Les activités du club prestigieux de littérature
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Traduction : Nyfaline
Correction : Crisx/Raitei
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En y pensant, je me demandai quel était l’objectif du club de littérature ? Les seuls élèves qui auraient pu m’éclairer à ce sujet étaient déjà diplômés, et je ne me voyais pas poser la question à un professeur. Je pouvais demander à ma sœur, mais, malheureusement, elle était à Beyrouth[1]. De toute façon même, bien qu’il soit rare pour un club de ne pas connaître la raison de son existence, de nombreux clubs avaient une existence qui restait un mystère. Ce n’était donc pas la peine de me tracasser à ce sujet.
Cela faisait un mois depuis la résurrection du club de littérature. La salle du club – la salle de géologie – n’était plus un espace privé, mais elle restait tout de même un espace relaxant. C’était une pièce où je pouvais tuer le temps après les cours lorsque je m’ennuyais. Parfois, Satoshi était avec moi et d’autres fois c’était Chitanda ou les deux en même temps. Sinon ce n’était personne ce qui ne changeait pas grand-chose finalement. Nous pouvions choisir de discuter ou de rester silencieux. Satoshi était du genre à pouvoir supporter tranquillement le silence, tandis que notre demoiselle Chitanda elle, gardait son apparence de jeune fille gracieuse, tant qu’elle ne laissait pas exploser sa curiosité.
Pour ces raisons et bien que ça ne soit pas intentionnel, ce club apparaissait plus comme un club de loisir qu’un club scolaire. De cette façon, leur compagnie n’avait rien d’épuisant puisqu’en soi je n’avais pas à m’encombrer de contact humain ; même si Satoshi lui pensait parfois que c’était le cas.
Aujourd’hui était un jour pluvieux et j’étais avec Chitanda dans la salle du club. J’étais adossé contre le dossier d’une chaise, près de la fenêtre, lisant un livre de piètre qualité pendant que Chitanda était assise à l’avant de la pièce, plongée dans un gros livre pour une raison que j’ignorai. On pouvait dire que c’était un après-midi comme les autres après les cours.
En regardant l’horloge, je remarquai que seulement trente minutes s’étaient écoulées. Le temps qui passait inconsciemment était vraiment court.
Même si on pouvait dire que je me sentais assez relaxé, ce n’était pas tout à fait exact. Il était plus juste de dire que c’était parce que je me sentais nerveux et stressé que je devais entrer dans un état de relaxation. Je me forçais consciemment à prolonger mon état de conservation d’énergie aussi longtemps que possible, voilà tout.
Le silence n’était interrompu que par les pages tournées occasionnellement et le bruit de la pluie à l’extérieur.
Moi — …
Je commençai maintenant à être fatigué. Je comptais rentrer dès qu’il arrêterait de pleuvoir.
Booh
Le son d’un livre se refermant retentit tandis que Chitanda qui était assise dos à moi, soupira en déclarant :
Chitanda — Que c’est improductif.
Bien qu’elle ne me regardât pas, il était évident que ses paroles étaient adressées à moi plutôt qu’à elle-même. Bon je n’avais aucune idée de comment réagir à un commentaire aussi soudain. Je tentai quand même ma chance.
Moi — Quoi ? Les récoltes sur les terres de ta famille ?
Chitanda — Celles-ci ont deux récoltes.
La réponse de Chitanda semblait sortir tout droit d’un livre. Elle se tourna vers moi.
Chitanda — Et elles sont semi-annuelles. On ne peut donc pas qualifier ça d’improductif.
Moi — Comme on pouvait s’y attendre venant de la fille d’une famille de propriétaires terriens.
Chitanda — Il n’y a pas de raison d’en faire l’éloge…
Il y eut un bruit de pluie suivi d’un silence.
Chitanda — Ce n’était pas de ça dont je parlais.
Moi — Tu parlais de quelque chose d’improductif.
Chitanda — Oui, c’est ça. C’est improductif.
Moi — Qu’est-ce qui est improductif ?
Le regard droit dans ma direction, Chitanda me présenta toute la pièce en levant son bras droit.
Chitanda — Tout ce temps que nous passons ici après les cours. Il ne semble pas y avoir un quelconque objectif, nous ne faisons rien de productif.
Bien sûr, ce n’était qu’un moyen de tuer le temps, pas de produire quelque chose. Je fermai mon livre et lui fit face.
Moi — Eh bien, je t’écoute. Y a-t-il quelque chose que tu voudrais que le club de littérature fasse ?
Chitanda — Moi ?
C’était un brin mesquin de ma part. Peu de gens savaient quoi dire lorsqu’ils étaient interrogés de façon directe sur ce qu’ils souhaitaient faire. Pour ma part, il y avait au moins une chose dont j’étais sûr, c’était que je ne désirais rien. Néanmoins, Chitanda répondit sans hésitation :
Chitanda — Oui, il y a quelque chose.
Moi — Hum.
Une réponse plutôt rapide. C’était assez surprenant. Avant que je n’aie le temps de demander quoi, elle ajouta :
Chitanda — Mais pour des raisons personnelles.
Eh bien pas besoin d’en demander plus. Chitanda continua ensuite :
Chitanda — Nous parlons du club de littérature. Nous devons tout de même faire quelque chose en lien avec. Nous ne devrions pas juste venir nous asseoir et ne rien faire.
Moi — Très bien, mais nous ne sommes même pas sûrs de la raison d’être du club.
Chitanda — Il y en a une.
Avec l’autorité d’un président de club ou bien l’aura d’un prestigieux membre, Chitanda s’exprima.
Chitanda — Nous allons publier une anthologie cet octobre à l’occasion du Festival culturel.
