Les occupations de chacun
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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Passer du temps sur ce bateau de croisière posait la question de savoir où et quel type de nourriture manger chaque jour. Le matin et l’après-midi, l’école proposait des repas sous forme de buffet, gratuits. Les élèves n’étaient pas obligés de s’y alimenter, néanmoins, la qualité de la nourriture faisait que c’était assez populaire.
Il fallait tout de même réserver sa place par téléphone. On pouvait faire une réservation pour une heure, et d’habitude, je prenais mon petit-déjeuner à 8h. Toutefois, ce 6 août, et parce que j’avais un peu trop traîné avant de réserver, les créneaux de 8 et 9h étaient tous occupés. Ainsi je réservai pour un peu plus tôt, à 7h. J’avais pris mon petit-déjeuner si tôt qu’à midi je ressentais bien la faim. Je suppose que mon apport calorique minimal sur l’île faisait que mon corps avait besoin de rattraper un peu ces pertes !
Autrement, il y avait aussi l’option de se poser sur la terrasse du café, lieu également assez populaire. Néanmoins, ce n’était pas donné… Pour un déjeuner et une boisson, on n’en avait pas pour moins de 2000 points. C’était intéressant pour se poser avec des amis, mais étant donné que j’étais seul ce jour-là, cela ne valait pas trop le coup de se ruiner. Ainsi, je décidai naturellement de me tourner vers un stand où on pouvait prendre de quoi casser la croûte comme des onigiris, des sandwichs, etc, un peu comme dans une supérette. Ainsi, pour un onigiri et une petite brique de thé, j’avais pu m’en sortir pour 250 points.
J’errais avec mon sac pour trouver un endroit où manger. Des cabines prévues à cet effet étaient occupées, et à vrai dire, je n’avais pas envie de me retrouver en tête à tête avec quelqu’un dans un espace confiné. Quitte à voir d’autres gens, c’est toujours moins embarrassant à l’extérieur. Sur cette base donc, j’arrivai à un pont près de la proue, au sixième étage, avec vue sur la mer. Il n’y avait aucune installation particulière pour se poser, mais ça faisait tout à fait l’affaire pour du simple grignotage.
Je voulais profiter de la magnifique vue sur la mer tout en cassant la croûte, mais l’heure n’était-elle pas mal choisie ? Il y avait pas mal de monde sur le pont donc j’étais peu à l’aise. Le bateau était certes spacieux, mais la zone pouvait très vite se remplir aux heures de pointes. J’avais toutefois pu trouver un banc vide. Quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir Nanase, de dos, assise sur le banc d’à côté semblant se restaurer avec un sandwich et une brique de lait vraisemblablement achetés au kiosque. C’est drôle, la vieille, la situation était inversée. Hormis Nanase, il y avait beaucoup d’élèves de 1ère, Sakayanagi de la classe A ou encore Suzuki et Nakaizumi de la classe de Ryuuen par exemple, qui déjeunaient en regardant l’océan. C’était comme si nous avions tous eu la même idée. Je restai alors assis, me concentrant sur l’océan. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire dans la mesure où il y avait, autour de moi, non seulement pas mal de 1ère mais aussi beaucoup de Tle.
Et, sans surprise, à peine ces derniers m’avaient-ils remarqué qu’ils commencèrent déjà me scruter du regard. Ce n’était pas l’envie de partir qui me manquait mais je ne voulais pas leur montrer que ça me perturbait, au risque de les voir insister avec ce stratagème. Dans la mesure où je me souvenais que Nanase avait quelque chose à me dire la veille, je décidai de l’appeler. L’occasion de me donner une contenance.
Moi — Nanase
Elle sembla très surprise au moment où elle entendit ma voix.
Nanase — Ah, Senf…ai…
Elle venait de mettre goulûment un bout de sandwich en bouche, tout en évitant de faire tomber des bouts de crudités. J’étais un peu mal de l’avoir perturbée, d’autant que je l’utilisais pour me sentir moins seul face aux Tle.
Moi — Mauvais timing on dirait. Je repasse plus tard ?
Nanase ne me répondit toutefois pas de suite.
