CLASSROOM Y2 V4,5 : CHAPITRE 2


Le début des courtes vacances

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Traduction : Raitei
Correction : Nova
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Pour beaucoup d’élèves, chaque jour passé sur l’île déserte avait dû paraître sans fin. En revanche, une journée sur un bateau de croisière de luxe passait tel un éclair. Comment l’écoulement du temps pouvait-il être si différent dans une même journée de 24h ? Probablement que tout dépendait de ce que l’on faisait. Par exemple durant mes jours de cours et pendant les examens, je pensais régulièrement au temps alors que pendant les jours de vacances ou de repos, je ne m’en souciais guère.

Nous étions au deuxième jour de nos vacances sur le bateau de croisière. Peut-être que la fatigue de nombreux élèves s’était enfin quelque peu dissipée. Ainsi ils commençaient à profiter de leurs vacances. Il y avait désormais beaucoup de mouvements dans les allées du bateau et alors que je passais jusque-là mon temps seul, je reçus un message de quelqu’un d’inattendu, m’invitant à venir le voir.  C’était le vice-président Kiriyama de la TLe B, me demandant de le rejoindre à la piscine. M’avait-il demandé de venir là pour créer une sorte d’amitié en discutant allégrement sur un bateau gonflable ou en jouant au beach-volley ?

J’enlevai de suite ces pensées incongrues de mon esprit car piscine ou pas, en aucun cas cela risquait d’être si rose. Bien entendu, j’aurais pu refuser ou l’ignorer, mais ce n’aurait été que reporter l’inévitable. Et puis la piscine n’était pas un si désagréable endroit pour se voir, le lieu de rendez-vous aurait clairement pu être pire. C’est ainsi que je lui répondis simplement par l’affirmative, décidant de ne pas remettre à plus tard ce que je pouvais faire maintenant. C’était probablement l’occasion de savoir pourquoi les terminale me fixaient comme ça depuis hier.

Moi — Kiriyama.

Je me trouvais alors dans une sorte d’aire de repos près du petit gymnase. Je faisais face à l’écran où étaient affichés les résultats de l’examen et je devais probablement être le dernier à consulter la chose. Le nombre d’enseignants chargés de surveiller le tableau d’affichage avait été aussi réduit à une personne.

Même si j’avais tous les résultats en tête, je voulais quand même jeter un œil aux groupes les mieux classés, notamment celui de Kiriyama. Kôenji Rokusuke occupait la première place, le groupe Nagumo la deuxième tandis que le groupe de Sakayanagi était en troisième position. Celui de Kiriyama avait obtenu la quatrième place avec 255 points en ratant le podium de seulement de 6 points.

Moi — Il doit être bien frustré.

Nagumo avait manqué la première place à seulement 2 points, Kiriyama le podium à seulement 6 points. Qui plus est, tous les élèves expulsés étaient des terminale, une situation totalement inattendue. Comme notre rendez-vous était encore dans vingt minutes, je décidai de me rendre sur place en premier. Je voulais aussi savoir si les terminale me regardaient si bizarrement car ils étaient mal à l’aise en général ou alors parce qu’ils complotaient quelque chose.  

J’eus ma réponse très vite car seulement dix secondes après mon arrivée, un grand nombre de terminale me dévisagèrent de tous les côtés. Ceux qui nageaient ou qui discutaient prirent conscience de mon arrivée et me calculèrent physiquement d’un seul regard. Ils préparaient donc bien quelque chose.

Moi — C’est encore trop tôt encore pour dire quoi que ce soit.

Le malaise était si palpable que j’avais envie de me plaindre haut et fort. J’aurais dû n’être ici qu’un élève parmi les autres mais non, j’étais sous les feux des projecteurs. J’essayais de ne pas trop y penser mais il fallait que je découvre ce qui se tramait. Il s’agissait peut-être d’un ordre de Nagumo, mais je ne pouvais rien confirmer. Alors que de nombreux élèves continuèrent à me lancer un regard noir, je fis semblant de ne rien remarquer.