Le festival culturel ? J’avais déjà eu l’occasion de participer à celui du lycée Kamiyama, je savais donc de quoi il en retournait. Pour faire simple, il s’agissait de l’essence même de la culture des jeunes de cette région. Selon Satoshi, la cérémonie de thé Nodate[2] du festival était fortement recommandée à ceux qui étaient intéressés par cet art. Il y avait aussi un concours de breakdance où l’on pouvait y trouver un nid de futurs professionnels. Un bon nombre de club liés aux arts à tous les niveaux y participaient. Quand elle était encore au lycée, je me rappelais avoir vu ma sœur portant un carton plein d’anthologies jusqu’à l’école à cette occasion.
C’était littéralement la cristallisation du style de vie rose d’un lycéen. Quant à mes impressions personnelles à propos de tout ceci, je pense qu’il valait mieux que je ne dise rien. Disons seulement que « ressentir » était déjà un grand mot, même un petit peu. Une anthologie ? Je réfléchis un instant à sa proposition, posant une question qui me vint naturellement à l’esprit.
Moi — Chitanda, produire une anthologie n’est qu’un résultat, et non la raison d’être du club, n’est-ce pas ?
Chitanda fit non de la tête et répondit.
Chitanda — Non. Si l’objectif du club est de produire cette anthologie, en l’achevant, nous atteignons également la finalité du club lui-même.
Moi — Quoi ?
Chitanda — Comme je l’ai dit, si le résultat est le but lui-même, nous n’avons qu’à concentrer nos efforts sur le résultat, n’est-ce pas ?
Je lui répondis en sourcillant. Je croyais comprendre où elle voulait en venir, mais n’était-ce pas de la tautologie[3] ? Dans tous les cas, une anthologie, ça sonne comme beaucoup de travail. Je n’étais pas sûr à cent pour cent qu’en faire une, ou faire quoi que ce soit d’autre qui implique écrire quelque chose par moi-même requérait beaucoup de travail, mais j’étais sûr d’une chose, c’était que le mieux restait de ne pas avoir à le faire. Que ça soit comme raison d’être ou simple activité de club en elle-même, les deux impliquaient que je fasse quelque chose. Des activités non nécessaires demandaient des efforts supplémentaires, un gaspillage d’énergie.
Moi — Ne faisons pas une anthologie. C’est trop de travail. En plus… trois auteurs c’est un peu trop.
Malgré cela, Chitanda était déterminée dans son choix :
Chitanda — Non, ça doit être une anthologie.
Moi — Si tu veux tant que ça publier quelque chose, nous pouvons préparer un stand d’exposition ou quelque chose comme ça.
Chitanda — Le festival culturel du lycée Kamiyama a dans sa tradition d’interdire les stands d’expositions. Ça doit être une anthologie.
Moi — … Pourquoi ?
Chitanda — Le budget du club mentionne spécifiquement « Publication d’anthologie ». Ce serait gênant que l’on n’en publie pas une.
Chitanda sortit une feuille parfaitement pliée de la poche se trouvant sur sa poitrine et me la montra. Effectivement, pour le budget annuel du club de littérature, la petite somme allouée était spécialement mise en place à l’usage de la « Publication d’anthologie ».
Chitanda — De plus, le professeur Ooide a aussi demandé à ce que l’on en publie une, comme la tradition le veut depuis plus de trente ans. Il ne semblait avoir aucune intention de laisser cela s’arrêter.
Moi — …
En général, les gens raisonnables tendaient à être intelligents. Cela ne signifiait pas pour autant que les gens irraisonnables étaient des idiots. Chitanda n’était sûrement pas idiote, même si elle était clairement irraisonnable. Pour commencer, elle accentuait le volet sentimental plutôt que le volet financier, et avait décidé de l’activité du club en se basant sur la tradition. Et pourtant, je réalisai qu’il était inutile d’essayer d’argumenter contre quelque chose fait au nom de la tradition. Je souris amèrement en me rétractant.
Moi — Ok, ok. Publions une anthologie.
Et ainsi prirent fin sans plus de cérémonie mes jours insouciants et dénués de but. J’étais toujours en bonne santé alors c’était déjà ça. Dehors, il pleuvait toujours. Comme il n’était pas encore l’heure de rentrer, je décidai de lui demander :
Chitanda — Et donc, comment comptes-tu publier cette anthologie ?
Moi — Comment ? Qu’est-ce que tu veux dire ?
Chitanda — Quels genres d’anthologies étaient écrites chaque année ?
Même s’il y avait peu de chances que nous le fassions, j’étais résigné à écrire ce genre d’essais à rallonge : « Critique du Conte des huit chiens[4]« , « Contes de pluie et de lune[5] et rapport avec le rôle de l’empereur dans « Shiramine » ou bien « Ôkagami monogatari[6]« – observations des changements sociaux dans l’œuvre, ainsi qu’une contre-argumentation de celui de l’année précédente. Juste pour être sûr, je devais aussi inclure un appendice, mais même si j’étais prêt à accepter tout ça, ça n’allait pas être au niveau des anthologies précédentes. De toute façon, je n’avais aucune idée du format qu’adoptait cette soi-disant tradition pour ses anthologies.
Cependant, la réponse que je reçus fut négative.
Chitanda — Hum, je ne suis pas sûre. Je me demande ce qu’on devrait écrire ?
J’aurais dû m’y attendre. Vu qu’elle occupait le poste de présidente, j’avais vite oublié qu’elle n’était membre du club que depuis un mois à peu près.
Chitanda — On saura quoi faire en trouvant les anciens numéros.
Moi — Ils devraient être dans les environs. Sais-tu où ils sont ?
Je vois… Je me sentis soudainement pathétique de la suivre dans cette idée. Je pointai rapidement mon doigt en direction du sol pour l’aider.
Chitanda — … Oh ! Nous sommes dans la salle de club.
Exactement.
Chitanda — Même si cela ressemble difficilement à une salle de club…
Elle avait tout juste. Cette salle de géologie n’avait rien d’autre qu’un équipement standard. Tout ce que nous pouvions voir était un tableau noir, des tables et des chaises, ainsi que du matériel de nettoyage. Une salle de classe typique. Il ne semblait pas y avoir un lieu où des livres pouvaient être rangés.
