient juste se rappeler de revenir au campus à temps, ou une punition sévère les attendait.

— Je vois. Intelligent en effet. Cependant, est-ce vraiment le meilleur endroit ? Demanda Nanao — – L’incident s’est produit juste après les portes de l’académie. Cette zone est trop éloignée.

— C’est bon. Les plantes d’orgueil sont enracinées dans la même terre. Elles partagent toutes les mêmes souvenirs. C’est mieux que de se faire repérer en les interrogeant dans l’académie même.

Il y avait également des parterres de fleurs de plantes ornementales dans l’enceinte de l’académie, dont ceux qui étaient à l’extérieur. Ils pouvaient tirer des souvenirs. Cependant, en plus de la raison qu’il avait déjà donnée, il y avait une autre raison sérieuse de faire un détour pour venir ici.

— Je comprends. Mais plus important encore, comment comptes-tu obtenir une réponse claire de ces choses ?

Guy fronça les sourcils, ne s’attendant clairement pas à grand-chose. En écoutant leur conversation, les dahlias avaient tous étiré leurs tiges.

— Vous avez une question ?

— Ne soyez pas timide. Posez-là !

— À une condition, bien sûr !

Les plantes impatientes agissaient de concert. Oliver soupira.

— Et voilà, c’est parti. Il n’y a qu’un seul moyen, Guy, dit-il, la voix basse. Le visage de Guy s’assombrit de plus en plus chaque seconde.

— Pas question— mec, tu ne penses pas une session de cette Comédie de l’Enfer n’est-ce pas ?

— Quel choix avons-nous ? J’ai déjà pris ma décision.

Guy avala sa salive. Les quatre autres ne semblaient pas comprendre. Oliver se tourna vers eux et leur expliqua, espérant les rallier à sa cause.

— Les plantes d’orgueil fleurissent différemment chaque année pendant la cérémonie d’entrée. Ce qui détermine l’ampleur n’est pas la main verte de quelqu’un, mais un événement unique qui a lieu juste avant. Une tonne d’élèves de sixième année se rassemblent ici et font de

leur mieux pour amuser les plantes. Essentiellement… ils essaient de les faire rire avec un spectacle, expliqua-t-il.

Plus que tout autre engrais, les fleurs magiques avaient pour préférence les routines comiques humaines.

— L’exécution de ce contrat est le seul moyen de récupérer des informations précises auprès d’eux. Avez-vous chacun pensé à une blague comme je l’ai demandé ?

Oliver les regarda tour à tour, incroyablement sérieux. Katie ricana.

— Tu grandis les choses ! Ce n’est pas si grave. On doit juste faire quelque chose de drôle et les faire rire, non ?

Elle s’avança, pleine d’assurance.

— Laisse-moi commencer. Je vais les faire rire en un clin d’œil, qu’on puisse trouver celui qui me poursuit !

Les dahlias avaient applaudi à la conviction de la jeune fille.

— Vous êtes la première ?

— Je me demande ce qu’elle va faire.

— Je suis tout excité.

— Heh-heh-heh ! Ne riez pas si fort où vos pétales vont tomber, maintenant. Tout le monde est prêt ?

Dit-elle sans crainte en sortant un tissu blanc plié de sa poche. Tout étalé, il était assez grand pour envelopper sans serrer une petite personne. Katie l’utilisa pour se couvrir la tête avec brio.

— Alors c’est parti ! …Radis !

Dès qu’elle parla, elle enroula le tissu autour d’elle et se laissa tomber sur le sol, en arquant le dos et en serrant ses membres contre sa poitrine. Au vu de l’irrégularité de son corps entier recouvert du tissu, elle ressemblait un peu à un radis.

— ……

— ……

— ……

— ……… ?

Mais cela ne semblait pas avoir d’importance. Alors que les rires du public

n’étaient pas venus, la fille commença à paniquer.

— H-huh ? …Oignon !

Cette fois, elle se retourna et, le corps toujours recroquevillé comme avant, mit ses bras ensemble et les tendit vers le haut. La sphère blanche et ronde avec une légère pointe ressemblait en quelque sorte à un oignon épluché. Mais comme prévu, ça n’a pas eu d’impact. Le silence se fit plus lourd. Plaçant ses derniers espoirs dans ce prochain tour, Katie se leva instantanément et écarta les bras et les jambes.

— M-mandragore !

La mandragore était une plante magique dont les racines avaient la forme d’un humain. Révéler son corps humain après avoir fait semblant d’être un légume n’était pas non plus totalement illogique–- c’était une sorte de chute d’une histoire commune en trois parties. Ce n’était pas trop difficile à comprendre avec un peu de réflexion.

— …..

— ……

— ……

— ……

Mais une fois de plus, ça ne semblait pas avoir d’effet.

— Ouais, c’est assez.

— Tu peux t’approcher un peu plus ?

— Ouais, viens par ici. Tout de suite !

Les dahlias avaient interrompu leur jugement pour appeler Katie. Nerveusement, elle s’approcha du parterre de fleurs. Une fois proches, leurs tiges s’allongèrent et la cernèrent d’une cacophonie de critiques.

— C’était quoi ça, un concours de talents pour enfants ?

— Où était la comédie ? On était censé rire ?

— Prêt pour ça ? Quelle déception !

— Avec une telle performance, les grillons rongeront mes pétales !

— Tu penses que la comédie est une sorte de jeu ?

— Pour toi la vie n’est qu’un jeu ?

Leurs attaques pleuvaient sur la fille, pétrifiée. Après plus de trois minutes de fustigation constante, Katie se retourna, frissonnante et en larmes, et sauta dans les bras de ses amies.

— Sniff… Waaaah ! Nanaooo !

— Là, là, Katie. Là, là, tout va bien.

Nanao consola Katie qui pleurait, en lui tapotant doucement la tête. Réconfortée par une fille de son âge, la jeune fille aux boucles se lamenta.

— C’était ma meilleure blague ! Maman et Papa éclataient toujours de rire quand je la faisais !

— Ah, pas étonnant… Tu as des parents très gentils.

Dit Chela, essuyant une larme en pensant à la famille chaleureuse dans laquelle Katie avait grandi. Leur première tentative avait échoué de façon spectaculaire. Oliver prit la parole, une expression désagréable sur le visage.

— Maintenant, vous voyez tous que les plantes d’orgueil sont des critiques incroyablement sévères. C’est là que se trouve le véritable enfer de cet événement. Si vous ne les faites pas rire, elles vous entourent et vous réduisent en miettes, vous et votre blague. Le choc a déjà laissé des gens cloués au lit pendant des jours.

