Hyouka V2 Chapitre 3

L’intrusion fantôme

—————————————-
Traduction : Raitei
———————————————–

Le lendemain, pour pallier mon éventuelle flemme, je reçus un appel matinal de Chitanda, m’ordonnant de venir. N’ayant aucune raison de rejeter un ordre aussi gentil de la présidente, je finis par venir. Je n’avais pas l’intention de sauter du navire en plein milieu d’un voyage de toute manière. En sortant de chez moi, je remarquai une lettre venant de l’étranger, déposée en boîte aux lettres. Adressée à mon père, je n’avais pas pris la peine de l’ouvrir. C’était forcément Oreki Tomoe, ma sœur aînée globe-trotteuse. Elle devait se trouver quelque part en Europe de l’Est à ce moment. Plusieurs fois,ma sœur m’avait impliqué dans toutes sortes de plans foireux. Enfin, à un niveau complètement différent de Chitanda.  Vu que je n’étais pas le destinataire cette fois, avait-elle arrêté de jeter son dévolu sur moi ? Cela voulait dire que je n’allais être sous l’emprise que de la curiosité de Chitanda ce qui était plutôt une bonne chose. Ou pas…

En salle de géologie, nous n’avions rien fait de particulier avant l’arrivée d’Eba. Comme d’habitude, j’étais assis à l’ombre, roman à la main. Ce n’était pas du tout un polar d’ailleurs. Juste un banal livre de poche acheté dans une librairie ordinaire. En face de moi, il y avait Chitanda, qui se tenait près de la fenêtre, sans être gênée par le soleil brûlant de l’été. Elle devait avoir une bonne résistance à la chaleur, car elle ne bronzait pas malgré l’exposition de longue durée. Elle observait pendant pas mal de temps ce qui se passait autour des bâtiments. Ou plutôt, quelque chose avait piqué sa curiosité parmi ceux qui préparaient le festival. Mais ce n’était que ses yeux curieux qui pétillaient, ce qui signifiait qu’elle s’ennuyait aussi.

Ibara, elle, était loin de s’ennuyer. En tant que véritable responsable de la compilation de l’anthologie « Hyouka », elle était également occupée à écrire des notes à ce sujet. Je lui avais demandé ce qu’elle écrivait alors qu’il ne restait plus qu’à publier le manuscrit. Elle m’avait jeté un regard terrifiant.

Ibara — Si le manuscrit pouvait être publié immédiatement, il n’y aurait pas eu besoin de révision.

Force à toi ! Satoshi, quant à lui, lisait aussi un roman. Comme ses mains couvraient la couverture du livre, je n’avais aucune idée du titre.

Bien que le sourire soit son expression par défaut, il était sérieux en pleine lecture. Cela dit, c’était étrange de voir un Satoshi aussi peu expressif. Alors que je pensais cela, son expression retourna progressivement à la normale. Posant son livre, il leva le visage pour regarder autour de lui.

Fukube — Combien de romans policiers vous avez déjà lus ?

Ibara s’arrêta d’écrire en entendant cette question et tourna la tête.

Ibara — Fuku-chan, tu essaies de savoir quoi là au juste ?

Fukube — Après avoir écouté Nakajou-senpai hier, j’ai réfléchi. Bien que sa théorie soit plausible, elle reste simple et ne fait pas honneur à la diversité des romans policiers. Je me suis dit qu’il fallait que j’en lise pour nous aider à mieux théoriser.

Hmm. En effet, si le raisonnement de Nakajou semblait peu idiot à première vue, après une nuit de réflexion on comprenait qu’il n’était pas différent d’un raisonnement de détective ordinaire que l’on pouvait voir à la télé. Satoshi arrivait souvent à créer des liens là où on ne les attend pas.

Ibara — Hmm, pour ma part, j’ai lu le minimum.

Fukube — C’est quoi le minimum pour toi ?

Dit Satoshi en souriant, ce à quoi Ibara répondit par un sourire amer.

Ibara — Eh bien, hmm, le minimum signifierait avoir lu du Agatha Christie et du Ellery Queen, je suppose.

Ce serait ça le minimum ? Je connais en tout cas au moins le nom de ces auteurs. Satoshi inclina la tête également.

Fukube — T’es experte là. Ce sont des classiques dignes d’un membre du club de littérature. Et des auteurs japonais ?

Ibara — Pas comme si je lisais beaucoup non plus. J’aime bien les meurtres en train, mais ça s’arrête là. Même si le policier m’intéresse, beaucoup d’œuvres ne me font pas accrocher.

Plus on lisait et plus on s’y connaissait dans le genre, même de loin. C’est bien elle qui avait montré de l’intérêt pour le projet de la 1ère F quand elle avait appris que c’était un film policier. Parmi nous quatre, Ibara était la plus compétente en la matière.

Fukube — Et toi, Houtarou ?

Je fermai le livre et répondis.

Moi — Je n’en lis pas.

Fukube — Tu vas me dire qu’aucun roman policier n’a su titiller ta curiosité ? Tu t’intéresses à ce que tu lis au moins ?

Oh, laisse-moi tranquille !

Moi — J’ai lu quelques livres de poche avec des couvertures jaunes comme celle-ci, mais c’est tout.

Tout en n’allant pas dans le clash, je donnai une réponse adéquate.

Fukube — Ahh ! Tu ne lis donc que des auteurs japonais ? Je ne te pensais pas aussi rigide.

S’il avait répondu aussi rapidement, c’est que ma réponse était satisfaisante. Comme toujours, Satoshi possède un large éventail de connaissances sans raison particulière. Il se tourna vers Chitanda, qui secoua lentement la tête.