Chitanda — Les anciens numéros ne semblent pas être entreposés ici.
Moi — On dirait bien.
Chitanda — Dans ce cas… devrions-nous aller voir à la bibliothèque ?
Ça me semblait approprié, j’approuvai donc de la tête. Chitanda prit son sac et se leva.
Chitanda — Allons-y.
Sans attendre ma réponse, elle ouvrit la porte et sortit. Elle était très dynamique pour une élégante demoiselle. Ce n’était pas grave, la bibliothèque se trouvait sur le chemin de l’entrée principale qui n’était pas très loin d’ici.
Une minute… Aujourd’hui, nous sommes vendredi. Ce qui signifie que la bibliothécaire de service est…
***
— Ça faisait un moment que je ne t’avais pas vu. Pas que tu m’aies manqué.
Dès mon entrée dans la bibliothèque, on me souhaita immédiatement la bienvenue avec sarcasme. Comme prévu, la personne assise au comptoir n’était autre que Mayaka Ibara. Ibara et moi, ça remontait à longtemps. Nous avions été dans la même classe pendant neuf ans depuis l’école primaire. Elle avait déjà ses traits enfantins à cette époque et cela n’avait que peu changé après son arrivée au lycée. Avec sa petite stature, vous pourriez la trouver mignonne, mais ne vous laissez pas tromper par son apparence. Elle porte tout le temps une arme avec elle.
Si vous baissez votre garde, vous serez accueillis par une rafale de sarcasmes et de commentaires plus ou moins subtils. Certains m’avaient même conseillé de ne pas l’approcher témoignant des mésaventures de certains garçons dupés par son joli minois et s’étant fait descendre sans pitié. Sans parler du fait que vu qu’elle n’admettait jamais ses erreurs. La plupart des gens la prendraient à tort pour quelqu’un d’insensible. Bien que personnellement, je ne croyais pas vraiment à ces ragots à son sujet. J’utilisai l’expression la plus désagréable possible et je lui répondis :
Moi — Hé, je suis venu juste pour te voir.
Ibara — Ce sol sacré est dédié à ceux qui souhaitent s’instruire. Il n’est pas fait pour que tes semblables et toi le fouliez.
Ibara était assise les jambes croisées derrière le comptoir. Puisque le travail du bibliothécaire était de gérer les emprunts et les restitutions de livres, elle n’avait pas grand-chose à faire. Toutefois malgré qu’une de ses responsabilités était de remettre les livres rendus sur leurs étagères respectives, force est de constater que la boite près d’elle qui les contenait était déjà bien remplie. Ibara n’était pas du genre à se laisser aller, elle avait donc sûrement l’intention d’aller les ranger tous en une fois. Elle avait un gros livre en main qu’elle lisait sans doute pour tuer le temps. La bibliothèque était plutôt bondée à cette heure-ci. Il y avait une dizaine de tables pour quatre personnes et chacune d’elle était occupée par un ou deux élèves qui étaient occupés à lire.
Il y avait sûrement parmi eux des gens qui lisaient par loisir et certains devaient aussi être là pour passer le temps jusqu’à ce que la pluie s’arrête. Je remarquai ensuite qu’un des garçons regardait maintenant dans notre direction. Je le reconnus immédiatement, car il ne s’agissait que de l’unique Satoshi Fukube. Satoshi croisa mon regard et se leva, affichant son sourire habituel.
Fukube — Hey, Houtarou, je ne m’attendais pas à te voir ici.
Ibara nous regarda avec un air renfrogné et dit :
Ibara — Toujours très bons copains, vous deux, hein ? Comme on pouvait s’y attendre du Meilleur Couple du Collège de Kaburaya.
Je savais que c’était inutile de lui répondre, mais je glissai quand même un :
Moi — Oh, la ferme.
Ibara répondit simplement par un :
Ibara — Eh bien, t’es un sacré pleurnichard pour quelqu’un d’aussi morne.
Un pleurnichard, hein ? Elle se tourna ensuite vers Satoshi avec une expression détendue.
Ibara — Fuku-chan, tu sais ce je ressens donc tu as compris que je plaisantais, n’est-ce pas ?
Fukube — Ahh, t’en fais pas pour ça Mayaka, je le prends pas mal du tout.
Moi — Tu vas lui laisser l’excuse de la plaisanterie et ignorer tout ce qu’elle dit encore une fois ?
Satoshi me dévisagea avant de regarder ailleurs. Je souris amèrement, car je savais qu’Ibara courait après lui depuis un moment. Je ne savais pas depuis quand ça durait, mais Satoshi n’avait fait qu’esquiver ses avances depuis le temps. Il fit semblant de tousser pour tenter de changer de sujet.
Ibara — Alors, qu’est-ce que le club de littérature vient faire à la bibliothèque ?
Ah oui, je n’étais pas venu rendre visite à Ibara. J’urgeai alors Chitanda de dire quelque chose. Comme quelqu’un sur scène avec le trac, notre demoiselle dit nerveusement :
Chitanda — Ah, hum, bonjour. Puis-je demander quelque chose ?
Ibara — Bien sûr, en quoi est-ce que je peux t’aider ?
Chitanda — J’aimerais savoir s’il y a des anthologies ici à la bibliothèque.
Ibara — Oui, elles sont dans ces étagères là-bas.
Chitanda — Celles du Club de littérature aussi ?
Ibara pencha sa tête d’un côté et réfléchit.
Ibara — Le club de littérature ? … Hum, désolée, je ne sais pas trop. Tu veux que je les cherche pour toi ?
Juste avant que Chitanda puisse exprimer sa gratitude, Satoshi l’interrompit :
Fukube — Tu ne les trouveras pas ici. Je les aurais vues si elles étaient dans ces étagères. Mayaka, tu as un autre endroit en tête ?