Nanase — Attffends…
Elle tenta d’abord mâcher ce qu’elle avait en bouche.
Nanase — J… Je suis navrée. À vrai dire, je profitais d’un petit encas…
Elle énonçait là une évidence. Je l’avais deviné dès que je l’avais vu de dos.
Nanase — Que puis-je faire pour toi ?
Nanase, qui avait l’air encore un peu nerveuse, me semblait étrange. Son regard était agité et semblait incapable de se concentrer sur sa conversation avec moi.
Moi — Oh, non, rien. Tu avais juste l’air d’avoir besoin de parler hier. Alors j’étais curieux, d’un seul coup. Puis Kobashi nous a interrompus alors…
Nanase — Ah, je te l’accorde oui.
Ses réponses étaient lentes, son discours décousu.
Nanase — Je suis désolée, j’ai déjà résolu le problème en question. Je te prie donc d’oublier tout cela.
Moi — Je vois. Très bien alors.
En cas de problème, Nanase pouvait me consulter dans la mesure où elle m’avait aidé de bien des manières. Mais si elle avait eu les réponses à ses questions, je n’avais pas à m’en soucier.
Moi — Désolé de t’avoir un peu prise par surprise. Je vais retourner à l’intérieur, il y a trop de monde ici et je n’arrive pas à me détendre.
Nanase — Je vois. À très bientôt, senpai.
Sur ce j’observai le pont quelques petites secondes supplémentaires avant de m’en aller. Nanase se retourna de nouveau vers la mer et se remit à manger.
1
Je me dirigeai alors vers l’arrière du bateau, au 5e étage, moins fréquenté, dans l’espoir de pouvoir me poser au calme. C’était là où j’avais parlé à Himeno la nuit dernière et où j’avais pu confirmer que c’était une zone peu fréquentée. Pendant les quelques minutes qui suivirent, j’observai la mer déchaînée, tout en oubliant pratiquement que je voulais manger.
Sakayanagi — Alors tu vas déjeuner comme ça ici, tout seul ?
Moi — Sakayanagi ? Quelle surprise…
Elle était le secteur quand j’étais avec Nanase un peu plus tôt.
Sakayanagi — C’est une coïncidence. Enfin c’est ce que j’aimerais dire, mais je t’ai en effet suivi. Ayanokôji-kun.
Elle m’avait suivi ? Vu sa condition physique ça m’étonnait qu’elle puisse suivre ma cadence de marche. D’autant que je l’avais pas du tout remarquée.
Sakayanagi — Il était évident que tu t’étais rendu sur le pont pour manger mais que tu t’es ravisé à cause du monde. Avec ta nourriture et ton envie de voir l’océan, il n’était pas dur de deviner où tu allais te rendre.
Donc elle était arrivée ici parce qu’elle avait anticipé mon comportement.
Sakayanagi — Ayanokôji-kun, tu aimes aussi apprécier la vue, hein ?
Moi — Ce n’est pas aussi bien que sur le pont, mais bon… Disons que la simple vue de l’océan est un spectacle dont nous n’avons pas l’opportunité de profiter tous les jours.
Il n’y allait peut-être pas avoir d’autre examen sur une île inhabitée l’an prochain.
Sakayanagi — D’autres événements sont prévus pour notre année de première, notamment un voyage scolaire, mais je n’en connais pas les détails.
Moi — C’est peut-être la dernière fois que nous pourrons voir la mer.
Sakayanagi — Oh, je pense que cette école nous réserve pas mal d’autres surprises. Je pense vraiment que tu as fait le bon choix en venant ici !
Moi — C’est vrai. Après tout, avant de venir dans cette école, je n’avais vu la mer qu’une seule fois.
Sakayanagi était un peu surprise, ce qui était normal. En fait, je n’avais jamais quitté l’enceinte de la White Room jusqu’à la fin du collège.
Moi — Tu connais le fonctionnement de la White Room, ça ne devrait pas te choquer.
Je n’avais vu la mer qu’une seule fois, après mon transfert. Mais de loin, je n’avais pas touché l’eau directement. Cependant, la première fois que j’avais vu l’océan, je n’avais pas été si impressionné. Je me contentai juste de marcher.