Chitanda — Je n’en lis pas non plus.

Fukube — Eh ?

Il avait l’air surpris, mais je l’étais également au vu de sa curiosité face à la moindre énigme. Pour moi, il était logique qu’elle lise des romans policiers. Satoshi essaya de s’en assurer.

Fukube — Pas un seul ?

Chitanda — C’est justement après en avoir lu un peu que je m’en suis détaché et ce, depuis de nombreuses années.

Elle avait donc rejeté les romans policiers en toute connaissance de cause. C’était vraiment paradoxal pour notre gente dame. Tout comme un homme d’affaires qui n’aimerait pas les livres portant sur l’entrepreneuriat. Mais en creusant un peu, ce n’était peut-être pas si étonnant.

Fukube — Vraiment ? Mais Chi-chan, tu n’étais pas en train de t’amuser quand nous regardions le film ?

Chitanda sourit doucement.

Chitanda — J’étais juste contente qu’Irisu-san nous invite pour montrer quelque chose qu’elle et ses amis ont créé. Ce n’est pas comme si j’aimais particulièrement les films policiers.

Logique. Il ne restait maintenant qu’une personne. C’est ainsi que je me tournai Satoshi, qui avait compris, hochant la tête avec enthousiasme.

Moi— Alors, et toi ?

Fukube — Moi ?

Moi — Je suppose que tu as lu tous les romans policiers du monde.

Dis-je en plaisantant. Il répondit de manière catégorique.

Fukube — Non, je ne l’ai pas fait.

Hmm ? Ibara eut un léger sourire.

Ibara — Oh, je sais ce que Fuku-chan aime lire.

Satoshi baissa la tête, embarrassé. Il semblerait que l’intérêt de Chitanda ait été piqué.

Chitanda — Eh ? Ce n’est pas un secret j’espère, Fukube-san.

Si c’était un secret alors Chitanda n’allait pas creuser plus loin. Notre chère dame savait faire preuve de retenue même dans sa curiosité. Pendant ce temps, Satoshi ne savait plus où donner de la tête.

Fukube — Eh bien, je…

Allez, crache le morceau ! Ibara s’empressa de parler.

Ibara — Fuku-chan est un Sherlockien passionné !

…Ah, j’ai compris. Un Sherlockien est un fan de Sherlock Holmes. Même si je n’étais pas très sûr des détails, j’avais entendu dire que ces personnes étaient du genre à faire des recherches sur le sort du bouledogue élevé par la compagne de Holmes. C’était une passion sérieuse à ne pas traiter légèrement. Même si pour Satoshi, c’était probablement un peu des deux.

Chitanda — Qu’est-ce qu’un Sherlockien ?

Ibara — Heu, comment dire…

Alors qu’Ibara essayait d’expliquer à une Chitanda un peu perdue, Satoshi la corrigea tranquillement.

Fukube — On ne dit pas d’un fan passionné qu’il est sherlockien, mais holmésien…

Quelle est la différence ? Alors que nous étions en train de taquiner Satoshi, Eba arriva à l’entrée et s’inclina avec courtoisie comme à son habitude.

Eba — Je m’excuse, mais faute de salle, nous irons en classe de 1ère F si cela ne vous dérange pas trop. C’est un peu désordonné.

Elle n’avait pas besoin de s’excuser pour si peu.

Fukube — C’est parti pour notre deuxième réunion de déduction.

Après avoir entendu la voix bien enjouée de Satoshi, nous sortîmes de la salle. Il était un peu exagéré d’appeler cela une réunion de déduction, mais bon, les activités des différents clubs étaient tout aussi animées aujourd’hui, car on entendait les différents instruments et des chants. L’air semblait familier. Il s’agissait en fait de la chanson thème de Mito Kômon[1].

C’était pas mal, mais peu fidèle. En marchant, Eba nous briefa un peu.

Eba — Vous allez rencontrer Haba Tomohiro, du pôle Accessoires.

Je regardai Satoshi, qui secoua la tête. Il semblerait que ce Haba ne soit pas connu. Hier, c’était le pôle Tournage, et aujourd’hui Accessoires. Une tendance se dessinait donc. Eba continua, toujours sur ce ton solennel.

Eba — Il n’avait pas de rôle spécifique au début, mais il était vraiment motivé pour la réalisation du film. Vous voulez demander autre chose ?

Ibara, remarquant quelque chose de particulier, en posa une.

Ibara — Umm, si Haba-senpai s’est impliqué aussi activement, pourquoi ne lui a-t-on pas attribué un rôle d’acteur ?

En effet, une telle personne aurait dû se tenir devant une caméra. Eba se tourna vers Ibara et acquiesça.

Eba — Il n’a pas été retenu.

Ibara — Cela signifie que…

Eba — Après des votes à main levée, il n’avait pas eu assez de voix.

Je comprends mieux. C’est alors que je posai une question.

Moi — Et pourquoi rencontrons-nous cette personne ?

En effet, quelqu’un d’aussi activement impliqué allait-il accepter l’opinion de gens extérieurs ? Eba se montra troublée ce qui était inhabituel.

Eba — J’ai moi aussi des doutes sur ce choix, mais Irisu doit avoir ses raisons. Si vous voulez mon avis, c’est parce qu’il est le plus compétent en romans policiers. Du moins, c’est ce qu’il prétend.

Ne savant pas quoi répondre, je fis un sourire. Si Satoshi disait juste au sujet de « l’impératrice », alors elle était douée pour manipuler avec adresse. Comme l’avait dit Eba, elle avait ses raisons. C’était Irisu qui nous avait embarqués dans toute cette histoire alors comment ne pas être sur ses gardes.

