CLASSROOM Y2 V4,5 : CHAPITRE 6


Un passé qui hante

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Traduction : Colonel Raclette (1-2), Raitei (3-4)
Correction : Raitei, Nova
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Dans la soirée, mes camarades de chambre passaient un bon moment à parler de choses futiles. Je m’inquiétais pour Akito, mais sa fièvre était tombée en un jour et il était en voie de guérison. Il ne semblait avoir aucun problème pour s’allonger et parler. J’avais passé la nuit sur mon téléphone tout en portant quelque peu mon attention sur leur discussion, interjetant occasionnellement un mot ou deux. Alors que je surfais sur le net, en attendant de dormir, je reçus un message.

— J’aimerais t’appeler maintenant, c’est possible ?

Cela venait de Kei. Cela faisait déjà un bon moment que j’avais levé l’interdiction de s’envoyer des messages et, ces derniers temps, nous en échangions au moins une fois par jour. Aucune émoticône ou GIF n’avait été utilisé pour ne montrer aucune proximité.

Moi Je suis dans la chambre, donne-moi trois minutes.

Il y avait du temps avant le couvre-feu, alors quitter la cabine n’était pas difficile. Après avoir envoyé ma réponse, je me levai rapidement de mon lit.

Moi — Je vais aller chercher à boire.

Avec une excuse banale, je me glissai hors de la chambre et me dirigeai dans le couloir. Comme il était déjà presque 21h, je ne rencontrai aucun autre élève. Par la suite, je montai sur le pont de nuit, vérifiant les alentours. Après m’être assuré qu’il n’y avait personne, je décidai d’appeler Kei.

Moi — Allô ?

Karuizawa — Désolée si c’est soudain. Mais je voulais vraiment t’appeler aujourd’hui.

C’était clairement des paroles que l’on pouvait sortir en couple. Sous-entendait-elle qu’elle voulait juste entendre ma voix ?

Karuizawa — Tu sais…

Après une légère pause, Kei commença à parler.

Karuizawa — J’ai entendu une sale rumeur à ton sujet. Tu peux m’expliquer?

Je m’attendais à tout sauf à ça. Il sembla que Kei était de mauvaise humeur et le silence continua un petit moment.

Moi — Une sale rumeur ?

Incapable de comprendre, je demandai confirmation, mais tout ce que je ressentais était de la frustration sans réponse. Elle semblait se méfier de mon attitude.

Karuizawa — Rien ne te vient à l’esprit ?

Moi — Non, rien du tout.

Même si j’avais répondu cela sans hésitation, quelques incidents m’étaient venus à l’esprit. D’abord et avant tout ça devait être en rapport avec Ichinose. Nagumo, qui avait été témoin de l’échange entre elle et moi, aurait pu supposer que ce n’était pas une rencontre anodine. Maintenant qu’il savait que Kei et moi entretenions une relation, il n’aurait pas été surprenant qu’il en parle. Il y avait aussi ma collaboration avec Satô qui m’avait avoué ses sentiments par le passé, ainsi que mes discussions avec Matsushita.

Karuizawa — Il n’y a vraiment rien ?

Avec un instant de retard, elle sembla vouloir confirmation une fois de plus afin de dissiper ses soupçons.

Moi — Rien.

J’avais continué à faire l’ignorant. Si j’avais su avec certitude à la situation à laquelle elle pensait, j’aurais bien entendu avoué. Mails il ne fallait pas être négligent au risque d’aggraver la situation en disant des choses de trop. Je devais concéder une bataille pour gagner la guerre en quelque sorte.

… Attendez, n’était-ce pas censé être une conversation douce de couple ? Comment étions-nous arrivés là ?

Moi — Kei ?

Je l’incitai à parler en l’appelant par son prénom, et elle commença à parler, les lèvres frémissantes.

Karuizawa — Il y a une rumeur qui circule comme quoi tu, eh bien, tu flirterais avec une seconde.

Moi — Hein ?

Les détails de cette rumeur étaient connus mais j’étais surpris à tel point que j’avais incliné la tête. Je n’avais clairement pas pris ce scénario en compte. J’avais eu raison de rester avare en mots.

Moi — Où et comment as-tu entendu cette rumeur ?

Karuizawa — J’en sais rien ! Mais je sais que tu as été vu plusieurs fois avec une seconde. C’est vrai ça… ?

La seule personne qui me venait à l’esprit était Nanase. En effet, je l’avais croisée à plusieurs reprises et j’avais discuté avec elle pendant ces vacances. Comme je ne la rencontrais pas en secret, il y avait forcément des témoins. Ayant compris la situation, je commençai à parler.

Moi — C’est juste une élève de seconde.

Karuizawa — Mais je le sais ça ! Tu crois que ça me suffit ?

Elle n’avait pas tort.

Karuizawa — Et tu ne m’avais pas dit que tu étais en binôme avec Satô-san !

Kei avait aussi fini par évoquer l’une des situations m’étant venues à l’esprit.

Moi — Te connaissant, tu as dû le savoir tout de suite…

Pendant la chasse au trésor il y avait beaucoup de témoins. Même Matsushita était au courant.

Karuizawa — Oui je l’ai su assez vite ! Mais tu sais…

Son mécontentement se répandit lentement alors qu’elle marmonnait quelques mots que je ne pouvais pas saisir.

Karuizawa — Je voulais vraiment faire équipe avec toi Kiyotaka.

Moi — Et tu crois que ce n’était pas réciproque ?

Karuizawa — Hmpf…

Moi — Au fait, vous avez obtenu quoi avec Mori lors de la chasse ?

Karuizawa — C’est vraiment ça qui t’intéresse ?

Moi — Non, oublie.

L’atmosphère s’était détériorée, alors je ne fis rien pour l’empirer. J’aurais pu continuer à poser des questions stupides mais comme Satô était arrivée sur le tapis, je décidai d’aborder un nouveau sujet.

Moi — Tu as parlé à Satô de notre future officialisation ?

Karuizawa — Hein ? Ah, oui. Je voulais lui dire en premier.

Moi — Eh bien, elle ne dira rien je pense. C’était par téléphone ?

Karuizawa — Ce genre de chose se dit en face. On était au café.

Moi — Au café ? Quelqu’un était en mesure de vous écouter ?

Karuizawa — J’étais prudente. En tout cas, aucun 1ère se trouvait là.

Pour Kei, les 1ère étaient ceux à surveiller. Les 2nde et les TLe avaient peu d’intérêt pour la vie amoureuse des élèves d’autres années. Mais ces TLe  étaient focalisés sur moi alors ils pouvaient tenter de guetter la moindre info.

Karuizawa — Ah~ mais il y avait une terminale qui était venue s’asseoir pas loin avec ses amies, du coup on arrivait plus à s’entendre.

Afin de compléter sa réponse, Kei repensa au jour où elle avait rencontré Satô. Pour elle qui n’était pas au courant de la situation, il lui était impossible de réaliser qu’elle était suivie par les terminale.

Moi — Je vois. Tant mieux.

Karuizawa — Mais t’es sûr que je peux annoncer notre relation ?

Moi — Bien sûr, pas de problème.

Tôt ou tard on allait être obligé d’y venir. Plus on repoussait l’échéance et plus cela allait engendrer de problèmes à régler.

Moi — En tout cas, sans parler d’annoncer quoi que ce soit, dis-le seulement à tes amies et les rumeurs se propageront d’elles-mêmes.

Ça allait susciter beaucoup de réactions mais ce n’était en rien problématique.

Karuizawa — Mais tu sais… Kiyotaka, tu es assez populaire

Moi — Ah bon ?

Karuizawa — Uwa, ce côté ignorant… ça donne pas envie de discuter.

Moi — Alors n’en parlons pas.

Karuizawa — Heu…d’accord mais ça m’inquiète en fait.

Ce n’était pas comme si je ne savais pas ce qu’elle voulait dire, mais il y avait des contradictions dans ses propos.

Moi — Du coup tu voulais me faire part de tes inquiétudes ?

Quand les gens nous pensent libres, nous sommes la cible de leurs convoitises. Ainsi, officialiser une relation est un moyen plutôt judicieux d’avoir la paix, paradoxalement. Bien sûr, ça ne marche pas à tous les coups…

Karuizawa — Tu devrais t’inquiéter oui…

Ces exceptions étaient les ennemis invisibles dont Kei avait peur.

Karuizawa — Tu ne le sais peut-être pas encore, mais il y a des filles qui se passionnent pour le vol de mecs casés.

Moi — Je vois.

Karuizawa — Si tu me trompes, je ne te pardonnerai jamais !

Pour une fille dépendante comme Kei, il était logique qu’elle ne pardonne pas un tel acte. Je le savais très bien avant même que l’on ne sorte ensemble.

Moi — Ne t’inquiète pas, je ne le ferai pas.

Karuizawa — Tu es vraiment sûr ?

Moi — Oui.

Karuizawa — Vraiment ?

Moi — Vraiment.

Nous faisions des va-et-vient dans la discussion mais dans le processus amoureux, cette phase dénuée de sens que nous pouvions apparenter à de la plaisanterie n’était qu’un des moyens d’exprimer de l’affection.

Karuizawa — Est-ce que tu m’aimes… ?

Je regardai autour de moi pour m’assurer qu’il n’y avait personne. Logiquement, à cette heure de la journée, aucun élève ne devait être là.

Moi — Oui, je t’aime.

Après m’être assuré de la chose, je pus dire ces mots sans hésitation.

Karuizawa —…… Mm..fufufu…

Moi — C’est quoi ce rire effrayant ?

Je pensais qu’elle serait heureuse et qu’elle répondrait en disant la même chose mais au contraire, elle se moqua de moi.

Karuizawa — C’est drôle rien que  de t’imaginer regarder autour de toi.

Il semblerait que Kei avait deviné mes faits et gestes.

Moi — Je vais mettre fin à l’appel.

Karuizawa — Oh, attends, attends. Redis-le.

Moi — Mmm.

Quand elle me demanda de le répéter, les mots se coincèrent.

Moi — J’ai dit que j’allais boire de l’eau alors il faut que je rentre.

Karuizawa — Attends ! Dis-moi que tu m’aimes !

Moi — Je l’ai dit plus tôt.

Karuizawa — Je veux l’entendre encore une fois !

Même s’il s’agissait des mêmes mots, leur poids pouvait changer.

Moi — …Je t’aime.

Karuizawa —…………pfffft…

Kei, qui ne put contenir son rire et finit par rire aux éclats.

Moi — Pour moi tu restes la meilleure.

Malgré mes mots, ses inquiétudes semblaient encore grandir.

Karuizawa — Tu ne veux pas me le demander aussi ?

Moi — Si je te le demande, tu le feras ?

