Hyouka V1 Chapitre 7


La vérité derrière le club historique de littérature

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Traduction : Uaitseq // Orouu
Correction : Raitei
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Le soir, après un débat interminable, je pédalai tranquillement au milieu des champs illuminés par l’orange du crépuscule, m’efforçant d’écouter la faible voix de Satoshi.

Fukube — Pour être honnête, je suis plutôt surpris Houtarou, par ce que tu as dit tout à l’heure. Si tu as raison, alors notre festival Kanya doit son existence aux dépens de la vie lycéenne de quelqu’un. Mais ce qui me surprend le plus, c’est que tu aies deviné tout cela.

Moi — Tu doutes de mes capacités ?

J’avais répliqué en plaisantant, mais pour une fois Satoshi ne fit pas de sourire.

Fukube — Tu n’as résolu que des devinettes depuis ton entrée au lycée Kami. Pendant notre première rencontre avec Chitanda-san, ou l’affaire du livre populaire que personne ne lit, comme celle du président du club de journalisme mural.

Moi — Ce n’est arrivé que par hasard.

Fukube — Pourtant les résultats montrent que ce n’est pas important. Mais le problème est : Pourquoi quelqu’un comme toi, qui trouves pénible de résoudre des énigmes, finit par les résoudre ? La réponse est simple quand on y pense. Tu le fais pour Chitanda-san.

Je tournai la tête, et me demandai si c’était le cas. Le faire « pour » Chitanda n’était pas vraiment exact. Pour moi c’était plus « à cause » d’elle. Je me souvenais que Satoshi avait dit quelque chose de pertinent avant sur le fait que je ne passais à l’action que si on me le demandait. Bien qu’elle ne m’ait rien demandé directement, j’ai fini par faire quelque chose de pénible pour elle, mais…

Moi — Aujourd’hui était différent.

Oui, aujourd’hui était différent.

Fukube — T’es doué pour attirer l’attention tu sais ? Aujourd’hui, la résolution de l’énigme devait être partagée équitablement parmi nous quatre. Tu aurais pu choisir de t’enfuir en disant que tu n’y comprenais rien, et personne n’aurait dit quoi que ce soit. Alors pourquoi as-tu cherché la réponse par toi-même en prétextant aller aux toilettes ?

Le soleil continuait de se coucher et je pouvais sentir la brise du vent. Je détournai mes yeux de Satoshi et regardai devant moi.

Fukube — Ce n’était pas parce que tu le faisais pour Chitanda-san ?

La question de Satoshi était plutôt légitime. En temps normal, je ne me serais pas donné la peine de résoudre ce casse-tête. Je suppose que j’ai été extrêmement actif aujourd’hui.

Oui… ça doit être ça

Pourquoi ai-je agi comme je l’ai fait ? Je crois en comprendre plus ou moins la raison, et cela n’avait pratiquement rien à voir avec Chitanda. Pourtant, comprendre quelque chose moi-même était différent de le faire comprendre à quelqu’un d’autre. Sans affiner mes connaissances et mon vocabulaire, j’étais incapable de transmettre mes pensées aux autres, même pas à un télépathe comme Satoshi.

Ou plutôt, je pense que c’est parce que je connais Satoshi depuis si longtemps que lui expliquer devenait difficile puisque mes actions et mes motivations aujourd’hui étaient loin de mon modus operandi habituel. Toutefois, je n’avais aucune obligation de me justifier. J’aurais pu lui dire que cela ne le concernait pas. Pourtant j’eus envie de lui répondre, comme d’organiser mes pensées pour mon propre bien. Alors après un long silence, je lui répondis en prenant soin de bien choisir mes mots.

Moi — … J’imagine que je suis juste fatigué d’avoir une vie grise.

Fukube — ?

Moi — Depuis que j’ai rencontré Chitanda, mes niveaux d’efficacité énergétique sont tombés au plus bas. Elle prépare une anthologie en tant que présidente du club, révise ses examens en tant que lycéenne et recherche son passé en tant qu’être humain. C’est trop fatigant pour moi. Ibara et toi êtes pareils, à dépenser du temps à toutes sortes d’efforts inutiles.

Fukube — Eh bien… je suppose.

Moi — Mais tu sais, parfois je pense que l’herbe est plus verte de l’autre côté de la clôture.

Je m’arrêtai de parler, en réalisant que j’aurais pu le formuler d’une meilleure manière. Toutefois, je ne pouvais penser à rien de mieux, alors je repris :

Moi — Quand je vous regarde, je n’arrive pas à me calmer. Je voudrais rester calme, mais je ne trouve rien d’intéressant à ça.

Fukube — …

Moi — Alors au minimum, je voulais, comment dire, résoudre l’énigme. Je voulais goûter à votre mode de vie.

Je me tus après cela. Entre le son des pédales et la brise, Satoshi ne dit rien. Satoshi était bavard d’habitude, mais il y avait des occasions où il pouvait ne rien dire, et j’en fus plutôt soucieux puisque j’espérais une réponse. Je comptais trouver une excuse plus tard, mais je ne pouvais plus supporter ce silence.

Moi — Alors, dis quelque chose.

Je pouvais sentir Satoshi sourire même sans le voir quand il finit par parler.

Fukube — Je pense…

Moi — Hmm ?

Fukube Je pense que tu es en fait jaloux de ceux qui ont une vie rose.

Je répondis sans réfléchir.

Moi — Peut-être.