Pendant que je réfléchissais, Satoshi montra un certain mécontentement.

Fukube — Où est Irisu-senpai bon sang ? Elle ne s’est absolument pas montrée depuis.

Il n’avait pas tort. Nous ne l’avions pas vue depuis avant-hier. Mais Eba répondit tout de suite à notre question.

Eba — Elle a dit qu’elle cherchait un scénariste de remplacement le temps que vous trouviez la bonne théorie Elle a également des difficultés de son côté.

Nous arrivâmes dans le couloir reliant le bloc spécial au général. Avant d’arriver devant leur salle de classe, Chitanda ouvrit doucement la bouche.

Chitanda — Eba-san.

Eba — Oui ?

Chitanda — Es-tu proche de Hongou-san ?

Eba eut l’air brièvement confuse. Même si elle n’avait pas l’air inquiète, je sentais qu’elle avait du mal à trouver les mots justes pour répondre.

Eba — …Pourquoi cette question ?

Chitanda — J’étais juste curieuse.

Dit-elle en souriant à Eba.

Chitanda — Je n’arrêtais pas de penser à la personne qui a écrit le scénario. Elle a l’air d’être quelqu’un de rigoureux.

Une fois devant la salle, Eba s’arrêta et se retourna en parlant lentement.

Eba — C’est une bonne amie. Elle est sincère, attentive et très responsable. Elle reste gentille et tendre. Mais est-ce que ça vous aidera de le savoir ? Quoi qu’il en soit, Haba attend à l’intérieur.

Elle nous tourna le dos et partie sans même nous le présenter.

***

Comme Eba l’avait décrit, la salle de 1ère F était assez désordonnée. Les sacs à dos vus dans le film ainsi que leur contenu, qui n’avait pas encore été montré, traînaient un peu partout. Sur le tableau noir, des notes en pagaille semblaient représenter le calendrier du tournage, avec une longue phrase écrite à la craie jaune : « Dimanche prochain = Date limite absolue ! ». Les tables et les chaises étaient également dispersées.

Pour la première fois, j’avais réalisé à quel point cette classe était confrontée à une crise dans le cadre de son projet. Alors que je me demandais si cela faisait également partie des plans d’Irisu de voir tout ça en plus de rencontrer Haba, nous entrâmes dans le bazar. Dans le coin de la salle de classe où le soleil ne tapait pas, se tenait un élève. Avec ses lunettes, il était plutôt maigre pour sa taille. En nous voyant, il leva les mains d’une manière théâtrale.

Haba — Vous êtes donc les observateurs envoyés par Irisu. Enchanté, je m’appelle Haba Tomohiro.

Comme hier, Chitanda nous présenta à nouveau en commençant par elle-même. Haba répéta plusieurs fois nos noms, comme s’il essayait de les mémoriser, avant de nous faire signe de nous asseoir. Je n’avais aucune idée de la façon dont Haba était habituellement, mais il semblait de bonne humeur aujourd’hui. Il nous regarda prendre place d’un air satisfait et hocha la tête.

Haba — J’ai entendu dire que vous étiez doués en polar. Après vu le niveau très bas de notre classe, logique.

Il semblerait que les élèves de la 1ère F furent mal informés à notre sujet. Même Chitanda l’avait remarqué.

Chitanda — Nous faisons partie du club de littérature.

Les yeux de Haba s’écarquillèrent.

Haba — Ah oui, le club de littérature. Vous devez donc connaître tous les livres de l’âge d’or ? Ouah !

Il se trompait encore plus qu’avant.

Mais comme notre club était engagé dans des activités inconnues, pas surprenant qu’il soit confondu avec un club spécialisé dans les romans policiers. Alors qu’il marmonnait encore un « Wow », il sortit une feuille de papier A4 et la posa devant lui. Il s’agissait du plan du théâtre avec les noms de chaque pièce ainsi que les positions de toutes les fenêtres. Même le passage bloqué était bien indiqué. Le nom de l’auteur du papier était difficilement lisible. Il y avait probablement écrit « Nakamura Aoi » ou quelque du genre. Satoshi éleva la voix sans même réfléchir.

Fukube — Senpai, qu’est-ce que c’est ?

Haba — Hmm ? On ne vous a pas montré ça avant ?

Sans dire un mot, Satoshi sortit son propre plan. Haba grogna.

Haba — Cela rend les choses plus faciles.

Ibara — Humm, où as-tu trouvé ce plan ?

Haba — C’est un bâtiment public. Je n’ai eu qu’à le chercher dans la mairie. Si l’on veut théoriser comme il faut, ce plan est obligatoire.

Il sourit ensuite. Sur le plan de Haba était marquée la position du corps, ainsi que l’endroit où tous les autres étaient dispersés auparavant. Le fait qu’il soit aussi enthousiaste n’était pas une mauvaise chose. Je cherchais aussi ce genre d’informations. Haba avait l’air encore plus excité ensuite.

Haba — Cependant, pour un auteur ou lecteur de romans policiers, une amatrice comme Hongou ne saurait les satisfaire.

Il avait l’air plutôt confiant.

Chitanda — Hongou-san n’est pas douée pour ça ?

Haba — Elle n’en avait jamais lu avant le tournage de ce film. Mais j’ai entendu dire qu’elle avait fait des recherches,

Haba releva les coins de ses lèvres pour former un sourire.

Haba — Elle a fait une nuit blanche pour des vieilles histoires.

Il désigna du menton un coin de la salle de classe, révélant de nombreux volumes de livres empilés. Un coup d’œil permit de constater qu’il s’agissait de livres de poche. Chitanda se pencha et posa une question.