Sakayanagi — Tu as déjà entendu parler de « L’Ornière » ?
Moi — C’est un roman de Hermann Hesse, non ?
De toute son œuvre, c’était sûrement son livre le plus connu au Japon.
Sakayanagi — Hans, le héros de cette histoire, était un génie ayant intégré une école d’élite. Il avait fait de brillantes études et on lui prédisait un avenir radieux. Toutefois, il ne vivait que pour ses études et commençait de plus en plus à remettre sa vie en question. Jusqu’à ce que le poids des attentes des autres ne finisse par avoir raison de lui. La fin de Hans Giebenrath était d’ailleurs tragique puisqu’il mourra emporté par une rivière.
Moi — Et où tu veux en venir ?
Sakayanagi — Je ne pense pas que c’était un génie. Parce qu’un vrai génie n’échoue jamais, et se donne encore moins la mort.
Sakayanagi semblait donc interpréter ça comme un suicide.
Moi — « Les gens peuvent connaître la chaleur en se touchant les uns les autres. Et la chaleur humaine n’est pas une mauvaise chose ». J’avais dit un truc du genre, tu te souviens ?
Sakayanagi — Eh bien oui, je crois.
C’était à la fin du troisième trimestre de la seconde, juste après l’examen spécial.
Moi — Hesse, l’auteur de « Sous la roue », était lui aussi troublé et frustré, comme Hans. Toutefois, il avait déclaré que c’était grâce à sa famille, donc au soutien des autres, qu’il avait pu tenir le coup.
Hesse, l’auteur, et Hans, le protagoniste du livre, avaient une histoire très similaire. Le personnage n’était dont qu’une projection de la vie de l’auteur.
Sakayanagi — Ah ────.
Je vis le chapeau flotter et tendis immédiatement le bras pour l’attraper. Si j’avais tardé d’une petite seconde, le chapeau aurait été perdu à jamais dans les airs.
Sakayanagi — Merci beaucoup.
Moi — C’est plutôt risqué de le mettre à l’extérieur.
Sakayanagi — Huh, c’est vrai, mais il fait partie de moi on va dire !
Sakayanagi tenait le chapeau fermement dans sa main, le serrant contre sa poitrine.
Sakayanagi — Une scène m’est revenue en tête. Quelle nostalgie…
Moi — Nostalgie ?
Sakayanagi — Non, ce n’est rien. Je repensais à mes souvenirs de la mer.
La mer est strictement identique partout, pourtant chacun d’entre nous a ses propres souvenirs avec. Je trouvais ça marrant.
Moi — Au fait, tu ne m’as pas dit pourquoi tu voulais me voir ?
Sakayanagi — Et s’il n’y avait pas de raison particulière, ça te gênerait ?
Je me demandais ce qu’elle allait dire, mais j’avoue que je ne m’attendais pas à cette réponse.
Moi — Pas de raison ?
Sakayanagi — J’ai juste pensé que je devais te parler, Ayanokôji-kun. J’aurais pu t’accoster pour que l’on se retrouve ailleurs, mais je me disais que tu n’avais peut-être pas envie qu’on se parle devant tout le monde.
C’était sympa à elle de prendre ça en considération.
Enfin, pour en revenir à la situation présente, je n’avais aucune idée de quoi parler avec elle.
Sakayanagi — Donc, ça te va ?
Moi — Oui. Je peux manger en même temps ?
Sakayanagi — Oui, aucun problème, tant que tu m’écoutes !
Je sortis un onigiri de mon sac et en retirai l’emballage.
Sakayanagi — Hier, Ichinose est venue me voir.
Moi — Ichinose ?
Sakayanagi — Oui
Se remémorant les évènements de la veille, Sakayanagi m’en fit un bref résumé.
2
(Sakayanagi)
Ichinose — Umm, Sakayanagi-san. Aurais-tu un moment ?
Après le déjeuner, Ichinose, qui m’avait rendu visite alors que je prenais une pause-café sur le pont du navire, m’appela. Il n’y avait aucune raison de refuser après tout, j’étais seule en train de siroter une boisson.
