CLASSROOM Y2 V9,5 Chapitre 2


Petit pressentiment

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Traduction : Raitei
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J’enfilai des vêtements de tous les jours que je n’avais pas portés depuis un bail à cause de l’uniforme et versai de l’eau chaude dans une tasse. Remarquant un peu de lumière par la fenêtre, je décidai d’ouvrir le rideau.

Moi — Il pleut encore…

La pluie qui ne s’était pas arrêtée de la journée hier, s’était transformée en grêle et avait continué toute la nuit. Cela n’était pas continu et les prévisions annonçaient une accalmie dans l’après-midi, mais le soir, c’était une tempête de neige qui était prévue. Les jours enneigés allaient ainsi durer quelque temps.

Moi — Je comprends mieux pourquoi il fait plus froid.

C’était la saison où l’on pouvait vraiment apprécier un bon café chaud et c’est ce que je fis, debout dans la cuisine, avec une tasse de café que je venais tout juste de préparer. Dans l’autre main, j’avais mon portable où je faisais défiler divers produits afin de regarder les prix. J’ignorais jusqu’à hier soir que le centre commercial diffusait des publicités sur notre intranet et aujourd’hui était le dernier jour du rush de Noël. Il y avait donc pas mal de d’articles mis en avant pour l’occasion. J’avais découvert cette info totalement au hasard d’ailleurs, dans le chat groupé de la classe qui était très actif. Chacun partageait ses expériences ou informations utiles, mais ce n’était pas le cas d’Ike et Shinohara ces derniers temps. Même s’ils étaient tous les deux dans le chat, aucun d’entre eux n’avait lu de message depuis presque une journée alors que le fil était bien animé.

S’agissait-il d’une coïncidence ou étaient-ils ensemble ? Naturellement, la seconde option était la plus plausible et c’était ce qui semblait ressortir des avis des gens dans le chat. Certains essayèrent même de les appeler que ce soit par jalousie ou taquinerie, mais on tombait directement sur le répondeur. Les sujets changeaient très vite et à mon grand étonnement, la conversation dura des heures. Ce qui avait surtout attiré mon attention c’était la grande vente de Noël qui allait avoir lieu.  

Moi — Wow… même l’électroménager a de bonnes promos.

Faisant attention à ne pas me brûler, je buvais lentement mon café tout en faisant défiler l’écran.

Il y avait des produits populaires notamment chez les garçons comme des consoles et des jeux ainsi que des produits de première nécessité comme des sèche-cheveux, des brosses à dents électriques et une vaste sélection d’appareils et ustensiles de cuisine comme des mixeurs et des hachoirs. Ces derniers temps, je cuisinais bien plus souvent alors mon intérêt pour ces derniers était logique. Mais pour une raison que j’ignorais, je fus attiré par une yaourtière. C’était l’occasion de l’acheter. Même s’il fallait faire attention à ses dépenses, le produit s’utilisait sur du long terme. Je me demandais tout de même le nombre de fois où j’allais consommer du yaourt pour le restant de ma scolarité afin de questionner la rentabilité.

Mais c’était futile de penser de la sorte, car cette yaourtière me faisait vraiment de l’œil. Le fait que je veuille l’utiliser était tout ce qui importait, car si on faisait en fonction du rapport prix-utilisation, ce n’était pas rentable.  Plus j’y réfléchissais, moins j’étais susceptible de l’acheter alors il fallait que je craque vite, d’autant plus que c’était en promo avec un stock limité. Le public cible du Keyaki étant les lycéens, il était normal que ce ne soit pas en grande quantité. Qui plus est, selon le chat, cette grande vente de Noël avait fait un carton l’an dernier au point que tout se soit vendu.

Moi — Que faire ?

Honnêtement, je n’avais aucune expérience dans ce genre de vente.

Moi — J’y vais ou je reste en observation ?

Alors que je réfléchissais à tout cela, un message me fut notifié.

Ichinose Salut, je peux t’appeler après si c’est ok pour toi ?

Était-elle prudente, pensant à la possibilité que Kei soit rétablie et à mes côtés ? Non… Ichinose savait très bien qu’elle ne se remettrait pas de sa grippe en si peu de temps. Ce n’était probablement que de la convenance. Je décidai de lui passer un coup de fil pour stipuler que ça allait pour moi.

Ichinose —Tu es libre là ?

Moi — Oui, pourquoi ?

Ichinose — Hum, tu as prévu des trucs aujourd’hui, Ayanokôji-kun ?

Moi — Pas spécialement.

Ichinose — Je vois. Karuizawa-san ne s’est pas encore rétablie, hein ?

Moi — C’est sûr qu’avec une grippe, il faut un peu de temps.

Ichinose — J’aimerais lui rendre visite, mais on ne peut pas vraiment.

Moi — Oui, l’établissement déconseille tout contact inutile.

Au vu des cas de grippe, l’administration avait envoyé des mails à tous les élèves et au personnel de manière générale stipulant qu’il fallait éviter de rentrer en contact avec les personnes malades et de sortir que si nécessaire.

Moi — Je surveille de près la situation au cas où.

Ichinose — Oh, c’est rassurant.

Elle semblait sincèrement soulagée.

Ichinose — Tu as prévu d’aller au Keyaki aujourd’hui ?

Moi — Eh bien, je pensais y aller plus tard, mais si tu veux me parler de quelque chose, on peut se fixer un rendez-vous là-bas.

Ichinose — Pas la peine. Ça peut paraître ridicule, mais tout ce que je voulais savoir c’est si tu comptais y aller aujourd’hui, rien de plus.

Moi — Si je disais que c’était très probable, ça t’irait comme réponse ?

Ichinose — Oui, c’est suffisant. Merci.

Après cela, elle ajouta une dernière chose.

Ichinose — Si jamais tu as besoin d’aide, fais-moi signe. Je veux vous soutenir Karuizawa-san et toi comme il le faut.

L’appel se termina rapidement sans que je ne sache ce qu’elle voulait savoir. Regardant l’heure, je finis par prendre une décision.

Moi — Ok…

Il était 9h45, moment idéal pour quitter le dortoir. C’était également l’heure d’ouverture du centre commercial. Compte tenu de l’appel d’Ichinose, je décidai de prendre les devants pour mettre les chances de mon côté. Je comptais ainsi cibler la boutique où se trouvait la yaourtière et partir aussitôt après l’avoir acheté pour ne pas succomber au marketing.

Je laissai la tasse de café vide sur l’évier et me dirigeai vers la porte.

Il était temps de commencer la mission.

1

Ce même jour, à 9h55, j’arrivai au Keyaki. À l’entrée la plus proche du dortoir, il y avait cinq filles et deux garçons qui patientaient pour l’ouverture du magasin. Parmi les filles, il y avait un groupe de trois et un groupe de deux, et elles ne semblaient pas plus intéressées que ça par la guerre à venir, trop absorbées par leurs conversations. Quant aux garçons, il y avait un seconde et un terminal et les deux étaient concentrés sur leur téléphone. Ils devaient sûrement agir chacun de leur côté, n’attendant personne.