Karuizawa — Peut-être.

Moi — Eh bien, on se verra demain alors.

Karuizawa — Hé ! Pose-moi la question ! C’est le bon moment.

Au final j’avais faussement le choix, j’étais obligé de la poser.

Moi — Alors, dis-le-moi.

Karuizawa — T’as l’air de t’en foutre là. Mets-y un peu de conviction.

Moi — S’il te plaît, dis-le-moi…

Karuizawa — Eh ~ ? Que dois-je faire ~

Je retins ce que je voulais dire et attendais la réponse de Kei.

Karuizawa — Je t’aime.

Kei répondit avec un petit sourire.

Karuizawa — Bonne nuit Kiyotaka.

Moi — Oui, bonne nuit.

Après avoir terminé l’appel, le « je t’aime » de Kei résonna dans mes oreilles.

Moi — Ce n’est pas mal du tout.

Ce qu’on appelle l’amour était vraiment intéressant…

1

Il était plus d’une heure du matin au lendemain du 9 août. Les élèves étaient probablement déjà endormis. Tous les trois s’étaient retrouvés au bar de nuit, ouvert uniquement aux adultes.

Mlle. Hoshinomiya — Ugh, je suis tellement crevée. Pourquoi on doit travailler aussi tard tous les jours ? Ma peau en prend un coup ! Je veux des vraies vacances d’été.

Hoshinomiya se plaignait tout en s’affalant sur le comptoir du bar.

Mlle. Chabashira — Tu n’as pas eu assez de repos ? Nous étions en congés pourtant les 5 et 6 août.

Mlle. Hoshinomiya — Deux jours quoi. Et le jeu de chasse au trésor ? Je veux un bonus moi !

Mlle. Chabashira — Je comprends ce que tu ressens mais nous ne sommes plus étudiants. Fini les longues vacances pour nous.

Chabashira, assise à la droite de Hoshinomiya, la réprimanda

M. Mashima — Ne nous plaignons pas au vu des efforts que les élèves ont fourni pendant ces deux semaines sur l’île déserte.

Cette fois, Mashima, assis à la gauche de Hoshinomiya, l’exhorta à tenir bon.

Mlle. Hoshinomiya — Je n’entends pas, je n’entends pas !

Elle se tenait les oreilles à deux mains et secouait la tête avec dégoût.

Mlle. Hoshinomiya — Alors on pourrait au moins profiter des vacances sur le bateau non ? C’est injuste que les élèves soient les seuls à avoir accès à la piscine, aux films et à tout le reste.

Hoshinomiya était frustrée. Elle n’arrivait pas à accepter cette dure réalité.

M. Mashima — C’est notre travail.

Mlle. Chabashira — C’est ça la vie active, Chie.

Mlle. Hoshinomiya — Ah je ne veux pas ! Je ne veux pas travailler !

Elle couvrit ses deux oreilles avec ses mains avec plus de force. Mais peu de temps après, elle lâcha ses mains et leva sa main droite en criant.

Mlle. Hoshinomiya — S’il vous plaît, donnez-moi une boisson forte pour échapper à la réalité ! La recommandation de la maison !

Elle frappa ensuite le comptoir avec sa main gauche pour exiger sa boisson.

Mlle. Chabashira — Tu n’as pas du tout changé…

Chabashira regarda Hoshinomiya puis soupira, exaspérée.

Mlle. Hoshinomiya — Mon objectif est d’être belle et jeune pour toujours.

Mlle. Chabashira — Ce n’est pas ce que je voulais dire.

Mlle. Hoshinomiya — Alors quoi~ ?

Mlle. Chabashira — Inutile d’expliquer, je voulais juste dire ça.

Avec un peu de retard, Mashima et Chabashira commandèrent aussi des bières, et quand ils furent tous ensemble, ils remplirent leur verre et trinquèrent.

M. Mashima — Mais cet examen spécial a été une épreuve étrangement difficile vous ne trouvez pas ? Il y a eu trop d’imprévus…

Mlle. Hoshinomiya — Il y a eu la blessure grave d’un élève, et des dysfonctionnements de montres à foison. Les élèves se sont fait plaisir à ce niveau. Ensuite, il y a eu ces expulsions inattendues des terminale.

Prenant une gorgée de son cocktail maison, Hoshinomiya prit une inspiration.

Mlle. Hoshinomiya — Le problème est que nous avons laissé trop de liberté aux élèves. Ça n’a pas été signalé, mais je suis sûre qu’il y a eu des relations illicites entres les filles et les garçons

M. Mashima — J’aime à penser que cette limite n’a pas été franchie.

Mlle. Hoshinomiya — Tu es si naïf, Mashima-kun. Cela dit, on ne peut pas stopper la passion des jeunes, même en leur disant les choses.

M. Mashima — Ça c’est seulement dans ton esprit.

Elle exigea rapidement d’être resservie après un nouveau coup sur le comptoir.

Mlle. Chabashira — Nous serons bien occupés après les vacances d’été.

Mlle. Hoshinomiya — Ugh, je ne peux plus le supporter. Marre de ce métier sous payé. À boire, à boire !

Mlle. Chabashira — C’est toujours pareil avec toi. Tu te plains toujours.

Mlle. Hoshinomiya — Cet endroit a été fait pour que je me plaigne.

Dit-elle sans une trace de remords, et sirota son deuxième verre.

Mlle. Chabashira — Tu ne changeras jamais, Chie. C’est l’un de tes meilleurs côtés.

Chabashira demanda quelques petits en-cas pour accompagner la boisson.

Mlle. Hoshinomiya — En tout cas, je suis soulagée qu’aucun élève de première n’ait eu à subir une expulsion.

Mlle. Chabashira — Il est vrai que c’est étrange.

Pris en sandwich entre Hoshinomiya et Chabashira, Mashima écoutait tranquillement la conversation. Mais au moment où elle s’apprêtait à passer à un autre sujet, il se força un peu à poser son verre à moitié vide sur la table.

M. Mashima — Les élèves de première se débrouillent bien. Mais cela peut conduire à une situation encore plus problématique.

Mlle. Hoshinomiya — Je ne te suis pas vraiment là.

M. Mashima — Je ne dis pas que l’établissement cherche à exclure ses élèves mais il n’y a eu quasiment aucune expulsion lors des examens spéciaux jusqu’à présent, ce qui ne laisse rien présager de bon.

Mlle. Chabashira — Il est vrai que les seuls élèves de la promo ont été expulsés à cause du vote mais ça reste des expulsions quand même.

Tous les trois se souvenaient clairement de cette terrible épreuve du vote.

Mlle. Chabashira — J’espère qu’il n’y aura plus jamais d’examens spéciaux de ce genre. C’est vraiment malsain.

Elle qui traitait d’habitude ses élèves avec insensibilité, eut un pincement au cœur. Elle ne pouvait pas accepter l’idée de forcer un élève qui n’avait pas fait d’erreur à être mis au pied du mur, tout comme Hoshinomiya. Mais le visage de Mashima était sinistre. Voyant cela, Chabashira le regarda dans les yeux.

Mlle. Chabashira — Ne me dis pas qu’il y’a un autre examen spécial en préparation pour forcer les élèves à être exclus ?

M. Mashima — Un vote de classe comme l’an passé n’est pas quelque chose que l’établissement peut faire comme ça.

Mlle. Chabashira — Ce n’est pas alarmant alors. Tant que ce n’est pas une épreuve avec expulsion obligatoire, ma classe s’en sortira.

Mlle. Hoshinomiya — Oh la la ! Tu t’avances non, Sae-chan ?

Par-dessus le dos de Mashima, Hoshinomiya bouscula Chabashira sur le côté

Mlle. Chabashira — Arrête ça !

Énervée, Chabashira attrapa sa main. Hoshinomiya lui lança un regard acéré.

Mlle. Hoshinomiya — Tu ne crois pas que tu vas réussir à passer en classe A, quand même ?

Mlle. Chabashira — Je n’ai jamais dit ça. Je disais juste que c’est la meilleure des classes que j’ai eu jusqu’à maintenant.

Mlle. Hoshinomiya — Hmm ?

Au milieu de la tension ambiante, Mashima avait englouti le reste de son verre.

M. Mashima — Il n’y aura certainement pas d’expulsion forcée, mais…

Chabashira et Hoshinomiya regardèrent Mashima, s’étouffant dans ses mots.

M. Mashima — Les grandes lignes du prochain examen spécial ont été abordées l’autre jour. Ce sera la première fois en onze ans qu’il aura lieu.

Mlle. Chabashira — Onze ans ? Nous avons 29 ans cette année, ce qui veut dire que cela fait depuis …… notre première année de lycée ? C’est rare de voir un vieil examen spécial refaire son apparition.

Beaucoup de souvenirs du lycée furent oubliés. Quelles conversations avaient-ils eu ? Quels examens spéciaux avaient-ils passés ? Ils étaient incapables de se remémorer de tout.

M. Mashima — L’établissement fait en sorte de proposer des examens spéciaux uniques ou bien entreprend des rotations d’examens qui se font tous les quatre ans, comme vous le savez.

Mlle. Chabashira — C’est pour s’assurer que les autres élèves ne divulguent pas le contenu des examens spéciaux aux nouveaux.

Le lycée d’excellence Kôdô Ikusei avait réalisé de nombreux examens spéciaux au cours de son histoire, allant de ceux qui n’avaient eu lieu qu’une seule fois à ceux qui revenaient tous les quatre ans.

M. Mashima — Bien sûr, parfois nous répétons intentionnellement le même examen spécial dans un court laps de temps pour inciter à ce partage d’informations, mais fondamentalement c’est une rotation prédéterminée. Toutefois, selon le déroulement de l’année, nous pouvons faire appel à des examens spéciaux remontant à plus de quatre ans.

Mlle. Chabashira — Donc il n’est pas si rare que d’anciens examens spéciaux aient lieu, n’est-ce pas ?

M. Mashima — En effet. Tant qu’il ne s’agit pas d’un examen litigieux.

Mashima dit cela avec suspicion mais les deux femmes n’y prêtèrent pas trop attention. Au contraire, elles étaient impatientes que le nouvel examen spécial commence.

Mlle. Hoshinomiya — Peut-être que la classe de Sae-chan et la mienne devront se battre l’une contre l’autre.

Mlle. Chabashira — Tu sembles t’attendre à ce que cela se produise. Tu penses que ta classe s’en sortira face à la mienne ?

Mlle. Hoshinomiya — Je ne sais pas mais c’est mieux que de se battre contre la classe de Ryuuen-kun ou celle de Sakayanagi-san, non ?

En souriant, Hoshinomiya expira une odeur d’alcool de sa bouche.