— J’avais entendu des histoires, mais c’est plus terrible que ce que j’aurais pu imaginer.

— Je-je ne veux pas faire ça ! Pas moyen que je m’avance juste pour être massacré !

Pete secoua violemment la tête et se rétracta. Voyant la peur de ses amis, Oliver se sentit coupable et s’avança lui-même.

— C’était ma suggestion, donc je vais passer en second.

Le garçon affronta de front le redoutable public, et les plantes concentrèrent rapidement leur attention sur lui.

— Tu es le prochain ?

— La première fille devait être une erreur.

— Il a l’air préparé. J’attends de grandes choses.

Les fleurs avaient exercé une pression avant de se taire. Dans ce silence tendu, le garçon prépara son acte en enfouissant une graine dans le sol. Il pointa sa baguette vers elle et lança un sort de croissance. La graine avait germé et grandi sous leurs yeux, se transformant en un jeune arbre. Il se tordit de manière compliquée, pour finalement former une sorte de petite table.

Le secret de cette réussite était le traitement qu’il avait donné à cette graine spéciale au préalable. Sur la table terminée, il avait placé un livre qu’il avait sorti de sa poche et une simple tasse à thé. Pete plissa les yeux. À en juger par la couverture du livre, il s’agissait d’un manuel de magie pour débutants. Tout étant prêt, Oliver prit une grande inspiration et ouvrit grand la bouche.

— Je vous présente, l’échec du mage novice !

Dès que Chela entendu cela, ses yeux s’écarquillèrent d’étonnement alors qu’elle regardait attentivement.

— Ce sketch… ?! Tu es sérieux, Oliver ?

— Huh ? T-tu le connais ?

— Bien sûr ! C’est un classique immense du monde de la comédie magique. Les techniques requises sont tellement de haut niveau et complexes que presque personne ne le fait de nos jours.

La pression montant des deux côtés, Oliver commença. D’abord, il couvrit le livre sur la table et lut la première page. Après quelques hésitations, il hocha la tête et referma le livre. Puis, avec un air confiant, il brandit sa baguette, la pointa en l’air et incanta :

— FFFFFLAMMAAA !

Une flamme jaillit non pas du bout de sa baguette—, mais par derrière, directement après son derrière.

— Oh ! Aïe !

Oliver sursauta au moment de l’explosion de chaleur. Une fois la chaleur retombée, il regarda avec confusion entre sa baguette et le livre. Alors que Katie et les autres étaient bouche bée, Chela expliqua avec enthousiasme.

— D’abord, le test préliminaire : Il essaie de lancer une boule de feu, mais le feu vient de derrière lui et lui brûle les fesses. Il prononce mal le mot flamma, en tirant sur le début et la fin pour rendre le tout dramatique.

Chela hocha la tête pour elle-même. Sous le regard de ses amis, Oliver ferma le livre, le laissa sur la table et avait de nouveau préparé sa baguette.

FFFFFLAMMAAA !

Boof! fit la flamme. Mais encore une fois, au lieu de venir de sa baguette, elle jaillit ailleurs, cette fois de la tasse de thé derrière lui.

— … ? FFFFFLAMMAAA ! FFFFFLAMMAAA !

Ne réalisant pas que le feu apparaissait au mauvais endroit, Oliver répéta le sort en vain. Pris de frénésie, il se retourna et attrapa le livre sur la table.

— ??? ? ???? …Ouch !

Tout en vérifiant les instructions, il se lécha les lèvres et tendit distraitement la main vers la tasse de thé, seulement pour pousser un hurlement et la laisser tomber. Alors qu’il soufflait sur ses doigts pour les refroidir, Chela sourit et en expliqua davantage.

— Maintenant, la deuxième partie. Le feu refuse de sortir de sa baguette, mais brûle la tasse de thé à proximité. Frustré, il prend une pause thé et, en attrapant la tasse, se brûle la main et crie. Le flot est si naturel, aussi. Il a dû vraiment beaucoup s’entraîner.

— Um… il le fait exprès, pas vrai ? demanda Katie

— Bien sûr. En utilisant une magie spatiale difficile à contrôler, il peut simuler des échecs très humoristiques. C’est le secret de son numéro. La prochaine étape requiert une réelle créativité, dit Chela avec attente.

Pendant ce temps, Oliver, ayant abandonné après deux échecs, feuilletait une autre page du livre. Il sortit deux graines de sa poche et les enterra à ses pieds. Il allait essayer le sort d’amélioration de la croissance qu’il avait utilisé plus tôt pour mettre en place le sketch.

BRRROGOROCCIO !

Il scanda un autre sort avec une prononciation incorrecte, puis regarda la terre à ses pieds et attendit un moment. Mais rien ne s’était passé.

BRRROGOROCCIO ! BRRROGOROCCIO !

Convaincu que le sort n’était pas assez fort, il l’avait répété encore et encore. Puis quelque chose d’étrange se produisit. Les graines, qui avaient été plantées devant lui, germèrent par-derrière et s’étendirent vers le haut.

— Quoi… ?! Oliver, derrière toi ! Derrière toi !

Katie cria frénétiquement alors que la plante grandissait. Mais le « mage novice » qu’Oliver jouait ne l’entendait pas. À son insu, la plante continuait de pousser.

— ??? …Wow !

Au moment où il se retourna pour consulter le livre, il se retrouva face à un tournesol en pleine floraison. Surpris, il glissa et tomba sur ses fesses. Il avait fixé les pétales jaunes d’un air absent pendant quelques secondes. Puis il se

ressaisit, se releva et essaya de lancer son sort en regardant droit vers le tournesol.

BRRROGOROCCIO ! BRRROGOROCCIO !

Il répéta le sort bruyamment, mais le tournesol ne bougea pas. Au contraire, le sol derrière lui commença à gronder. Se détachant de la terre, une tige s’éleva.

— ????? Ohhhhhh !

Sentant quelque chose, le garçon se retourna pour voir un deuxième tournesol géant en pleine floraison. Pris entre les deux planètes géantes, le garçon cria et retomba. Les applaudissements de Chela suivirent.

— Bravo ! Non seulement il a lancé un sort d’épanouissement à distance, mais il a aussi guidé la croissance des plantes ! Quelle technique de haut niveau ! Sans même regarder derrière lui, il a réussi à placer la plante exactement au niveau de ses yeux ! Qui ne serait pas impressionné ? Oh, et regardez comme les courbes des plantes sont magnifiquement symétriques !

Elle lui fit plein d’éloges. Un peu perturbés par son excitation, Pete et Guy se chuchotaient à l’oreille.

— …Yo, apparemment il fait de la magie folle. Tu peux le voir ?