S’il était possible qu’ils se rendent dans la boutique que je visais au vu du matériel électronique et électroménager, il était difficile de croire qu’ils se jetteraient sur une yaourtière. Le seconde, légèrement en surpoids et portant des lunettes, tenait son téléphone à l’horizontale de ses deux mains tout en tapant l’écran sans relâche. Il devait sûrement être là pour le rayon jeux-vidéo de la boutique, mais je ne pouvais pas m’empêcher de ressentir un étrange sentiment de malaise. Pourquoi mes camarades de classe n’étaient pas là ? Je sortis mon portable pour regarder le chat de groupe si animé hier.

Dans le chat, nombreux sont ceux ayant déclaré vouloir venir dans cette boutique. Il y avait notamment le message enthousiaste de Hondô concernant un article longtemps désiré qui était enfin disponible à la vente. Je n’étais pas intéressé par le produit en question, mais il semblait que la concurrence allait être rude. C’est ainsi que beaucoup exprimèrent leur inquiétude quant à l’évènement, stipulant qu’il fallait y aller à la première heure. Il était maintenant 9h56. L’heure d’ouverture approchait, mais je ne voyais Hondô nulle part, ni aucun autre camarade. Ce n’était pas normal.

Moi — Que se passe-t-il au juste ?

Il était étrange que les élèves intéressés ne soient pas déjà là d’autant plus que les sept personnes ici présentes ne témoignaient ni inquiétude ni excitation. La bataille allait normalement faire rage. Pouvaient-ils se vraiment se permettre de jouer ou de discuter tranquillement ? Pour ne pas me laisser envahir par le malaise, je décidai d’aller y voir plus clair.

Moi — Je peux te demander quelque chose ?

L’élève de seconde leva les yeux, agacé. Il était effectivement en train de jouer à un jeu et il appuya sur pause. Je ne voulais pas le déranger, mais je n’avais pas le choix, car je devais être fixé sur la situation.

Moi — Pourquoi es-tu venu au Keyaki ?

— Hein ? C’est une caméra cachée ? Je ne comprends pas trop.

Moi — Quoi ?

J’avais tenté de lui parler le plus naturellement possible pour ne pas l’effrayer, mais il semblait être encore plus sur ses gardes. Comme le temps pressait, j’allai droit au but.

Moi — Tu es venu ici pour la grande vente ? J’ai entendu dire qu’ils avaient des consoles et des jeux en promo.

J’essayai d’insister le plus possible sur le côté jeu pour une approche en douceur. Il semblait m’avoir bien compris cette fois, mais…

— Ça aurait été incroyable si des nouvelles consoles étaient vendues. Ce sont des versions pas très popu’ avec des vieux écrans LCD et des manettes pas fiables. Ils ne font que se débarrasser de leur stock. Du coup une réduc’ de 20 ou 30 % n’est pas suffisant pour rendre ça attractif. Et puis perso, j’achète tout en ligne maintenant.

Moi — … Je vois.

Je comprenais les grandes lignes de ce qu’il disait.

— Un manga que j’attends sort là, alors je vais aller à la librairie. Oh, tu te demandes pourquoi j’achète ça alors que je télécharge ?

Moi — Heu…non.

— On peut acheter la version num’ dès 00h et c’est aussi pratique de pouvoir lire sur son tél’ ou sa tablette, mais j’aime la sensation du livre dans les mains. Moi je veux ma bibli papier que ce soit pour des romans ou manga. Mais ça se limite qu’aux bouquins même si j’ai rien contre les versions num’ avec des compils de tofs ou des produits bien popu’. J’avais l’habitude de les acheter en papier avant, mais depuis la rentrée, j’utilise beaucoup le tel’ ou la tablette. Je me suis dit qu’il fallait évoluer tu vois. Oh, je peux y aller ? Je veux farm le plus possible là, car j’ai un event dans le jeu.

Je voulais l’écouter avec attention, mais 20 % de ce qu’il avait dit avait déjà disparu de mon esprit. Je pense que mon cerveau refusait de mémoriser ses mots à cause de sa mauvaise diction. Après avoir fini son monologue sur une question que je ne lui avais pas posée, il reprit le jeu sur son téléphone. Il était 9h58 désormais et tous les élèves intéressés par la grande vente devaient être présent maintenant. Mais peut-être que cela n’avait pas attiré autant de gens que je le pensais.

La vente de l’année dernière avait pourtant été un franc succès et à commencer par Hondô, mes camarades semblaient attendre cela avec impatience. Aurais-je pu me tromper de date ? Il était écrit  » demain  » dans le chat, mais était-il possible que cela soit une erreur ? Je m’empressai de sortir le téléphone pour accéder à nouveau à l’annonce en ligne de mon produit

Moi — C’est bien la date d’aujourd’hui.

La possibilité d’un malentendu avait maintenant disparu. L’ouverture se rapprochait de plus en plus, mais le nombre d’élèves n’augmentait pas

Moi — C’est assez stressant… Non, il faut que j’arrête d’y penser.

J’allais merendre directement au magasin dès l’ouverture pour acheter ma yaourtière dans tous les cas. Je n’avais rien besoin de savoir.

— Au fait, Yuko m’a envoyé une photo là. Regardez, il y a une file d’attente folle à l’entrée nord.

— J’y étais l’an dernier, mais j’avais pas pu acheter ce que je voulais, car manque de stock. Mais pourquoi l’entrée nord en fait ?

— Il y a quelqu’un de la classe B qui a été blessé à l’ouverture l’an passé il me semble.

— Ah, oui, c’était assez grave. Tout le monde s’était précipité en lui marchant dessus. Personne l’avait aidé.

— On dirait que l’administration encadre bien le truc cette fois. Du coup tout le monde doit passer à par l’entrée nord cette année.

Ce que je cherchais à savoir depuis tout à l’heure, mais que je ne voulais pas trop entendre arriva enfin à mes oreilles.

Tandis que tout était clair maintenant, le temps qu’on ne pouvait malheureusement arrêter passa à 10h. C’était sans pitié.

2

Le magasin était bondé d’élèves et d’employés du campus. J’avais commencé par observer un peu plus loin la situation, mais les clients qui faisaient la queue à l’entrée nord avaient été orientés en face de la devanture 30 minutes avant l’ouverture de la boutique. J’étais donc très en retard, me demandant combien de produits le client moyen pouvait acheter. Je n’étais pas vraiment inquiet pour autant, car la yaourtière n’était pas le genre d’article désiré.

Moi — Personne n’est intéressé par ce genre de chose, hein ?

C’est dans cet état d’esprit que j’entrai dans le magasin et que mes espoirs se virent anéantis. Les yaourtières en promo étaient déjà en rupture de stock. Je fus littéralement poignardé par la cruelle réalité : Des lycéens s’étaient intéressés à des yaourtières. Désespéré, je tendis la main vers la dernière yaourtière, mais le prix était doublé par rapport au modèle classique qui était en promotion. Je renonçai à l’acheter et quittai le magasin. Les élèves sortaient de la boutique avec un air satisfait.

Moi — C’est assez frustrant…

J’exprimai mes sentiments en toute sincérité. J’avais commis une erreur en ne m’attardant pas sur l’organisation.