***

Je fixai le plafond de ma chambre, blanc comme d’habitude. Je réfléchissais à ce qu’avait dit Satoshi plus tôt.

Même moi j’aimais entendre des choses agréables, ce qui incluait des blagues idiotes et des chansons populaires. Même si je m’étais fait avoir par Chitanda, cela restait un bon moyen de tuer le temps. Cependant, avec tout le respect que je devais à tout ça, si je devenais obsédé par ces choses sans tenir compte de mon temps et de mon énergie… Aurait-ce été plus divertissant ? Cela aurait-il vraiment valu le coup d’y consacrer son énergie ?

Par exemple, Chitanda et la recherche de son passé ou bien encore plus significatif, toute l’énergie que le “héros” Jun Sekitani a utilisée pour protéger le festival Kanya trente- trois ans plus tôt.

Je ne pouvais pas me focaliser dans une seule direction et y penser m’empêchait de me calmer. Je détournai les yeux du plafond vers le sol sur lequel j’étais allongé et vis la lettre que ma sœur posée là. Mon regard fut attiré par une des phrases qui y étaient écrites.

« Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n’en regretterai aucun ».

Dix ans plus tard, pour un pauvre mortel tel que moi, est un futur bien flou après tout. J’aurai vingt-cinq ans. Et me regardant dix ans plus tôt, je me demande si je méditerai aux choses que j’ai faites et que j’aurais pues faire. Peut-être que Jun Sekitani, à vingt-cinq ans, regarda en arrière son lui d’il y a dix ans avec certains regrets.

Je…Soudainement le téléphone sonna. Non, ce n’est pas comme si je n’avais jamais entendu un téléphone sonner auparavant. J’étais juste tellement absorbé dans mes pensées que cela parut soudain. Je laissai mes inquiétudes derrière moi quand mon esprit retourna à la réalité, me levai et descendis décrocher le téléphone.

Moi — … Allô, ici Oreki.

 — Hein ? Houtarou ?

Je sentis mon échine frissonner de nervosité. C’était une voix familière, une voix qui pouvait mettre ma vie en l’air et m’impliquer dans toutes sortes de problèmes d’un autre niveau.

C’était un appel de Tomoe Oreki, vagabondant quelque part dans la partie occidentale de l’Asie et se cachant au consulat du Japon de la traque d’agents du Mossad. Étant un appel international, elle était difficilement audible, mais il s’agissait d’elle à coup sûr. Inévitablement, je donnai ma réaction sincère au fait d’entendre la voix que je n’avais pas entendue depuis si longtemps.

Moi — Alors t’es encore vivante ?

Tomoe — Quel malpoli, tu penses que je me ferais tuer par un ou deux bandits ?

Alors ça lui est vraiment arrivé ? Je ne peux pas dire que je sois surpris. Pensant probablement au coût de l’appel, ma sœur enchaîna rapidement.

Tomoe — Je suis arrivée à Pristina hier. C’est en Yougoslavie[1], au passage. Les finances et la santé se portent bien et mes projets se déroulent comme prévu. Je t’écrirai en arrivant à Sarajevo[2]. Si je voyage tranquillement, j’y serai dans deux semaines. Fin du rapport. Alors, comment ça se passe là-bas ?

Ma sœur semblait aussi heureuse qu’à son habitude. Même si elle était émotionnellement instable, car elle pouvait facilement aller dans les extrêmes, elle était en général plutôt gaie. Je donnai une chiquenaude au cordon du téléphone et répondit :

Moi — Rien d’inhabituel à la garnison d’Extrême Orient.

Tomoe — Je vois, alors…

Ma sœur était sur le point de raccrocher. Cela ne m’aurait pas dérangé, mais j’ajoutai :

Moi — On publie une anthologie, « Hyouka »…

Tomoe — … Hein ? Quoi ?

Moi — On a fait des recherches sur Jun Sekitani.

Ma sœur parla rapidement :

Tomoe — Jun Sekitani ? Quel nom nostalgique. Hmm, je ne pensais pas que cette histoire était encore transmise. Est-ce que le nom “festival Kanya” est encore tabou ?

Je ne comprenais pas ce qu’elle voulait dire par là.

Moi — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Tomoe — Quelle tragédie. Je n’aime pas ça.  

Tabou ? Tragédie ? N’aime pas ça ? De quoi parlait-elle ? Qu’est-ce qu’elle voulait dire par là ?

Moi — Attends un peu, on parle de Jun Sekitani, non ?

Tomoe — Bien sûr. Le “gentil héros”. Tu saisis, n’est-ce pas ?

Cette conversation était vaine. Bien que nous parlions du même sujet, nous ne pouvions nous entendre. Quant au pourquoi, je réalisai instinctivement que j’avais pu me tromper. Peut-être que la conclusion à laquelle j’étais arrivé à la résidence Chitanda était erronée ou imprécise. Pourtant je n’étais pas inquiet, puisque ma sœur savait ce qui était arrivé au lycée Kamiyama trente- trois ans plus tôt.

Moi — Frangine, qu’est-ce que tu sais sur Jun Sekitani ?

J’avais décidé de lui demander sérieusement. Tout ce que je reçus fut une simple réponse.

Tomoe — J’ai pas le temps pour ça ! À plus !

Clic. Bip, bip. J’éloignai le combiné de mon oreille et le regardai comme un idiot.

Moi — …

… Pourquoi…

Moi — Idiote va !