— Non… mais j’ai appris que Chela perd la tête quand elle commence à parler de quelque chose qu’elle adore.

Aucune des choses étonnantes qu’Oliver faisait n’a eu d’impact sur les deux autres, qui avaient beaucoup moins de discernement en matière de magie. Pendant qu’ils l’étudiaient attentivement et essayaient de comprendre, Oliver s’échappait du sandwich de tournesol et consultait une autre page du livre. Enfin, c’était l’heure du final.

— DUCERE !

Il agita sa baguette, lançant un sort pour convoquer un caillou au loin. Sa prononciation était juste cette fois, mais après quelques secondes d’attente, le caillou resta en place. Oliver pencha la tête.

— DUCERE ! DUCERE ! DUCERE ! DUCERE !

Il essaya le sort encore et encore, espérant au moins un succès alors qu’il essayait tous les cailloux qu’il pouvait voir. Cinq essais plus tard, rien ne s’était produit. Visiblement frustré, le garçon tapa du pied sur le sol.

— Mm… ? Rien ne s’est passé cette fois.

— Shhhh ! Ça commence maintenant !

Chela fit brusquement taire Nanao. Le mage novice, las de ses échecs répétés, ramassa son livre et sa tasse de thé et s’apprêta à abandonner son entraînement. Au moment où il se retourna en faisant un pas, les cinq cailloux inertes vinrent le frapper dans son dos.

— Ohhh ?!

Les projectiles s’écrasèrent tous directement, et Oliver s’écroula sur le sol. Avec cette fin théâtrale, Chela fit un tonnerre d’applaudissements.

— Si… Si merveilleux ! Il a chronométré les sorts de retardement avec une telle précision que les cinq rochers lui sont tous tombés dessus en même temps ! Il y avait tellement de facteurs différents comme la taille et la distance, et pourtant ils ont tous atterri en même temps ! Quel talent ! Je suis à court d’éloges, Oliver !

Elle continua à applaudir vigoureusement. Finalement, Oliver se leva, brossa la saleté de sa robe et s’inclina respectueusement devant son public. Les plantes restèrent assises là, le jugeant en silence alors qu’il attendait leurs scores.

— Hmmm… Trente points.

— Qu’est-ce que… ?!

Leur décision le frappa comme un éclair, et il resta bouche bée sous le choc. Les dahlias continuèrent.

— Eh bien, c’était certainement impressionnant.

— Ouaip, ouaip.

— Bon travail. Je peux dire que vous avez beaucoup pratiqué.

Ils l’avaient complimenté sans enthousiasme avant de le couper sans pitié.

— Mais, bon… ce n’était pas vraiment drôle.

— …… !

— Est-ce que quelqu’un a ri en regardant ça ?

— Je ne l’ai pas fait. Même si c’était impressionnant.

— J’ai vu quelqu’un faire des éloges, mais c’était pour les techniques employées.

Chela sursauta et regarda ses quatre amis. Leurs expressions étaient maladroitement désolées, donnant cruellement du crédit aux paroles des plantes.

— Il y a trop de tension dans votre numéro.

— C’est difficile à aborder, comme de l’art traditionnel. On a l’impression d’être obligés de vous regarder vous exhiber.

— Tout ce que nous voulons, c’est de rire naturellement.

Leurs mots étaient tels des poignards, crevant le cœur d’Oliver. Ayant le sentiment qu’ils niaient le cœur même de la voie de la comédie à laquelle il avait consacré sa vie. L’impact d’un tel coup l’avait laissé étourdi, et il tomba à genoux. Katie se précipita vers lui.

— O-Oliver… !

— …Je le savais. Oh, je le savais… ! Mon art n’est que tours de passe- passe ! Je peux maîtriser les détails de la technique, mais elle n’a pas d’âme. Et je le savais, je le savais vraiment ! Mais—, mais comment trouver cette âme ? J’ai appris les théories de mes prédécesseurs, pratiqué pendant des âges jusqu’à ce que mes techniques soient parfaites, et pourtant rien ! Comment puis-je m’améliorer… ?!

Il griffa la terre avec angoisse. Ses amis se précipitèrent pour trouver les mots pour le consoler.

— Qu… qu’est-ce qu’on dit ? Guy, t’as une idée ?!

— Aucune idée ! Pete, dis quelque chose !

— Ne me fous pas ça sur le dos juste parce que tu ne peux pas penser à quelque chose ! Um, uh…tu veux des bonbons ?!

Ils commençaient à paniquer, car ils ne parvenaient pas à trouver une solution. Chela croisa les bras, un air sévère sur le visage.

— Oh la la. Normalement, je suis du côté du public de la comédie magique, il n’y a donc aucune chance que je puisse surpasser ça. Si Oliver n’est pas assez bon, alors nous n’avons aucune chance.

C’est comme s’ils étaient face à une impasse. Juste à ce moment, Nanao fit un pas en avant, fièrement.

— Il semble que nous nous trouvions dans une situation difficile. Heh- hehheh ! Alors laissez la pièce maitresse faire son entrée !

— Nanao ? Tu es comédienne ?

— Bien sûr. J’ai toujours été la vedette des festivités de mon village.

Dit-elle avec assurance. Elle enleva sa robe et la tendit à Chela, puis se tint sans crainte devant les dahlias.

— Chers monstrueuses plantes, observez ma danse du ventre !

Et avec ça, elle tira soudainement le bas de son chemisier. Son ventre commença à sortir, quand soudain, Chela et Katie déboulèrent pour l’attraper par les deux bras.

— …Hwuh ? Pourquoi est-ce que vous m’attrapez toutes les deux ? Nanao jeta un regard confus entre ses amis. Chela secoua gravement la tête.

— Je suis désolé, Nanao. Selon l’éthique de ce pays, une jeune femme exposant sa peau en plein jour n’est pas une forme d’art. Katie ! Garde son bras immobile, s’il te plaît !

— C’est vrai ! C’était limite…

Katie hocha la tête, et les deux entraînèrent Nanao à l’écart. Ne comprenant pas pourquoi elle était arrêtée, Nanao continuait à tourner la tête entre elles. Alors que leur troisième participant s’éteignait, Guy soupira et se gratta l’arrière de la tête.

— …Oh bien. J’imagine que ça ne peut pas faire de mal d’essayer. Dit-il en s’avançant devant les fleurs. Les yeux de Chela s’écarquillèrent.

— Guy, tu es sérieux ? Ils vont te mettre en pièces si tu n’es pas un tant soit peu drôle.

— Je sais. Mais ce ne sont que des plantes. Je ne suis pas si sensible, répondit-il en haussant les épaules. Alors qu’il se mit à fredonner une mélodie joyeuse.