Moi — Est-ce la fin pour un perdant comme moi à cause de ma négligence dans la prise d’information ?

En sortant du centre commercial, je m’arrêtai au supermarché. Je me dirigeai directement vers le rayon des produits laitiers, sans panier, comme si j’étais en état d’errance. Il y avait de nombreuses marques de lait et de yaourt.

Moi — Et dire que j’étais à deux doigts d’avoir ce pouvoir de transformer ce lait en yaourt.

Je voulais vraiment essayer la chose et mon désir devenait de plus en plus obsessionnel. La distance qui me séparait à présent des briques de lait et du yaourt que je prenais parfois lors de mes courses était grande, mais pas seulement… C’était comme si une barrière invisible bloquait tout accès.

Je ne pouvais pas m’empêcher de me demander si c’était ce qu’un enfant ressentait lorsqu’il désirait un jouet placé de l’autre côté d’une vitrine. M’enfin, cela devait tout de même être un peu différent. Pendant que je me tenais là, d’autres élèves continuaient à prendre du lait et des yaourts et à faire des achats divers. Il est vrai que j’en avais plus beaucoup dans mon frigidaire, mais en prendre serait m’avouer vaincu. Intérieurement je me disais qu’il fallait partir d’ici, mais mes pieds ne bougeaient pas, car le lait était en promo aujourd’hui. Les yaourts étaient également 20 yens moins chers que d’habitude. S’il n’y avait pas eu l’incident de la yaourtière, j’en aurais certainement acheté, mais comme sous l’emprise d’un sortilège, j’étais comme absorbé par le rayon des produits laitiers.

Moi — Il y a aussi des remises sur les œufs…

L’inflation et tout ce qui était relatif aux échanges extérieurs avaient impliqué une hausse des prix. Même si cette école avait ses propres règles, son essence ne différait pas de la vie en société. Une fois diplômé, j’allais devoir affronter ces prix et faire les comptes tous les jours. Même si ce futur n’était pas forcément ce qui m’était destiné, je pouvais encore penser de cette manière puisque j’étais techniquement une personne ordinaire pour l’instant. En tout cas, je n’aurais pas dû venir ici et je ne pouvais pas rester bloqué la indéfiniment. Je quittai l’endroit avec force en traînant des pieds.

— Qu’est-ce qui ne va pas ? Je ne t’ai jamais vu aussi déprimé.

Moi — …Kiryûin-senpai.

Alors que je m’apprêtais à battre en retraite, elle m’interpela. Étrangement, la lourdeur de mes jambes sembla s’alléger, et je fus capable de quitter le magasin sans effort. Après tout, je n’étais passé que pour voir l’étalage de yaourts. Alors que je partais les mains vides, Kiryûin me suivit. Au fil de la conversation, je lui avais fait part de la situation, car je voulais probablement me confier à quelqu’un pour me soulager. Après lui avoir tout raconté, elle se mit à rire comme si elle s’en amusait.

Kiryûin — Tu ne cesses de me fasciner. Tu es vraiment spécial.

Moi — Vraiment ? Je me considère comme un lycéen ordinaire.

Kiryûin — La bonne blague. Bon, ce n’est pas totalement faux.

Après avoir nié, elle alla un peu dans mon sens.

Kiryûin — J’ai ri parce que tu avais agi comme un lycéen ordinaire. Mais se mettre dans cet état pour une yaourtière, c’est du jamais vu. Si cela avait été un autre produit, cela n’aurait pas été étrange.

Moi — Je vois…

Kiryûin — Mais tu voulais vraiment une yaourtière à ce point ? Je pense qu’il serait beaucoup moins cher, plus savoureux et plus sûr d’acheter du yaourt dans un magasin.

lle regarda à nouveau le supermarché qui s’éloignait de nous de plus en plus.

Moi — Il y a un intérêt à le faire soi-même. J’ai perdu cette chance.

Kiryûin — Même si ça ne se voit pas, tu es très passionné.

Moi — Tu ne sais pas cuisiner ?

Kiryûin hocha la tête sans hésiter.

Kiryûin — Quand j’étais petite, j’essayais de faire plaisir à mes parents, mais je ne l’ai plus fait depuis.

Moi — Le résultat était si mauvais ?

Kiryûin — C’était un résultat indescriptible. Ni bon, ni mauvais. Mes parents semblaient pourtant satisfaits de l’intention. D’habitude, on a envie de revoir leurs visages heureux et de s’améliorer.

Elle n’avait pas suivi cette voie classique, préférant abandonner la cuisine.

Kiryûin — En général, je me contente de prendre quelque chose à la supérette ou à la cafétéria de l’école. Même si je m’arrête au supermarché, je me contente d’acheter des plats préparés.

Contrairement à ce que je pensais, elle ne cuisinait pas du tout. Mais en y regardant de plus près, cela ne m’étonne pas du tout.

Kiryûin — Et toi ? Comment en es-tu venu à aimer cuisiner ?

Moi — Depuis ma venue dans ce lycée. C’était la première fois que je vivais seul. Le fait d’être en classe D a fait que l’on se retrouvait parfois avec aucune ressource en points privés.

Kiryûin — Tu as pensé à économiser de l’argent sur les dépenses alimentaires en cuisinant, hein ?

Moi — Même si des repas gratuits sont disponibles, c’est fatigant de manger la même chose tout le temps. À force de cuisiner, on peut améliorer ses compétences et son efficacité pour vraiment optimiser le rapport qualité-prix de la nourriture. Récemment je réfléchissais à ça.

Layaourtière offrait la possibilité de franchir une nouvelle étape. Le fait de ne pas pouvoir l’obtenir et d’en parler, me remit un gout amer dans la bouche.

Kiryûin — Si tu la voulais vraiment, pourquoi ne pas l’avoir achetée ?

Moi — La différence de prix avec l’article soldé était trop importante. Il a pas mal de fonctions, mais comme je voulais seulement transformer du lait, j’ai jugé qu’il n’était pas nécessaire. Ce serait faire le jeu du magasin que d’acheter impulsivement un produit à prix élevé.

Kiryûin — Tu as regardé sur internet ?

Moi — Pas encore.

Kiryûin — Avant de capituler, fais ça. Tu peux clairement faire de bonnes affaires. J’ai quelques sites à te conseiller.

Sortant son téléphone portable, Kiryûin commença à le tapoter. Nous veillâmes à ne pas gêner la circulation, nous plaçant sur le côté pour regarder les produits. C’est alors que nous trouvâmes une yaourtière à un prix presque identique à celui remisé.

Moi — C’est  intéressant.

Kiryûin — Ce ne sont pas vraiment des soldes. Le magasin d’électronique de l’école n’est pas le seul à avoir du mal à gérer les stocks des mêmes modèles. De nos jours, c’est normal de savoir ça pour les jeunes.

Moi — J’apprends quelque chose de nouveau.

Kiryûin — Pourquoi ne pas l’acheter en ligne ?

Moi — Certes, je peux l’acheter au même prix, mais il y a aussi d’autres offres en ligne. Je pense que je vais chercher un modèle plus simple et l’acheter une fois chez moi.