Moi — Il y a un problème ?
Je connaissais l’histoire avant de l’entendre, mais j’inclinai la tête pour feindre l’étonnement.
Ichinose — J’ai pensé que je devais m’excuser pour… ce que j’ai fait à l’examen spécial. Le dernier jour, j’ai fait quelque chose d’égoïste et… ça, je le regrette vraiment !
Ichinose s’inclina autant que possible, sachant probablement au fond d’elle-même que les excuses n’allaient pas fonctionner avec moi. Enfin non, je pense qu’elle était sincère. Mais au fond il aurait, en effet, été logique que moi, responsable de la classe A, rompe notre relation de coopération.
Moi — S’il te plaît, relève la tête, Ichinose-san. Je ne t’en veux pas
Ichinose — …Quoi ?
Moi — Au contraire, ta contribution au groupe était remarquable, avec notamment les nombreuses tâches que tu as remplies. D’autant que tu as magnifiquement œuvré à la coordination de notre groupe, dans des conditions pas franchement faciles sur l’île… Et par conséquent, cette 3ème place on te la doit bien.
Ichinose — Mais…
Moi — Il est vrai que tu as agi un peu égoïstement le dernier jour. Mais la perte que tu as causée au groupe était, au pire, de quelques points. Si nous étions tombés à la 4ème place peut-être, mais là…
Ichinose — Mais ça aurait pu arriver !
Moi — Mais ce n’est pas arrivé. Et si ça avait été le cas, d’ailleurs, d’entre nous deux c’est probablement toi qui en aurais le plus pâti.
Mon attitude de ne pas la blâmer semblait la faire encore plus culpabiliser.
Moi — Quoi ? On dirait que tu es déçue ?
Ichinose — Eh bien, ce que… Je ne sais pas.
Moi — Tu veux vraiment être punie pour ça ?
Ichinose-san acquiesça légèrement, sous la pression de ma question.
Ichinose — Oui, je pense que cela rendrait les choses plus claires pour moi…
Moi — Fufu, tu es une personne étrange. Alors, viens t’asseoir ici.
Je l’encourageai donc à venir auprès de moi. Elle devint aussi silencieuse qu’un chat apeuré. Je demandai alors à un serveur d’apporter une carte.
Moi — S’il te plaît, demande ce que tu veux.
Ichinose — Umm… Quelle est la punition ?
Moi — Te joindre à moi pour le thé, pendant la prochaine demi-heure.
Ichinose — Quoi ? Vraiment ?
Moi — Oui. Je vais te voler 30 précieuses minutes.
Ichinose — Je ne suis pas sûre mais… Si c’est ce que tu veux, alors je vais le faire. Sakayanagi-san.
Ichinose-san semblait gênée, mais elle fit ce que je lui dis et commanda une boisson.
Moi — Tu es vraiment réglo, Ichinose. Je t’ai humiliée plusieurs fois par le passé, et pourtant, tu ne laisses pas cela t’affecter le moins du monde et sors avec moi comme ça.
Ichinose — Je ne pense pas avoir été humiliée. En tout cas, c’était basé sur la réalité que cela me plaise ou non.
Moi — Et pourtant, la plupart des gens ne sont pas très à l’aise avec l’idée que leurs erreurs du passé se sachent.
Les humains sont très divers. J’ai rencontré de nombreuses personnes excellentes, des enfants aux adultes. D’un autre côté, j’ai probablement vu des dizaines de fois plus de personnes complètement inutiles et incompétentes. Mais indépendamment de l’excellence ou de l’incompétence, je n’ai jamais rencontré une seule personne toute blanche. Il en va de même pour mon propre père, ma mère et même Ayanokôji-kun.
Moi — Tu es une personne formidable. C’est pourquoi tu sembles effrayante parfois…
Ichinose — Vraiment ? Je suis effrayante ?
Je suis sûre qu’on ne lui avait encore jamais dit une telle chose de toute sa vie. Cependant, j’étais certaine qu’Ichinose Honami en avait intimidé plus d’un.
Moi — Les gens qui vivent dans ce monde ont plus ou moins de mauvais côtés. Mais je ne vois rien de tout ça en toi. Tu sembles être la bonté incarnée.