Mlle. Chabashira — Mes élèves ont beaucoup muri. Je te conseille de ne pas les sous-estimer.

Mlle. Hoshinomiya — Wow… Je n’aurais jamais pensé que tu dirais quelque chose comme ça un jour. Ayanokôji-kun est un jeune homme très spécial, du coup tu te permets d’avoir la confiance, hein ?

Mlle. Chabashira — Ayanokôji est en effet une perle. Mais il y a aussi beaucoup d’autres élèves avec du potentiel.

Mlle. Hoshinomiya — Mais oui, dis plutôt que tu comptes trop sur lui.

Mlle. Chabashira — De quoi tu parles, quand ai-je compté sur lui ?

Ces deux-là semblaient se répondre avec désinvolture, mais pour Mashima assis entre elles, leur conversation pouvait faire froid dans le dos. S’il écoutait simplement en silence, cela allait se transformer en dispute en quelques minutes.

M. Mashima — Stop. C’est pas le moment de vous disputer maintenant.

Mlle. Hoshinomiya — Ouais. Disons que je me suis un peu enflammée.

Hoshinomiya but son saké jusqu’à la dernière goutte, exprimant son regret.

Mlle. Chabashira — Tu bois trop vite.

Mlle. Hoshinomiya — Ça va, je ne suis pas faible à ce point.

Mlle. Chabashira — Je sais mais demain tu travailles.

Mlle. Hoshinomiya — Ne t’inquiète pas, ça ne m’affectera pas.

Elle ne montra aucun signe d’abandon et demanda un troisième verre.

M. Mashima — Alors si c’est comme ça, parlons avant d’être trop saoul. Regardez le plan du prochain examen spécial.

Après avoir ouvert un fichier sur son portable, il le posa sur le comptoir.

M. Mashima — Lisez le titre de l’examen spécial. Vous allez comprendre.

Mlle. Chabashira — Le titre ?

M. Mashima — Lis-le.

Les deux femmes se regardèrent pour ensuite observer l’écran du téléphone presque simultanément. Chabashira sursauta dès qu’elle le vit. Il en allait de même pour Hoshinomiya. C’était un examen spécial qu’elles avaient toutes les deux vécu au lycée et il était programmé pour le début du second trimestre.

M. Mashima — Je suis sûr que vous vous souvenez bien de cet examen spécial, même si ça fait onze ans déjà…

Chabashira était restée sans voix en regardant encore et encore le nom de l’examen spécial qui était inscrit. Hoshinomiya se détourna du téléphone et prit le troisième verre qui lui avait été apporté. Elle regarda son reflet dans le verre avec un rire jaune.

Mlle. Hoshinomiya — Pas possible… comment cet examen peut revenir…

Chabashira ne sut rien répondre et se contenta de baisser les yeux.

Mlle. Hoshinomiya — Je pensais que le vote de classe de l’an passé était un substitut à cet examen spécial.

Hoshinomiya regarda Mashima, comme pour avoir confirmation.

M. Mashima — Si un des élèves de première avait été exclu sur l’île, le prochain examen spécial aurait pu être différent.

Mlle. Hoshinomiya — Nous n’avons donc pas le choix. Ce n’est pas comme s’il était possible de rendre un examen écrit trop difficile juste pour exclure des gens. Mais même si la classe de Sae-chan est trop forte, il y a un examen spécial qui va poser un gros problème.

Hoshinomiya insista sur ce point, comme pour montrer son stress.

M. Mashima — Il est trop tôt pour dire si c’est problématique ou non. Cela dépend du point de vue mais c’est un examen sans empathie.

Mlle. Hoshinomiya — Mais si tu fais le mauvais choix, cela peut devenir un très gros problème. N’est-ce pas, Sae-chan ?

Fermant les yeux, Chabashira ne répondit pas.

M. Mashima — Il est vrai que vous avez toutes les deux été particulièrement tourmentées par cet examen spécial.

Mlle. Hoshinomiya — Je me souviens, c’était durant le troisième trimestre de notre seconde. Je n’oublierai jamais ce jour.

Les mots étaient dirigés vers elle-même et vers Chabashira, comme si elle était nostalgique de ces jours passés.

Mlle. Hoshinomiya — Tu comptes faire le mur ? Tu n’as rien à dire ?

Même ainsi, Chabashira ne put s’exprimer.

Mlle. Hoshinomiya — Quelle idiote…

Après un petit soupir, elle ignora Chabashira et regarda Mashima à la place.

Mlle. Hoshinomiya — Qu’en penses-tu Mashima-kun ? Tu penses qu’il y aura des changements dans le classement au prochain examen spécial…

M. Mashima — Même si la classe A a beaucoup d’avance, les autres ont encore des cartes à jouer pour renverser la situation. S’ils ont toujours l’intention de gagner, il y a de grandes chances qu’ils suivent ta voie.

Mlle. Hoshinomiya — Une situation qui s’annonce bien difficile.

Hoshinomiya marmonna et demanda au barman un quatrième verre. On ne pouvait plus l’arrêter.

Mlle. Hoshinomiya — Eh bien, concernant ma classe c’est pas fou mais qu’en est-il de celle de Sae-chan ? Pour l’instant, elle est en train de ramper depuis le fond mais elle n’est qu’à quelques points de la classe B. Si j’étais à sa place…

Mlle. Chabashira — Je retourne dans ma chambre.

Chabashira, qui était restée silencieuse pendant un long moment, dit cela et se leva avant même de finir son premier verre.

Mlle. Hoshinomiya — Quand je pensais que t’allais enfin parler, tu dis que tu rentres chez toi… Tu gâches l’ambiance…

Mlle. Chabashira — Désolée mais vous pouvez continuer à deux.

Chabashira lui tourna le dos, et l’expression de Hoshinomiya, qui était tranquille jusqu’à présent, changea drastiquement.

Mlle. Hoshinomiya — Hé !

Hosinomiya posa son verre sur la table avec force. Puis elle s’était levée d’un coup. Non seulement Chabashira, mais aussi Mashima avaient été surpris par son action et montrèrent une légère agitation, incapable de répliquer. Heureusement qu’il n’y avait que quatre personnes dans la pièce.

Mlle. Hoshinomiya — Tu vas courir après cet amour jusqu’à quand ?

Mlle. Chabashira — …De quoi tu parles ?

Mlle. Hoshinomiya — Tu sais quel âge on a maintenant ? Vingt-neuf ans ! Pendant combien d’années vont durer ces sentiments ?

M. Mashima — Hé, tu as trop bu je pense.

Mlle. Hoshinomiya — Tais-toi, Mashima-kun !

M. Mashima — ………….

Le barman, qui essuyait les verres à proximité, sentit la tension monter et s’excusa pour aller aux toilettes.

Mlle. Hoshinomiya — Tu es bloquée dans le passé. On dirait une élève de terminale. Tu oses mettre la pression à tes élèves en plus mais de quel droit ? C’est totalement absurde !

Chabashira quitta les lieux en silence, ne prenant même pas la peine de répondre aux injures. Le silence s’installa entre Hoshinomiya et Mashima.

Mlle. Hoshinomiya — Pfff, elle est partie.

Se sentant un peu hors d’elle, Hoshinomiya récupéra la boisson que Chabashira avait laissée derrière elle. Elle s’assit de nouveau ensuite.

M. Mashima — Tu es dure aussi, Hoshinomiya.

Mlle. Hoshinomiya — J’y peux rien. Cet exam est terrible après tout.

M. Mashima — Depuis cet examen, il y a eu une cassure entre vous.

Mlle. Hoshinomiya — Si Sae-chan avait choisi la bonne réponse, nous aurions pu être en classe A, tu sais ?

M. Mashima —…Tu es toujours rancunière à ce que je vois.

Mlle. Hoshinomiya — Normal d’être rancunière. J’ai échoué et maintenant je suis prof dans cet établissement. Avec un diplôme de la classe A, j’aurais pu faire carrière dans un monde plus brillant.

M. Mashima — Après cet examen, Chabashira et toi habitiez ensemble, ce qui a rendu la vie en colocation difficile, n’est-ce pas ?

Mlle. Hoshinomiya — C’était impossible de vivre ensemble après ce qui s’était passé. On aurait pu s’entretuer.

M. Mashima — Ce qui est effrayant avec toi, c’est que je ne peux même pas dire si tu exagères la réalité…

Hoshinomiya attrapa une mèche de cheveux et l’arracha.

M. Mashima — Je pensais que tu avais arrêté cette mauvaise habitude ?

Mlle. Hoshinomiya — Oh, je suis désolée. Je l’ai fait inconsciemment. Tu veux un morceau de mes précieux cheveux… ?

M. Mashima — Non merci.

Il ignora le cheveu qu’elle lui avait offert et demanda un deuxième verre au barman, revenu depuis. Voyant cela, Hoshinomiya insista pour un cinquième verre.

Mlle. Hoshinomiya — Je te l’ai dit, partager une chambre n’est pas une bonne idée. C’est bien quand les choses vont bien, mais s’il y a des problèmes, la relation peut changer radicalement. Notamment quand l’amour et l’avenir entrent en jeu.

Avant même de s’en rendre compte, Hoshinomiya avait retrouvé son expression hilare habituelle.

Mlle. Hoshinomiya — Alors que tous les élèves de première s’en étaient sortis indemnes de cette épreuve sur l’île… Quelle cruauté.

M. Mashima — À l’origine, il y a toujours quelques élèves qui quittent l’école chaque année. C’est la politique sur laquelle cet établissement se fonde. Mais cette fois, on a reconnu le dur labeur des élèves de première. C’est pourquoi cet examen spécial est organisé. Parce que nous ne savons toujours pas quels seront les résultats.

Mlle. Hoshinomiya — C’est vrai, mais… Cet examen fait ressortir toute la laideur et la faiblesse des gens. Au moins, le point positif est que ce n’est que la fin du premier trimestre pour ma classe. Et puis si l’établissement approuve ça…

M. Mashima — Oui, il est vrai que plus le reste de l’année scolaire sera court, plus les points de classe feront un bond en valeur et plus les examens spéciaux seront difficiles. Donc il y a un certain soulagement par rapport à ce que nous avons vécu au troisième trimestre de notre année de première.

Mlle. Hoshinomiya — C’est Sae-chan la fautive dans tout ça.

M. Mashima — Ça dépend de comment on voit les choses. Chabashira et toi avez toutes les deux pris la bonne décision.

Mlle. Hoshinomiya — Je ne sais pas…

La main de Hoshinomiya s’arrêta alors qu’elle avait tenté de boire sa boisson qui lui avait été fraichement servie.

M. Mashima — Qu’est-ce qu’il y a ?

Mlle. Hoshinomiya — Ma classe n’ira pas en A.