La yaourtière en vente présentait des fonctionnalités plus que suffisantes, mais une version encore plus simple était disponible à un prix inférieur.

Moi — En tout cas, tu es venue acheter quelque chose, Kiryûin-senpai ?

Kiryûin — Je t’ai juste suivi parce que j’étais intriguée par le fait que tu marchais le dos courbé. Je n’ai rien de particulier à acheter.

Elle n’avait donc pas de courses à faire.

Moi — C’est tout de même inhabituel que quelqu’un m’aborde comme ça juste parce que je l’intrigue.

Peut-être qu’elle s’ennuyait vraiment pendant ces vacances.

Kiryûin — Je sais ce que tu penses, mais ce n’est pas parce que je m’ennuie que je me mêle de ce qui ne me regarde pas.

Moi — C’est quand même suspect.

Lorsque je fis part de mes pensées honnêtes, elle sourit amèrement avant de s’expliquer de nouveau.

Kiryûin — C’est parce que c’est toi, Ayanokôji.

Moi — Je ne mérite pas tant d’estime.

Kiryûin — Inutile de faire preuve d’humilité à ce stade. La scène où tu les as affrontés sur cette île est gravée à jamais dans mon esprit.

Elle parlait de la scène de l’affrontement final avec Tsukishiro l’été dernier sur la plage. Pour m’aider, Kiryûin avait échangé des coups avec Shiba, qui s’était révélé être le subordonné de Tsukishiro. Il était logique qu’elle me tienne en haute estime en raison des circonstances inhabituelles du combat et de mes capacités.

Kiryûin — C’est pour cela que c’est si décevant.

Moi — Décevant ?

Comme une fille avouant ses sentiments cachés, elle poussa un profond soupir.

Kiryûin — Je réfléchissais à ça pas mal de fois pendant l’été concernant un système de redoublement ici.

Moi — Redoublement ?

C’était en effet envisageable pour ceux qui n’avaient pas pu obtenir leur diplôme en classe A mais l’établissement ne reconnaissait pas la chose.

Kiryûin — C’est une idée ridicule, n’est-ce pas ?

Moi — En effet, les règles sont les règles.

Les enfreindre oui, mais les changer était une autre paire de manches.

Kiryûin — Mais j’ai quand même envisagé la chose. Je voulais observer tes actions encore une année.

Moi — C’est assez bizarre de penser ça.

La connaissant, ça ne devait pas être qu’un rêve éveillé pour elle.

Kiryûin — On peut tout obtenir avec des points privés, mais après confirmation des professeurs, je sais que c’est impossible.

Moi — Et si quelqu’un préparait 20 millions de points ?

Si le redoublement n’était pas reconnu, peut-être que payer une somme énorme pouvait renverser la chose. Mais on pouvait déjà lire sur son visage.

Kiryûin — Avec une telle somme, la chose la plus importante que l’on peut gagner est le droit de passer dans n’importe quelle classe. À moins d’être un phénomène, il suffit d’attendre la fin de l’année de terminale pour utiliser son ticket.

Moi — C’est vrai qu’il n’y a pas plus important que de passer en A.

Rien ne valait plus qu’un ticket pour aller en classe A. Il fallait être fou pour investir une telle somme juste pour redoubler.

Kiryûin — N’est-ce pas étrange qu’un redoublement n’est pas autorisé même si l’on réunit la somme ? L’achat d’un point de protection, l’annulation d’une exclusion, le changement de classe, tout ça figure dans le règlement. Mais le redoublement en est exclu d’office.

Avec les points privés, il n’était pas exagéré de dire que rien n’était inaccessible. Mais il y avait toujours des choses qui ne pouvaient être achetées. Mais oui, le redoublement délibéré n’était pas rationnel en soi. Il devait tout de même y avoir une raison à sa non-autorisation.

Kiryûin — Les élèves qui redoubleraient auraient de l’avance sur les nouveaux en termes de connaissance ou d’examens. Du point de vue de l’information, cela pourrait être considéré comme injuste pour les autres classes.

Certes, c’était compréhensible, mais le partage d’informations pouvait se faire même sans redoublement. Les senpais pouvaient grandement aider leurs kôhais dans leur quotidien s’ils le voulaient ce qui n’était pas rien. Seuls les examens étaient différents d’une année à l’autre.

Moi — Peut-être que cela pourrait nuire à la réputation de l’école ?

Kiryûin — Comment ça ?

Moi — De grands privilèges sont accordés aux diplômés de la classe A, car les entreprises et les universités les considèrent comme exceptionnels. Mais la valeur d’un tel lycée ne risque-t-elle pas d’être remise en question par l’arrivée d’un redoublant ? Pour les admissions à l’université et les offres d’emploi qui n’ont qu’un regard extérieur, ils verraient certes un diplôme en classe A, mais aussi un redoublement dans le dossier. Même si tu as des capacités, le fait d’avoir redoublé ne ferait que jeter un flou pour le recruteur dans son évaluation.

L’établissement ne voudrait pas d’un tel élève.

Kiryûin — Cela expliquerait donc pourquoi ce n’est pas autorisé.

Moi — Si tu cherches une raison légitime alors oui.

C’était clairement plausible.

Kiryûin — Si je devais faire un entretien avec moi-même, je m’abstiendrais probablement de me recruter.

Si elle était capable d’une telle autodérision, c’est parce qu’elle avait confiance en ses capacités.

Moi — Si tu envisages de redoubler sur un coup de tête, autant que tu optes pour un transfert dans la classe de Nagumo.

Kiryûin — Cela ne m’intéresse pas.

Moi — Et si tu avais 20 millions de points réunis grâce à tes efforts ?

Kiryûin — Même dans ce cas, je m’en fiche. Peu importe la classe, le diplôme me satisfait amplement.

Moi — Pour toi cela ne change rien, mais un esprit normal penserait à profiter de ce diplôme autant que possible.

Tant que c’était une issue heureuse, il n’y avait pas à hésiter.

Kiryûin — À la fin de la scolarité, on peut échanger nos points privés contre de l’argent réel. C’est plus utile pour moi que la classe A.

Cette somme représentait une aide précieuse pour quelqu’un qui venait de terminer le lycée.

Moi — Les points privés peuvent exaucer la plupart des souhaits des élèves, mais cela ne peut pas tout acheter. C’est implicite.

Kiryûin — C’est vrai. Par exemple, tu ne peux pas les utiliser pour renvoyer les professeurs que tu n’aimes pas.

Avec un sourire narquois, elle énonça cette idée pour le moins menaçante.

Moi — On dirait que tu as déjà tenté le coup.

Kiryûin — Heh, je ne dirai rien de plus.

Moi — Tu n’as vraiment aucun intérêt pour la classe A ?

Kiryûin — Ce n’est pas si surprenant. Même si c’est peu commun, je ne pense pas être la seule. N’est-ce pas le cas pour toi ?

En effet, je n’étais pas très attaché à la chose, car les bénéfices de ce diplôme ne m’allaient être d’aucune aide contrairement au système de cette école.