Ichinose — Je pense que tu me surestimes. J’ai fait de mauvaises choses, comme quand j’étais au collège…
Ses petites mésaventures du collège prouvaient que même elle n’était pas parfaite !
Moi — Je dirais que c’est très différent. Certes ce n’était pas à encourager, mais au fond ce que tu as fait partait d’une bonne intention : l’amour de ses proches.
Voler était mauvais sous le prisme de la loi, mais d’un point de vue purement humain, ça se défendait.
Moi — C’est à la fois ta force et ta faiblesse, ta bonté. Veille donc à ne laisser personne profiter de toi.
Ichinose — Est-ce que tu fais allusion à Ryuuen-kun ?
Moi — Pas seulement. Horikita-san, ou moi… utiliserons ta gentillesse pour gagner.
En prenant une inspiration, je continuai à lui dire la chose la plus importante.
Moi — Et Ayanokôji-kun aussi.
J’avais tout d’abord cité tous les leaders de classe, alors que je nomme Ayanokôji-kun avait grandement surpris Ichinose-san.
Moi — Le dernier jour de l’examen de l’île, c’est peut-être grâce à toi qu’Ayanokôji-kun a été sauvé.
Ichinose — Attends une minute ? Qu’est-ce que tu veux dire…
Moi — C’est juste mon avis, je ne suis sûre de rien… Alors prends-ça comme des réflexions personnelles à voix-haute.
Je pouvais facilement imaginer que, si je poursuivais, Ichinose allait me fournir certains renseignements. Mais ce n’était pas là où je voulais en venir pour l’instant.
Moi — Je t’ai observée, et tes sentiments pour Ayanokôji sont différents de ceux que tu as pour les autres élèves.
Ichinose — Non, non, non, ce, ce genre de chose… !
Moi — C’est une bonne chose aussi. C’est humain d’aimer, de ressentir quelque chose pour quelqu’un du sexe opposé. Mais… Si tu vas trop loin, tu risques de te brûler les ailes. Encore plus avec Ayanokôji-kun.
Ichinose — Je ne vois pas trop où tu veux en venir… Sakayanagi-san ?
Je voulais simplement lui donner un petit avertissement, je ne comptais pas poursuivre.
Moi — Je pense que nous avons eu assez de cette discussion. C’est l’heure du thé…
J’étais certaine qu’Ichinose n’avait pas vraiment pu savourer son thé. Après tout, mes mots lui restèrent certainement en tête. J’admets que lui dire ça était né d’un mélange de cruauté et de pitié, en plus d’avoir un petit aspect stratégique.
3
Sakayanagi finit alors de parler de cet échange avec Ichinose. Je venais de finir de manger et buvais une brique de thé de 200ML.
Sakayanagi — Quel odieux tombeur tu es pour voler le cœur d’Ichinose-san, l’une des élèves les plus populaires de notre année.
Cette déclaration pouvait sembler banale, et pourtant c’était tout sauf une bonne nouvelle.
Moi — T’es dure, Sakayanagi.
Sakayanagi — Fufu, c’est dans ma nature.
Sakayanagi s’apprêtait à protéger Ichinose pour rester en tête, tout en préparant le terrain pour elle-même.
Moi — Si je blesse Ichinose ici, elle te fera d’autant plus confiance.
Sakayanagi — Et sa confiance me facilitera encore plus de choses !
Sakayanagi avait l’étoffe d’un allié, mais en même temps, bien sûr, elle restait une ennemie. Les deux côtés de la relation étaient étroitement liés, et elle en faisait bon usage.
Moi — Mais pourquoi m’avoir raconté ça ?
SakayanagI — Ce que je viens de te dire concernait Ichinose-san, mais ce n’est pas ce qui est important maintenant. Ce sur quoi je veux insister, c’est que le nombre de personnes qui te reconnaissent Ayanokôji-kun augmente progressivement. Et ça m’intéresse.
D’un côté tant mieux pour Sakayanagi si leur relation n’en avait pas pâti. Mais elle en venait aux faits.