— Doo doo duh da-doo ! ♪ Doo doo duh da-doo ! ♪

Ses mains et ses pieds bougeaient en rythme. En suivant le rythme, il avait soudainement enfoncé sa main dans sa robe.

— Poivron ! ♪ Poivron ! ♪

Il sortit un légume vert d’apparence fraîche. Le tenant dans une main, il le mordit à vif. Il fit un bruit de croquant en mâchant. Puis il l’avala, sourit et leva le pouce.

— DÉ-LI-CI-EUX !

Dit-il en exagérant, et il commença à fredonner la chanson.

— Doo doo duh da-doo ! ♪

C’était tellement bizarre que Katie ne put s’empêcher de glousser.

— Carotte ! ♪ Carotte ! ♪

Ensuite, il récupéra une carotte d’un orange vif dans sa robe. Il la tint à deux mains devant son corps, en porta un bout à ses lèvres et révéla ses dents de devant. Comme un écureuil, il grignota la carotte à une vitesse impressionnante. Après cette soudaine grimace, Chela gloussa et dut se couvrir la bouche en riant.

— DÉ-LI-CI-EUX !

Dit Guy avec son ton exagéré caractéristique, en levant le pouce une fois qu’il eut mangé la carotte jusqu’en haut. Encore une fois, il s’était mis à fredonner et à danser, cette fois-ci en récupérant un oignon dans sa cape.

— Oignon ! ♪ Oignon ! ♪

Il éplucha l’oignon en chantant. Ses amis le regardaient, n’en pouvant plus–- allait-il vraiment mordre dedans ? Et une fois l’épluchage terminé, il mordit effectivement dans l’oignon sous leurs yeux. Il le croqua comme une pomme croquante et l’engloutit. Dès qu’il fit cela, il tira la langue à cause du piquant et se tint la tête d’une main.

— DÉ-LI-CI-EUX !

Les larmes lui montèrent aux yeux, mais il se força à lever le pouce. Pete faillit tomber à la renverse, hystérique. Une fois remit d’avoir mangé l’oignon entier, Guy reprit la chanson, n’ayant apparemment pas appris sa leçon.

— Courgette ! ♪ Courgette ! ♪

Le quatrième légume qu’il prit, rendit Katie et les autres bouche bée. C’était vraiment une courgette. Sauf que celle-ci était énorme, plus de 25 cm et aussi épaisse que le bras du garçon. Il n’y avait aucune chance qu’il puisse la manger en entier. Ses amis regardèrent anxieusement Guy tourner sur lui-même, leur tournant le dos. Alors que les spectateurs se demandaient ce qu’il faisait, ils entendirent un gwomp comme si quelque chose poussait dans un espace mal adapté. Soudain, ils remarquèrent une étrange protubérance dans la silhouette de la tête de Guy. Tout le monde attendit en retenant son souffle qu’il se tourne lentement.

— DÉ-LI-CHI-EUX !

La courgette entière fut enfoncée dans sa bouche, ses joues s’étirant sur le côté comme celles d’une grenouille. Cela ne l’empêcha pas d’entonner son fameux « délicieux » la bouche pleine. Un silence s’abattit sur le groupe, comme le calme avant la tempête.

— GYA-HA-HA-HA-HA-HA-HA-HA-HA-HA- HA-HA-HA !

Les plantes d’orgueil éclatèrent de rire, au mépris de leur dignité. Katie, Chela, Nanao et Pete se serrèrent l’estomac et se couvrirent la bouche en respirant bruyamment.

— … ! … ! … !

— Wah-ha-ha-ha-ha-ha ! Oh mon dieu ! Oh mon Dieu !

— A-a-attendez… ! Je-je ne peux pas, mon estomac… !

Les rires n’avaient pas cessé. Voyant que sa blague avait réussi, Guy retira la courgette de sa bouche et la croqua en s’approchant.

— Drôle de blague, hein ? Je suppose que ça valait le coup d’essayer.

— Huff, huff… Guy, c’était quoi au juste ce numéro ?

Demanda Chela entre deux respirations, en essuyant les larmes de ses yeux. Pete répondit à sa place.

— Ça vient d’une blague d’un comédien non-mage. J’ai déjà vu ce numéro. Ce monsieur sort de ses poches un légume après l’autre, puis les dévore et prend la pose… C’est tout…

Se souvint le garçon en essayant d’empêcher les rires de resurgir. Guy lui donna fièrement une tape sur l’épaule et sourit.

— La courgette, c’est mon truc à moi. J’ai jeté un sort d’adoucissement sur ma bouche pour la rendre flexible à l’avance. J’ai toujours aimé les sketchs des non-mages. Parfois, j’allais même voir des spectacles en cachette. C’était mon gag préféré. On pourrait faire manger des légumes à un enfant qui ne les aiment pas avec ce numéro.

Le garçon se frotta le bas de son nez avec suffisance. Derrière lui, une silhouette se leva comme un fantôme sorti de sa tombe.

— Guy…

— Whoa ! O-Oliver ?!

Le faible gémissement l’avait fait sursauter. Avant qu’il ne puisse bouger, Oliver saisit ses deux épaules d’une poigne de fer.

— Toi…, dit-il désespérément…

— Comment… ?! Comment as-tu fait ça ? J’ai travaillé si dur, mais c’était aussi naturel que de respirer pour toi… !

— C-calme-toi, Oliver ! Ton visage commence à me faire peur !

— Je comprends ce que tu ressens, Oliver. Pleure si tu veux. Personne ne t’en voudra pour tes larmes, dit Chela avec tristesse, en posant doucement sa main sur son dos.

Le temps que les enfants finissent de parler, le rire éruptif des dahlias avait enfin commencé à se calmer.

— Ah-ha-ha-ha ! Mm, quelle surprise !

— Je n’ai pas vu un tel chef-d’œuvre depuis longtemps.

— Les deux autres m’ont fait perdre espoir au point d’avoir un fou rire.

— Y’a du talent chez les nouveaux même si tout n’est pas bon.

Les dahlias faisaient leurs commentaires les uns après les autres. En voyant leur réaction, Katie se souvint soudainement de quelque chose.

— Oh ! Alors, allez-vous répondre à notre question ?

— Mm, j’avais oublié tout cela, dit Nanao en frappant ses mains.

— Tu es loin d’être la seule.

Ajouta Pete, en soupirant de fatigue. Les dahlias avaient vigoureusement fait rebondir leurs fleurs de haut en bas.

— Oui, bien sûr.

— Après ces rires, bien sûr. La faveur doit être remboursée.

— Demandez-moi n’importe quoi. Que voulez-vous savoir ?