M. Mashima — Qu’est-ce que tu dis ?

Mlle. Hoshinomiya — Je ne pense pas pouvoir réduire l’écart avec la classe de Sakayanagi-san. Mais je ne compte pas laisser la classe de Sae-chan grimper aussi haut. Pour nous, être diplômées de la classe A était un rêve de longue date. Elle qui a détruit ce rêve n’a pas le droit à ce que ses élèves aient cet honneur. N’est-ce pas, Mashima-kun ?

M. Mashima — Ses élèves n’ont rien avoir avec elle.

Mlle. Hoshinomiya — Oh que si, c’est du pareil au même.

M. Mashima — Qui plus est, la classe d’Ichinose est excellente alors rien n’est perdu. Peut-être que ta classe passera avec brio le prochain examen spécial.

Mlle. Hoshinomiya — Ce n’est pas suffisant. L’avenir est ce qu’il est mais pour atteindre la classe A il faut se surpasser et devenir un monstre comme moi.

M. Mashima — Même si ça va jusqu’à l’exclusion ?

Mlle. Hoshinomiya — Même.

Mashima poussa un soupir.

Mlle. Hoshinomiya — Hirata, Kushida, Horikita, Kôenji, et Ayanokôji… Ce sont des personnes très problématiques.

M. Mashima — C’est sûr que l’on ne peut pas baisser sa garde surtout qu’il y a une sorte de sentiment de solidarité qui s’est créé. C’est comme si chaque défaut était éliminé un par un.

Mlle. Hoshinomiya — J’espère que le prochain examen spécial détruira leur unité.

Dit-elle en posant sa tête sur l’épaule de Mashima.

Mlle. Hoshinomiya — Je crois que je suis en train de tituber un peu… Je voudrais faire une pause dans ta chambre Mashima-kun.

M. Mashima — Si tu veux dormir, va dans ta cabine.

Mlle. Hoshinomiya — Tu peux être moins méchant ?

M. Mashima — Si tu veux dormir, tu ferais mieux de retourner dans ta chambre.

Mlle. Hoshinomiya — Tu n’y mets vraiment aucune conviction.

Elle se rapprocha pour étreindre son grand bras gauche mais Mashima la repoussa avec force.

Mlle. Hoshinomiya — Est-ce que ça te dérange ?

M. Mashima — Ça ne me dérange pas.

Mlle. Hoshinomiya — Alors, emmène-moi au moins dans ma chambre… Et ensuite, on pourra encore boire ? Jusqu’au matin.

M. Mashima — Désolé, mais je vais retourner dans ma chambre aussi. Ne bois pas trop non plus.

Mlle. Hoshinomiya — Tu ne penses pas que c’est l’occasion de ta vie là ?

M. Mashima — Désolé mais je ne vais pas m’impliquer avec toi ou Chabashira. Ça ne fera que m’attirer des ennuis.

Mlle. Hoshinomiya — T’es vraiment pas drôle.

Au comptoir du bar vide, Hoshinomiya continua de siroter tranquillement son verre.

2

(Horikita)

Le jour suivant. Les élèves, inconscients de ce qui se passait, s’amusaient avec leurs amis. Il y avait fort à parier que ce séjour resterait gravé dans leurs mémoires. Cependant, moi, Horikita Suzune, allait utiliser mon dernier jour de vacances pour quelque chose de complètement différent.

Devant l’entrée de la piscine privée, il y avait un comptoir pour les employés. Si la piscine était ouverte, les élèves devaient s’y rendre pour réserver et payer. Cela dit, j’avais entendu dire que la piscine privée était très populaire alors elle devait presque être toujours réservée. C’était une bonne chose pour moi.

Moi — Excusez-moi, j’aimerais effectuer une réservation.

Ayant peut-être déjà eu la même conversation avec de nombreux élèves, ce dernier me donna une brève explication.

— Veuillez remplir le créneau horaire de votre choix. Si c’est complet, vous pouvez également vous inscrire sur une liste d’attente.

Sur ce, il me tendit un cahier. Je n’étais pas venue dans cet endroit pour profiter de la piscine privée mais pour jeter un œil à ce cahier justement.

Moi — Merci, je vous l’emprunte.

Tous les cafés et autres lieux disposaient d’un système utilisant des tablettes et des bornes. Mais pour la piscine privée, les créneaux étaient fixes et l’on pouvait réserver quelques jours à l’avance sur papier. Je faisais semblant de chercher le jour et l’heure que je voulais réserver et passai minutieusement en revue les écritures à la lettre près. Même si l’on venait, en groupe, il y avait toujours un représentant qui remplissait le formulaire.

En fait, j’avais déjà prévu de régler cette histoire avec le jeu de la chasse au trésor de l’autre jour mais seule la moitié des élèves avait participé. Pour les seconde, le taux de participation était de plus de 66%. Avant la fin du jeu, j’avais vérifié les noms et l’écriture des participants mais rien ne correspondait. L’auteur de la lettre faisait-il partie de ces 34% ?

Avait-il prévu le coup ?

Quoi qu’il en soit, j’essayais toujours de le découvrir parmi ces 34 % restants. Ce qui m’étonnait encore était le taux de réservation de la piscine privée : presque toutes les plages horaires étaient réservées, y compris pour le dernier jour. Il n’y avait certes pas de frais d’annulation jusqu’à la veille du créneau, la piscine rencontrait tout de même un succès.

Il y avait un espace pour écrire le nom du représentant et le nombre d’élèves, mais nous n’étions pas obligés de mentionner l’année d’étude. Je feuilletai le cahier pour vérifier le plus d’écritures possibles, mais je ne trouvai pas de belle écriture. J’avais le sentiment que ce ne serait pas facile à trouver et il semblait que j’avais raison. Ce n’était pas tous les jours qu’on avait la chance de voir les noms et l’écriture des élèves mais comme je n’avais rien trouvé, il était temps de passer aux choses sérieuses.

 Je devais maintenant regarder à nouveau chaque nom et les faire correspondre par rapport aux profils des élèves sur l’OAA. Malgré une centaine de noms sur la liste de réservation, cela prenait beaucoup de temps juste pour les vérifier. Il était facile d’ignorer les élèves ayant une mauvaise écriture flagrante ou des habitudes différentes, mais je veux faire les choses bien.

M. Kibayashi, 2nde B, et M. Mochizuki, 2nde D, étaient ainsi exclus. J’avais déjà vérifié l’écriture d’Eto-san après qu’il ait participé au jeu de la chasse au trésor hier, il était donc exclu. Heureusement, la réceptionniste n’avait pas prêté attention au fait que je regardais la liste avec mon téléphone à la main. De ce que je voyais, elle avait beaucoup de choses à faire.

Mais tout de même, ce n’était vraiment pas évident à trouver. J’avais regardé la liste pour la chasse au trésor des élèves de première et terminal dans le doute mais je n’avais trouvé personne avec une écriture similaire. Où diable se trouvait cette personne ? Quelques minutes s’étaient écoulées et j’étais parvenue pour le moment à éliminer neuf personnes. La réceptionniste était sur le point de me trouver suspecte alors elle m’interpela.

— Hum, est-ce que tu en as pour longtemps ?

Moi — Euh… désolée. Il est difficile de réserver pour tout un groupe.

J’étais tellement concentrée à regarder la liste que je n’avais pas remarqué la présence de l’élève qui se tenait derrière moi vu que j’avais supposé que personne ne viendrait. Je ne pouvais pas faire attendre son groupe plus longtemps alors je décidai qu’il serait préférable de le laisser réserver. D’après son apparence, il avait l’air d’être en année de seconde.

Moi — Ça va me prendre encore du temps alors vas-y.

— Je vois. Dans ce cas je me permets de prendre le cahier.

Il était grand, à peu près de la même taille que Sudou-kun ou un peu plus petit. Je déverrouillai mon téléphone en attendant qu’il finisse de remplir sa réservation, en faisant semblant de chatter avec un ami. Peut-être parce qu’il n’y avait qu’un nombre limité de créneaux de libre, il avait pu se décider assez rapidement. Peu de temps après, le garçon me redonna le cahier.

— Merci beaucoup.

Je passai ainsi en revue sa réservation. Le nom du représentant était Kyo Ishigami et il avait réservé pour un groupe de cinq. Il n’avait pas participé au jeu de la chasse au trésor, c’était donc la première fois que je voyais ce nom. Lorsque je le cherchai dans l’OAA, j’avais découvert qu’il était en 2nde A.  Son écriture était raffinée alors il n’aurait pas été étonnant qu’il ait fait de la calligraphie pendant des années. Cette écriture semblait habituelle et ne collait pas trop à l’écriture presque mécanographique de la lettre mais c’était la plus ressemblante de toute celles que j’avais vues. Si j’avais ce morceau de papier dans la main, j’aurais été capable de la comparer en détail, mais comme Amasawa-san l’avait déchiré et jeté, c’était désormais impossible. En regardant les lettres de plus près, j’eus l’impression de subir la psychologie de la Gestalt[1]. J’avais tellement eu le nez dans les écritures depuis l’autre jour que mon cerveau commençait à faire des recompositions mentales de lettres.

Moi — Je m’excuse mais je peux prendre une minute de ton temps ?

Je parlais à voix haute alors qu’Ishigami-kun s’éloignait de moi. Il me regarda à nouveau avec curiosité, alors que je lui adressais la parole.

Moi — En fait, je viens de parler avec un ami et ses disponibilités coïncident avec ton créneau. Je me demandais si on pouvait négocier.

Quel que soit le sujet abordé, je voulais être sûre que ce n’était pas lui.

Ishigami — Ce n’est pas que je n’ai pas envie mais je viens de dire à mes amis que j’avais réservé pour cette heure-là.

Je levai le téléphone jusqu’à mon visage en me connectant à son profil OAA. Si c’était lui, il y avait de fortes chances qu’il me connaisse.

Ishigami — Je peux avoir le cahier, s’il te plaît ?

Moi — Bien sûr. Désolée pour le dérangement.

Ishigami — Voilà, c’est fait Horikita-senpai.

Il m’appela par mon nom, ce qui accéléra légèrement mon rythme cardiaque.

Moi — Tu connais mon nom ? Je ne pense pas te connaître pourtant.

Ishigami — J’ai retenu la plupart des noms et des visages des élèves de première les plus doués avant le premier examen spécial.

L’OAA pouvait aussi aider à se souvenir du nom de ses aînés.

Moi — Tu as une bonne mémoire. Je pensais avoir retenu les noms des meilleurs élèves de seconde mais je ne t’ai pas reconnu, Ishigami-kun.

Ishigami — Je ne suis pas quelqu’un qui se démarque.