J’écrasai le combiné sur le téléphone, le faisant trembler avec un bruit fort. Mon irritation était à présent doublée grâce à ma sœur. Je ne me souvenais plus exactement de ce que ma sœur avait dit, puisque la conversation s’était déroulée si rapidement que je n’avais pu confirmer quoi que ce soit.  Néanmoins, la partie où elle avait répondu négativement à propos de l’incident était fraîche dans mon esprit. Je retournai à mon lit et sortis de mon sac tout ce que le club de littérature avait rassemblé concernant l’incident : « Hyouka », « Unité et Salutations », le « Mensuel de Kamiyama » et « Lycée Kamiyama : En marche ensemble depuis 50 ans ».

 Je plaçai également à côté des quatre références la lettre que ma sœur avait envoyée d’Istanbul, en relisant cette phrase qui avait retenu mon attention. « Je suis sûre que dans dix ans, quand je repenserai à chacun de ces jours, je n’en regretterai aucun ».

Dans dix ans, hein ? Si Jun Sekitani était encore en vie, puisqu’il était président il y a trente- trois ans, il devrait en avoir cinquante maintenant. Regarderait-il encore sa vie de lycéen sans regret ? Je pense que non. Le “héros” qui se sacrifia pour la passion de ses camarades et abandonna son choix de continuer le lycée ne regretterait pas cette décision. Depuis ma déduction à la résidence Chitanda, c’est ce que je pensais.

Mais était-ce vraiment le cas ? Ce n’était qu’un festival culturel, pourtant, ce festival retourna l’administration contre lui et changea sa vie. Si la vie au lycée était rose, une vie si intensément rose pouvait-elle cesser de l’être après un revirement pareil ?

La partie grise au fond de moi me disait que ce n’était pas le cas. Se sacrifier pour que ses camarades soient pardonnés, un héros l’endurerait-il ? Cette pensée émergea dans mon esprit. Même si j’y résistais, je ne pouvais ignorer le fait que ma sœur avait qualifié l’incident de tragédie.

Je devais revoir cela une fois de plus. Je repris tous les articles qui mentionnaient l’incident. Et ainsi, je commençai à chercher si la vie de Jun Sekitani était réellement rose il y a trente- trois ans.

Le jour suivant, j’allai au lycée en tenue décontractée. Pour confirmer quelque chose, j’avais aussi appelé Chitanda, Ibara et Satoshi. Je leur avais simplement dit que je devais ajouter quelque chose à ma conclusion d’hier pour que cette histoire soit complètement terminée et que je les attendrai dans la salle de géologie.  Ils vinrent ainsi tous les trois. Ibara traita inévitablement le fait que je soulevai un problème supposément résolu avec sarcasme, et bien que Satoshi sourît, on pouvait observer un regard plein de surprise face à mon comportement inhabituel. Quant à Chitanda, elle dit en me voyant :

Chitanda — Oreki-san, j’ai le sentiment qu’il y a encore quelque chose que je dois savoir.

Je ressentais la même chose. En acquiesçant, je posai ma main sur son épaule.

Moi — C’est bon. Je pense qu’on devrait pouvoir régler ça aujourd’hui. Tiens juste un peu plus longtemps.

Fukube — Qu’est-ce que tu veux ajouter de plus Oreki ?

Moi — Disons qu’il manquait quelque chose.

Fukube — Je ne comprends pas, tu veux dire qu’on a pris le problème de travers ou qu’on est arrivé à la mauvaise conclusion ?

Moi — Écoute, juste.

Alors que je pris mes notes, j’y jetai un œil moi-même plutôt que de les montrer aux autres.

Moi — « Hyouka » était censé être écrit comme quelque chose de plus important. Pas pour rapporter la vie de Jun Sekitani ou en faire un conte héroïque, c’est ce que dit la préface de toute façon.

C’était la partie traitée par Satoshi la veille. Sans surprise, il prit la parole :

Fukube — Ce n’est pas de ça qu’on a discuté hier ?

Moi — Oui, mais on a peut-être été induit en erreur.

Fukube — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Moi — Ce passage, « Tel le sacrifice du conflit qu’il fut, même son sourire finirait par suivre le cours du temps vers l’éternité » Le terme sacrifice ne désigne pas un abandon volontaire, mais plutôt une offrande.

Ibara fronça un sourcil.

Ibara — Mais on n’aurait pas utilisé « victime » plutôt que « sacrifice » dans ce cas ?

“Victime”, hein ? Mais je n’eus pas à expliquer. Chitanda prit les devants.

Chitanda — Non, un “sacrifice” peut aussi être forcé. C’est ce que ça voulait dire dans le passé.

Comme on pouvait s’y attendre d’une élève modèle, c’était rapide. Et j’étais sur le point de prendre un dictionnaire. Satoshi commenta avec un soupir :

Fukube — … Je vois ce que tu veux dire à propos d’un autre sens de ce mot, mais est-ce que ce n’est pas évident ? En plus, aucun moyen de savoir quel sens est le bon sans demander à l’auteur.

Bien sûr, la différence de sens n’était pas un problème purement linguistique. Le langage n’est pas précis comme les mathématiques, il y a des nuances.

Il était donc impossible de conclure définitivement sur le sens d’un mot. Il y avait cependant un moyen de résoudre ceci. J’acquiesçai avec confiance.

Moi — Dans ce cas, demandons à l’auteur.

Chitanda — … Qui est-ce ?