Ibara — Hum, si elles ne sont pas dans les étagères, elles doivent être dans les archives.
Fukube — Les archives, hein ?
Satoshi réfléchit un instant avant de demander :
Fukube — Chitanda-san, pourquoi est-ce que tu recherches ces anthologies ?
Chitanda — Nous allons en publier une pour le festival culturel donc nous aimerions nous référer au contenu des anciens numéros.
Fukube — Oh, alors c’est pour le festival Kanya ? Je ne savais pas que tu t’intéressais à ce genre de choses, Houtarou.
Intéressé, moi ? On m’avait forcé oui. D’ailleurs, Chitanda n’avait même pas besoin que je sache quelque chose à ce sujet. Attendez, quel festival ?
Moi — Satoshi, comment viens-tu d’appeler le festival culturel ?
Fukube — Le Festival Kanya. Tu ne savais pas ? C’est le petit nom du festival culturel du lycée Kamiyama.
Un surnom, hein ? Un peu comme le festival Sophia de l’Université Sophia ou le Festival Mita de l’Université Keio ? Mais comme pour l’histoire des « Clans Montants », j’avais un peu de mal à y croire.
Moi — Un peu douteux. C’est vrai ce que tu dis ?
Fukube — Bien sûr que c’est vrai, bien que le surnom ne soit pas officiel. Tous mes senpais du club d’artisanat l’appellent comme ça. Ce n’est pas pareil dans ton club de mangas, Mayaka ?
Alors Ibara était membre du club de mangas ? Bien que ça collait avec son image, je trouvais quand même cela inapproprié.
Ibara — Oui, tout le monde l’appelle le festival Kanya. Même les membres du comité du festival l’appellent comme ça.
Moi — Kanya ? Avec quels kanjis tu écris ça ?
Satoshi mit sa main sur son menton et dit :
Fukube — Aucune idée. Tout le monde l’appelle juste comme ça.
Il semblerait que Kanya soit bien le surnom du festival. Néanmoins, je ne connaissais aucun mot qui se prononçait comme ça. Pas grave, trouver l’étymologie de ce genre de noms était sûrement un travail en soi. Plongé dans ses pensées, Satoshi ajouta :
Fukube — Peut-être que Kamiyama était abrégé « Kanyama » avant devenir « Kanya ».
Voilà le genre de commentaire qu’on pouvait attendre d’un expert en savoir inutile. Alors que nous dérivions du sujet initial, Ibara nous ramena avec force sur la bonne voie.
Ibara — Bon alors, des anthologies, c’est ça ? On les trouvera sûrement en cherchant dans les archives. Mais la gérante de la bibliothèque est en réunion et on ne peut pas entrer dans les archives sans sa permission. Elle devrait être de retour dans une demi-heure. Vous voulez l’attendre ?
Une demi-heure, hein ? Même Chitanda n’était pas particulièrement pressée de mettre la main sur les anthologies. Elle se tourna vers moi et chuchota :
Chitanda — Que fait-on maintenant ?
Les deux options me satisfaisaient, mais je remarquai qu’il pleuvait encore beaucoup. La météo avait bien dit que cela devait s’arrêter quelque part dans l’après-midi et que nous aurions un ciel étoilé cette nuit. Mais ça n’avait pas l’air de vouloir s’arrêter alors nous n’avions d’autre choix que d’attendre.
Moi — Attendons.
Chitanda — Alors que tu pourrais rentrer ?
Je décidai de reprendre la lecture de mon roman de piètre qualité à la page où je m’étais arrêté. Satoshi tira sur le manche d’Ibara avant de lui dire :
Fukube — Mayaka, et si tu racontais à Houtarou ce que tu m’as raconté plus tôt ?
Ibara sourcilla et réfléchit un moment avant d’accepter.
Ibara — D’accord. Oreki, ça t’arrive de vouloir exercer tes neurones de temps en temps ?
Jamais. Toi non plus Ibara d’ailleurs.
Chitanda — De quelle histoire parlez-vous ?
Satoshi répondit à la question de Chitanda, son sourire habituel placardé sur son visage.
Fukube — Celle du livre populaire que personne ne lit jamais.
***
Ibara — Comme vous le savez, je suis de service à la bibliothèque tous les vendredis après les cours, et j’ai découvert récemment que le même livre était rendu toutes les semaines durant cette période. Cette semaine, ça fait la cinquième fois de suite. Vous ne trouvez pas ça bizarre ?
Ibara commença son explication pendant que j’étais occupé à chercher un bureau où m’asseoir et lire mon livre. Malheureusement, il n’y avait plus aucune chaise de libre. Je m’assis à la table que Satoshi occupait un peu plus tôt. Comme elle était proche du comptoir, j’entendais Chitanda et Ibara.
Chitanda — Est-ce le livre populaire ?
Ibara — Est-ce que ça a en a l’air ?
Ibara brandit le gros livre qu’elle avait en main.
Chitanda — Oh, il est très beau…
Chitanda montra son admiration avant de diriger son regard vers moi. L’expression enchantée de notre demoiselle laissait croire que je venais de lui offrir un livre magnifiquement relié. Le livre était rattaché à une couverture de cuir décorée de motifs finement détaillés. Sa couleur bleu sombre laissant une aura de solennité s’en dégager. Le titre était « Lycée Kamiyama : En marche ensemble depuis 50 ans« . Le livre était non seulement gros, mais également grand dans ses deux autres dimensions.
Chitanda — Puis-je y jeter un coup d’œil ?
Ibara — Bien sûr.