Sakayanagi — De plus, c’est moi où les élèves de terminale te regardaient bizarrement ?
Alors Sakayanagi avait déjà remarqué que j’étais surveillé par les terminale. Tout ce qu’elle avait dit avant était pour introduire subtilement le sujet. Chapeau.
Sakayanagi — Tu as des problèmes avec les terminale ?
Moi — Eh bien, si tu appelles ça un problème, c’est un problème. Je pense que je me suis fait un ennemi bien problématique oui.
Sakayanagi — Qui est… le président du Conseil, n’est-ce pas ?
Nagumo aurait sûrement été la première personne me venant à l’esprit, si j’avais été à sa place.
Moi — J’ai eu un petit accrochage avec le président du Conseil des élèves le dernier jour sur l’île. Apparemment, il aurait perdu la première place à cause de ça, et ça me fait passer pour l’ennemi.
Sakayanagi — Son petit jeu s’est donc retourné contre lui ?
Moi — Alors tu étais au courant ?
Sakayanagi — Tout le monde est bien d’accord pour dire que Kôenji est vraiment un monstre qui a défié tous les pronostics. Néanmoins, il était évident que le président du Conseil se retenait délibérément de marquer des points. Après tout, il ne fallait pas que leur stratégie de faire gagner un groupe en particulier se voit. Personnellement, je m’en étais rendue compte par rapport aux cartes que le groupe de Nagumo avait.
Je pensais avoir évalué les capacités de Sakayanagi, mais en réalité elle dépassait toujours mes espérances. Ainsi donc elle avait une parfaite maîtrise de cet examen.
Sakayanagi — Je peux faire quelque chose pour t’aider ?
Moi — Non, c’est bon. Nagumo va sûrement y réfléchir à deux fois avant de me défier frontalement. Et puis tu m’as déjà énormément aidé.
Sakayanagi — Hé bien, tant-mieux. D’autant que j’ai bien tiré à profit le fait de t’aider, Ayanokôji-kun.
Moi — Comment ça ?
En riant, Sakayanagi plissa les yeux et regarda la mer.
Sakayanagi — L’autre jour, alors que la fin de l’examen approchait, mon groupe a jugé d’un accord commun que la première place allait être dure à avoir compte tenu du rythme infernal de Kôenji-kun et du groupe du président du Conseil des élèves.
Moi — Oui, on peut dire qu’ils étaient vraiment dans leur monde…
Sakayanagi — Mon objectif était la troisième place. Toutefois, le groupe de Ryuuen-kun et de Katsuragi, un petit groupe de deux, était plutôt menaçant. Ainsi les ai-je donc sollicités contre Hôsen-kun.
Moi — Je vois.
Sakayanagi — Tout ce qui pouvait handicaper la prise de point de Ryuuen-kun était bon à prendre pour moi. Et il a carrément été obligé de se retirer, une vraie aubaine !
Alors donc elle avait fait d’une pierre deux coups. Mais ça n’expliquait toujours pas pourquoi Ryuuen, qui avait travaillé dur pendant deux semaines pour cumuler des points, avait accepté aussi facilement de coopérer avec Sakayanagi. Non seulement Ryuuen renonçait à cette troisième place, mais en plus ce dernier lui-même n’était pas serein à l’idée de se retrouver face à Hôsen. Une chose était sûre, il y avait forcément eu une sorte d’accord entre eux deux.
Moi — Il a dû te faire raquer en échange… Genre en demandant des points privés ?
Si Sakayanagi avait fait usage de la carte « Rente » détenue par son groupe, elle aurait amassé pas mal de points privés. Elle aurait donc pu tout à fait la donner à Ryuuen, par exemple, dont le cumul de points privés est la grande quête personnelle.
Sakayanagi — Je n’ai pas utilisé un seul point et je n’ai pas l’intention de le faire.
Moi — En d’autres termes, ce n’est pas de l’argent.
Dans cette école, l’échange de points privés était la norme de négociation.
Sakayanagi — Je sais que cela peut sembler flou, hélas je ne peux pas t’en parler pour l’instant. C’est entre lui et moi. J’attends au moins de voir s’il a l’intention de s’exécuter.