Moi — Celle qui a écrit cette préface, évidemment. Yôko Kôriyama-san était en seconde ici il y a trente-trois ans. Elle devrait avoir quarante-huit ou quarante-neuf ans aujourd’hui.

Chitanda écarquilla les yeux.

Chitanda — Alors tu l’as trouvée ?

Je hochai brusquement la tête.

Moi — Pas besoin. Puisqu’elle est toute proche.

Ibara leva la tête. Comme prévu, elle fut la première à comprendre.

Chitanda — Oh ! Je vois !

Moi — C’est ça.

Fukube — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Ibara — Qu’est-ce que tu as compris ?

Ibara me regarda, et je lui fis signe de la tête pour qu’elle leur explique.

Chitanda — … C’est Itoikawa-sensei, la bibliothécaire en chef, c’est ça ? Yôko Itoikawa-sensei, son nom de jeune fille doit être Kôriyama. Je me trompe ?

Ibara étant elle-même bibliothécaire, elle connaissait le nom complet d’Itoikawa, d’où la vitesse à laquelle elle avait réalisé.

Moi — Exact. Si tu entendais “Satoshi Ibara” sans voir l’orthographe, tu n’aurais eu aucun moyen de savoir si Satoshi a adopté le nom d’Ibara. Mais ici le prénom « Yôko » est orthographié de la même façon[3], et son âge correspond. Deviner son nom de jeune fille devient élémentaire.

Croisant les bras, Ibara commença à étaler son sarcasme.

Ibara — T’es vraiment bizarre. Même moi je n’avais pas remarqué alors que je la fréquente régulièrement, et pourtant tu as réussi. Peut-être qu’on devrait laisser Chi-chan regarder dans ton crâne.

Comme dit plus tôt, j’avais eu de la chance et un éclair d’inspiration. Et je ne voulais en aucun cas être le cobaye de Chitanda. Pendant ce temps, Chitanda rougissait de plus en plus.

Chitanda — A-alors, si on demande à Itoikawa-sensei…

Moi — On saura ce qu’il s’est passé il y a trente-trois ans. Pourquoi ce n’était pas un conte héroïque, pourquoi la couverture a été dessinée ainsi, et pourquoi l’anthologie a été intitulée « Hyouka »… On aura toutes les réponses sur ton oncle.

Chitanda — Mais, tu as des preuves que c’est réellement Itoikawa-sensei ? Ce serait gênant si c’était en fait quelqu’un d’autre…

J’étais sûr. Je jetai un regard à ma montre et considérai que c’était l’heure.

Moi — En fait, je m’en suis déjà assuré. Elle était présidente du club en première. J’ai pris rendez-vous pour en parler avec elle. Ça doit être à peu près l’heure maintenant. Allons à la bibliothèque.

En me tournant pour partir, je pus entendre Ibara murmurer : « T’es vraiment enthousiaste ». J’imagine que je l’étais. Durant les vacances d’été, les stores de la bibliothèque étaient baissés pour protéger les livres d’une exposition aux intenses rayons du soleil. Dans cet environnement intérieur modérément ventilé, la bibliothèque restait bondée d’étudiants préparant le Festival Kanya et de terminale se préparant aux examens d’entrée aux universités. On pouvait voir Itoikawa écrire quelque chose, assise derrière le comptoir et portant une paire de lunettes que nous n’avions pas vue la dernière fois. Sa silhouette était plutôt petite, et des rides étaient visibles sur son visage, preuve qu’elle avait quitté le lycée il y a presque trente-et-un an.

Moi — Itoikawa-sensei…

Elle se tourna et remarqua alors que nous l’appelions. Levant la tête, elle sourit.

Mme Itoikawa — Ah, le club de littérature.

Elle balaya la bibliothèque des yeux et dit :

Mme Itoikawa — C’est noir de monde ici. Et si nous allions dans mon bureau ?

Et elle nous conduisit dans un bureau derrière le comptoir.

***

Son bureau était un lieu confortable et suffisamment grand pour qu’une personne puisse travailler, bien que la climatisation y fût considérablement plus petite. Les stores étant ouverts, elle alla les baisser en nous faisant signe de prendre place sur le canapé réservé aux invités. On pouvait sentir un doux parfum, provenant d’un pot de fleur placé sur l’unique table de la pièce. C’était une fleur très commune qui attirait peu l’attention. Elle était probablement destinée à être admirée, non pas par ses invités, mais par elle.

Malgré sa taille, le canapé n’était pas assez grand pour nous quatre. Itoikawa décida donc de déplier une chaise et de la placer à côté du canapé. Mais pourquoi était-ce moi qui dus m’asseoir sur cette chaise tandis que les trois autres avaient eu le canapé ? Itoikawa s’assit ainsi sur sa chaise pivotante et, posant ses coudes sur la table, elle nous fit face en s’exprimant gentiment.

Mme Itoikawa — Eh bien, de quoi vouliez-vous me parler ?

Puisqu’elle s’adressait à tout le club de littérature, il était naturel que je parle au nom du club. Je m’efforçais d’ignorer ce désir de croiser les bras et les jambes face à une situation à laquelle je n’étais pas habitué, et répondis avec courtoisie :

Moi — Oui, il y a quelque chose que nous souhaiterions vous demander. Mais d’abord, nous aimerions confirmer quelque chose. Votre nom de jeune fille est-il bien Kôriyama ?

Elle acquiesça.

Moi — Donc ceci a été écrit par vous, n’est-ce pas ?