Moi — Peut-être que nous ne sommes pas si différents d’une certaine manière, mais même s’il y en a d’autres comme moi qui ne s’intéressent pas à la classe A, il y a toujours une énorme différence avec toi.

Kiryûin — Et cette différence, c’est ?

Moi — La contribution de groupe. En temps normal les gens se démènent pour le bien de leurs camarades même s’ils ne profitent pas directement de la chose. Une personne compétente comme toi aurait pu aider la classe B face à Nagumo. Même si tu voyais les choses autrement, tes camarades devaient bien compter sur toi quand même.

Kiryûin — Ouais…

Elle affirma la chose de manière bien indifférente.

Moi — Depuis ta venue dans ce lycée, tu n’as agi que pour toi-même.

Kiryûin — Qui sait ? Peut-être ai-je contribué en secret ? Peut-être que je n’ai pas été à la hauteur face à Nagumo.

Moi — Si tu te regardes bien… non… si tu prends en compte l’ensemble des terminale, tu comprendrais que tu n’agis que dans ton propre intérêt même si tu ne gênes pas les autres. Cela explique pourquoi personne ne te considère, allié comme ennemi.

Être invisible n’était pas une chose facile à vivre, peu importe nos capacités.

Kiryûin — Même ceux qui me reprochaient mon manque de coopération ont fini par ne plus m’adresser la parole.

Comme ses notes étaient excellentes, le mépris était remplacé par l’indifférence. Elle excellait aussi bien scolairement qu’en sport qui signifiait qu’elle était un atout majeur pour les examens en général. Elle ne négligeait pas les domaines visibles comme certains de mes camarades, moi y compris.

Kiryûin — Je peux te poser une question ?

Moi — Je t’écoute.

Kiryûin — C’est une question ridicule. J’ai énormément de questions à te poser, mais cela ne me garantit pas la vérité à chaque fois.

Consciente de ses limites, elle souligna la chose avant de poser sa question.

Kiryûin — As-tu résolu tes soucis ?

C’était vague, mais je n’avais pas besoin de trop réfléchir pour comprendre.

Moi — Je peux dire que grâce à toi, j’ai la paix depuis.

J’étais libre de mes mouvements et menait ma vie sans soucis.

Kiryûin — Il faut dire que je n’arrive pas à oublier ton combat ce jour-là. Cela semblait irréel. Jamais je n’aurais pu concevoir la chose. Mon ojii-sama[1] ne me croirait pas si je lui racontais.

Moi — Ton ojii-sama ?

Kiryûin — Je n’étais pas claire. Je parlais de mon grand-père.

Dit-elle en plissant les yeux comme si elle pensait à lui. Il était rare que quelqu’un utilise le terme d’ojii-sama.

Moi — Ce n’est pas couramment utilisé.

Kiryûin — Eh bien, je viens d’un milieu plutôt privilégié. Chez moi on s’adresse toujours à lui comme ça.

Moi — Oh, je comprends mieux. Eh bien, c’est cohérent.

J’ai toujours senti ce côté raffiné dans son éducation, mais sa partie sauvage m’empêchait d’avoir la confirmation.

Kiryûin — j’ai surtout vécu avec lui durant mon enfance, car mes parents étaient très occupés. Autrement dit, je suis une fille à papy.

Elle sourit avec nostalgie, toujours les yeux plissés. Les souvenirs devaient être très agréables.

Kiryûin — Quand j’ai appris ma venue ici, j’étais vraiment déprimée à l’idée de ne plus pouvoir le voir pendant trois ans.

Moi — Il était vraiment aux petits soins avec toi, on dirait.

Kiryûin — Il adorait me dire que mon exclusion le rendrait heureux.

C’était assez cruelle à dire à sa petite-fille alors que son avenir était en jeu. Un grand-père ordinaire n’aurait jamais pu dire ça.

Moi — Mais au fond, il veut te voir terminer ton cursus, non ?

Kiryûin — Non, il serait vraiment heureux. Si j’avais décidé d’une voie, il suffit d’un seul mot de mon grand-père pour que la plupart des universités ou des entreprises me soient accessibles.

Ainsi, même sans diplôme de la classe A, elle pouvait recevoir le même soutien si ce n’est plus de la part de son grand-père dont elle avait l’affection et le pouvoir. Un élève de notre classe se trouvait dans une situation similaire même si mentalement il était bien différent.

Moi — Tu connaitrais Kôenji par hasard ?

Kiryûin — Kôenji ? Pourquoi me parler de lui aussi soudainement ?

Moi — Eh bien, c’est…

Je remarquai que Kôenji se dirigeait vers nous, alors je profitai de la conversation pour creuser leur relation.

Kiryûin — Je n’ai pas de lien avec quelqu’un d’aussi excentrique.

En effet, il attirait l’attention de tous comme une bête de foire. Il portait avec lui un grand carton représenté le logo d’une marque célèbre. À en juger par la forme unique de la boîte, il s’agissait d’un grand téléviseur à écran plat.

Moi — Tu sais, Kôenji est le fils d’un président de conglomérat. Il va hériter de l’affaire familiale.

Kiryûin — Ah oui ?  Je comprends mieux son attitude. Mais je n’en sais vraiment pas plus à son sujet. S’il est aussi célèbre, cela ne m’étonnerait pas que mon grand-père le connaisse, mais ça ne me concerne en rien.

Kiryûin semblait se tenir loin du monde des affaires ce qui m’arrangeait dans la mesure où mon nom de famille déjà peu commun n’allait rien lui dire. Après il fallait quand même s’y connaitre un peu, mais au vu de la rareté de mon nom, on aurait pu y voir un lien.

Moi — Si la classe A ne t’intéresse pas c’est parce que tu auras toujours les portes ouvertes quoi qu’il arrive ?

Kiryûin — Pas vraiment. J’ai choisi de venir sur ce campus, car l’idée d’être née dans une famille riche m’était devenue insupportable. Je n’ai pas l’intention de dépendre d’elle après l’obtention de mon diplôme. Les terminale ont déjà terminé la guerre alors les classes B, C et D se concentrent sur les études ou leur recherche d’emploi.

Kiryûin avait l’air de savoir ce qu’elle voulait et elle comptait bien se construire seule.

Moi — Je peux te demander ce que tu comptes faire, Kiryûin-senpai ?

Kiryûin — Je vais m’inscrire à l’université pour le moment. Avec une bourse, je pourrai d’ailleurs réduire les coûts. Je travaillerai aussi à temps partiel pour les dépenses du quotidien. Bon, rien de sorcier.

Moi — Si on enlève l’aspect bourse, tu auras effectivement l’air d’une étudiante totalement ordinaire.

Kiryûin — Je veux avoir les mêmes soucis que tout le monde et étudier dur pour devenir une adulte accomplie. Je finirai sûrement par travailler dans une PME et ça me convient. Je ne vise pas forcément un grand groupe. J’ai besoin d’un mode de vie éloigné de celui des Kiryûin.

Elle voulait tout simplement être libre et je pouvais sentir sa détermination.

Moi — C’est plutôt honorable.

Kiryûin — Tu trouves ? En tout cas, je pense que je n’ai besoin de rien de plus à l’heure actuelle.