— Eh bien, voyez-vous…

Nerveuse, Katie expliqua la situation. Une fois qu’elle eut terminé, les fleurs avaient réfléchi pendant quelques secondes.

Oh, l’incident du défilé ? Oui, il y avait quelqu’un qui agissait de manière suspecte.

Répondirent-ils si facilement, faisant presque paraître inutiles les efforts précédents du groupe.

— Ils étaient juste derrière vous.

Ils avaient exécuté leur plan à midi le jour suivant afin de prendre leur cible au dépourvu.

— Je sais que c’est soudain, mais, Miss Mackey, est-il possible de venir avec nous ? demanda Oliver, bloquant le couloir. —– Nous

avons quelques questions.

N’ayant nulle part où aller, la fille le regarda de travers.

— I-Il y a un problème ? Écartez-vous.

— Une fois que tu auras répondu à nos questions !

Chela apparut au coin de l’intersection derrière elle. Au moment où la panique commença à se lire sur le visage de Miss Mackley, Katie s’approcha rapidement d’elle.

— … !

— Allons droit au but. Est-ce toi qui as jeté un sort le jour de la cérémonie d’entrée ?

Demanda Katie, regardant directement dans les yeux de la jeune fille. Succombant à la pression, Miss Mackley détourna le regard.

— Je ne sais de quoi vous–

— Elle est coupable.

— Coupable.

Au moment où elle essaya de le nier, Oliver et Chela lui coupèrent la parole. La fille se figea, et ils commencèrent à disposer leur analyse.

— Ses yeux, son visage, son flux magique perturbé, cette raideur dans sa gorge, ce serait étrange qu’elle n’ait rien à cacher.

Je suis d’accord. Tu n’es pas assez rusée pour nous tromper.

— … !

Une peur évidente se lisait sur son visage alors qu’elle fondait sous leur interrogatoire croisé. Son secret exposé, Katie intervint pour l’interroger, la colère claire comme le jour.

— Alors c’était vous…Pourquoi ? Pourquoi ?!

— J—je vous ai dit, je ne sais pas de quoi vous–

— Nous avons des témoins oculaires. Il n’y a aucune de raison de faire l’idiote. Si nous le signalons à l’administration, vous serez très probablement placée sous le coup d’un sort de confession.

Oliver l’avait carrément mise au pied du mur quand elle avait essayé de s’esquiver de l’interrogatoire. Au moment où Miss Mackley entendit les mots « sort de confession », elle fut apeurée. Elle savait la douleur que cela impliquait.

— Si tu avoues tes actes et les raisons derrière ainsi que les autres personnes impliquées, nous n’aurons aucune raison d’aggraver la situation. Alors, tu vas avouer ?

Il lui exposa les conditions, lui permettant de prendre une décision plus facilement. Malgré cela, la jeune fille hésita encore un peu, calculant sa sécurité par rapport à son secret. Finalement, la balance pencha.

— Je—Je n’ai jamais voulu que ça arrive. Je voulais juste l’effrayer un peu…

Expliqua-t-elle désespérément, faisant un demi-tour complet par rapport à l’instant précédent. Chela l’étudia.

— Donc tu admets. Maintenant, calme-toi et raconte-nous petit à petit. D’abord, quel était ton motif pour cibler Katie ?

— …M-ma famille est composée de véritables mages. On m’a appris que les défenseurs des droits civiques et les amoureux des demi- hommes sont une plaie pour la communauté magique.

— Donc tu n’aimais tout simplement pas sa philosophie ?

Oliver résuma sa confession, sa voix comme de l’acier. La jeune fille hocha la tête. Cela ne convenait pas à Katie.

— Alors dis-le moi en face dans ce cas-là ! Pourquoi vouloir me lancer une attaque-surprise ?

— …… !

— Katie a raison. Tu n’as fait que donner une mauvaise image de ta faction. C’était très peu clairvoyant, miss Mackley,

Dit Chela avec un soupir. La fille regarda le sol et serra les dents pendant que Chela continuait.

— J’aimerais te sermonner davantage, mais nous avons des priorités, alors passons à autre chose. Avec qui travailles-tu ? Tu n’aurais pas pu ensorceler Katie et inciter le troll en même temps.

Au moment où Chela demanda cela, la tête de Mackley se releva, et elle la secoua d’un côté à l’autre.

— Je vous ai dit qu’il y a erreur ! Ce n’était pas censé être comme ça ! Tout ce que j’ai fait c’est de faire courir Miss Aalto vers le défilé. Et tout d’un coup, le troll s’est approché d’elle, et…

La fille les supplia de la croire. Oliver et Chela avaient soigneusement étudié le changement d’expression de la jeune fille avant de parvenir à une conclusion difficile.

— …Elle n’a pas l’air de mentir.

— …Non.

— Huh ? Qu’est-ce que ça veut dire ?

Katie pencha la tête en signe de confusion. Oliver ajusta sa conjecture et l’exposa pour elle.

— Cette fille est celle qui t’a attaqué, mais elle n’avait aucune idée de ce qui est arrivé au troll. Elle a peut-être été utilisée inconsciemment, ou un autre agresseur a pu agi au même moment…

— Si c’est le cas, alors nous ne pouvons pas l’utiliser pour obtenir leur identité.

Murmura Chela en croisant les bras. Tous les trois se regardèrent tandis que Miss Mackley se replia sur elle-même, silencieuse comme une souris. Kimberly disposait de nombreuses boutiques gérées par l’école où les élèves pouvaient acheter des snacks, des boissons, ainsi que des assortiments d’outils magiques et des produits du quotidien. Le coin boissons, en particulier, conservait un stock constant de plus d’une vingtaine de variétés de boissons, renouvelées en permanence, à l’exception des produits de base les plus populaires. De nouveaux produits ambitieux faisaient souvent leur apparition Par exemple, le bloody orange juice[6] d’il y a quelques mois était littéralement un cocktail de jus d’orange et de sang de poulet. Selon les élèves les plus âgés, il était quand même buvable et bien meilleur que ce que son nom laissait supposer.

[6] Jus d’orange sanguinolant

— Tiens, Oliver. Tu prends la violette.

— Merci.

Oliver tendit une pièce à Guy pour le rembourser et prit la bouteille de liquide de couleur nocive. Le plus souvent, lors de l’achat de nouvelles éditions de produit au hasard, ils se prenaient toujours un raté, mais le risque était ce qui attirait les étudiants. Plutôt qu’une boisson sûre et savoureuse, c’est l’inconnu qui les attirait. Peut-être que ça faisait partie de l’existence même d’un mage.

— Ce truc ne s’arrête jamais.