Je sortis l’anthologie de ma poche et la lui remis.

Moi — Oui, c’est moi. Mais je suis surprise qu’elle ait été préservée.

J’eus l’impression qu’elle baissa son regard.

Mme Itoikawa — Je crois savoir de quoi vous vouliez discuter avec moi. Pour que des étudiants du club de littérature me demandent mon nom de jeune fille, j’avais une idée de ce qu’il se passait… Vous voulez des informations sur le mouvement d’il y a trente-trois ans, c’est cela ?

Bingo, elle savait. Cependant, contrastant avec les attentes sur nos visages, elle se contenta de soupirer.

Mme Itoikawa — Mais, pourquoi poser des questions sur un événement aussi lointain ? Cela aurait été mieux de l’oublier.

Moi — Eh bien, c’est principalement à cause de Chitanda, ici présente, qui ne laisse passer aucun détail étrange, comme une enquiquineuse. Autrement, je n’y aurais même pas prêté attention.

Mme Itoikawa — Une enquiquineuse ?

Moi — Pardon, je voulais dire comme une enquêteuse[4].

Itoikawa et Satoshi sourirent tous les deux, tandis qu’Ibara montra un regard exaspéré. Chitanda protesta légèrement, mais je l’ignorai. Itoikawa sourit tendrement à Chitanda et lui demanda :

Mme Itoikawa — Et pourquoi es-tu intéressée par ce mouvement ?

Je remarquai Chitanda serrer ses poings sur ses genoux. Elle était probablement nerveuse et répondit brièvement :

Moi — Jun Sekitani est mon oncle.

Itoikawa laissa échapper un halètement.

Mme Itoikawa — Oh, Jun Sekitani. Quelle nostalgie. Comment va-t-il ?

Moi — Je n’en ai aucune idée ; il a été porté disparu en Inde.

Elle haleta de nouveau :

Mme Itoikawa — Oh.

Peut-être vivre cinquante ans signifiait qu’elle avait tout vu ?

Mme Itoikawa — Je vois. J’ai toujours voulu le revoir une fois de plus.

Chitanda — Moi aussi. J’aimerais le revoir une fois encore.

Jun Sekitani était-il une personne digne d’être rencontrée une fois de plus ? Je ne pouvais m’empêcher de me demander si je devais moi aussi le rencontrer. Comme emplie d’émotions, Chitanda parla lentement :

Chitanda — Itoikawa-sensei, dites-moi s’il vous plaît ! Que s’est-il passé il y a trente-trois ans ? Pourquoi l’incident dans lequel mon oncle fut impliqué n’était-il pas un conte héroïque ? Pourquoi l’anthologie du club de littérature est-elle intitulée « Hyouka » ? Les déductions d’Oreki-san sont-elles correctes ?

Mme Itoikawa — Ses déductions ?

Itoikawa me posa ensuite la question.

Mme Itoikawa — Que veux-tu dire par là ?

Satoshi répondit à ma place.

Fukube — Sensei, Oreki a réussi à déduire ce qui a pu se passer il y a trente-trois ans à partir du peu d’informations que nous avions rassemblées. Peut-être que vous devriez l’écouter.

On dirait que je devais répéter ce que j’avais dit hier. Non, même si j’avais prévu de le faire, je n’avais pas encore réalisé que ce n’était sans doute que spéculations pour quelqu’un qui avait effectivement vécu l’incident. Malgré ma confiance en mes déductions, une part de moi pensait que j’aurais pu avoir tort. Je léchai mes lèvres et commençai mon explication en utilisant la même méthode que la veille.

Moi — D’abord, le personnage principal de l’incident… Nous avons ainsi conclu que l’abandon s’est produit en octobre.

Après avoir tout dit, je fus surpris par la façon dont j’avais réussi à organiser mes pensées. Comme je m’étais exprimé sans notes, le temps semblait passer encore plus vite. Pendant tout le temps où j’avais parlé, Itoikawa-sensei était restée silencieuse. Elle s’adressa à Ibara à la fin.

Mme Itoikawa — Ibara-san, as-tu les notes dont tu parles ?

Ibara — Non, je…

Fukube — Je les ai.

Satoshi ouvrit son sac à bandoulière et en a sorti une pile de notes pliées en quatre, qu’il tendit. Elle y jeta un rapide coup d’œil et leva les yeux.

Mme Itoikawa — Vous avez réussi à faire une déduction juste à partir de ça ?

Chitanda hocha la tête.

Chitanda — Oui, Houtarou l’a fait.

Ce n’était pas tout à fait exact.

Moi — J’ai simplement rassemblé leurs théories, c’est tout.

Mme Itoikawa — Tout de même…

Itoikawa-sensei poussa un soupir et posa les notes sur la table en croisant les jambes.

Mme Itoikawa — Je suis stupéfaite.

Ibara — C’était juste ?

itoikawa-sensei répondit en secouant la tête.

Mme Itoikawa — Non, c’est exactement comme Houtarou-kun l’a dit. Tout est vrai. C’est étrange, comme si tu te tenais à mes côtés.

Je laissai échapper un souffle, soulagé d’avoir bien compris.

Mme Itoikawa — Eh bien, qu’avez-vous d’autre à me demander ? Je pourrais même vous donner une note de passage si mes réponses correspondent à vos spéculations.

Ibara — Eh bien, je ne sais pas pour moi, mais Houtarou semblait sentir que quelque chose d’autre manquait.