La discussion se déroula sans accroc ni suspicion de sa part. Je n’avais rien obtenu de définitif, mais j’avais toujours l’impression que son écriture était différente d’une certaine manière. Je me sentais mal de le garder plus longtemps, alors je décidai de le laisser partir.

Ishigami — Je peux te poser une question, Horikita-senpai ?

Cette fois, c’est lui qui engagea la discussion.

Ishigami — Tu as dit que tu ne m’avais pas reconnu, n’est-ce pas ?

Moi — En effet, pourquoi ?

Je ne me souvenais pas avoir dit quelque chose de mal.

Ishigami — Tu es sûre que tu ne te souviens pas de moi ?

Demanda-t-il, comme pour s’assurer de quelque chose.

Moi — En effet, c’est le cas.

Je ne me souvenais vraiment pas d’Ishigami…

Ishigami — Alors pourquoi avoir pris la peine de vérifier mon profil dans l’OAA alors que tu as une réservation à effectuer avec ton ami ? Surtout que tu te doutais bien que j’avais un score élevé académiquement parlant.

Je fus prise de court pas sa remarque. Il n’y avait rien d’étrange au fait que je recherche son profil. Cependant, comme l’avait souligné Ishigami, le timing était louche.  Il aurait pu me le dire avant mais il avait pris son temps.

Moi — Mon application OAA fonctionnait en arrière-plan. Ton nom était dans la plage horaire que je voulais réserver, alors je me suis dépêchée de vérifier ta photo pour m’assurer que c’était bien toi.

C’était une excuse un peu bancale mais crédible. Après qu’il ait fini de parler avec son ami au téléphone, il changea la réservation avec indifférence.

Ishigami — Je vois. Désolé, j’avais eu un mauvais soupçon.

Moi — Ce n’est pas grave. Je suis sûre que tu as été un peu surpris, c’est naturel de se faire une fausse idée au vu des circonstances.

Ishigami — Eh bien dans ce cas, je vais te laisser.

Moi — Ishigami-kun, merci beaucoup de m’avoir laissé ce créneau.

Ishigami — Pas de quoi, mais…

Il était sur le point de dire quelque chose mais il hésita.

Moi — Oui ?

Ishigami — Non, rien. On se reverra Horikita-senpai.

Moi — Oui. Certainement.

Ishigami-kun me tourna malheureusement le dos et partit. Je ne pensais pas que c’était la personne que je recherchais mais il me rendait curieuse. Il était préférable de le considérer comme suspect. Après avoir fixé son dos jusqu’à ne plus l’avoir dans mon champ de vision, je restai là, le cahier dans les mains. Vu que j’avais réservé un créneau, il aurait été étrange de rester là plus longtemps. N’ayant pas eu d’indices, je devais réfléchir à ce que j’allais faire pour la suite. Bien entendu, concernant ma réservation je comptais l’annuler un moment mais pas tout de suite afin de faire passer la chose naturellement.

— Tu as l’air de passer un mauvais moment, Horikita-san.

Hoshinomiya-sensei, que je voyais peu souvent, m’interpela. Elle semblait être assise avec Kanzaki-kun, un élève de sa classe. Nos regards se croisèrent.

Moi — Je suppose que cela ne change pas par rapport à d’habitude.

Mlle. Hoshinomiya — Ah oui ? Tu m’en vois désolée.

Elle avait une main posée contre le mur ce qui était étrange.

Moi — Hum, vous ne vous sentez pas bien ?

Mlle. Hoshinomiya — Oh~ ça ? Ne t’inquiète pas, c’est une maladie spécifique aux adultes.

Une maladie spécifique aux adultes ? Cela existait ce genre de maladie ?

Mlle. Hoshinomiya — D’ailleurs, qui est ce beau gosse avec qui tu parlais tout à l’heure ? Je crois l’avoir déjà croisé.

Il n’y avait personne d’autre que Ishigami juste avant.

Kanzaki — C’est Ishigami de la 2nde A.

Avant que je ne puisse répondre, Kanzaki, debout à côté d’elle, répondit.

Mlle. Hoshinomiya — Eh ? Il est en 2nde ? Ah je comprends mieux pourquoi vous le connaissez.

Hoshinomiya-sensei me regarda étrangement pour une raison quelconque.

Moi — Il y a quelque chose que je dois savoir sur lui ?

Ai-je demandé, en espérant obtenir au moins quelques indices.

Mlle. Hoshinomiya — Hmm, si ça se trouve je ne l’ai jamais croisé. Désolée Horikita-san mais je ne peux plus me retenir…

Se balançant sur ses pieds, elle courut vers le pont et je la suivis au pas.

Mlle. Hoshinomiya — Ah, ugh, hiiii !

Je ne comprenais rien à la situation mais elle poussa un cri de douleur. Puis, avec un gargouillis sonore, Hoshinomiya-sensei mit sa main devant sa bouche et s’accrocha à la rambarde du pont.

Mlle. Hoshinomiya — Olo-lo-lo-lo  !!!

Le vomi scintillant fut emporté par la forte brise marine. Kanzaki, qui était arrivé un peu plus tard, et moi, nous contentâmes de simplement la regarder. Je me demandais à quelle scène surréaliste j’assistais…

Moi — Sensei ……vous ne donnez pas vraiment le bon exemple…

Mlle. Hoshinomiya — Ugh, c’est un mélange de gueule de bois et de mal de mer, désolée Horikita-sa──Bwheuuurg  !

Au moins c’était dans l’océan…

Mlle. Hoshinomiya — Je suis désolée, je vais retourner dans ma chambre et dormir. Je suis obligée d’interrompre notre conversation Kanzaki-kun. Je m’excuse sincèrement.

Kanzaki — Ne vous inquiétez pas pour ça. Je vous recontacterai.

Mlle. Hoshinomiya — Et Horikita-san, aussi je suis désolée de t’avoir montré quelque chose de bizarre~…… ugh !

Elle agita la main avec désinvolture mais cacha rapidement sa bouche et courut dans le bateau.

Moi — Je suppose que c’est pas facile à gérer.

Kanzaki — Ça doit être déroutant si tu n’as pas l’habitude de la voir.

Moi — Tu l’as vue dans cet état plusieurs fois ?

Kanzaki — Je l’ai vue dans cet état environ trois fois en salle de repos ce matin. Je m’excuse d’avance de t’avoir fait assister à ce triste spectacle.

Je saluai légèrement Kanzaki-kun et m’apprêtai àpartir.

Kanzaki — Quel est ton lien avec Ishigami ?

M’arrêtant dans mon élan, je ne m’attendais pas à cette question.

Moi — Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

Ses paroles n’étaient pas claires alors je répondis avec une question.

Kanzaki — Vous discutiez non ?

Moi — Vu comment tu poses la question, tu dois le connaître.

Kanzaki — Eh bien, j’ai eu de nombreuses occasions de parler avec des élèves de seconde lors de l’examen spécial de la rentrée.

Les meilleures élèves de seconde étaient pour la plupart pris par Sakayanagi-san et Ryuuen-kun. Mais je ne fus pas surprise que Kanzaki-kun ait pu connaître Ishigami-kun lors de cet examen. Le plus surprenant fut qu’il engage la discussion avec moi alors que nous étions indifférents l’un de l’autre.

Moi — Je suis tombée sur lui alors que je réservais un créneau pour la piscine privée. Je vois qui c’est mais il n’y a rien de plus.

J’expliquai brièvement la situation, mais il ne fut pas convaincu.

Moi — Au fait, est-il digne de confiance pour toi ?

J’étais vraiment curieuse à son propos alors je voulais obtenir le plus d’informations possible.

Kanzaki — Ses compétences académiques sont impecs dans l’OAA.

Moi — Oui, il a une note de A.

En revanche, ses capacités physiques n’étaient pas aussi bonnes, et il avait obtenu un D- dans ce domaine.

Moi — Mais être studieux n’indique pas son niveau de fiabilité.

Kanzaki — Au fait, pourquoi veux-tu savoir s’il est digne de confiance ou non ? Est-ce pertinent de le savoir au vu de la période ?

Nous étions en plein milieu des vacances d’été et il n’y avait pas d’examens spéciaux. Il n’était pas surprenant qu’il fasse cette remarque. Kanzaki semblait s’en inquiéter, alors il m’avait posé la question, mais il fallait en rester là.

Moi — Ne t’en fais pas, je voulais juste avoir ton avis.

Je voulais en finir afin de ne rien divulguer mais il continua de plus belle.

Kanzaki — Ce n’est pas comme si je n’avais pas les moyens de savoir si je pouvais lui faire confiance ou non.

C’est une manière étrange de le dire, mais ça montrait qu’il savait des choses.

Kanzaki — Si tu réponds à mes quelques questions ça ne me dérange pas de te parler un peu d’Ishigami.

Je l’avais reconnu comme un potentiel suspect, certes, mais je ne le pensais pas être l’auteur de la lettre alors je n’avais pas à me forcer à continuer. Cependant, l’expression du visage de Kanzaki-kun à ce moment-là semblait différente du calme qu’il affichait habituellement, et cela m’avait interpellé.

Moi — Je t’écoute.

Kanzaki — J’observe ta classe depuis un moment maintenant.

Moi — …Ma classe ?

Kanzaki — J’aimerais savoir à quel point Ayanokôji est vraiment bon.

Moi — Je ne peux pas répondre à cette question, même si tu me le demandes. Peux-tu lui demander directement ?

Je m’égarais intérieurement, surprise que le nom d’Ayanokôji-kun soit mentionné ici, mais j’essayai encore de faire dévier la conversation.

Kanzaki — Je ne pense pas qu’il répondra honnêtement.

Moi — C’est peut-être le cas. Mais cela ne signifie pas que tu peux avoir confiance en mes propos, n’est-ce pas ?

Kanzaki — Si ça peut aider un peu, c’est déjà bien.

Moi — On se connaît depuis longtemps, mais je ne sais rien de lui.

Kanzaki — C’est un peu exagéré non ? Si tu te dis chef de classe, tu dois connaître un peu les élèves un minimum.

Moi — Je n’ai pas encore gagné la confiance de tous mes camarades de classe. Cela vaut pour Ayanokôji-kun aussi.

Je n’étais pas encore digne de me qualifier fièrement de chef. Au minimum, je savais que je n’étais pas encore au niveau de Sakayanagi-san, Ichinose-san, ou de Ryuuen-kun.

Kanzaki — Je suppose que tu ne peux pas me répondre honnêtement, puisqu’il est probablement un atout précieux pour ta classe.

Moi — Eh bien, le simple fait d’être alertée comme ça sur lui me donne une idée de sa valeur.

Qu’il en soit capable ou non, j’apprécierais qu’il fasse l’effort d’y réfléchir.