Ayant sorti mon roman de mon sac, je cherchai alors la page que j’avais lue en dernier. Mais la vue de mon livre fut vite remplacée par celle de pages d’une grande qualité. C’était Chitanda qui après avoir ouvert le livre mentionné plus tôt le plaça par-dessus mon roman dans le but de me le montrer. Bien que je ne fusse pas particulièrement intéressé, je ne l’ignorai pas pour autant. Je jetai rapidement un œil au contenu. Rien d’autre qu’une brève description de l’histoire de l’école, comme suit :
1972
Évènements au Japon et dans le monde
- 15 mai : Retour de la souveraineté d’Okinawa. Établissement de la préfecture d’Okinawa.
- 29 septembre : Signature du Communiqué conjoint entre la Chine et le Japon. Normalisation des relations diplomatiques entre les deux pays.
- Inflation soudaine du prix des terrains et des commodités cette année.
Évènements au Lycée Kamiyama
◯ 7 juin : Première victoire du club de tir à l’arc au tournoi préfectoral de bienvenue.
◯ 1er juillet : Annulation de l’excursion des élèves de seconde à cause d’un typhon.
◻ 10 au 14 octobre : Festival culturel.
◻ 30 octobre : Festival sportif.
◻ 16 au 19 novembre : Excursion des élèves de première – à Sasebo (Nagasaki).
◻ 23 au 24 janvier : Sortie au ski pour les élèves de seconde.
◯ 2 février : Cérémonie d’hommage pour l’élève de seconde, Naoto Ooide, décédé dans un accident de la route.
Le livre était rempli de ce genre de détails. Cela demandait un certain nombre de compétences pour explorer tout ça. Je ne comptais pas emprunter le livre chaque semaine pour tout lire, mais si quelqu’un le faisait, ça ne m’étonnerait pas.
Ibara — Houtarou, tu étais en train de penser que ça ne t’étonnerait pas que quelqu’un emprunte ce livre chaque semaine, pas vrai ?
Arrête de lire dans ma tête, foutu télépathe ! Ne me voyant pas réagir, Ibara gonfla sa poitrine, particulièrement modeste au passage, et dit :
Ibara — Ce n’est pas aussi simple. Tu empruntes rarement des livres ici donc tu n’es pas au courant, mais écoute bien : un livre peut être emprunté jusqu’à deux semaines consécutivement. Il n’est donc pas nécessaire de rendre un livre après une semaine si c’est pour le réemprunter la fois suivante.
Chitanda — Et pourtant ce livre a été rendu chaque semaine.
Je vois. C’était en effet assez bizarre.
Chitanda — Y a-t-il moyen de savoir qui a emprunté le livre ?
Ibara — Bien sûr. Regarde la liste détaillant l’historique d’emprunt derrière la couverture.
Chitanda tourna promptement la couverture et regarda la liste.
Chitanda — Hum ?
Elle retint son souffle.
Moi — Qu’y a-t-il ?
Il y avait les noms et les dates d’emprunt, mais c’était autre chose qui retenait son attention. Elle pointa ainsi du doigt les noms y figurant. Kyouko Machida, 1ère D l’avait emprunté cette semaine. La semaine dernière, Misaki Sawakiguchi, 1ère F, il y a deux semaines, Ryôko Yamaguchi, 1ère E, il y a trois semaines, Saori Shima, 1ère E et il y quatre semaines, Yoshie Suzuki, 1ère D.
Moi — En gros, il est emprunté chaque semaine par une personne différente ?
Chitanda — Ce n’est pas tout.
Elle me montra les dates. En y regardant de plus près, la date la plus récente était aujourd’hui. Et le précédent emprunt datait d’il y a exactement sept jours.
Moi — Le livre est emprunté le vendredi.
Chitanda — Exactement. Le livre est emprunté et rendu le même jour. Cette Kyôko Machida l’a emprunté un peu plus tôt aujourd’hui puis l’a rendu. La même chose est arrivée avec les autres ces cinq dernières semaines. On peut aussi voir à quelle heure ils l’ont emprunté. Toujours à l’heure du déjeuner. L’emprunter pendant le déjeuner et le rendre après les cours… Où ont-ils trouvé le temps de le lire ?
Moi — …
Ibara — Alors, curieuse ?
Remettant le livre dans les mains d’Ibara, Chitanda fit un doux oui de la tête.
Chitanda — Oui… Ça m’intrigue beaucoup.
Elle dit cela avec un ton plus ferme que d’habitude. Comme la dernière fois, on croyait voir ses pupilles grandir, laissant transparaître un grand intérêt.
Ibara — Pourquoi ?
Grace au mystère d’Ibara, la flamme de curiosité de notre demoiselle venait d’être allumée. Satoshi n’allait sans doute être d’aucune utilité pour éteindre ce feu lui préférait jouer l’idiot en prétendant ne rien savoir. Je décidai de reprendre ma lecture, mais j’étais naïf, car je n’avais pas vu cette lance pointée directement vers moi. Encore une fois, Chitanda plaça le gros livre sur mon roman et dit :
Chitanda — Qu’en penses-tu, Oreki-san ?
Moi — Hum ? Moi ?
Au lieu de son habituel sourire bienveillant, c’était avec un sourire taquin que Satoshi me regardait. Je réalisai alors ce qui venait d’arriver. Son plan pour m’embarquer dans son piège était un franc succès. Maudit soit-il, lui et ses idées.
Fukube — Réfléchissons-y ensemble.
Moi — …
Chitanda — Toi aussi, Oreki-san ?
Pourquoi ? Pourquoi moi ? Bien que je n’eusse rien contre la grande curiosité de Chitanda et que Satoshi avait quelques bonnes qualités que je voulais bien admettre, pourquoi devais-je rentrer dans son jeu pour une blague de ce genre ? Mais la situation était devenue telle que tenter de ne pas participer allait s’avérer plus fatiguant. Je n’avais d’autre choix que de répondre.
Moi — Ouais… J’imagine que c’est intéressant. Je vais y réfléchir.
Ibara se mit à côté de Satoshi et lui demanda :
Ibara — Fuku-chan, est-ce qu’Oreki est futé ?