Dit Oliver en faisant sauter le bouchon avec précaution. Assise à côté de lui, Chela tenait une bouteille rouge flamboyant dans sa main.

— Oui, c’est comme si on essayait de capturer un lézard et qu’on ne trouvait que sa queue. On ne sait toujours pas ce qui a enragé le troll.

Tout en parlant, elle prit une gorgée de sa boisson. Elle la laissa reposer un peu dans sa bouche avant d’avaler et fronça un peu les sourcils.

— Du jus de radis furieux, marmonna-telle.

C’était un légume magique épicé utilisé dans les sels parfumés. Oliver était impressionné qu’elle n’ait eu besoin que d’un froncement de sourcils pour faire face à la brûlure.

— Cependant, poursuivit-elle —– nous savons que ce piège magique a été mis en place par un première année que Miss Mackley connaît. Comme nous nous y attendions, il existe une faction conservatrice de nouveaux étudiants qui cherche à causer du tort à Katie.

— Plutôt que d’essayer de trouver cette autre personne, nous devrions essayer d’arrêter cette faction avant que les choses ne deviennent incontrôlables. Si on les laisse agir, l’intimidation ne fera que s’aggraver. Nanao et Pete pourraient aussi être pris entre deux feux.

Exprimant ses inquiétudes, Oliver prit lui-même une gorgée de sa bouteille. Soudain, un goût intensément poissonneux lui traversa la gorge et lui perça le

nez. Ce n’était certainement pas l’odeur de quelque chose de buvable, mais le goût était familier. Il s’agissait d’un mucus d’une limace de mer, qui était souvent utilisé comme composant dans les drogues magiques. Oliver lutta pour faire descendre le contenu de son estomac.

— Je suis également préoccupée par cela… Peut-être devons-nous envisager une réponse plus politique, Rumina Chela.

Oliver attendit que l’assaut sur sa bouche se calme avant de répondre.

— Tu pourrais dire que nous n’avons pas traité ça assez sérieusement. Mais…

Tout en parlant, il observait la scène devant lui. Ils étaient dans l’enceinte des bêtes magiques qu’ils avaient déjà visitées, avec Nanao, Guy et Pete. Katie avala sa boisson et, retroussant ses manches, s’approcha de la cage des trolls.

— Je suis de retour ! Aujourd’hui, c’est le jour où nous allons devenir amis !

— Ha-ha, c’est sûr que tu es motivée. Mais il n’y a pas besoin de se précipiter. Il n’a pas l’air très content aujourd’hui.

Prévint Miligan alors que Katie se précipitait. Le troll était recroquevillé dans un coin de la cage. Il émit un faible grognement, comme en signal d’alarme contre les humains.

— La plupart des trolls de Kimberly étaient habitués aux humains, mais cette pauvre créature est comme ça depuis l’incident de la parade, dit Miligan.

—- Il ne veut même pas toucher sa nourriture. Il ne fait que s’affaiblir.

— Il a peur, le pauvre.

Dit Katie avec pitié. Un bol de nourriture pour troll dans une main, elle s’approcha de la cage et l’appela.

— Hé, toi. Tout va bien. Je ne suis pas ton ennemie. Tu dois avoir faim, non ? Prends un peu de nourriture.

— ……

Le troll restait recroquevillé, se contentant de fixer la jeune fille. Katie se demandait comment elle pouvait faire en sorte qu’il se méfie moins d’elle— puis une idée lui vint.

— Miss Miligan, qu’est-ce qu’il y a là-dedans ?

— C’est juste un porridge normal aux céréales. Pourquoi ?

— Alors c’est bon si j’en mange ?

Les yeux de Miligan s’écarquillèrent. Sans attendre de réponse, Katie plongea sa main dans le bol, pris un peu de la bouillie et l’avait mise dans sa bouche. Elle mâcha les grains de porridge fades, non assaisonnés et avala.

— Tu vois ? C’est bon. Rien de mauvais dedans.

Dit-elle au troll avec un sourire. Puis elle s’était assise et avait légèrement poussé le bol à travers les barres de fer.

— Ce n’est pas drôle de manger seul, n’est-ce pas ? Mangeons ensemble.

Personne n’a pu dire un mot pour l’arrêter. Ils savaient tous que c’était sa façon d’essayer d’amener la créature à s’ouvrir. Oliver sourit en regardant de loin. Chela et lui soupirèrent en même temps.

— …je ne pense pas avoir le cœur de dire à Katie d’être plus attentive à ce que les autres pensent.

—- En effet… Pour le meilleur ou pour le pire, Kimberly est pleine de fortes têtes. Katie est encore en pleine croissance et je ne veux pas forcer une jeune pousse à se plier.

Dit Chela avec un regard sincère. Oliver acquiesça.

—- On devrait juste gagner plus d’alliés parmi notre classe et les élèves des classes supérieures, ajouta-t-il.

—- Ce sera le meilleur moyen de dissuader les gens de lui faire du mal.

—- Oui. Dans ce sens, cette amitié avec Miss Miligan est un coup de chance. Une quatrième année qui est talentueuse, respectable et pro- demi-hommes, je ne pense pas que Katie pourrait trouver une alliée plus fiable.

Déclara Chela en regardant la sorcière qui se tenait derrière Katie. Elle se tourna ensuite vers Oliver.

—- Pour ce qui est de trouver d’autres alliés sur le campus, je ferai de mon mieux pour en trouver. As-tu des pistes ?

—- Comme je l’ai déjà dit, mes cousins étudient ici… Si je leur

explique la situation, ils pourraient donner un coup de main.

Chela hocha la tête à cause de son ton peu convaincant.

—- Tu ne sembles pas très enthousiaste à cette idée.

—- Ce serait comme leur dire que je ne peux pas gérer mes propres problèmes, même pas un mois après le début du trimestre… J’avais espéré ne pas avoir besoin de leur aide avant bien plus tard.

Oliver ferma les yeux et soupira. Un sourire apparut sur les lèvres de Chela.

—- J’aime beaucoup ça chez toi, Oliver.

—- Ça ressemblait juste à des pleurnicheries pathétiques pour moi.

—- Non. Tu as de la fierté, mais tu n’as aucun problème à donner la priorité à la sécurité de tes amis. Et j’aime beaucoup cette qualité.

Elle loua sincèrement son ami–-, mais l’instant d’après, son expression s’était assombrie.

—- Peut-être que Mr. Andrews aurait pu devenir comme tel… s’il n’avait pas eu affaire à moi.