Moi — Y a-t-il autre chose que tu aimerais me demander ?

Kanzaki — Non, c’est tout ce qui m’intéresse pour le moment.

Si c’était le cas alors il n’allait pas me parler d’Ishigami-kun. Enfin, je me trompais.

Kanzaki — Ishigami est un excellent élève, compatissant et faisant preuve de leadership. Il est déjà reconnu comme le chef de la 2nde A et ses camarades ont une confiance aveugle en lui.

Moi — Je suis sûre que c’est une bonne chose pour ses camarades.

Kanzaki — C’est le cas uniquement pour ses alliés. Ça ne s’applique pas à ceux qui le menacent, avec lesquels il serait probablement sans pitié.

Il me semblait être quelqu’un de poli pourtant. Difficile d’imaginer cela.

Moi — Alors quel genre d’attitude il aurait envers quelqu’un de neutre ?

Kanzaki — De l’indifférence

Moi — De l’indifférence ?

Kanzaki-kun qui me parlait, cessa de bouger.

Kanzaki — …Ah. Tu penses vraiment que les gens se soucient des êtres qui ne signifient rien pour eux ?

Moi — Il m’a dit qu’on se reverrait, je me demande si une personne indifférente dirait une phrase suggérant des retrouvailles.

Kanzaki — Ishigami ? Non, ce n’est pas le genre de personne qui dirait facilement ce genre de choses. A-t-il vraiment dit ça ?

Moi — Si j’ai bien entendu. En tout cas, tu sembles en savoir beaucoup.

Je me demandais s’il y avait quelque chose entre Kanzaki et Ishigami.

Kanzaki — Je ne sais pas grand-chose. Il ne s’est jamais intéressé à moi.

Marmonna-t-il pour lui-même, puis il continua.

Kanzaki — Il est vrai qu’il ne s’intéresse qu’à ses amis ou à ses ennemis. Autrement dit, tu es dans l’une de ces catégories dans l’esprit d’Ishigami.

Moi — Même si tu le dis comme ça, je ne comprends pas vraiment.

Aujourd’hui, c’était la première fois que j’avais eu un contact avec Ishigami. Avant cela, nous ne nous étions jamais rencontrés. En principe, être considérée comme neutre aurait été une évidence.

Kanzaki — Peut-être que tu as fait quelque chose sans le savoir.

Moi — Je l’aurais touché indirectement d’une certaine manière ?

Kanzaki — On ne peut pas exclure cette possibilité.

Kanzaki réfléchit pendant un moment, mais finit par murmurer doucement.

Kanzaki — Je vais te donner un conseil. Ne t’implique plus avec Ishigami.

Moi — Je ne cherche pas à m’impliquer davantage. Y a-t-il d’autres élèves de seconde qui peuvent être des menaces ?

Kanzaki — D’autres élèves de seconde ?

Jusqu’à présent, il n’y avait personne que j’avais identifié comme très suspect. J’avais besoin d’un indice. Si Amasawa-san ou un autre nom apparaissait, cela ajouterait de la profondeur à ses dires.

Kanzaki — Le seul seconde dont tu devrais te préoccuper est Ishigami.

Il commença à partir. En chemin, il croisa Ibuki-san mais l’ignora.

Ibuki — T’es proche de Kanzaki ?

Moi — Non mais nous discutions de quelque chose qui nous concernait.

Ibuki — Je n’aime pas le fait qu’il te prenne de haut.

C’était inutile de la prendre au sérieux.

Ibuki — Qu’est-ce que tu as en commun avec ce type ?

Moi — Un élève de seconde, Ishigami-kun. C’est un élève qui a une écriture ressemblant à celle que je recherche.

Ainsi, j’accédai à l’OAA, faisant apparaître le profil d’Ishigami-kun.

2nde A, Kyo Ishigami

Capacités académiques A (95)

Aptitudes physiques D- (25)

Adaptabilité B+ (77)

Contribution sociale D (31)

Aptitude générale B- (61)

Moi — Aussi, il y avait quelque chose d’un peu effrayant dans sa façon de parler et d’agir, que je n’arrivais pas à distinguer.

Ibuki — Hmm ? Ça veut dire que tu le trouves suspect ?

Moi — Je ne sais pas. Je pense que c’est plus gris que blanc, mais cette évaluation physique a l’air volontairement faussée. Du coup je me méfie.

Cela dit, il n’y avait aucun moyen d’en être sûre pour le moment.

Ibuki — Ishigami est blanc.

Ibuki-san nia ma déduction.

Moi — Comment peux-tu être aussi catégorique ?

Ibuki — Avant-hier, j’étais au bord de la piscine, et je regardais en quelque sorte des mecs de seconde jouer.

Moi — Toute seule ? Ça devait être ennuyeux.

Ibuki — Quoi ? Tu veux que j’arrête de parler ?

Moi — Je plaisante, continue.

Ibuki — Merde……. Ce gars, se démarquait un peu parce qu’il était grand. Il avait un corps normal sans marque d’entraînement. Il n’est pas musclé. Je pense que le type que tu recherches est quelqu’un de fort comme Amasawa ou Ayanokôji, non ?

Moi — Es-tu partie à la piscine pour chercher quelqu’un de musclé ?

Ibuki — Oui.

Recroquevillant ses épaules, Ibuki-san continua.

Ibuki — La force et le corps sont toujours proportionnels. Si c’est un gars fort, il a forcément un corps tonique. Ce serait bizarre sinon.

Je dirais qu’Ibuki-san était une experte en arts martiaux, de mon point de vue d’amatrice. En tout cas, si elle avait vu Ishigami-kun torse nu, alors cette donnée avait un haut degré de crédibilité.

Ibuki — C’est un bon point sur lequel tu devrais te concentrer.

Si les informations d’Ibuki-san étaient fiables, cela signifiait que ses capacités physiques se situaient indéniablement autour de D-, ce qui peut-être le lavait de tout soupçon.

Ibuki — De toute façon, les vacances sont presque terminées, on devra attendre le début du second trimestre pour continuer.

Moi — Combien de temps ça va prendre ?

Je ne pouvais m’empêcher d’être préoccupée, mais pour l’instant je n’avais aucune preuve concluante.

Je n’avais donc pas d’autre choix que de continuer à enquêter pendant un certain temps.

3

Il était temps pour un bon nombre d’élèves de se rendre dans leurs cabines. Amasawa Ichika en 2nde A, se dirigeait vers une cabine où l’attendait un élève.

Amasawa — Tu vas sortir quoi comme excuse à ton coloc s’il revient ? Enfin, c’est ce que j’aurais demandé en temps normal, mais comme c’est toi, tu as dû prévoir le coup en étant sûr qu’il ne reviendrait pas.

Il sourit et ne répondit à aucune des questions d’Amasawa.

Amasawa — Tu saisis ou pas ? Nanase-chan, Horikita-senpai et Ryuuen-senpai te cherchent. Tu ne peux plus te la couler douce.

— C’est parfait. Le plan fonctionne comme prévu

Amasawa — Et c’est quoi les détails de ce plan, Takuya ?

C’était Yagami Takuya de la 2nde B. Après un bref moment, il se leva doucement de son lit.

Yagami — Tu n’apprendras donc jamais, Ichika.

Amasawa, qui se méfiait des méthodes de Yagami, le fixa sans sourciller. Elle était sur ses gardes dans le cas où il lancerait une attaque surprise

Yagami — Je ne vais pas lever la main ici.

Amasawa — J’aimerais te croire sur parole, mais j’en doute.

Yagami — Certes, tu n’es plus des nôtres. Tu es une ennemie mais…

Il tendit son bras droit et effleura subtilement la mèche d’Amasawa.

Yagami — Je n’arrive pas à m’y faire.

Amasawa — La la la, c’est toi qui le dis.

Yagami — Je plaisante. Mais tu ne fais plus partie de la White Room. Je ne veux pas prendre de risques face à une simple civile.

Amasawa — Je pourrais enregistrer cette conversation.

Yagami — Fais ce que tu veux.

Yagami savait bien qu’un enregistrement n’aurait été en aucun cas préjudiciable. Si Amasawa était vraiment dans le camp d’Ayanokôji, alors elle lui aurait déjà tout révélé. Mais il restait sur ses gardes tout de même.

Yagami — Je t’ai demandé de venir pour que tu clarifies tes intentions. Est-ce que tu veux vraiment protéger Ayanokôji-senpai et me mettre des bâtons dans les roues ?

Amasawa — Je ne vois pas de quoi tu parles, Nya~

Il rit en regardant la grimace d’Amasawa et retira ses doigts de ses cheveux.

Yagami — Je veux surtout te parler d’une seule action de ta part qui a chamboulé mes plans. Pourquoi as-tu stoppé Kushida et Kurachi ?

Amasawa — Tu le sais très bien. C’était tout simplement car ça sonnait comme un énorme coup bas de ta part. Nanase-chan et Kurachi-kun ne sont pas concernés par notre histoire et même si Ayanokôji-senpai les aurait maîtrisés avec brio, cette séquence de combat filmée par Kushida aurait été gênante.

Yagami — Il est vrai qu’il aurait été capable de gérer Nanase et Kurachi facilement mais avec un enregistrement de la séquence, nous aurions eu de quoi le faire chanter. Si Ayanokôji s’était emparé de force de la tablette de Kushida, il n’aurait pas été en mesure de la déverrouiller et la destruction de cette dernière aurait causé d’autres soucis.

Le plan fut contrecarré par Amasawa, qui avait tout anticipé.

Amasawa — Tu es furieux ?

Yagami — Non mais ça aurait été plus intéressant. Cela dit, j’ai eu un aperçu de son caractère et de sa lecture du jeu. Plutôt que de faire une recherche GPS comme Nanase pour trouver un potentiel assaillant, il avait jugé avoir mieux à faire. Je pensais que, sur le bateau, il daignerait chercher une piste mais il n’en est rien.

Amasawa — Nanase-chan et Ryuuen-senpai ont mordu à l’hameçon non ? Ils n’ont pas encore contacté Utomiya-kun mais ça ne les aidera pas vu qu’il n’a aucun lien avec nous. Qu’en est-il de Horikita-senpai ? Elle semble chercher l’auteur du papier qui n’est nulle autre que toi. Pourquoi avoir pris la peine de montrer ta vraie écriture ?

Yagami — Avec plus d’indices, elle finira par me trouver c’est sûr.

Yagami semblait au contraire bien conscient et n’attendait que ça.

Amasawa — Tu veux dire que c’était voulu ?

Yagami — Bien entendu que cela faisait partie du plan. J’avoue prendre un malin plaisir à la regarder faire de son mieux pour me chercher.