Chitanda — Umm, cela te dérange si on y jette un coup d’œil ?

Haba parut troublé par le fait que l’intérêt de Chitanda se porte vers une zone aussi inattendue. Je me posais aussi la question, mais la curiosité de notre dame était visible. Sans attendre de réponse, elle se leva de son siège et alla chercher un livre. En regardant la pile de livres à côté du plan Satoshi s’exclama d’une voix intriguée.

Fukube — Ahh, la version traduite de Nobahara. La nouvelle édition.

Voilà les histoires de Sherlock Holmes dont nous parlions il y a quelques instants. Les couvertures étaient bien en relief, avec une police ressemblant à une écriture manuscrite. C’était papier blanc brillant, bien pour attirer les regards novices. Ibara regarda les livres et dit froidement :

Ibara — Elle n’a donc étudié que Holmes pour ses recherches ?

Haba — Oui, c’est pour ça que j’ai dit que c’était une amatrice.

Ceux qui ne lisaient que du Holmes étaient donc des amateurs ? C’était une déclaration assez audacieuse de sa part, surtout en présence de Satoshi, un Sherlockien (bien qu’il préfère se qualifier de Holmésien). Pourtant, Satoshi sourit, sans paraître trop gêné.

Fukube — Eh bien, on me le dit souvent.

Hmm. Prenant le premier livre au sommet de la pile, Chitanda commença à feuilleter les pages. Je voulais que l’on revienne au sujet, mais je n’avais aucune idée si elle avait remarqué mon anxiété à ce sujet ou non. Probablement pas. La main de Chitanda s’arrêta sur l’une des pages.

Chitanda — Oh,

Moi — Qu’est-ce qu’il y a ?

Chitanda — Il y a des marques étranges ici. Regardez.

Elle me montra la page sur laquelle elle se trouvait, et je vis tout de suite qu’il s’agissait de la table des matières, sans même lire les mots. En effet, il y avait des marques avant le titre de chaque nouvelle. Mais je n’avais pas considéré ces marques comme « étranges », contrairement à Chitanda.

Les Aventures de Sherlock Holmes (de Sir Arthur Conan Doyle)

◯ Un scandale en Bohême

△ La Ligue des rouquins

X Une affaire d’identité

△ Le Mystère du Val Boscombe

X Les Cinq Pépins d’orange

◎ L’Homme à la lèvre tordue

◯ L’Escarboucle bleue

X Le Ruban moucheté

X Un gentleman célibataire

△ Les Hêtres rouges.

Chitanda — Et là aussi.

Les Archives de Sherlock Homes (de Sir Arthur Conan Doyle)

◯ L’Illustre Client

◎ Le Soldat blanchi

△ La Pierre de Mazarin

X Les Trois Pignons

◯ Le Vampire du Sussex

◎ Les Trois Garrideb

△ Le Problème du pont de Thor

△ L’Homme qui grimpait

La Crinière du lion

X La Pensionnaire voilée

En voyant cela, je dissipai rapidement les inquiétudes de Chitanda.

Moi — Et alors ? Ce sont sûrement des notes utilisées par Hongou.

Chitanda — Tu penses ?

Ne semblant pas convaincue, elle décida de laisser la question en suspens pour l’instant. Pendant ce temps, Satoshi marmonna quelque chose. Alors que je m’apprêtais à lui poser la question, il croisa mon regard et fit un geste indiquant qu’il ne savait pas non plus. Il reporta son attention sur le plan.

Haba — Laissons ça de côté.

Tapant des doigts sur la table, Haba prit la parole.

Haba — Concentrons-nous sur la théorisation.

*Soupir*. On aurait dit qu’il était impatient de nous présenter ses propres déductions. Mais moi aussi, j’avais envie de me dépêcher et d’en finir. Je saisis la main de Chitanda pour l’empêcher de prendre un autre livre, et ce n’est qu’à ce moment-là qu’elle se rendit compte que Haba l’attendait. Elle le replaça à contrecœur sur la pile qui ressemblait à une montagne.

Chitanda — Je m’excuse. Tu peux commencer.

Haba fit un signe de tête et sortit un stylo-bille de la poche de poitrine. C’était sûrement nécessaire pour la suite alors soyez attentifs.

Haba — Selon moi, ce n’est pas compliqué. C’est même facile.

Il s’arrêta pour observer nos réactions. Je n’en avais pas eu, d’ailleurs, et je n’avais aucune idée des réactions des autres non plus.

Haba — D’abord, ce meurtre n’a pas été prémédité, ou plutôt, pas au sens strict. Il se trouve que les conditions étaient idéales alors cela a incité le tueur à passer à l’acte. Vous me suivez ?

C’était un bon début. Je n’avais pas pensé à la chose. Quels que soient les moyens, il est difficile de concevoir un plan élaboré. Quant au mobile…

Chitanda — Quel serait le mobile ?

Elle venait de demander quelque chose d’incroyable. Haba semblait plutôt mécontent d’être interrompu si tôt, mais répondit vite de manière enjouée.

Haba — Si c’était prémédité, le tueur aurait demandé à Kaitou d’aller du côté droit du théâtre. Or, nous avons vu qu’il a pris la clé de son propre chef, en se dirigeant lui-même de ce côté. Le tueur a juste saisi l’occasion. Ça ne doit pas être trop loin de la vérité, car il y a beaucoup d’exemples de ce genre dans les romans policiers.