Fukube — Pas du tout. La plupart du temps, on ne peut pas se fier à lui, mais parfois il peut se montrer à la hauteur.
Et maintenant ça faisait son impertinent ?
Je me mis donc à réfléchir.
***
Pour qu’un livre soit emprunté et rendu le même jour cinq semaines consécutives par cinq personnes différentes, la possibilité d’une coïncidence n’était certes pas à éliminer complètement, mais je ne voulais pas croire que tout cela soit ficelé par je ne sais quel sort du destin. De toute façon, Chitanda n’accepterait pas cela comme explication valide. Son approbation était plus importante que la vérité.
On pouvait donc déjà se débarrasser de cette théorie. Il était également clair que le livre n’avait pas été emprunté dans le but d’être lu. Ceux qui l’avaient emprunté n’auraient pas eu le temps de le lire entre l’emprunt à la pause déjeuner et le retour à la bibliothèque après les cours. En y réfléchissant, il était plus logique de l’emmener chez soi ou de juste le lire à la bibliothèque après les cours. Et dans le second cas, il n’y avait même pas besoin de l’emprunter du tout. Par conséquent, ce livre n’était pas emprunté pour son usage d’origine.
Moi — Mais si le livre n’est pas emprunté pour être lu, pourquoi en avaient-ils besoin ?
Chitanda répondit :
Chitanda — Il est lourd, peut-être qu’ils s’en servent pour compresser des légumes marinés
Fukube — Peut-être qu’ils s’en servent comme bouclier, un truc dans le genre ?
Ibara — Il est épais, il sert sûrement d’oreiller.
Je n’aurais jamais dû vous poser la question. Je décidai de changer d’approche. Pourquoi le livre était-il emprunté par une personne différente chaque semaine ? En omettant la possibilité d’une coïncidence, il nous restait deux points à envisager. D’abord, les filles ne semblaient pas avoir quoi que ce soit en commun, mais il était clair qu’elles s’en servaient le vendredi après-midi pour un rituel quelconque et l’empruntait chacune à son tour. Pour quel rituel donc ? De la bonne aventure ? Quelque chose comme « votre porte-bonheur du mois est l’Histoire de l’École. Si vous empruntez ce livre chaque vendredi après-midi et le rendez le même jour, vous rencontrerez l’homme de votre vie » ?
Non… C’était trop stupide.
Il nous restait donc le second point, le fait que ces filles avaient bien quelque chose en commun. Un coup d’œil à leurs noms révélait qu’elles étaient clairement toutes des filles. Mais ce n’était pas suffisant pour déduire quoi que ce soit. Dans ce lycée, si l’on choisissait cinq personnes au hasard, on pouvait facilement tomber sur cinq filles. De plus, les personnes de même sexe avaient tendance à se rassembler naturellement. Leur autre point commun était qu’elles étaient en première malgré les classes différentes.
Hum… ? Maintenant que j’y pense…
Fukube — Qu’est-ce qu’il y a ? Quelque chose t’est venu à l’esprit ?
Même si c’était le cas, ma réflexion venait d’être réduite en pièces grâce à l’interruption de Satoshi. Où en étais-je ? Je recommençais à partir du début.
Moi — Il doit bien y avoir un signe. Par exemple… peut-être qu’elles communiquaient secrètement les unes avec les autres en rendant le livre face vers le haut pour « oui » et face vers le bas pour « non ».
Chitanda — Elles se disaient quoi au juste ?
Moi — Ce n’est qu’un exemple. Ça pourrait très bien être autre chose.
Chitanda commençait à réfléchir, sa tête penchant sur un côté. Très bien, digère tranquillement tout ça. Mais celle qui me contredit ne fut pas Chitanda, mais Ibara.
Ibara — Ce n’est pas possible, regarde.
Ibara pointa la boîte des livres rendus pleine de livres empilés. Je vois, il n’y avait aucun moyen de savoir dans quel sens le livre était rendu. La seule personne qui pouvait le savoir était celle qui ouvrait la boîte, à savoir la bibliothécaire de service. Mince alors, n’importe quelle idée peu réfléchie était facilement contrecarrée par Ibara, mais rien de concret ne me venait à l’esprit. Il y avait peut-être un double de la clé ouvrant la boîte, mais je n’avais aucun moyen de le savoir, il nous fallait un autre indice. Je regardai l’ouvrage relié et décoré avec goût dans les mains d’Ibara et me demandai si je pouvais y trouver une sorte d’acte de cession.
Soudainement, Chitanda pénétra mon champ de vision. Elle aventura son tronc au-dessus du comptoir et fixa profondément le livre qu’Ibara tenait près de sa poitrine.
Ibara — Eh ? Eeh ?
Ibara fut sidérée par sa réaction. Je connaissais ce sentiment.
Moi — Qu’y a-t-il, Chitanda ? Tu as trouvé des symboles cachés entre les lignes de la couverture ?
Chitanda répondit sans modifier sa posture :
Chitanda — … Ce livre… Il y a une sorte d’odeur dessus.
Moi — Vraiment ? Ibara, je peux te l’emprunter ? … Je ne sens rien.
Chitanda — Non, j’en suis sûre.
Fukube — Le livre lui-même ne devrait pas avoir d’odeur. Peut-être l’odeur de l’encre, ou celle de la bibliothèque ?
Chitanda hocha la tête à la suggestion de Satoshi. Ibara et Satoshi sentirent à leur tour le livre, mais ne détectèrent rien de particulier. Ils froncèrent les sourcils et hochèrent leur tête, perplexes.
Chitanda — Je ne saurais pas dire à quoi cela correspond, mais l’odeur était forte, comme du diluant pour peinture.
Fukube — Ne parle pas de choses aussi dangereuses.
Chitanda — Ça l’est tant que ça ? … Je n’en sais trop rien.