D’une certaine manière, je pensais la même chose en entrant ici. Peu importait ma classe, je comptais mener une vie paisible. Il y avait donc une autre personne sur ce campus qui voyait les choses comme moi.

Kiryûin — Mais une vie paisible n’est pas aisée à obtenir même si cela est accessible. Après mon diplôme, le nom des Kiryûin me suivra, partout que je le veuille ou non.

Je ne savais rien des Kiryûin, mais s’il s’agissait d’une famille relativement célèbre, il était naturel qu’elle se prépare comme il faut. Que je me rebelle ou m’échappe de ce campus, cela ne ferait pas reculer ces trois ans de lycée.

Moi — Ton grand-père te soutiendra dans tes choix ?

Kiryûin — Mon grand-père n’est pas vraiment le problème. Ce sont mes parents. Ces derniers sont plutôt rigides et s’ils découvrent que je cherche à mener une vie normale, j’imagine déjà leur réaction.

En écoutant cela, j’eus encore l’impression que nous étions similaires.

Kiryûin — Je ne regrette pas mes actions ici jusque-là… J’étais libre.

Il y eut une légère hésitation dans sa voix malgré sa conviction.

Kiryûin — Mais je voulais voir ce que c’était que de choisir une autre voie que la liberté. C’est pour ça que je voulais redoubler.

Si Kiryûin-senpai avait vraiment joué le jeu, il ne faisait aucun doute qu’elle aurait été une menace pour la classe A de Nagumo.

Kiryûin — La bataille contre Nagumo n’est pas encore terminée, n’est-ce pas ? Que vas-tu faire à ce sujet ?

Moi — J’aimerais résoudre ce problème dès que possible, mais je n’ai aucune réponse.

Tout dépendait des épreuves de l’établissement. Qu’il y ait un combat entre Nagumo et moi était donc une question de chance. Qu’on le veuille ou non, certaines choses n’étaient pas destinées à se réaliser.

Kiryûin — Je ne t’imagine pas être négligent ou faire preuve d’arrogance, mais sois prudent pour cette fin d’année.

Moi — C’est un conseil de senpai ?

Kiryûin — Pas nécessairement. L’autre jour, j’ai entendu Nagumo parler au téléphone avec quelqu’un. Il semble rassembler un maximum de rumeurs sur les élèves de première.

Essayait-il de faire de rendre notre combat inévitable ?

Kiryûin — Ton prochain examen spécial pourrait être plus problématique que tu ne le penses.

Moi — L’établissement ne divulgue rien même indirectement, mais on peut deviner la difficulté de l’examen futur en se basant sur le passé. À quoi ressemblait l’examen spécial post vacances d’hiver de ton année de première ?

En se basant sur les tendances, Nagumo a dû faire ses déductions à partir de l’examen spécial de l’an dernier.

Kiryûin — Eh bien Nagumo avait toute l’autorité. Je n’étais qu’une élève de la classe B qui profitait de son quotidien. Je ne me souviens pas de tous les détails.

Moi — Je vois.

Il était rare pour elle de participer à des examens spéciaux. Le fait qu’elle ne se souvienne même pas de certains aspects m’avait rendu dubitatif.

Kiryûin — Mais lors de cet examen spécial, une personne de notre classe était partie.

Moi — C’était un abandon ou une expulsion ?

Kiryûin — Je ne saurais te dire, mais c’était probablement un sacrifice nécessaire pour les plans de Nagumo.

Vu le système que Nagumo avait mis en place, il était évident que les expulsions allaient être inévitables lors des examens spéciaux. Si Kiryûin disait vrai, il allait falloir se méfier de ce troisième trimestre.

Moi — C’est surtout en C et D que l’on retrouve des expulsions.

Kiryûin — Je ne me souviens pas trop des autres classes.

Elle était probablement moins intéressée par les autres classes que par le journal télévisé du matin. Mais pour quelqu’un qui ne se souvenait plus trop des choses, certains souvenirs clés semblaient perdurer.

Kiryûin — Après rien ne dit que ce sera pareil. Il ne faut pas paniquer.

Moi — Ce n’est pas très convaincant au vu de tes vagues souvenirs.

Je préférai ne pas plus insister.

Kiryûin — Désolée de t’avoir retenu. Ce n’est pas souvent que j’ai l’occasion de parler avec toi de sujets aussi triviaux. C’était sympa.

Moi — Je suis content d’avoir pu te parler aussi, Kiryûin-senpai.

Elle s’éloigna un peu et puis s’arrêta avant de faire un demi-tour rapide.

Kiryûin — Ce n’est que mon intuition, mais j’ai le sentiment que nous nous reverrons à un moment. Pas sur ce campus, mais dans le futur.

Moi — Tes intuitions sont souvent bonnes ?

Kiryûin — Elles ont généralement une précision d’environ 50 %.

Cela ressemblait à une simple supposition…

Kiryûin — Mais cette fois j’ai davantage confiance, car tu n’es pas ordinaire. Si tu ne te volatilises pas, on pourrait se recroiser.

Moi — Je ne te le souhaite pas. Tu es censée mener une vie normale.

Kiryûin — Hmm ? Hahaha, tu n’as pas tort.

Elle leva doucement la main et sortit du Keyaki. Je ne pensais pas que nous allions nous retrouver dans le futur. Si un tel avenir existait…Non…

Il valait mieux écarter cette idée. C’était totalement tiré par les cheveux.

J’étais actuellement libre de vivre comme je l’entends et cela me suffit amplement.

3

Après m’être séparé de Kiryûin, j’eus l’interaction entre Ichinose et moi de ce matin en tête. Je me demandais si elle était venue au Keyaki. J’aurais pu l’informer de ma présence par téléphone, mais elle rejetait la chose ou du moins, esquivait. Si je prenais en compte ses insinuations, elle devait sans doute penser me croiser ici, mais pour le moment, je préférai rentrer chez moi. Si je ne la croisais pas, je pouvais toujours revenir.

Le grand sapin de Noël qui venait d’être installé hier attirait beaucoup les groupes d’amis et les couples. Ils prenaient des photos et l’admiraient. Kei, alitée, devait vraiment être frustrée, mais on n’y pouvait rien. La grippe continuait sa contagion et déjà vingt personnes ont été testées positives. En passant devant l’arbre, je vis pas mal de rassemblements au point qu’il y ait peut-être plus d’élèves qu’hier. Dans la foule, j’aperçus Ichinose, semblant avoir une conversation animée, avec des filles de seconde. Je n’avais pas le courage de l’interpeler ici, alors je restai en observation un peu plus loin.

Hoshinomiya et Chabashira-sensei qui marchaient côte à côte, passèrent par hasard devant moi et m’interpelèrent. Durant les vacances, il était normal de voir les professeurs en tenue décontractée mais impossible de ne pas ressentir un malaise pour Chabashira-sensei qui restait en tailleur.

Oh ? Tu es seul ?

C’était Hoshinomiya-sensei qui m’avait approché en premier.

Moi — Euh, oui.

Mlle. Hoshinomiya Je pensais te voir flirter avec ta petite amie ces deux derniers jours. Tu t’es fait larguer ?