Bien qu’il y ait de nombreux cas où un illusionniste fait en sorte que la personne choisisse la carte exacte voulue, cela ne semblait pas avoir été le cas cette fois. Haba avait donc raison jusque-là et poursuivit en pointant son stylo sur la scène de droite de la carte. Il y avait écrit la « corps retrouvé ».

Haba — Comme vous le savez tous, il s’agit d’un meurtre en chambre close. Les seules issues disponibles sur les lieux sont là, là et là. Deux d’entre elles sont scellées et inutilisables, tandis que l’autre était fermée à clé lorsque le corps a été trouvé. Il y a également deux fenêtres, dont l’une est scellée tandis que l’autre donne sur des hautes herbes à l’extérieur sans trace de passage. Autrement dit, l’assassin de Kaitou ne s’est pas échappé par des moyens ordinaires.

Il arriva à l’endroit où Nakajou s’était arrêté ce qui le fit sourire.

Haba — Le fait que le tueur ne soit pas présent dans la pièce après le meurtre de Kaitou, est typique encore une fois d’une chambre close. Vous n’y aviez peut-être pas pensé avant, mais un meurtre en chambre close est établi au moment où le corps est trouvé. Ou, pour être plus précis, lorsque tout le monde est entré dans la pièce et a trouvé le corps. Comment cela se passe-t-il ? Il suffit de penser aux auteurs de romans policiers des époques passées et actuelles.

…Commençons par la méthode la plus simple. Le tueur peut avoir pris le double pour pénétrer dans la scène du crime. Il a pu repartir ensuite le reposer incognito. Mais c’est peu intéressant. On pourrait même s’indigner d’une telle simplicité. Même une amatrice comme Hongou ne choisirait pas une telle méthode.

…Ensuite, le double se trouve dans le bureau. Il faut donc passer par le hall d’entrée. Toute personne passant par-là serait vue par Sugimura dans la salle d’équipement au 2e, ou du moins, attirerait son attention. Par conséquent, si le tueur avait voulu obtenir le double, il aurait dû prier pour ne pas être repéré par Sugimura. Il n’est pas logique qu’un tueur prenne un tel risque. Et si c’était Sugimura qui prenait la clé ? Cela ne marcherait pas non plus, car il risquerait lui aussi d’être vu par Senoue, Katsuda et Yamanishi.

Hmm, il était plutôt prudent dans ses déductions. Si seulement il pouvait en faire autant avec son attitude hautaine.

Haba — Le fait que l’on ne puisse pas passer par le hall sans être repéré est très important, car cela signifie que le tueur ne peut pas pénétrer l’aile scénique de droite, mais aussi dans le couloir tout entier. Vous savez ce que cela signifie ?

Demanda-t-il en levant son visage du plan. Comme un professeur qui attend que son élève réponde à ses questions, il nous regarda l’un après l’autre. Oh ! Le regard d’Ibara croisa le sien. Après un bref silence, elle répondit brièvement.

Ibara — Le tueur a utilisé une sorte d’astuce physique ?

Le visage d’Haba laissa transparaître un instant de déception. Mais il reprit rapidement son attitude enjouée.

Haba — Exactement.

Quel était son problème ? Était-il contrarié parce que quelqu’un avait répondu correctement ? Il ne cachait rien en tout cas.

Haba — Après si le tueur a utilisé une sorte de ficelle pour verrouiller la porte depuis l’extérieur de la pièce, cela n’aurait pas de sens non plus. Le tueur ne pourrait pas sortir du couloir de droite au risque d’être vu. Ce qui donne lieu pour le coup à un deuxième espace clos.

Autrement dit, impossible de verrouiller une pièce depuis l’extérieur.

Haba — On peut penser également que c’est la victime elle-même qui a créé cette situation. Il est possible qu’elle n’ait pas été tuée sur le coup et qu’elle ait décidé de s’enfermer à l’intérieur pour fuir le tueur. La victime aurait pu finir par agoniser toute seule, mais on en revient toujours au point de départ. Alors, quelles sont les autres possibilités ? Le tueur n’était donc soit pas présent lorsque la victime a vécu ses derniers instants ou alors, le meurtre s’est fait pas longtemps avant qu’on ne retrouve le corps. Autrement dit, la victime a soit été tuée par un stratagème, soit tuée rapidement juste avant que les autres ne découvrent le corps. Vous comprenez ?

Oui, j’ai compris. Mais pour certains, ce n’était pas le cas, notamment Chitanda, qui n’avait pas trop lu de romans policiers. Elle leva la main, un peu gênée.

Chitanda — Huum, je m’excuse, mais est-il possible que tu donnes plus détails ?

Haba semblait satisfait de la demande de Chitanda, et hocha la tête en commençant à s’expliquer joyeusement.

Haba — Le stratagème ici repose sur le fait que la pièce était piégée, ce qui a tué Kaitou. Par exemple, il pourrait s’agir d’un pistolet à arc ou d’une aiguille empoisonnée. Pour la mort rapide, je parlais du fait qu’il était en vie juste avant l’ouverture de la porte.

Chitanda laissa échapper un soupir qui en disait long.

Haba — Quoi qu’il en soit, ces deux possibilités sont rejetées, car elles ont le même défaut, savez-vous ce que c’est ?

Haba se tourna vers Ibara, comme pour l’inciter à répondre. Elle haussa les sourcils, indiquant qu’elle savait où il voulait en venir. Elle n’avait pas besoin de répondre, mais décida tout de même de le faire.

Ibara — Oui, c’est l’état du corps, n’est-ce pas ?

Haba — Exact. Ça fait du bien de parler avec quelqu’un qui comprend.

Bien qu’il soit un peu détestable, j’arrivais à lire en lui ce qui me faisait rire intérieurement. Haba se racla la gorge et continua.