Moi non plus, mais j’avais l’impression que Chitanda était dans le juste. Catégorique comme elle était, c’était probable. Et je n’aurais jamais pensé qu’elle dirait que c’était du diluant pour peinture. En supposant qu’elle ait raison, alors… Hum. Je pensais bien à quelque chose, mais cela allait être ennuyeux de tout expliquer. Pendant que je réfléchissais à comment aborder la suite, Satoshi avait déjà lu dans mes pensées et dit :
Fukube — Houtarou, ta tête me dit que tu as compris quelque chose.
Ibara — Hein ? Oreki a compris, lui ?
Ibara se tourna vers moi, complètement sceptique. J’opinai du chef et répondis honnêtement :
Moi — À peu près. Je ne suis pas complètement sûr… Chitanda, tu voudrais faire un peu d’exercice en allant quelque part pour moi ?
Chitanda était probablement du genre à foncer tête baissée une fois qu’elle savait où aller, mais Satoshi la stoppa en souriant.
Fukube — Ne te laisse pas berner, Chitanda-san. Tu ne voudrais pas devenir le coursier d’Houtarou n’est-ce pas ? C’est exactement ce qu’il souhaite. Alors, dis-nous quel endroit tu avais en tête.
Comme c’est blessant. Satoshi avait tendance à en dire un peu trop quand Ibara était dans les parages. Mais bon, il n’avait pas vraiment tort, cela me déplaisait à peine. Il était clair que je ne faisais pas quelque chose sans avoir quelqu’un sur qui m’appuyer.
Moi — Très bien, je viens aussi. Il n’y a pas eu d’éducation physique à cause de la pluie, alors j’ai encore un peu d’énergie.
Chitanda m’emboita le pas. Puis alors…
Ibara — Hum, je viens aussi alors. Je serais un peu surprise si Oreki avait vraiment réussi à résoudre ça… Fuku-chan, tu veux bien prendre ma place au comptoir en attendant ?
Ibara quitta l’arrière du comptoir. Satoshi avait l’air éberlué quand il répondit un « Oh, d’accord. » et se tut tout en s’installant derrière le comptoir.
Je ne l’avais pas vu aussi triste depuis longtemps.
***
Après avoir obtenu satisfaction de nos résultats, nous retournâmes à la bibliothèque.
Fukube — Alors, comment c’était ?
Ibara — Fuku-chan, Oreki est un peu étrange.
Fukube — Bien sûr qu’il l’est. Tu ne savais pas ?
Ibara — Comment a-t-il pu comprendre tout ça…
Elle semblait troublée, marmonnant des « comment » à répétition. C’était comme si elle me voyait comme un vainqueur à l’aura étincelante, même s’il avait fallu un peu de chance sur ce coup-là.
Chitanda — Oreki-san est vraiment surprenant. Je suis très curieuse de savoir ce qu’il y a dans sa tête.
L’image de Chitanda me lobotomisant dans les sous-sols d’un château (gothique) durant une nuit de tempête me vint à l’esprit. Rien que de l’imaginer me fit froid dans le dos. En m’abstenant de le mentionner à voix haute, la capacité de Chitanda à flairer une odeur aussi faible que personne d’autre n’avait pu sentir restait un mystère pour moi.
Chitanda — Peut-être qu’Oreki-san pourrait…
Je pourrais quoi ? S’il te plait, ne me dis pas que je pourrais servir de composant pour un cyborg. En échangeant à nouveau de places avec Ibara, Satoshi demanda :
Fukube — Alors, écoutons les explications maintenant. Où est-ce que vous êtes allés, Houtarou ?
Posant mes coudes sur le comptoir, je répondis :
Moi — La salle de préparations des arts.
Fukube — La salle d’art ? À l’autre bout de l’école ?
Moi — Voilà pourquoi je ne voulais pas y aller tout seul.
Fukube — Qu’est-ce que vous avez trouvé là-bas ?
Moi — Écoute donc.
Je répétais ce que j’avais expliqué à Chitanda et Ibara plus tôt.
Moi — Ce livre était utilisé entre la cinquième et la sixième période de la journée chaque vendredi, probablement pendant ces deux périodes entièrement. Tout d’abord, il y avait aucune raison pour ces filles de se servir d’un livre aussi gros pendant la pause déjeuner, le lire est également hors de l’équation. Par conséquent, le livre était utilisé pendant un cours impliquant différentes classes d’une même année.
Mes pensées avaient auparavant atteint ce point avant d’être dispersées par Satoshi. C’était également la raison de pourquoi Chitanda connaissait mon nom après m’avoir vu une unique fois. Où m’avait-elle vu ?
Moi — Cela ne peut être que l’éducation physique ou les arts. Peu importe sous quel angle on aborde la question, un tel livre n’a d’utilité pour personne dans un cours d’éducation physique. Jette un œil à la couverture du livre. Quelque chose semble s’être accumulé dessus ; tu vois cette jolie teinte de couleur ? Ces cinq filles l’utilisaient pour leur cours, et l’empruntaient à leur tour chaque semaine.
Satoshi m’interrompit et dit :
Fukube — Mais je ne comprends pas pourquoi elles l’empruntent chaque semaine alors qu’elles ont deux semaines en soi.
Moi — Ne répète pas les mêmes choses qu’Ibara. Vous devez vraiment bien vous entendre pour poser les mêmes questions. Satoshi, est-ce que tu garderais un livre que tu n’as aucunement l’intention de lire ? Il est plus facile de le rendre à la bibliothèque que de le ramener chez soi.
Fukube — Je vois… Et qu’est-ce que tu leur as montré sur place ?
Moi — Tu as sûrement déjà deviné maintenant. Des tableaux, peints par les élèves de 1ère D, E et F, qui ont leur cours d’art ensemble.