En effet, il était plus facile de jouer les idiots mais je ne pensais pas tromper la vigilance de Nagumo. Je n’aurais pas été surpris qu’il prenne du plaisir à me voir attirer l’attention comme ça, cependant. En regardant un peu autour de la piscine, me demandant qui venait ici en plus des terminales, je vis Ichinose et quelques-uns de ses camarades de classe. Cette dernière fut la première de son groupe à remarquer ma présence alors nos regards se croisèrent.

Elle fit un mouvement d’épaule et se cacha derrière l’un de ses camarades pour fuir mon regard. Ses compagnons furent surpris de ses mouvements brusques et l’interpellèrent.

Il faut dire qu’elle m’avait fait sa déclaration sur l’île. Il était normal qu’elle soit mal à l’aise, même si elle me voyait de loin. De toute manière elle n’était pas seule alors il valait mieux garder ses distances et ne pas l’aborder. Surtout que j’avais prévu de la rencontrer dans la soirée, après-demain.

Je vis aussi certains de mes camarades de classe çà et là mais personne avec qui j’avais d’atomes crochus.

 — On dirait que les problèmes commencent, Ayanokôji.

Lorsque je posai mon regard dans la direction de la voix, je vis Kiryuuin qui se prélassait sur un transat sur le pont, non loin de là où j’étais.

Kiryuuin — Même si je ne suis pas impliquée, je reste une terminale.

Moi — Je ne comprends pas vraiment.

Kiryuuin Tu sais bien de quoi je parle.

Moi — Je n’ai aucun souci avec ça. Ils ne font qu’observer.

Kiryuuin Aucun souci hein ?

Dit-elle, laissant entendre que je faisais semblant d’être au-dessus de ça.

Kiryuuin — C’est une stratégie horrible n’est-ce pas ? Surtout quand elle est destinée à quelqu’un comme toi.

Aussi effrayant que cela puisse paraître, elle n’avait pas tort.

Kiryuuin — Bien qu’horrible, cela reste une stratégie étrange mais diablement efficace contre ton « toi » ultime.

Moi — Ultime ? N’exagérons rien non plus.

Kiryuuin — Ne sois pas modeste. On a failli tous les deux y passer alors j’ai bien compris tes capacités réelles. Me serais-je fait un film ?

Son regard caché sous les lunettes de soleil me transperça avec force. Je n’avais aucun intérêt à nier plus longtemps car à tout moment on pouvait capter notre conversation. Bien entendu, elle était consciente de cela.

Moi — D’accord, je l’admets.

Kiryuuin — Fufu, je préfère. Pour en revenir à nos moutons, il s’est passé quelque chose avec Nagumo à la fin de l’examen ? Car le dernier jour, il n’a plus donné de directives à qui que ce soit.

Moi — Je n’ai en tout cas rien fait pour l’en empêcher.

Kiryuuin, dans une position relâchée jusque-là, se redressa un peu.

Kiryuuin — Nagumo Miyabi est l’un des meilleurs de cette école avec une capacité globale de A+. Capacité académique A, capacité physique A, adaptabilité A+, contribution sociale A+. Il est impeccable.

Moi — En effet, Il est numéro un partout.

Il y avait certains élèves comme Sudou et Kiryuuin, qui avaient un A+ dans une seule catégorie mais Nagumo était le seul élève à avoir obtenu une note de capacité globale égale ou supérieure à A. D’autant plus que le nombre d’élèves à avoir des A+ dans deux catégories était plus que rare.

Kiryuuin — Avec ses capacités, son leadership et son succès dans son rôle de président, il n’a jamais eu d’égal sur le campus. Le seul ayant été reconnu aussi compétent était Horikita Manabu mais il n’est plus.

Kiryuuin prit une inspiration et s’empara du verre sur la table.

Kiryuuin — Pour moi, tu n’étais rien de plus qu’un jouet pour lui. Mais quelque chose s’est passé sur l’île pour qu’il te prenne autant au sérieux.