Amasawa comprit qu’il voyait très loin alors elle lui demanda directement.

Amasawa — Tu te doutes bien que cette information arrivera également aux oreilles d’Ayanokôji-senpai. Que prépares-tu ?

Auquel cas, il allait finir par être soupçonné d’être l’élève de la White Room.

Yagami — Je n’ai clairement pas sa confiance et il a probablement deviné que j’ai répandu des mensonges. À l’origine, j’usais de ces méthodes indirectes car j’agissais de concert avec Tsukishiro mais maintenant qu’il n’est plus là, je n’ai plus besoin d’attendre une faille.

Amasawa — Tu te fiches donc qu’il découvre que c’est toi.

Yagami — En effet. Je suis même prêt à le lui dire en face.

Depuis le début, Yagami avait l’intention de se révéler à Ayanokôji. Mais s’il se montrait imprudent, Tsukishiro aurait pu le remarquer et l’empêcher d’agir. Finalement il ne faisait que gagner du temps jusqu’à maintenant.

Amasawa — Les épreuves inter-années ne se feront plus avant un certain temps. Il serait judicieux de retourner à la White Room, non ?

Amasawa était secrètement heureuse d’avoir été expulsée de la White Room mais, pour Yagami, c’était le seul endroit où il pouvait retourner.

Yagami — Je veux l’écraser de la meilleure des manières, le reste peut attendre.

Son petit rire en coin contrastait avec son expression habituelle.

Amasawa — Tu es vraiment tordu à ta façon, Takuya.

Amasawa poursuivit bien que toujours étonnée par ses propos.

Amasawa — Utomiya-kun me fait de la peine. Il a fait équipe avec toi pour protéger Tsubaki-chan mais s’il savait que tu étais à l’origine de l’expulsion de ses camarades, il l’aurait eu mauvaise.

Yagami — On sait depuis le départ qu’il est maladroit et influençable. Il est prêt à tout pour empêcher une nouvelle expulsion dans sa classe, voilà pourquoi j’ai pu me frayer un chemin entre Tsubaki et lui pour élaborer un plan voué à l’échec. J’ai pu grâce à ça récolter des données satisfaisantes sur Ayanokôji, notamment le fait qu’il est lié à Sakayanagi, leader de 1ère A.

Amasawa — Oh, elle est venue me voir… Arisu-senpai.

Yagami — Elle pourrait s’interposer entre Ayanokôji et moi dans le futur alors il faut que je trouve un plan pour m’en débarrasser.

Amasawa — Oui, oui, tu fais ce que tu veux de toute manière.

Amasawa soupira, fatiguée de voir Yagami en mode monologue. Lorsqu’il était de bonne humeur, il devenait un véritable moulin à parole même s’il se retrouvait seul. Qui plus est, il jouissait de cette situation comme jamais alors qu’il risquait de perdre sa couverture.

Amasawa — Du coup tu as fini de parler ? Je peux rentrer ?

Yagami — Avant ça, révèle-moi tes intentions, Ichika.

Amasawa — Hmm ~ ?

Avec un sourire juvénile, Yagami se saisit des deux avant-bras d’Amasawa.

Amasawa — Huh !

Amasawa, était bien entendue sur ses gardes mais elle ne put réagir à temps.

Yagami — Ce n’est qu’une question de temps avant que tout commence. Tous les participants entreront en jeu bientôt.

Amasawa — Tu dois être impatient, Takuya.

Yagami — D’abord nous nous reconnaissons comme adversaires et ensuite nous nous affronterons pour voir qui sera le meilleur.

Amasawa — Pourquoi ne pas te battre avec lui directement ?  Vu ta force, tu pourrais rivaliser avec Ayanokôji.

Yagami — Je n’emploierai pas la violence, sauf en cas de force majeure.

Amasawa — Comment oses-tu dire ça dans cette situation ?

La force exercée par Yagami était vive. Même Amasawa ne pouvait résister à la pression.

Yagami — Comprends-tu qu’en termes de violence, c’est le minimum que je puisse faire ?

Amasawa lui renvoya un sourire, déjà en train d’imaginer en boucle tous les moyens pour s’extirper de cette situation, en vain néanmoins.

Yagami — En vérité je voulais que tu viennes ici pour que je te corrige. Je me trompe peut-être mais quoi que je fasse, tu continues d’être un obstacle vu que tu sais qui je suis réellement.

Amasawa — Haha~, tu te fais des idées. J’en conviens que ce n’est pas très drôle.

Avec le visage pressant de Yagami en face, Amasawa commença à se résigner mais la pression s’envola et elle fut libérée.

Amasawa — Sérieusement ?

Il se mit à faire son petit rire habituel et posa sa main sur la porte. Amasawa était adossée à cette dernière.

Amasawa — C’était une blague de mauvais goût nya~

Yagami — Désolé mais j’ai vraiment failli t’écraser. Heureusement pour toi que je me suis retenu.

Amasawa — Wow, pourquoi m’avoir épargnée alors ?

Amasawa s’effondra, ne s’attendant pas à une telle réponse.

Yagami — Parce que j’ai entendu dire que tu avais été rouée de coups par Shiba. Tu as bien fait de ne pas te défendre.

Amasawa — Le repousser une fois signifie recevoir des coups deux fois plus fort. S’il y a bien une chose que j’ai appris là-bas avec lui durant ma jeunesse, c’est ça. Mais, tu es vraiment sûr de vouloir me laisser libre de mes mouvements ?

Yagami — Je sais que tu vas rester dans ton coin alors je n’ai pas besoin de me salir les mains. Sinon je t’aurais effectivement éliminée.

Amasawa — Disons que j’ai du mal à choisir entre un senpai que j’admire et un ancien camarade de classe.

Yagami — Ne t’inquiète pas, c’est un match en tête à tête avec Ayanokôji que je dois gagner.  Aucune chance que l’on fasse usage de la violence. Mais il n’y a pas de place pour nous deux ici. Ce sera expulser ou être expulsé.

Ainsi, Yagami ouvrit la porte de la cabine, laissant Amasawa partir.

4

Aux alentours de 2h du matin, je me rendis dans la grande salle de spectacle. J’ouvris doucement l’épaisse porte et vis une personne assise sur un siège, me tournant le dos. C’était si calme que même le bruit de mes pas raisonnait. Je finis par m’approcher de la personne en question.

Moi — Les élèves ne sont pas autorisés à errer à cette heure-ci.

Mlle. Chabashira — Voyons, c’est le seul moyen de pouvoir te parler en tête à tête.

Moi — Vous serez responsable en cas de pépin, n’est-ce pas ?

Chabashira ne se tourna même pas pour me regarder.

Mlle. Chabashira — Pas d’inquiétude. Les rondes nocturnes des professeurs se terminent à minuit.

Moi — Tant mieux. Alors, pourquoi m’avoir contacté ?

Mlle. Chabashira — Après les vacances d’été, le second trimestre commencera et il y’aura un examen spécial.

Moi — En effet, l’an passé nous avions eu le festival sportif.

Mlle. Chabashira — Cette fois, il y aura un autre examen spécial avant.

Moi — Vous n’êtes pas censée me donner ce genre d’informations.

Les professeurs n’étaient pas autorisés à favoriser un élève ou une classe.

Moi — Vous sous-entendez que cet examen spécial a déjà commencé ?

Mlle. Chabashira — Non, ce n’est pas ça.

Pourtant, Chabashira avait décidé de me contacter en cachette. C’était inattendu d’autant plus qu’être solidaire de la classe n’était pas son genre. Je n’arrivais pas à lire en elle mais elle fut silencieuse un moment. Plutôt que de rester statique, je montai sur la scène et me tins devant le grand piano à queue qui se trouvât là après le concerto d’aujourd’hui.

Mlle. Chabashira — Le directeur Tsukishiro a risqué sa propre carrière pour t’avoir sur l’île. Ton père a beau être connu, il ne lâche rien.

Moi — En effet. J’ai pu au moins confirmer que Tsukishiro n’a jamais été intéressé par le poste de directeur.

Mlle. Chabashira — C’est donc là l’étendue de sa force ?

Chabashira croisa les bras, incapable de comprendre.

Moi — Alors, de quoi voulez-vous me parler ?

Mlle. Chabashira — Ah oui.

Faisant une pause pour respirer, Chabashira prit tranquillement la parole.

Mlle. Chabashira — Quel est ton diagnostic de la classe ?

Moi — Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Mlle. Chabashira — La classe a-t-elle les moyens de monter en A ?

Moi — Vous demandez vraiment ça à un élève ?

Mlle. Chabashira — J’aimerais que tu me répondes.

Chabashira devait vraiment avoir quelque chose en tête pour agir comme ça.

Moi — Je pense vraiment que nous avons le plus grand potentiel parmi les classes de première. Mais ça ne veut pas dire que nous y arriverons. Rattraper la classe de Sakayanagi ne va pas être une partie de plaisir.

Elle était bien placée pour le savoir en tant que professeur.

Moi — Notre classe se doit d’être unie et ça vous inclut.

Quand je dis cela, elle me regarda avec surprise. On dirait qu’elle savait ce qu’elle faisait.

Mlle. Chabashira — Je…Quel genre de professeur suis-je pour toi ?

Chabashira avait toujours été plutôt froide avec ses élèves, étant plutôt du genre à les rabaisser et à les abandonner à leur sort.

Moi — Quelqu’un de pessimiste mais qui n’arrive pas à perdre espoir. Voilà en résumé ce que je peux dire de vous.

Mlle. Chabashira — C’est dur.

Moi — Je n’ai pas oublié comment vous avez essayé de me manipuler.

Mlle. Chabashira — Certes.

 Si elle ne comptait pas lâcher ses manigances, elle n’allait jamais changer.

Moi — Les élèves ne doivent pas travailler dur pour vous permettre de monter en classe A. C’est tout le contraire en fait. Vous devez vous mettre au service des élèves qui ont cette ambition de grimper.

Mlle. Chabashira — Ayanokôji…

Moi — Je suis sûr que vous trouverez la réponse par vous-même.

Mlle. Chabashira — Tu as dit que la classe devait être unie.

Moi — Oui.

Mlle. Chabashira — Tu t’inclus là-dedans ?

Moi — Bien entendu

Nos regards se croisèrent et Chabashira hocha la tête.

Mlle. Chabashira — Et si je te disais que j’étais prête à me remettre en question ?

Elle semblait sincère, dans son regard. Je faisais le choix de la croire.

Moi — Dans ce cas, je ferai l’effort de vous considérer autrement. Si vous voulez vraiment grimper en classe A, alors je serai avec vous.

Mlle. Chabashira — Je vois.

Arrivera-t-elle à changer après mes mots ? Nous verrons bien.