Mlle. Chabashira Arrête, Chie. Qui plus est, Karuizawa a la grippe.

Chabashira-sensei essaya de justifier ma situation.

Mlle. Hoshinomiya Je le sais très bien.

Mlle. Chabashira Et tu te moques quand même de lui ?

Mlle. Hoshinomiya Parce que c’est agaçant. C’est inacceptable que des élèves plus jeunes passent Noël en amoureux !

Mlle. Chabashira Tu avais l’habitude de faire ça tous les ans jusqu’à maintenant. Cette année, c’est différent.

Mlle. Hoshinomiya C’est pourquoi je ne supporte pas de voir ça ! J’arrive peut-être à te comprendre Sae-chan pour la première fois.

Mlle. Chabashira Ne me mets pas dans le même panier. Que je sois seule ou pas à Noël ne change strictement rien pour moi. C’est dommage pour toi Ayanokôji. Tu n’as pas pu être avec Karuizawa.

Moi — Je n’y peux rien et cela ne me dérange pas non plus d’être seul.

Chabashira-sensei fit un léger sourire et Hoshinomiya-sensei sembla encore plus malheureuse. En regardant ce duo contrasté, je pensai à Mashima-sensei. S’il venait à sortir avec l’une d’elles, ce serait sans doute très gênant.

Moi — Où allez-vous maintenant ?

Mlle. Hoshinomiya Au karaoké ! Les profs aussi ont le droit de s’amuser, non ?

Mlle. Chabashira Chie est la seule motivée. Je ne fais que la suivre.

Mlle. Hoshinomiya Oh, vraiment ? Sae-chan, tu n’es pas excitée ?

Mlle. Chabashira Pas du tout…

Cela devait être difficile pour les professeurs également avec l’atmosphère constamment tendue à cause de la compétition interclasses. C’est ainsi que leur joute verbale continuait alors qu’elles se dirigeaient vers le karaoké. Durant notre conversation, j’avais remarqué qu’Ichinose regardait vers nous. Il semblerait qu’elle avait fini de parler avec les filles.

Ichinose — Quelle coïncidence, Ayanokôji-kun.

Moi — Sacrée coïncidence. Tu avais l’air de t’amuser avec les kôhais

Ichinose — Elles sont en 2nde B, dans la classe de Yagami-kun qui était au Conseil. Il a subitement été exclu. Leur classe semble encore désorientée, mais elles avaient l’air positives malgré tout.  

Vu les circonstances, j’imagine que la classe ne s’est pas retrouvée pénalisée en soi. Mais le manque se fait ressentir et cela allait durer quelques mois.

Moi — Depuis combien de temps es-tu là ?

Ichinose — Depuis environ 10h30, je crois.

Sachant qu’il était presque midi, cela faisait plus d’une heure qu’elle attendait. Non…Parler d’attente n’était pas correct. Après tout, Ichinose agissait selon ses propres convictions.

Ichinose — Tu pourrais prendre une photo avec moi, Ayanokôji-kun ?

Ichinose sortit timidement son téléphone.

Ichinose — Pour me faire des souvenirs, j’ai pris des photos avec plusieurs personnes ici aujourd’hui.

Pour me le prouver, Ichinose ouvrit son album photo et montra la section avec la date d’aujourd’hui. Elle avait en effet pris plusieurs photos avec divers élèves devant l’arbre de Noël. Certains des clichés comprenaient des garçons de sa classe. De plus, il y avait aussi des photos avec des seconde. Ichinose avait mentionné qu’elle attendait ici pour se faire des souvenirs, mais son véritable but fut révélé.

Ichinose — Mais je voulais surtout prendre une photo avec toi, Ayanokôji-kun.

Ichinose ne donna pas plus d’explications, mais ce n’était pas difficile à comprendre. S’il y avait une photo de nous deux sur son téléphone, Kei et ses amies proches allaient le prendre mal. Mais si elle avait posé avec d’autres personnes et qui plus est des filles et des garçons, cela passerait mieux. Il n’y avait que deux photos avec des garçons d’autres classes, mais ils avaient l’air satisfaits malgré la timidité visible.  En tout cas, elle avait l’air de répondre positivement à tous ceux qui lui demandaient une photo.

Ichinose — Ç… Ça te dérangerait de prendre une photo avec moi ?

Moi — Je n’ai aucune raison de refuser.

Ichinose — J’en suis vraiment ravie.

Elle avait vraiment fait beaucoup d’efforts pour prendre cette photo avec moi.

Ichinose — En fait, je n’avais pas prévu de faire autant de photos, mais ça s’est un peu enchaîné dès que j’avais commencé à en faire. C’était un peu délicat de refuser.

Il semblerait qu’une rumeur avait circulé sur le fait qu’elle prenait des photos avec les gens devant l’arbre.

Moi — tu en as pris combien au juste ?

Ichinose — Hum, voyons voir… Il me semble que la personne avant toi était la 43e.

C’était vraiment beaucoup. Pas facile de tenir le rythme.

Ichinose — J’ai bien l’intention de continuer encore un peu. Cela n’aurait pas de sens si je m’arrêtais maintenant, n’est-ce pas ?

Elle ne voulait en effet pas paraître suspecte en s’arrêtant après moi.

Moi — Même si tu t’étais arrêté là, ça n’aurait pas été si suspect.

Ichinose sourit en repensant à ses actions qui ne pouvaient objectivement pas être considérées comme étranges. Si j’avais fait la même chose, j’aurais sans aucun doute été traité comme quelqu’un de louche, mais pour Ichinose, c’était différent.

Cette dernière me tira le bras et m’orienta pour ajuster l’angle de la photo. Ensuite, elle se pencha et tint son téléphone en selfie.

Ichinose — C’est le moment, personne ne regarde.

Elle semblait observer constamment les alentours et décida que c’était le moment idéal. Elle passa ensuite sa main autour de mon bras et prit la photo.

Elle en prit une autre en retirant sa main de mon bras cette fois.

Ichinose — La première ne restera pas sur mon portable, ça te va ?

Moi — Tu veux une confirmation ?

Ichinose — Oui. Auquel cas, je l’efface tout de suite.

Moi — Tu peux la garder. Je n’ai pas l’intention de blâmer qui que ce soit si quelqu’un d’autre la voit. C’est ma responsabilité d’avoir permis que la photo soit prise, peu importe comment elle est utilisée.

Ichinose — Tu es sûr ? Si je l’utilise à mauvais escient, cela pourrait provoquer un froid voire une rupture dans ton couple.

Moi — Étrange de se plaindre après avoir pris une photo, n’est-ce pas ?

On n’accepte pas de se faire photographier sans en accepter les conséquences sauf si l’on y est forcé. Nous avions en tout cas bien réduit l’écart entre nous pour la photo et, sans comme un réflexe, nous étions vite revenus à notre écart du début. Personne n’avait l’air de nous avoir vus.

Ichinose — Au fait, Ayanokoji-kun, tu as vu Chihiro-chan hier.

Chihiro Shiranami. J’eus une image d’elle avec le casque.