Haba — L’état du corps avec le bras sectionné. Premièrement, pour qu’une machine puisse le tuer avec une telle force, elle aurait été découverte immédiatement. Deuxièmement, comme il aurait fallu une force importante pour le tuer, le tuer discrètement sous le nez de tout le monde n’était tout simplement pas été possible.

Ibara — Cela signifie que…

Haba — Difficile de faire quoi que ce soit avec la porte d’entrée de la pièce. Rien ne passe.

Haba termina son explication. Il entra plus en profondeur dans sa chaise et reprit son souffle. Son attitude extrêmement confiante se vit de nouveau. Puis, il se tourna vers moi.

Haba — Oreki-kun, c’est ça ? Que penses-tu de cette déduction ?

À ce moment-là, j’avais vraiment envie de lui dire : « C’était super, on peut y aller maintenant ? » Mais j’ai l’impression que Haba faisait exprès de garder le meilleur de sa déduction pour la fin. Il avait probablement préparé une réponse standard, quoi que je dise. Mais comme je restais silencieux, il fit un sourire forcé, comme s’il me faisait un geste pour tenter de faire avancer les choses en mode « Dépêche-toi de dire que tu n’as pas compris ! ». Comme prévu, il éclata d’un rire moqueur et éleva la voix.

Haba — C’est dommage, mais ça ne me surprend pas.

Il se leva ensuite et se dirigea vers l’un des sacs à dos que l’on voit dans le film. Puis il enfonça sa main dans le sac et le porta comme ça jusqu’à nous.

Haba — Comme vous le savez, je fais partie du pôle Accessoires. Je suis responsable de l’achat du matériel nécessaire au tournage. C’est nous qui avons fabriqué le sang de Kaitou ainsi que son bras coupé.

Il avait sorti du sac exactement ce à quoi je m’attendais. Une corde.

Haba — Hongou peut être très négligente dans sa préparation. Par exemple, bien qu’elle ait prévu d’utiliser beaucoup de sang dans cette scène, l’équipe de tournage a été prise de panique lorsqu’elle a découvert que notre stock de faux sang n’était pas suffisant. Mais elle nous a expressément demandé de nous procurer une corde. Elle nous a dit que comme quelqu’un allait devoir l’utiliser pour descendre, il nous en fallait une très solide. J’avais demandé si une corde de sécurité standard ferait l’affaire, et elle était d’accord. Vous saviez ce qu’elle voulait faire avec ça ?

Dit-il en retournant s’asseoir et en posant la corde sur la table. Il bomba le torse avec assurance et continua.

Haba — Laissez-moi vous donner un indice. Malgré son apparence svelte, Kounosu est en fait un membre du club de randonnée.

Il jeta un coup d’œil à chacun d’entre nous. Ibara avait probablement compris. Satoshi continua à sourire en regardant son cahier, mais il n’avait probablement rien pigé. Chitanda avait simplement pris un air perplexe, alors c’était sûrement le cas pour elle aussi. En tout cas, comme nous ne disions rien, Haba s’exprima comme s’il nous confiait un incroyable secret.

Haba — Si le tueur ne peut pas entrer par le premier étage, il lui suffit d’entrer par le deuxième. C’est le dernier itinéraire viable. Le couloir de droite du deuxième étage était occupé par Kounosu, et ce n’est pas un hasard si elle y a été affectée. Si je devais deviner, c’est probablement parce qu’elle fait partie du club de randonnée. L’astuce de Hongou est en fait très simple : Le tueur doit descendre de la fenêtre du deuxième étage à l’aide d’une corde, tuer Kaitou sans que personne ne s’en aperçoive, puis remonter par la même corde.

Chitanda — Humm, donc le tueur entre dans la scène droite par le 2e étage, c’est ça ?

Haba — Bien sûr. Si le tueur était entré par une autre voie, la porte verrouillée n’aurait servi à rien. Je suis sûr que vous avez tous compris. Comme le film n’a pas de titre, s’il doit en avoir un, il devrait s’appeler « L’Intrusion fantôme ».

Haba bomba le torse comme s’il déclarait un « Alors, vous en dites quoi ?s ».

Comme si ce qu’il venait de dire était une vérité indéniable, il ajouta :

Haba — Maintenant, je veux avoir vos avis.

Nous échangeâmes des regards. Le visage d’Ibara semblait me dire de lui en faire voir de toutes les couleurs. Je décidai de l’ignorer, je n’avais pas l’intention de gaspiller de l’énergie inutilement juste pour le réprimander comme nous l’avons fait avec Nakajou hier. Alors que Nakajou était passionné, Haba était plutôt du genre spécialiste et confiant. Je tournai la tête dans l’autre sens et rencontrai le regard de Chitanda. Je sentis ce qu’elle voulait dire et lui fis un signe de tête approbateur. En hochant la tête, elle se tourna vers Haba.

Chitanda — Nous pensons que c’est une déduction merveilleuse.

Bien que Haba ait pu se douter d’une réponse de ce genre, elle ne l’avait fait que par courtoisie.

Haba — Oh, c’est bien trop flatteur.

Il se tourna ensuite vers Ibara avec un sourire.

Haba — Et toi ?

Il essayait de la provoquer. Ibara, malgré sa frustration, décida de hocher la tête en voyant la réponse de Chitanda. Haba semblait avoir terminé ce qu’il voulait dire. Sentant que le moment était venu, je pris la parole.

Moi — C’était une excellente déduction senpai. Nous serons en mesure de fournir à Irisu-senpai une réponse appropriée. Sur ce, à plus.