Sur place, il y avait diverses peintures dans des styles variés, mais d’objets similaires. Des portraits de camarades, assis à côté d’une table décorée d’une fleur. Et dans la main de chaque fille, il n’y avait rien d’autre que l’élégant livre « Lycée Kamiyama : En marche ensemble depuis 50 ans ». L’œuvre était plutôt détaillée, et artistiquement, plutôt enchantante.
Fukube — Impressionnant, Houtarou. Alors, l’odeur que Chitanda-san a sentie ?
Moi — L’odeur de la peinture, évidemment. Elle l’avait également compris, la salle d’art est pleine d’équipement pour peindre après tout.
Satoshi applaudit sans réserve.
Fukube — Waouh, c’était fantastique. Je me suis bien amusé, merci à toi !
Chitanda sourit gentiment en approuvant.
Chitanda — Oui, c’était super. Le temps est passé vraiment vite.
Ibara — Je ne sais même plus combien de temps est passé depuis le début… Je ne peux pas croire qu’Oreki ait pu résoudre ça !
Bien qu’ils eussent tous l’air abasourdis, ce n’était pas mon cas. Ibara était celle qui avait remarqué l’événement étrange au départ, la curiosité de Chitanda l’avait poussée à investiguer et Satoshi l’avait juste suivi pour s’amuser ; tous différents de moi. Alors qu’ils faisaient une catharsis[7], je commençais à me demander si j’aurai une réaction similaire en abordant le Festival Kanya. Comment dire… Oh, passons. La pluie s’amenuisait. Il était l’heure de rentrer. Alors que je m’apprêtai à prendre mon sac, Chitanda m’interrompit.
Chitanda — Ah, nous devons attendre.
Moi — Quoi ? C’est pas fini ?
Je remarquai que Satoshi et Ibara me fixaient froidement. Avais-je commis une erreur ?
Ibara — Oreki, qu’est-ce que tu étais venu faire ici ?
Résoudre le mystère du livre populaire que personne ne lit… Non, attendez ! c’est vrai ! Les anthologies. Satoshi se mit à rire.
Fukube — Ne lui en voulez pas. Des fois, il lui manque quelques cases.
Ibara — Quelques ? T’es trop gentil, Fuku-chan.
Argh, j’avais agi stupidement devant ces deux-là. Ibara avait l’air de vouloir en rajouter une couche quand une voix vint de derrière le comptoir.
— Merci pour ton travail, Ibara-san. Tu peux rentrer maintenant.
Ibara — Ah, merci bien. Vous partez aussi, Itoikawa-sensei ?
C’était une enseignante. Bien que je ne l’aie jamais rencontrée auparavant, je savais qu’elle supervisait la bibliothèque. Pour une femme dans la cinquantaine, elle n’était pas très grande. Un coup d’œil à son badge révélait son nom complet : Youko Itoikawa. Satoshi ne perdit pas de temps une fois la gérante arrivée.
Fukube — Sensei, je suis Satoshi Fukube du club de Littérature. Nous voudrions publier une anthologie et nous aurions besoin des numéros précédents pour nous en servir comme référence. On ne les trouve pas dans les étagères, donc nous aimerions les rechercher dans les archives.
Mme. Itoikawa — Le club de littérature ? Des anthologies ?
Itoikawa semblait surprise et le volume de sa voix monta d’un cran. Elle devait penser que le club avait été démantelé.
Mme. Itoikawa — Vous êtes du club de littérature ? Je vois… Je suis désolée, mais la bibliothèque ne conserve à ce que je sache, aucune des anthologies dont vous parlez.
Fukube — Eeh, et dans les archives ?
Mme. Itoikawa — Non plus.
Fukube — Peut-être qu’elles ne sont juste pas connues…
Mme. Itoikawa — Je doute que cela soit le cas.
Étrangement, elle était plus qu’affirmative, mais je ne voyais pas pourquoi elle nous cacherait quelque chose. Peut-être que les archives avaient été réorganisées récemment ? Après avoir reçu une réponse négative, Satoshi n’eut d’autre choix que d’abandonner.
Fukube — Je vois, je comprends… Qu’est-ce que l’on fait maintenant, Chitanda-san ?
Chitanda — … C’est en effet troublant.
Chitanda me regarda l’air déprimée. Même si tu me fais ces yeux, je ne peux que hausser des épaules.
Moi — Je suis sûr que nous finirons par les trouver. Rentrons.
Alors que je ramassais mon sac, Ibara ajouta froidement :
Ibara — Toi t’es vraiment décontracté. Te détendre comme ça après avoir résolu cette histoire.
Avoir résolu le problème n’avait rien à voir avec le fait d’être totalement détendu.
T’es à côté de la plaque, Ibara.
Voilà ce que je pensais, mais il était inutile de le dire à voix haute. Je me contentai d’un haussement d’épaules.
Chitanda — Oui, tu as raison. Rentrons… Ça en valait déjà la peine.
Je n’avais pas vraiment compris sa phrase, mais nous n’avions plus rien à faire ici dans tous les cas.
Je portai enfin mon sac à mon épaule et quittai les lieux, voyant que la pluie avait pris fin. Me tournant et regardant autour de moi, je pus entendre Chitanda chuchoter à nouveau la même chose que tout à l’heure.
Chitanda — C’est vrai. Oreki-san pourrait…
[1] Capitale du Liban
[2] Cérémonie où l’on boit du thé en plein air. Les gens préparent du thé vert et le dégustent ensemble.
[3] Procédé par lequel une phrase ou un effet de style est tourné afin d’être forcément vrai. En gros ici, Houtarou trouve que Chitanda saute le problème de trouver la raison d’être du club en énonçant que sa raison d’être est de faire des anthologies comme ça pas à réfléchir à « mais est-ce que ça va vraiment dans l’éthique du club à la base ? » puisqu’on suppose déjà que c’est le cas.
[7] Procédé du théâtre. Pour expliquer simplement dans ce passage, c’est le fait d’étaler ses émotions de manière incontrôlée. C’est la purgation des émotions, le fait de tout relâcher.