Elle se mordit amèrement la lèvre. Oliver perdit le compte du nombre de fois où elle s’en était voulu pour cela. Mais même en sachant la chose, en tant qu’ami à ses côtés, Oliver refusait de la laisser. Pendant que Katie tentait de communiquer avec le troll, Oliver et Chela tinrent une réunion stratégique sur la façon d’améliorer leur situation. Avant qu’ils ne s’en rendent compte, les semaines avaient passé—- et les choses n’avaient fait qu’empirer.

—- Hé, tu l’as vue tout à l’heure ? Elle est encore allée voir le troll.

Juste avant que le cours de l’après-midi ne commence, l’un des élèves réunis dans la classe d’étude des sorts avait commencé à raconter des ragots à ses amis. Ceux qui avaient entendu s’en étaient moqués.

—- Je n’arrive pas à croire qu’elle traîne avec ces créatures stupides et barbares. Qui se ressemble s’assemble, je suppose.

Ils ricanèrent tous. Comme Katie n’était pas dans la pièce, ils n’avaient pas pris la peine de baisser le ton.

—- ……

Oliver, assis dans un coin de la classe, dressait les oreilles. Chaque jour, il semblait que les ragots sur son ami empiraient. Faisant de son mieux pour rester calme, il ne pouvait s’empêcher de ressentir une profonde honte.

—- Je veux dire, elle peut faire ce qu’elle veut, mais j’aimerais qu’elle prenne au moins un bain après. Elle apporte la puanteur de ce troll ici et empeste la classe !

—- Ah-ha-ha ! Hé, ça va trop loin !

Les élèves se tenaient le nez en signe de moquerie.

Oliver serra les dents. C’était un terrible mensonge. Katie s’assurait toujours d’avoir une pommade magique désodorisante à portée de main pour ne pas dégoûter les autres élèves. Il était vrai que les trolls avaient une odeur corporelle unique, mais elle n’en avait jamais parlé en classe. Elle était une fille prévenante, après tout, et n’avait jamais oublié de prendre soin d’elle.

—- …C’est quoi leur foutu problème ?

Guy se mit en colère et alla se lever de son siège, mais Oliver attrapa son bras.

—- Guy, Pete, ignorez-les. Il n’y a aucune raison de commencer une bagarre ici.

—- Je ne vais certainement pas m’impliquer… Ils sont juste tellement sans gêne en ce moment.

Dit Pete en feuilletant son manuel. Les ragots continuèrent.

—- D’ailleurs, ses amis sont une bande de bêtes, aussi, vous savez ?

—- Oh, carrément. Comme le samouraï !

—- Quelle blague. Même après son septième cours de sortilège, elle ne peut même pas lancer un seul sort de feu. Cette fille ne sait sérieusement rien faire à part brandir son sabre.

La petite foule éclata d’un rire moqueur. Les lèvres de Guy s’étaient tordues de

colère.

—- …Maintenant ils se moquent aussi de Nanao. Quels enfoirés.

—- Ils pensent que rabaisser les autres vont les rendre meilleurs ?

—- ……

Oliver fixa en silence. Le sujet se recentra sur Katie.

—- Hé, devinez quoi, j’ai vu la fille Aalto parler à un troll une fois.

—- Quoi ? Elle parle vraiment à cette chose ? Comment ?

—- Je sais, n’est-ce pas ? …Pfft ! C’est hilarant… Elle fait juste, genre, des grognements !

—- Huh ? Des grognements ? …comme, des grognements de troll ?

—- Ouais, ouais ! Comme comme un troll ! C’est un son méga bizarre.

Le gamin se tapa la jambe et rigola. Mais comme si ça ne suffisait pas, il commença à imiter le son.

—- Ouais, elle fait comme ça : HOO ! FOH ! FOOH !

—- Pfft-ah-ha-ha-ha-ha-ha ! Sérieux ? Qu’est-ce que c’est que ça ?!

—- Ugh, elle est tellement dégoûtante ! C’est hilarant !

Les étudiants continuèrent leurs moqueries avec désinvolture. Ce n’était plus du tout des petits commérages. Guy serra son poing.

—- …Hey. Dois-je encore m’asseoir et écouter ça ?

—- …..

Oliver ne dit rien, mais saisit fermement le bras de son ami.

Ne fais rien, tu vas le regretter, essaya-t-il de dire. S’ils laissaient leurs émotions prendre le dessus et commençaient à se battre, le conflit deviendrait plus public et leur vaudrait plus d’ennemis. Non seulement une résolution possible deviendrait encore moins accessible, mais cela ne ferait que de blesser davantage Katie.

—- Huff ! Huff ! …On a réussi !

—- On a encore failli être en retard !

À ce moment-là, Katie et Nanao, complètement inconscientes de la situation, entrèrent en courant. Les élèves se turent instantanément. Ils n’étaient sûrement pas assez effrontés pour continuer à faire ça devant elle.

—- La voilà ! L’experte elle-même !

—- Huh ?

Mais les espoirs d’Oliver partirent en fumée. Le garçon qui avait mené la moquerie tenta d’impliquer la victime elle-même, maintenant qu’elle s’était involontairement retrouvée au milieu de tout cela. Les élèves autour de lui

avaient été surpris pendant un moment, mais ils rejoignirent rapidement le mouvement.

—- Hey, fais des cris de trolls. C’est ta spécialité, non ?

—- C’est comme ça que ça se passe ? HOH ! FOO ! »

—- Huh ? U-um…?

La pauvre fille était extrêmement confuse par cette agitation. Mais pour des étudiants sans cœur, ça n’en était que plus drôle.

—- Hé, qu’est-ce qu’il y a ? Tu as oublié comment les humains parlent ?

—- C’est ce qui arrive quand on fait des bruits de troll toute la journée. »

—- Pas de chance, Aalto ! Cette classe est pour les humains ! »

—- Si tu aimes assez ce troll pour lui rendre visite tous les jours, pourquoi ne vas-tu pas déjà t’installer avec lui ?

S’il vous plaît, fermez -là, pensa Oliver. Toutes les saletés qu’ils lui lançaient lui donnaient le vertige. C’était plutôt le contraire qui était vrai : si cette classe était pour les humains, alors les intimidateurs étaient ceux qui n’avaient pas leur place ici. Pourquoi n’étaient-ils pas tous enfermés dans des cages ? S’ils ne pouvaient pas reconnaître la vulgarité de leurs propres actions, osant se moquer d’une fille qui essayait sincèrement de sauver une vie, alors comment pouvaient-ils être meilleurs que des bêtes ? Nanao ne pouvait pas se contenter de regarder son ami se faire insulter, et la patience de Guy était à bout.

—- Ordure…

—- Hé, Sales merdes !

Ils commencèrent tous les deux à la défendre quand–

—- FRAGOR

Une violente explosion magique au-dessus de leurs têtes stoppa instantanément toutes les brimades.