Haba hocha la tête d’un air satisfait. Je me levai ensuite. Nous le saluâmes tous avant de quitter la salle de 1ère F. Avant de partir, Chitanda regarda les livres de Sherlock Holmes posés sur la chaise.

Chitanda — Excuse-moi, Haba-san. Peut-on emprunter ces livres ?

Malgré l’étrange demande, il accepta au vu de sa bonne humeur.

Haba — Ce sont les livres de Hongou. Assurez-vous de rendre ce que vous lui avez emprunté dans toute sa totalité.

Ne prête pas librement les affaires des autres ! Ibara et Satoshi était sortis tout juste après nous. Alors que je m’apprêtais à fermer la porte, je repassai la tête à l’intérieur pour demander quelque chose.

Moi — Haba-senpai.

Haba — Hmm ? Y a-t-il autre chose ?

Moi — Ce n’est pas important, mais je me demandais si tu avais déjà vu le film ? J’ai trouvé le bras coupé de Kaitou-senpai était plutôt bien fait.

Haba secoua la tête et sourit amèrement.

Haba — Pour être honnête, je ne l’ai pas encore regardé.

Cette réponse me suffit.

***

Ibara — Il m’énerve !

Dit-elle à notre retour en salle de géologie. Je n’avais pas l’intention de la taquiner, car nous pouvions sentir la colère bouillonnante dans une phrase aussi brève. La seule personne capable de le faire était Satoshi.

Fukube — Qu’est-ce qui ne va pas ? Tu as l’air d’avoir été frappée par l’attitude provocante de senpai.

Ibara secoua doucement la tête.

Ibara — Si tu me parles de personnes provocatrices, tu es un bon exemple vu que tu me provoques tout le temps !

Sa description était étrangement pertinente. Satoshi menait une vie insouciante, mais on ne l’avait jamais décrit comme un provocateur. Il est vrai que l’attitude de Haba était pour le moins agaçante et c’est peu dire, et pourtant, Satoshi cochait plus la case. Voyant que nous ne comprenions pas ce qu’elle voulait dire, Ibara soupira et poursuivit.

Ibara — Le fait de me traiter comme une débile m’a mis en colère !

Fukube — C’était donc pour ça.

Ibara — Pas seulement moi, mais nous tous. Hongou-senpai et le reste de sa classe sont compris dedans. Ce n’est pas parce que je n’ai pas de bonne raison d’être en colère que je ne dois pas l’être.

Elle était contrariée plus qu’énervée parce qu’elle n’avait pas trouvé de bonne raison pour être en colère ? Pour moi, Haba ne faisait qu’afficher sa confiance, alors que pour Ibara, ce n’était rien d’autre qu’une démonstration d’arrogance, pensant que Haba regardait tout le monde de haut. En effet, la frontière entre l’assurance et l’arrogance est ténue. Peut-être même s’agit-il d’une seule et même chose. En tout cas, si elle se mettait en colère pour ça, la carte « Justice » correspondait bien à son cas. Avec un petit sourire, j’eus un air amusé.

Ibara — Il s’est même moqué de Holmes ! Ça te fait rien, Fuku-Chan ?

Elle était bien lancée. Pourtant, Satoshi se contenta de hausser les épaules.

Fukube — Pas vraiment.

Ibara — Pourquoi ?

Fukube — Eh bien, il est vrai que Sherlock Holmes convient bien pour ceux qui débutent dans le roman policier. Quand j’ai appris que Hongou-senpai faisait des recherches, j’ai tout de suite imaginé qu’elle étudiait du Sherlock Holmes. N’as-tu pas pensé la même chose, Mayaka ? Alors ne sois pas si fâchée, d’accord ?

Dit-il en tapotant les épaules d’Ibara. Plutôt que l’attitude arrogante de Haba, elle était en fait plus énervée par son manque de respect envers Sherlock Holmes. Comme Ibara semblait à l’aise pour tout dire, je n’avais pas besoin d’en dire plus. Je me suis déplaçai ensuite sur ma chaise avant de parler.

Moi — Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ? Devons-nous soumettre la proposition de Haba à Son Altesse Impériale ?

Y compris Chitanda, qui regardait le livre de Holmes qu’elle avait ouvert, les trois autres se tournèrent vers moi. Le premier fut Satoshi, qui s’exprima avec un certain doute dans son esprit.

Fukube — Eh bien, pourquoi pas ? Pour être honnête, sa conclusion n’était pas très intéressante, mais il a dit que Hongou-senpai avait spécifiquement demandé l’utilisation d’une corde. Si on laisse de côté les détails, je pense qu’il a peut-être vu juste.

Ibara suivit, hochant inopinément la tête en signe d’accord.

Ibara — Je n’y trouve pas non plus de problème particulier. Il n’y a pas de contradictions dans ses déductions ni d’incohérences avec le script. Je ne vais pas le rejeter pour le seul plaisir de le rejeter.

Les « oui » avaient maintenant deux voix. Qu’en était-il de la troisième ? En regardant Chitanda, elle avait l’air troublée pour je ne sais quelle raison. Incapable de rester calme, elle écarquilla les yeux et ouvrit la bouche, mais les mots lui manquèrent.

Moi — Qu’est-ce qui ne va pas, Chitanda ?

Chitanda — Eh… Je, je ne sais pas pourquoi, mais…je n’arrive pas à m’y faire.

Hmm.

Ibara — Et pourquoi ça, Chi-chan ?

Demanda-t-elle de manière plus pertinente, ce que je n’avais pas pu faire. Chitanda semblait encore plus troublée.