Oui, il manquait en effet quelque chose. Et je voulais savoir si Sekitani Jun avait abandonné sa vie rose de lycéen de son propre chef.

Moi — Je n’ai qu’une seule question. Sekitani Jun voulait-il devenir le bouclier de tous les élèves ?

L’expression douce d’Itoikawa-sensei se figea soudainement en entendant cette question. Elle se contenta de me regarder, me fixant en silence.

Mme Itoikawa — …

J’ai attendu qu’elle parle, tout comme Chitanda, Ibara et Satoshi. Ils se demandaient probablement à quoi rimait cette question en attendant…. Le silence ne dura pas longtemps. Itoikawa bougea les lèvres comme si elle murmurait quelque chose et eut un ton de reproche :

Mme Itoikawa — Tu as vraiment vu clair en moi… Alors je vais tout dire. Je pense qu’il vaut mieux que je vous raconte du début jusqu’à la fin. Même si c’était il y a longtemps, je m’en souviens encore très bien.

Et c’est ainsi que nous entendîmes parler la jeune Kôriyama Yôko, abordant cette lutte en juin, il y a 33 ans.

***

Mme Itoikawa — Bien que le festival culturel soit tout aussi actif qu’à l’époque, il semble plus calme qu’auparavant. En cette période, tout le monde considérait le festival culturel du lycée Kami comme l’objectif ultime de sa vie. C’était une époque où l’on se débarrassait des vieilles choses pour accueillir la nouveauté et certains stipulaient que c’était grâce à cette énergie débordante que ce fameux festival a vu le jour. Juste avant de m’inscrire dans cet établissement, on avait le sentiment qu’une émeute allait éclater. Rien de bon ne pouvait sortir d’altercations hors de contrôle, n’est-ce pas ? Pourtant, comparés aux incidents scolaires violents de ces dernières années, les mouvements de l’époque semblaient plutôt ordonnés même si pour les enseignants, cela restait inacceptable.

Ces souvenirs reflétaient une certaine histoire du Japon moderne. Je pense que ni ces personnes dynamiques à cette époque ni les personnes nées à la même époque que moi ne pourraient imaginer le mode de vie de l’autre.

Mme Itoikawa — En avril de cette année-là, le directeur s’était emporté soudainement au cours d’une réunion du personnel. Je crois que c’est dans l’une de vos notes. De nos jours, les gens considéreraient les paroles du proviseur Eida comme une simple attente des élèves pour qu’ils réussissent. Pourtant, à l’époque, ils étaient perçus comme un message voilé visant à réprimer le festival culturel. Lorsque le calendrier du festival culturel avait été annoncé, il y avait eu un grand tumulte. Les cinq jours habituels avaient été réduits drastiquement à deux jours seulement et le weekend comme pour ne pas les considérer comme faisant partie du calendrier scolaire usuel. Tout le monde avait eu l’impression qu’un seau d’eau glacé leur avait été jeté à la figure.

Lors de l’annonce, l’atmosphère de l’établissement devint tendue comme si une catastrophe allait éclater. Tout d’abord, toutes sortes de grossièretés avait été affichées sur les tableaux d’affichage de l’école. Ensuite, il y a eu les discours publics, c’est-à-dire le moment où chacun pouvait monter sur scène pour dire ce qu’il voulait, où tout le monde devenait de plus en plus passionné et recevait des applaudissements. Puis le mouvement a vraiment pris de l’ampleur lorsqu’il a été proposé de mettre en commun les ressources des clubs artistiques.

Cependant, bien qu’une résistance fût attendue, personne ne semblait être préparé à une réponse forte de l’établissement pour forcer la suppression du festival culturel. Pour mener à bien le mouvement, il fallait être prêt à en accepter les conséquences. Malheureusement les gens parlaient beaucoup, mais personne ne s’était porté volontaire pour devenir le leader de l’alliance des clubs. Il a donc été décidé de tirer au sort en jouant à la courte paille afin de choisir un leader, et ton oncle, Sekitani Jun, fut désigné. Le fonctionnement du mouvement a été confié à d’autres personnes, mais leurs noms n’avaient jamais été rendus publics. Le mouvement avait donc grossi progressivement et avait finalement conduit l’établissement à renoncer à sa réforme. Comme stipulé dans vos notes, le festival s’était déroulé comme prévu.

Bien qu’elle ait décrit la situation sans aucune émotion, je pouvais encore ressentir l’atmosphère d’il y a 33 ans, que ce soit la passion du mouvement ou la lâcheté des représentants, tout cela faisait partie du passé maintenant. Itoikawa poursuivit.

Mme Itoikawa — Mais nous en avions trop fait. Pendant le mouvement, j’avais personnellement participé au boycott des cours. Tout le monde était sur le terrain, criant divers slogans. La construction d’un feu de camp fut le summum de la situation, et puis une nuit, un incident arriva. Les flammes du feu de camp devinrent incontrôlables. Nous ne savions pas si quelqu’un l’a fait exprès, mais le dojo d’arts martiaux avait pris feu. Même s’il avait fini par être maitrisé, le très vieux dojo avait été gravement endommagé par l’eau pulvérisée des camions de pompiers.

Les expressions de Chitanda et d’Ibara se figèrent. Je suppose que je faisais la même tête qu’eux aussi. Même nous pouvions dire que la situation sentait le roussi, car indirectement, cela signifiait que ces dommages à la propriété de l’école allaient avoir des conséquences fâcheuses.