Elle déclara ensuite.
Sakayanagi — D’autant que ça peut se retourner contre lui très bientôt…
Donc en effet, c’était sûrement tout sauf des points.
Sakayanagi — Quoi qu’il en soit, sois prudent. Ayanokôji-kun. Même si un problème a été résolu, les élèves de la White Room existent toujours, d’autant que les terminale commencent à mettre leur grain de sel.
Moi — La liste de problèmes est longue, mais je m’en occupe.
Sakayanagi entendit sa sonnerie, m’ignorant alors à moitié.
Sakayanagi — Hmm ?D’accord, j’arrive.
Après avoir terminé son appel et en marquant un silence de quelques secondes, Sakayanagi quitta le rebord.
Sakayanagi — Bon je te laisse, j’ai rendez-vous.
Moi — Ça marche. À bientôt.
Sakayanagi — C’était sympa de discuter. À plus tard !
Après avoir lentement dit au revoir à Sakayanagi, je décidai de contempler la mer encore quelques instants.
4
Ce même jour, Amasawa erra seule dans le bateau, sans but apparent. Parfois ses camarades de classe lui parlaient, mais elle se contentait de sourire amicalement et de mettre fin à la conversation. Elle était rarement vue en pleine compagnie de quelqu’un.
Amasawa — J’aimerais pouvoir voir Ayanokôji-senpai.
Sur le pont, Amasawa murmura d’une voix légèrement étouffée par le bruit du vent. Pour Amasawa, qui n’avait aucun intérêt pour personne, son seul moment de bonheur était lorsqu’elle voyait Ayanokôji, l’unique personne qui avait piqué sa curiosité. Cependant, pour des raisons évidentes, elle avait préféré s’abstenir de le contacter pour l’instant.
Amasawa — Ugh, je m’ennuie tellement que je meurs…
Sakayanagi — Bonjour, Amasawa Ichika-san.
Arisu Sakayanagi, en 1ère A, interpellait Amasawa qui regardait la mer sur le pont. Sans surprise particulière, Amasawa tourna son regard vers elle. En la voyant, Amasawa inclina la tête.
Amasawa — Tu es …?
Sakayanagi — Je suis Sakayanagi Arisu, en 1ère A. C’est un plaisir de faire ta connaissance.
Amasawa — Sakayanagi-senpai… Que puis-je faire pour toi ?
Sakayanagi — Fufu, arrête un peu ton cinéma. Je sais que tu viens de la White Room, Amasawa-san. Et je sais que tu sais très bien qui je suis.
« White Room ». Ces deux mots voulaient tout dire.
Amasawa — Hmm, je vois. Tu es donc la fille du directeur en qui Ayanokôji-senpai a confiance. Tu sembles être au courant pour la White Room, donc je suppose que cette suite d’évènements était logique… Alors, qu’est-ce que tu me veux ?
Sans surprise, Amasawa demanda à Sakayanagi ses motivations.
Sakayanagi — Il est tout à fait naturel que je veuille m’assurer de ce dont les élèves de la White Room sont capables.
Amasawa — J’admire ta détermination, mais est-ce qu’Ayanokôji-senpai t’en a donné la permission ?
Sakayanagi — « Permission » ? Qu’est-ce que tu racontes ? Je suis ici car je le veux.
Amasawa — Tu es bien sûre de toi. Arisu-senpai.
Sakayanagi — Eh bien, disons que je suis pas mal douée aussi. J’ai cette chance.
Amasawa — C’est cool.
Amasawa, tout en louant et en applaudissant, semblait un peu tendue.
Amasawa — Mais je suis désolée. Je suis pas trop dans mon assiette en ce moment. On peut poursuivre cette conversation une autre fois ?
Sakayanagi — C’est bon. Aujourd’hui je voulais juste te rencontrer.
Sakayanagi, apparemment satisfaite, fit une légère révérence avant de mimer de s’en aller.
Amasawa — Oh, et Arisu-senpai. Tu vas me faire surveiller encore longtemps comme ça ?
Sakayanagi avait utilisé certains de ses camarades de classe pour trouver Amasawa et la rencontrer seule.