Chitanda — Umm, eh bien, je n’en suis pas sûre moi-même. Mais j’ai l’impression que ce n’est pas la véritable intention de Hongou-san. Ahh, je ne peux pas accepter cette déduction. Même si c’est différent du sentiment de désorientation ressenti à la suite de la déduction de Nakajou hier, je ne peux pas l’accepter !

Tant que la scénariste elle-même ne nous l’apprenait pas, aucune chance que l’on comprenne non plus di même Chitanda était perdue. C’était donc un « non » de sa part. Soudainement, elle tourna son regard vers moi comme une guêpe. Arrête de me regarder comme ça avec ces yeux !

Chitanda — Et toi, Oreki-san ? Tu penses que cette déduction est correcte ?

Je n’aurais jamais pensé attirer autant l’attention. Et j’avais l’intention d’en finir vite. Je me déplaçai sur ma chaise pour balancer mes jambes et secoua la tête de la manière la plus théâtrale possible.

Moi — Non.

Ibara me répondit tout de suite, comme outrée.

Ibara — Pourquoi, Oreki !?

C’est du deux poids deux mesures de ta part là !

Me sentant triste pour elle, je répondis.

Moi — Parce que la proposition de Haba est irréalisable. Si un meurtre avait réellement eu lieu dans un tel théâtre, de telles préparations auraient pu fonctionner. Mais c’est impossible pour ce film.

Satoshi m’encouragea avec son sourire habituel.

Fukube — Autrement dit ?

Moi — Autrement dit, c’est contradictoire avec ce que nous avons vu dans le film. Laissez le plan de côté et essayez de vous rappeler le film que nous avons vu avant-hier. Que voyons-nous à l’extérieur de la fenêtre sur l’espace scénique de droite ?

J’étais assez étonné d’avoir pu m’en souvenir, étant donné que je n’étais pas particulièrement attentif lors du film. Après leur avoir suggéré de ne pas tenir compte du plan, ils n’avaient pas eu de mal à s’en souvenir non plus. Satoshi ouvrit le bal en hochant la tête.

Fukube — Ah oui, cette fenêtre.

Moi — Exact. Le bâtiment est en ruine depuis tant d’années que même le robuste Katsuda-senpai avait eu du mal à ouvrir cette fenêtre. Je suis sûr que vous vous souvenez tous du grincement quand il s’est efforcé de l’ouvrir. La difficulté était claire. S’ils devaient tourner une scène montrant le tueur entrant par la fenêtre, ils auraient dû s’arranger pour que Kounosu-senpai descende de l’étage à l’aide d’une corde. Et pour ne pas toucher les hautes herbes, elle aurait dû ouvrir la fenêtre tout en gardant une position suspendue inconfortable. C’est assez difficile à réaliser, car l’ouverture d’une telle fenêtre prendrait du temps, sans parler du bruit occasionné. La vitre aurait même pu se briser. D’ailleurs, que pensez-vous que ferait Kaitou-senpai ? Serait-il resté là à regarder ? Bien sûr que non. Si Hongou n’avait pas visité l’endroit elle-même lors de l’écriture du scénario, cette méthode aurait pu être adoptée sans problème, étant donné qu’elle n’aurait pas eu connaissance de l’état de la fenêtre. La suggestion de Haba est basée sur le plan seul. Il n’a même pas regardé le film.

Chitanda — Oh, c’est pour ça que tu as posé la question à Haba-san !

Elle avait élevé la voix. Elle avait vraiment entendu ma question ? Ses sens aiguisés ne cessaient de m’étonner.

Moi — Oui. S’il avait vu le film, il aurait su qu’il était impossible d’entrer dans la pièce par l’étage. La vérité, c’est que Hongou s’est rendue elle-même sur le site et a écrit le scénario sur la base de ses observations. C’est ce qu’a dit Nakajou. Si Hongou avait vraiment voulu que la fenêtre soit utilisée comme Haba l’avait décrit, et en supposant qu’Irisu ait raison sur le fait que Hongou est une personne méticuleuse, alors elle aurait demandé au pôle Tournage de préparer un lubrifiant pour la fenêtre de la scène de crime. Je ne crois pas qu’elle aurait simplement ignoré de tels défauts dans le bâtiment. En bref, je ne peux pas être d’accord avec la déduction de Haba. Qu’en pensez-vous ?

Je n’avais même pas eu besoin de demander, car je pouvais voir que Satoshi trouvait mon explication appropriée, tandis qu’Ibara abhorrait une expression montrant qu’elle ne voulait pas être d’accord.

— Alors…

Dit une voix derrière moi,

— cela signifie que c’est encore un rejet ?

En me retournant, je vis Eba qui se tenait là. Je n’avais pas réalisé sa présence. Même si elle ne le montrait pas, elle devait être impatiente.

Eba — Alors j’ai hâte de vous guider pour rencontrer la troisième personne demain.

Chitanda — Oh… Oui, merci pour ton aide.

Elle s’inclina juste après avoir terminé. Eba secoua la tête et ajouta quelque chose d’autre comme si ce n’était rien d’important.

Eba — Mais demain sera le dernier jour. Si le problème n’est toujours pas résolu avant après-demain soir, nous manquerons de temps.

Il est vrai que nous étions déjà mercredi.

Nous avions du coup un programme bien serré qui nous attendait.

Alors que nous ressentions un sentiment de malaise, Eba détendit son expression et inclina profondément la tête.

Eba — …C’est moi qui vous remercie pour votre aide.


[1] Série d’époque connue au Japon diffusée à des heures de grande écoute (1969-2011).

—————————————————
<= Précédent // Suivant =>
———————————————