Mme Itoikawa — Un tel acte criminel sortait de l’ordinaire et ne pouvait être ignoré. Heureusement, l’établissement ne souhaitait pas aggraver la situation et avait décidé de ne pas impliquer la police. Personne n’a pu cependant trouver un coupable et on attendit la fin du festival culturel. Alors que la cause de l’incendie était inconnue, celui qui a fini par porter le chapeau n’était autre que Sekitani-san, le leader officiel du mouvement.

À l’époque, il était beaucoup plus facile d’expulser un élève. À son crédit, Sekitani-san était resté calme jusqu’au bout. Mais je crois que ta question était de savoir s’il souhaitait faire office de bouclier pour tout le monde, n’est-ce pas ?

Itoikawa-sensei se contenter de sourire en me regardant.

Mme Itoikawa — Je pense que tu as ta réponse.

Après avoir terminé sa longue histoire, Itoikawa-sensei se leva pour se verser du café avant de le boire. Nous n’avions rien dit. Peut-être n’avons-nous rien trouvé à dire de plus. Je pouvais seulement voir les lèvres de Chitanda bouger un peu, comme si elle murmurait « quelle horreur » ou « quelle cruauté », bien que je n’eusse aucune idée de ce dont il s’agissait.

Mme Itoikawa — Eh bien, c’est tout ce que j’ai à dire. Avez-vous d’autres questions à poser ?

En retournant sur sa chaise tournante, Itoikawa-sensei reprit son ton habituel. Ce n’était en effet qu’une histoire du passé pour elle. Ibara rompit finalement le silence.

Ibara — Alors, j’aimerais poser une question sur l’illustration de la couverture qui a été dessinée à l’époque…

Itoikawa hocha la tête en silence.

Cela m’avait rappelé la couverture de « Hyouka », celle avec le chien et le lièvre qui se pourchassaient, tandis que plusieurs lièvres formaient un cercle et les observaient. Le chien représentait probablement le corps enseignant, tandis que les lièvres étaient les élèves. Et le lièvre qui menait le chien en cercle était probablement Sekitani Jun. Après qu’Itoikawa soit venue nous donner la réponse que je venais de deviner, je lui demandai la chose suivante :

Moi — De tous les bâtiments du lycée Kami, le dojo d’arts martiaux est de loin le plus ancien, cela signifie-t-il qu’il avait été reconstruit ?

J’avais remarqué à quel point le dojo était ancien lorsque Chitanda me l’avait montré en avril, mais je n’y avais pas pensé par la suite.

Mme Itoikawa — Oui, c’est vrai. Comme les bâtiments des écoles publiques sont rarement rénovés à moins qu’ils n’atteignent leur date limite de contrat. Lorsque tous les autres bâtiments ont été rénovés il y a dix ans, seul le dojo est resté intact puisque déjà rénové auparavant.

Satoshi s’exprima docilement.

Fukube — Umm, Sensei, j’ai remarqué que vous n’avez jamais fait référence au festival comme étant le festival Kanya.

Comme le sujet changea du tout au tout, Itoikawa finit par sourire faiblement.

Mme Itoikawa — Pourquoi demandes-tu cela ? Tu dois sûrement avoir compris depuis le temps ?

Fukube — Huh ?

Le festival Kanya ? Je me souvenais que ma sœur avait mentionné lors de notre appel téléphonique que le terme était considéré comme tabou au sein du club de littérature. Bien que ce soit un peu tard, j’avais finalement compris pourquoi c’était tabou.

Moi — C’est parce que Sekitani Jun ne souhaitait pas devenir un héros, n’est-ce pas ?  Vous vous êtes ainsi abstenus de nommer le festival « Kanya ».

Ibara — Fuku-chan, qu’est-ce qu’il veut dire par là ?

Bien que Satoshi ait souri en répondant, ce sourire était différent de l’habituel dans la mesure où il ne souriait pas pour le plaisir.

Fukube — « Kanya » n’est pas une abréviation de ‘Kamiyama’, mais plutôt une prononciation alternative en kanji de « Sekitani ». J’ai enfin réussi à le découvrir il y a quelque temps. C’est probablement un nom alternatif pour désigner le « Festival Sekitani », afin de tromper le personnel enseignant tout en honorant leur héros.

… Chitanda demanda alors :

Chitanda — Sensei, savez-vous pourquoi mon oncle a utilisé le titre « Hyouka » pour l’anthologie ?

Cependant, Itoikawa-sensei secoua doucement la tête.

Mme Itoikawa — Ce nom a probablement été pensé par Sekitani-san sur un coup de tête alors qu’il avait le sentiment qu’il était sur le point d’être expulsé. Il a dit que cela signifiait quelque chose qu’il ne pouvait pas faire dans son état actuel à ce moment-là. Mais sinon, je ne sais pas moi-même ce que cela signifie.

… Elle ne savait pas ? Vraiment ? Chitanda, Ibara et Satoshi, d’ailleurs ? J’étais rarement en colère, mais je commençais franchement à être exaspéré. Pour l’instant, je ne ressentais qu’un sentiment d’irritation, car personne ne semblait avoir compris le message que Sekitani Jun avait laissé derrière lui. J’étais agacé que personne n’eût réussi à capter un message aussi trivial. Sans m’en rendre compte, je commençai à parler :

Moi — Vous ne comprenez pas ? Vous n’avez pas bien écouté ?