Moi — Tu en sais des choses.

Ichinose — On se réunit souvent en semaine. Surtout pendant les vacs. Mais son comportement était un peu différent de d’habitude hier. On parlait d’un sujet précis et puis elle s’est mise à réagir à ton nom. Je me suis dit que tu lui avais peut-être parlé.

Ichinose, qui s’était toujours préoccupée de ses camarades, pouvait facilement remarquer les changements.

Moi — J’espère que son état n’est pas inquiétant.

Ichinose — Ne t’en fais pas. Je ne sais pas ce que tu lui as dit, mais Chihiro-chan avait l’air de sourire un peu plus.

Le pari risqué avait fonctionné. Le fait de l’inciter à se préparer semblait avoir eu un effet positif.

Moi — Heureux de l’entendre.

Ichinose — Mais…

Je me réjouissais de voir Shiranami mûrir, mais Ichinose avait un « mais ».

Ichinose — Pour le moment je suis la personne la plus importante à ses yeux, mais tu ne dois pas trop t’impliquer, ok ? Elle est facilement influençable.

C’était un avertissement pour ne pas que je me rapproche plus d’elle.

Ichinose — Si tu veux passer du temps avec elle, appelle-moi.

Moi — Je comprends. Je le ferai la prochaine fois.

Que ce soit pour sa responsabilité de leader ou pour son bien-être, je devais faire preuve de prudence avec Shiranami à l’avenir.

 Ichinose-senpai ! Ayanokôji-senpai ! Bonjour !

Ichinose — Ah, Nanase-san.

En nous trouvant, Ichinose et moi, Nanase s’approcha de nous en trottinant légèrement.

Nanase — J’ai entendu dire que tu prenais des photos avec les élèves. Alors je suis venue pour en prendre une également.

Apparemment, la rumeur s’était bien répandue.

Moi — Ça ne va pas devenir incontrôlable à ce rythme ? Tu pourrais prendre des photos jusqu’à minuit.

Ichinose — Eh bien, si c’est comme ça que ça doit se passer, qu’il en soit ainsi. Peut-être que je rentrerai dans l’histoire du lycée comme étant la fille ayant pris une photo avec chaque élève devant l’arbre de Noël.

Ichinose sourit en répondant à la plaisanterie par une autre plaisanterie.

Nanase — Tu te joins à nous aussi, Ayanokoji-senpai ?

Moi — Je suis venu après avoir entendu la rumeur. Je ne reste pas.

Sentant qu’il n’était pas convenable de me joindre à elles, je refusai.

Nanase — Je ne vois pas d’inconvénient à ce que tu te joignes à nous.

Moi — Je passe mon tour. C’est dur de supporter le fait de rester au même endroit. Je n’ai pas le mental d’Ichinose. Et puis peu de gens voudraient prendre une photo avec moi de toute façon.

Nanase, sentant la situation, ne força pas les choses et se mit près d’Ichinose. Elles commencèrent à ajuster leur position pour la photo quand Nanase sembla remarquer quelque chose. Elle s’arrêta.

Nanase — Je m’excuse, mais peux-tu attendre un moment ?

Ichinose — Hm ? Bien sûr. Qu’est-ce qu’il y a ?

S’excusant auprès d’Ichinose, Nanase se précipita dans une certaine direction.  Il semblerait qu’un élève de sa classe, Hôsen, se trouvait là. Il marchait seul avec une expression effrayante, ne regardant même pas vers nous. Nanase s’approcha de lui tel un chiot, l’appela et nous pointa du doigt tout en lui parlant.

Ichinose — Elle compte inviter Hôsen-kun ?

Moi — On dirait bien.

Bien qu’il ne soit pas étrange qu’elle invite un camarade, il s’agissait tout de même de Hôsen. Ce n’était pas le genre à prendre des photos avec les autres, mais après une brève conversation avec Nanase, il changea de direction pour aller vers nous, tout en gardant son expression effrayante.

Ichinose — On dirait qu’il arrive.

Moi — On dirait bien…

Le regard de Hôsen captiva non seulement Ichinose, mais aussi le mien tandis que je me tenais à côté d’elle. Je voulais profiter d’une trêve hivernale tranquille alors j’espérais que cela n’allait pas s’envenimer.

Nanase —Hôsen-kun pourrait-il se joindre à la photo également ?

Ichinose — Ça ne me dérange pas du tout, mais tu es sûre ?

Les paroles d’Ichinose suggèrent son hésitation face aux désirs de Hôsen. Lui restait silencieux, nous fixant, Ichinose et moi avec ce même visage.

Nanase — Ça ira. S’il te plaît, Hôsen-kun, tu peux venir.

Nanase poussa ainsi le dos de Hôsen avec un peu de force. Je pensais qu’il résisterait, mais étonnamment, il combla la distance avec des pas légers.

Hôsen — Pourquoi vous me matez ? J’ai un truc sur le visage ?

Dès qu’il dit cela, il me jeta un regard noir et commença à me faire la tête.

Moi — Eh bien, huuum, c’est juste que…

Son attitude m’avait pris de court. Il avait sûrement une arrière-pensée.

Hôsen — Hein ? Si tu as quelque chose à dire, dis-le.

Moi — Rien de particulier.

Hôsen — Hmpf

Alors que je reculais, il détourna le regard. Il avait une grosse présence pour un seconde. Allais-je me faire à nouveau poignarder ? Ils avaient fini leur selfie, mais Hôsen semblait avoir quelque chose à dire. Alors qu’il s’éloignait les mains dans les poches, je ne pus m’empêcher de demander.

Moi — Il voulait dire quelque chose ?

Alors que Nanase s’approchait de moi, elle murmura à voix basse :

Nanase — En fait, Hôsen-kun aime beaucoup Ichinose-senpai.

Moi — …Sérieusement ?

Je ne pouvais pas le croire. C’était déjà étrange qu’il vienne pour un selfie, mais là, c’était une sacrée révélation.

Nanase — Il a entendu la rumeur alors il est venu pour la vérifier.

Ce n’était donc pas une coïncidence qu’il passe par là.

Moi — Mais, peut-être que c’était vraiment une coïncidence ?

Nanase — Non. C’est lui qui m’a appelé au centre commercial. Il ne pouvait pas approcher Ichinose-san seul, alors il s’est servi de moi.

Je pensais qu’il voulait nous jouer un tour, mais cela n’avait rien à voir. Hôsen avait déjà disparu alors je n’ai pas pu confirmer la chose.

Hé, Ichinose, prenons une photo ensemble !

Deux filles en terminale s’approchèrent en agitant les mains. Ce n’était pas près de se terminer. Je saluai rapidement les senpais et me mis en marche.

Ichinose — À plus tard, Ayanokôji-kun !

Elle fit un petit signe de la main et reporta doucement son attention sur les filles. C’était devenu un évènement de grande envergure, et cela faisait déjà 46 personnes désormais avec Hôsen et Nanase.


[1]En général on se réfère au grand-père avec le titre ojii-san (お じ い さ ん) ou sofu (祖 父). Ojii-sama est peu utilisé et témoigne d’une marque de respect d’où la confusion.


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