Sakayanagi — Je leur avais demandé de se faire discrets, mais apparemment c’est raté !
Amasawa — Hahaha, ils se croient cachés derrière ce truc ? C’est trop mignon.
Sakayanagi — Je m’excuse pour le désagrément. Mais comme tu peux le voir, j’ai un handicap physique… Donc c’était la seule façon de te trouver et de rencontrer au bon moment.
Amasawa — Au fait, ça te gêne si je suis le genre à frapper une personne handicapée sans hésitation ?
Sakayanagi — La violence est l’une des cartes les plus fortes, tu aurais tort de t’en priver. Néanmoins ce n’est pas toujours la plus pertinente.
Sur ce, Sakayanagi frappa son bâton contre le pont encore et encore. C’était le signal pour appeler Kamuro qui apparut au loin.
Amasawa — Ah, alors c’était celle qui me suivait partout… Tu penses qu’elle peut rivaliser avec moi ?
Sakayanagi — Non, pas du tout. Mais elle peut ramener de l’aide si jamais.
Amasawa — Ah ? Et tu comptes rameuter la terre entière ?
Sakayanagi — Tu sembles bien peu perspicace pour tirer ce genre de conclusions. Après tout, les élèves de la White Room, à l’exception d’Ayanokôji-kun, sont des ratés donc je n’en attendais pas trop de toi.
À ce moment-là, le regard d’Amasawa s’aiguisa pour la première fois et il pointa vers Sakayanagi.
Sakayanagi — Cela signifie que tu n’es pas à ma hauteur.
Amasawa — Ah oui ? Même si je lève la main sur toi ?
Amasawa, qui s’intéressait à Sakayanagi pour la première fois, se lécha le pouce.
Sakayanagi — Oui, bien sûr. Tu pourras utiliser la main que tu veux !
Amasawa — Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’une sourde, senpai.
Sakayanagi — Tu m’en vois ravie.
Sakayanagi s’éloigna lentement, laissant Amasawa prendre une grande inspiration sur le pont vide.
Amasawa — Peut-être que je peux m’amuser sans Ayanokôji-senpai, finalement. Péter la gueule de Kushida-senpai ? Faire chialer Arisu-senpai ? Que de choix !!
Tout en posant une main sur son abdomen douloureux, elle pensait à l’éventuelle suite des évènements.
Amasawa — Pour le moment, attendons et voyons.
Il lui fallait non seulement se rétablir mais également être attentive pour adopter la bonne stratégie. Sakayanagi, quant à elle, quitta les lieux avec Kamuro et retourna dans le couloir.
Kamuro — Elle est complètement tarée cette fille, non ?
Sakayanagi — Non, tu crois ?
Kamuro — Je crois qu’à force de te fréquenter, j’ai développé un sixième sens. Et sincèrement, j’ai vraiment pas envie d’être impliquée avec elle.
Sakayanagi — C’est très bien. Mais je pense quand même que tu devrais garder un œil sur elle.
Sakayanagi n’avait pas l’intention d’écouter malgré la volonté de Kamuro de ne plus la surveillrer.
Sakayanagi — Quand Amasawa réalisera que nous la surveillons toujours sans relâche, elle ne pourra pas nous ignorer. Et ça la poussera peut-être à la faute.
Kamuro — Elle m’a grillée quand je la suivais. Tu ne veux pas plutôt demander à Hashimoto ?
Sakayanagi — Je ne suis pas sûre qu’il sache quoi faire en cas de pépin…
Un mauvais contact avec les élèves de la White Room pouvait être préjudiciable plus tard.
Sakayanagi — En tout cas merci pour ton travail acharné, Masumi.
Une fois son rôle terminé, Kamuro quitta immédiatement les lieux. Sakayanagi sortit alors son téléphone pour passer un appel.
Sakayanagi — Tu pourrais continuer, s’il te plaît ?
Elle demanda à son interlocuteur de continuer à surveiller Amasawa avec son téléphone portable et ajoute une dernière chose :
Sakayanagi — Après tout, il semblerait que tu sois la seule de la classe en qui je peux faire totalement confiance, Yamamura-san.