Moi — Quand vous arriverez à regarder vers l’avenir, je suis persuadé que la classe commencera à changer pour de bon.

Mlle. Chabashira — Je suppose.

En regardant le plafond qui était à bonne hauteur, elle ferma les yeux. Elle tentait probablement de mener une profonde réflexion.

Je n’avais plus rien à faire là mais pour je ne sais quelle raison, j’avais une humeur différente de d’habitude.

Sa réputation de professeur principal était clairement peu glorifiante mais, quand je l’observai en tant que personne, je commençai à discerner au fond de moi un subtil changement d’opinion à son égard.

Elle était beaucoup plus fragile que je ne l’avais imaginé, comme si elle n’avait pas mûri à l’intérieur.

Je m’assis ainsi sur le tabouret et ouvris le couvercle du piano.

Mlle. Chabashira — Que fais-tu ? Ne me dis pas que tu sais jouer du piano ?

Sans répondre, je passai le bout de mes doigts sur le clavier et commençai à jouer un morceau.

Quand je finis de jouer, Chabashira applaudit avec sincérité.

Mlle. Chabashira — Je ne suis pas une experte, mais c’est brillant. Même avec de l’entraînement, je ne serai jamais capable de jouer à ce niveau. Si je me souviens bien, le morceau que tu viens de jouer était…

Un bruit assourdissant dans la salle silencieuse provenant de derrière moi coupa soudainement Chabashira dans son élan. Elle se leva dans la précipitation et se retourna. Un Tsukishiro souriant émergea de l’ombre.

M. TsukishiroFür Elise[2] de Beethoven, n’est-ce pas ? Même si le morceau n’est pas difficile à jouer en soi, le faire aussi parfaitement est une réelle prouesse. Dommage que Chabashira-sensei et moi avons été les seuls témoins de cette prestation. Cependant, à cette heure-ci, les élèves ne sont pas autorisés à être hors de leur chambre. Je suppose que tu sais que des sanctions peuvent s’appliquer.

Mlle. Chabashira — Monsieur le directeur, je…

Elle s’empressa de trouver une excuse, mais Tsukishiro l’arrêta doucement.

M. Tsukishiro — Ne vous en faites pas. Depuis aujourd’hui, je suis démis de mes fonctions car M. Sakayanagi a été réintégré. Ainsi, je ne suis plus qu’un simple civil. Je ne ferai pas de rapport à l’école.

Mlle. Chabashira — Pouvons-nous vous faire confiance ?

M. Tsukishiro — Nulle besoin de cela. Dès mon arrivée ici, Ayanokôii-kun avait décelé ma présence. Et pourtant, il ne s’est en aucun cas laissé perturber durant sa prestation. Explique-toi.

Moi — La raison de votre venue dans cet établissement est mon expulsion. Même si j’encourrais une sanction pour ma présence ici à cette heure tardive, ça ne vaudrait pas une expulsion.

M. Tsukishiro — Quand bien même, il est normal de paniquer si nous nous retrouvons épiés dans un endroit où nous ne sommes pas censés être. Cette audace vient peut-être de ton père.

Moi — Je ne me souviens pas avoir été élevé de cette manière.

En fermant le couvercle, je m’éloignai du piano.

M. Tsukishiro — Demain matin, je ne pourrai plus te parler. Je voulais au moins tenter de le faire une dernière fois.

Le bateau était équipé d’un grand nombre de caméras de surveillance. Avait-il constamment surveillé mes déplacements ? ll avait du temps à perdre.

M. Tsukishiro — Je peux me retirer si je vous dérange bien sûr.

Mlle. Chabashira — Pas besoin. Ce serait plus gênant pour Ayanokôji-kun de rester seul avec moi. Et puis vous étiez jusqu’à peu le garant des élèves.

Tsukishiro s’approcha et s’assit sur un siège à deux places de Chabashira.

M. Tsukishiro — Le petit concerto est déjà terminé ?

Mlle. Chabashira — Si vous avez besoin de parler, faites-le vite.

Elle savait que c’était une blague, alors elle incita Tsukishiro à se presser.

M. Tsukishiro — Je suis ici pour négocier une dernière fois. Tu n’as toujours pas l’intention de te laisser expulser ?

Mlle. Chabashira — Vous ne manquez pas d’air.

En entendant le mot « expulser », Chabashira l’interrompit et fut en colère.

M. Tsukishiro — Qu’est-ce que vous voulez dire ?

Mlle. Chabashira — Vous avez interféré dans cet examen spécial sans vous justifier et en plus vous essayez de faire expulser Ayanokôji. La suspension est on ne peut plus méritée !

M. Tsukishiro — Cela vaut pour vous aussi, Chabashira-sensei. N’essayez-vous pas de discuter avec lui du prochain examen spécial ?

Tsukishiro sembla avoir vu à travers Chabashira je ne sais comment.

Mlle. Chabashira — Je n’en suis pas fière mais je ne comptais en aucun cas lui divulguer le contenu de l’examen.

M. Tsukishiro — Peut-être mais vous ne pouvez pas le prouver. Ma présence ici vous a en tout cas empêché d’en dire plus.

Mlle. Chabashira — C’est…

M. Tsukishiro — De plus, vous êtes coupable de plus d’une injustice. Vous commencez à comprendre, n’est-ce pas ?

Pour l’instant, la faute de Chabashira fut d’interpeller un élève à un moment où il était interdit pour lui de sortir. Qui plus est, même si elle restait un professeur, nous étions quand même de sexe opposé. Il pouvait insister sur une potentielle relation illicite pour chercher la petite bête.

M. Tsukishiro — Chabashira-sensei, ce n’est pas moi qui peux avoir des problèmes à l’heure actuelle mais Ayanokôji-kun et vous.

Effectivement si ça tournait au scandale, les conséquences pouvaient être sévère. Ainsi il lui avait implicitement dit de ne pas intervenir.

M. Tsukishiro — Je vous prie donc de vous calmer.

Elle comprit la position dans laquelle elle se trouvait et se tint à carreau.

Mlle. Chabashira — Je comprends.

Sans un sourire, Tsukishiro s’approcha de moi. Deux mètres nous séparaient.

M. Tsukishiro — Je n’essaierai pas de te piéger ici, ne t’inquiète pas.

Moi — Quelle que soit la situation, vous agirez pour votre intérêt. C’est ce que j’ai compris de votre personne.

M. Tsukishiro — Tu as raison dans une certaine mesure.

Jusqu’à présent, j’avais réussi à échapper aux ruses de ce dernier car il avait employé des méthodes peu orthodoxes, que ce soit une manipulation d’examens, l’usage de violence ou la tentative de kidnapping. Peut-être que s’il l’avait voulu, les choses ne se seraient pas passées aussi mal.

Moi — Je ne quitterai pas cet établissement.

M. Tsukishiro — Alors tant pis. Vas-tu rester jusqu’à ton diplôme ?

Moi — C’est bien mon intention, sauf expulsion.

M. Tsukishiro — Peu importe à quel point tu t’accroches ici, tu succomberas au bout d’un moment.

Même en son absence, la menace de l’élève de la White Room restait.

M. Tsukishiro — Tu es fort et intelligent. Tous ceux qui connaissent vraiment tes capacités ne peuvent le nier.

Tsukishiro se tint maintenant juste devant moi.

M. Tsukishiro — Mais peu importe à quel point tu es bon, tu ne restes qu’un enfant. Tu dois comprendre que cette personne a déjà pris en compte ta force et qu’elle a prévu la suite.

Autrement dit, cet homme avait également prévu le raté de Tsukishiro ?

M. Tsukishiro — Si tu veux rester dans cet établissement ne serait-ce qu’un jour de plus, tu vas devoir bien méditer.

Moi — Je prends note.

Souriant légèrement, il finit par rire. Je me demandais à quoi il pensait.

M. Tsukishiro — Ce lycée est intéressant. J’imagine que c’est bien la seule institution scolaire du monde entier à pouvoir organiser des examens sur une île déserte. Cela me rappelle ma jeunesse où j’appréciais mes aventures chez les scouts.

Et c’est ainsi que Tsukishiro tendit sa main gauche.

M. Tsukishiro — C’est l’heure de se dire au revoir Ayanokôji-kun.

Cela ne semblait pas être un simple adieu. Lorsque je tendis la main gauche pour serrer la sienne, il hocha la tête, satisfait.

M. Tsukishiro — Eh bien… Nous nous reverrons.

Après une tape avec la paume de sa main droite sur mon épaule gauche, il se retourna.

M. Tsukishiro — Ah oui. Si tu ne veux pas que je te dénonce, pars dans les cinq minutes.

Chabashira et moi détournâmes le regard jusqu’à ce qu’il soit parti.

Mlle. Chabashira — Je n’arrive pas à croire qu’il ait osé te serrer la main de la gauche. Finalement, il compte rester ton ennemi jusqu’au bout.

En général, les poignées de main se faisaient avec la main droite mais les gens de nos jours ne se soucient pas vraiment de ces choses.

Moi — Ce n’était pas mon impression pourtant.

Mlle. Chabashira — Comment ça ?

Tsukishiro avait dit qu’il avait apprécié sa période chez les scouts. Or, même si la convenance suggère qu’il est impoli d’utiliser la main gauche, chez les scouts c’était une exception. Peut-être que…

Mlle. Chabashira — Inutile de s’attarder plus longtemps sur son cas.

C’était aussi possible qu’il n’avait aucune arrière-pensée.

Moi — Je vais rentrer en premier.

Mlle. Chabashira — Excellente suggestion.

Il valait mieux que je ne prenne pas de risques inutiles.

Mlle. Chabashira — Je m’excuse de t’avoir fait venir pendant le couvre-feu. Il aurait pu se saisir de l’occasion pour te porter un coup.

Moi — Pas de problèmes. Au contraire, je commence à y voir plus clair.

En m’approchant de la porte, je décidai de laisser quelques mots à Chabashira sans prendre la peine de me retourner.

Moi — Mais comme je vous l’ai dit tout à l’heure, qu’une classe flotte ou coule dépend de l’implication de son professeur qui la guide depuis l’autre côté de la rivière. J’espère que vous comprendrez la mesure de la chose.

Peu importe les examens spéciaux qui nous attendaient, nous ne pouvions qu’aller de l’avant.

Seuls les professeurs principaux de chaque classe pouvaient montrer la voie.


[1] Ou Psychologie de la forme qui stipule que la perception et la représentation mentale traitent les phénomènes comme des formes globales. Par exemple le fait que notre cerveau arrive à lire une phrase même si des lettres manquent est une application concrète de la théorie de la Gestalt.

[2]  « La Lettre à Élise » (Für Elise) fut composée par Ludwig van Beethoven en 1810.

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