—- Gyah !

—- Uwah !

—- Aaaah… !

Les élèves qui s’étaient moqués de Katie hurlèrent à cause de l’explosion soudaine et de la pluie d’étincelles. La classe resta silencieuse pendant quelques secondes, puis ceux qui avaient compris d’où venait le sort ont, un par un, tourné leur regard vers le lanceur.

—- T-toi !

—- Qu’est-ce que t’as fait ?

Ils foudroyèrent Oliver d’un regard tranchant. Il se tint debout, le bras droit en l’air, la baguette toujours fumante.

—- H-hey, Oliver… ?

Dit Guy nerveusement. L’expression d’Oliver resta figée.

—- Comment tu te débrouilles en combat, Guy ?

Demanda-t-il brièvement. La détermination dans ses yeux était forte. Guy resta bouche bée une seconde devant le changement de comportement d’Oliver, mais l’instant d’après, il afficha un sourire incroyablement satisfait.

—-…Ha-ha-ha. Je t’aime encore plus maintenant, répondit-il en prenant une courte inspiration. Il frappa sa paume gauche avec son poing droit.

—- Laisse-moi le corps à corps. Je ne suis pas fils de fermier pour rien.

—- N’oubliez pas la fille des guerriers, émit une voix depuis l’entrée de la classe.

Nanao se tint résolument à côté de Katie, choquée. En entendant les railleries, les élèves à problèmes se mirent en colère.

—- C’est quoi votre problème ?

—- Vous voulez vous battre ?!

Tout le monde avait sorti sa baguette. Personne ne s’était servi de son athamé, pas même Oliver—- une dernière once de retenue. Malgré tout, il n’y avait pas

moyen d’arrêter le combat maintenant. Un élève lança un sort en représailles. Guy se baissa pour l’esquiver, puis planta la semelle de sa botte dans son visage et le fit voler. La classe entière sombra dans le chaos.

—- …Je n’ai pas de mots…, murmura Chela, soupirant profondément en regardant ses amis dans la pièce sombre.

Le combat n’avait même pas duré cinq minutes qu’un instructeur arriva en courant. Tous les combattants furent maîtrisés, et naturellement, Oliver et les autres avaient été jetés dans la salle de détention.

—- J’en ai abattu cinq. Je n’ai aucun regret.

—- Moi, j’ai envoyé dix de ces bâtards voler !

Une méchante ecchymose bleue bordait l’œil droit de Guy, tandis que Nanao semblait complètement indemne. Tous deux affirmaient fièrement leurs accomplissements. Ils avaient été poussés dans des pièces plus petites séparées par de fines cloisons, appelées cellules de discipline. Katie et Pete, qui n’avaient pas participé à la bagarre, n’avaient pas été punis. Ils se trouvaient dans la salle de détention avec Chela, qui suivait une autre classe.

—- Guy et Nanao, je déteste dire ça, mais… eh bien, je ne m’attendais pas à autre chose de vous. Cependant, Oliver… je n’arrive pas à croire que tu sois là, toi aussi.

Ce fut un grand choc d’apprendre qu’Oliver avait porté le premier coup. Il fixait le sol et grinçait des dents dans la cellule sombre et exiguë.

— …Je n’ai aucune excuse. Fais-moi la morale, j’assume tout.

Dit-il sans vie. Ne pouvant supporter de le voir dans cet état, Katie se jeta contre les barreaux de fer de la minuscule fenêtre de sa cellule.

—- J’ai été bête !! Hurla-t-elle en secouant violemment la tête.

Son plus grand regret était d’avoir été trop abasourdie pour participer au combat. Cela lui faisait mal plus que tout de ne pas avoir été punie aux côtés de ses amis.

—- Je suis désolée… Je suis désolée, Oliver… ! Tu t’es mis en colère pour moi, n’est-ce pas ? Toi, Nanao, Guy… Si seulement je m’étais défendue, ça ne serait pas arrivé… !

—- Non… Non, tu as tort, Katie. Ce n’est pas ta faute. Je n’ai juste pas pu me contrôler quand j’en avais besoin. C’est tout.

Dit Oliver, en repensant à ce qu’il avait fait, et mit sa tête dans ses mains. Dans la cellule à sa droite, Guy renifla.

—- Qui s’en soucie ? Les ragots, c’est une chose, mais ces abrutis t’insultaient en face. Si on devait craquer, c’était le moment, à mon avis.

Dit-il, sans l’ombre d’un regret sur son visage. Katie essuya ses larmes et se tourna vers lui. Honnêtement, elle était la plus surprise de voir Guy dans la salle de détention.

—- …Guy, ça t’a mis en colère quand ils se sont moqués de moi, aussi ?

—- Eh ? Euh, ouais. Ils disaient de la merde sur une amie. Bien sûr que j’allais être furieux.

Répondit Guy d’un air absent. Les différences d’opinions sur les demi-humains qui avaient perduré depuis le jour de leur rencontre étaient sans importance pour lui. Katie sourit, les larmes aux yeux. À côté d’elle, Chela soupira.

—- …Je n’ai pas l’intention de vous faire la morale pour ce qui est du passé. Personnellement, je suis d’accord avec Guy. Mais maintenant, avec cet incident, notre conflit avec ces étudiants sera impossible à réparer.

Elle eut un ton sympathique, mais énonça la dure vérité. Oliver hocha la tête avec amertume. Maintenant qu’il était coincé dans une cellule, toute la responsabilité reposait sur Chela.

—- Les élèves qui ont brutalisé Katie sont probablement en train de chercher des alliés en ce moment. Puisque vous avez une McFarlane de votre côté, ils voudront un allié de la même noble stature. Quant à savoir qui va les rejoindre… Oliver, je pense que tu le sais déjà.

Oliver serra encore les dents. Il avait le mauvais pressentiment que ce combat pouvait servir à fusionner tous les problèmes qu’ils avaient dû affronter en une seule grande menace. La conversation se tue, remplacée par un silence pesant. Soudain, un léger battement d’ailes vint rompre le silence.

—- Oh…

—- Un familier ?

Une petite chauve-souris s’envola par l’entrée de la pièce et tournait au-dessus de la tête de Chela. Elle tendit son index pour créer un perchoir de fortune, et l’animal se posa rapidement dessus. Attaché à son cou, il y avait une lettre scellée, qu’elle avait prise et ouverte.

Après l’avoir lu, elle annonça son contenu à l’audience.

—- En parlant du loup…Oliver, Nanao…Mr. Andrew vous provoque tous les deux en duel.

Maintenant, Oliver le savait, ses pires craintes s’étaient réalisées.

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