J’allais le dire franchement, car ce n’était rien d’autre qu’un jeu de mots idiot.

Chitanda — Houtarou ?

Moi — Sekitani Jun a voulu transmettre un message à nous, les descendants du Club de littérature et il l’a placé dans le titre de l’anthologie. Chitanda, tu es bonne en anglais, non ?

Chitanda fut confuse en étant soudainement interpelée.

Chitanda — Eh ? E-anglais ?

Moi — Ouais. C’est en fait un message secret. Non, plutôt un jeu de mots…

Itoikawa-sensei ne semblait pas réagir en nous regardant. Je me demandais si elle avait pu réaliser, non, elle devait avoir réalisé. Pourtant, pour une raison quelconque elle ne nous dit rien. Même si je n’avais pas tout compris, j’essayai de me mettre à sa place et remarquai que cela pouvait être quelque chose qui ne pouvait pas être dit à voix haute. Peut-être était-ce aussi l’une des traditions du club de littérature ?

Chitanda — Tu as compris quelque chose, Oreki-san ?

Fukube — Oreki, cesse de nous faire deviner davantage. As-tu vraiment compris ?

Chitanda — Dis-nous, Houtarou.

Combien de fois ai-je été pressé de répondre ? Je soupirai en me préparant à donner mon explication. Bien que cette fois-ci, j’avais l’impression que ça n’avait rien à voir avec la chance ou un éclair d’inspiration. J’avais juste envie de transmettre à quelqu’un le regret de Sekitani pour son jeu de mots. Je m’exprimai donc.

Moi — Qu’est-ce que « Hyouka » à votre avis ?

Chitanda répondit :

Chitanda — C’est le titre de l’anthologie du club de littérature.

Moi — Je m’interroge sur la signification du mot en lui-même.

Satoshi suivit :

Fukube — C’est le mot japonais pour « glace », non ? Donc bonbon glacé ?

Moi — Essayez plutôt « crème glacée ».

Ibara s’exprima ensuite.

Ibara — « Crème glacée ? » Qu’est-ce que c’est censé vouloir dire ?

Moi — Essaie de réarranger les syllabes.

Ah, bon sang. Pourquoi est-ce que je devais toujours passer par autant d’explications ? Pour une fois, comprenez ce que j’essaie de dire !

Moi — « Glace » en soi ne veut rien dire. C’est pourquoi j’ai dit que c’était un jeu de mots.

L’expression de Satoshi a d’abord été « je ne sais pas » avant que son visage ne devienne pâle comme si on lui avait retiré tout son sang. Ensuite, Ibara marmonna un « Ah, ça ! » avec une expression agacée. Enfin, Chitanda semblait ne toujours pas avoir compris. Étant une élève avec mention, j’ai entendu dire qu’elle était aussi bonne en anglais. Mais il semblerait qu’elle n’avait pas complètement saisi les fonctions de la langue. Je n’étais pas d’humeur à la taquiner davantage. Je pris la copie de l’avant-propos de « Hyouka volume 2 » et écrivis dessus avec un stylo-bille que j’avais apporté.

Moi — C’est le message que ton oncle a laissé derrière lui.

Chitanda hocha la tête tout en gardant un air perplexe. Quand elle avait enfin compris, ses yeux s’agrandirent immédiatement.

Chitanda — Oh !

Elle eut le souffle coupé et se tut ensuite. Les regards de tout le monde se concentrèrent sur elle. Les yeux de Chitanda étaient humides. C’est alors que j’avais réalisé que les mois qu’elle avait passés à me demander de l’aide avaient enfin porté leurs fruits.

Chitanda —… Je me souviens,

Chuchota-t-elle.

Chitanda — Je me souviens maintenant. À l’époque, j’ai demandé à mon oncle pourquoi l’anthologie s’appelait « Hyouka ». Il m’avait simplement répondu d’être forte. C’était un message que je devais garder en mémoire à chaque fois que je me sentirais faible, ou que je rencontrerais des moments où je ne pourrais pas crier…

Elle tourna son regard vers moi.

Chitanda — Oreki-san, je me souviens maintenant. Je pleurais parce que j’étais effrayée à l’idée de vivre tout en étant morte à l’intérieur… Dieu merci, maintenant je peux faire le deuil de mon oncle correctement…

Un sourire apparu sur son visage. Remarquant que ses yeux étaient mouillés, elle a fait un geste pour les essuyer avec ses mains. Elle se retourna ensuite pour regarder à nouveau la note que je tenais. Sur celle-ci se trouvait la véritable signification du mot que j’avais écrit :

« I scream »[5]


[1] Ce volume 1 « Hyouka », a été publié en 2000 et donc avant l’indépendance du Kosovo (2008).

[2] Capitale de la Bosnie-Herzégovine.

[3] Un même nom ou prénom peut s’écrire de plusieurs façons différentes en japonais. Par exemple, Yôko : よう こ, 八子, 呼虹, 夜子… Il existe plusieurs dizaines d’orthographes différentes juste pour écrire “Yôko”.

[4] Jeu de mot original : 猛獣 (bête sauvage, bête de proie)/亡者 (les morts). On a adapté du coup.

[5] Jeu de mot ici avec le mot anglais « Ice cream » (crème glacée/glace) » et « I scream » (je crie). À l’oreille, on entend le même son. On rappelle que hyouka veut dire en japonais quelque chose de glacé comme une crème glacée/Ice cream.

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