        Moi — Il aurait juste mieux fait de me laisser tranquille.

Kiryuuin — Alors tu dois avoir pris la mauvaise décision à un moment donné pour en être arrivé à ce qu’il ne te lâche pas.

Kiryuuin continuait à viser juste.

Kiryuuin — Les seules personnes qui peuvent se mesurer à toi en combat se comptent sur les doigts de la main. Je sais me battre un minimum et je peux dire que tu es le genre d’adversaire que personne ne voudrait avoir en face. Mais Nagumo a une nature très différente de la tienne. Je le vois comme une sorte d’ennemi naturel pour toi, je me trompe ?

Moi — J’ai bien peur de ne pas pouvoir exclure cette possibilité. J’ai mal évalué la situation.

On continuait à me fixer, ce qui était très désagréable pour ne pas dire stressant. Même si dans la White Room nous étions constamment épiés, la situation ici était radicalement différente car je me trouvais dans un environnement qui m’était totalement inconnu et où la seule manière de fuir était de rester dans l’ombre. Une non-solution, je devais l’admettre.

Kiryuuin — En effet. Il a tendance à préférer les mises en scène et la fourberie plutôt que les coups directs et les duels. Mais pour gagner à coup sûr, il utilisera toutes les stratégies possibles même s’il faut pour ça mobiliser tous les terminale.

Tout ce cirque des regards n’était donc qu’un début.

Kiryuuin — Je suis désolée mais ne compte pas sur moi pour t’aider.

Dit-elle en mettant ses lunettes de soleil qui étaient placées sur le front.

Moi — Je ne comptais rien te demander de toute manière.

Même si je ne lui avais rien demandé de particulier, elle voulut quand même anticiper en me communiquant clairement qu’elle n’allait pas coopérer.

Kiryuuin — J’ai fait ce que je voulais durant ma vie au lycée mais j’ai quelques regrets. Si cette école avait intégré dans son système la possibilité de refaire une année, j’aurais pu envisager de t’aider

Elle serait donc allée jusqu’au redoublement ?

— Te voilà, Ayanokôji.

Alors que Kiryuuin et moi étions encore en train de parler, le vice-président Kiriyama apparut seul.

Kiriyama — Il reste quelques minutes avant l’heure prévue. Ça ne te dérange pas si on discute ailleurs ? Ce n’est pas un bon endroit ici.

Kiryuuin — Dis plutôt que tu ne veux pas que je sois là, Kiriyama.

Kiryuuin avait stipulé ne pas pouvoir aider, mais elle était apparemment intéressée par ce qui se tramait. Elle releva de nouveau ses lunettes de soleil.

Kiriyama — On attire trop l’attention. Je préfère un endroit calme.

La piscine était la zone la plus prisée sur le bateau mais pour une raison que j’ignore, la place à côté de celle de Kiryuuin était vide. Je ne voulais cependant pas creuser davantage la chose au risque de toucher un point sensible.

Kiryuuin — Tu te contredis, Kiriyama.

Kiriyama — Comment ça ?

Kiryuuin — Si tu cherchais un endroit calme dès le début, tu ne lui aurais pas donné rendez-vous à la piscine n’est-ce pas ?

Kiriyama — Quoi ? Tu voulais que je te dise directement que discuter avec toi, c’est malaise sur malaise ?

Il dit cela comme pour vomir son fiel. Son expression à ce moment-là était apathique et dépourvue de toute émotion. Cela montrait qu’il avait été malmené par Kiryuuin de nombreuses fois.

Kiryuuin — Beau vidage de sac. J’espère que tu te sens mieux.

Chaque fois qu’il discutait avec elle, cela finissait toujours ainsi. Ainsi, en voulant la rejeter, il n’avait fait qu’attiser sa curiosité.

Kiryuuin — En tout cas, pourquoi ne rien lui dire en ma présence ?

Kiriyama — Parce que ça te regarde pas, peut-être ?

Kiryuuin — Qu’est-ce qui te fait dire ça ?

Kiriyama — Hein ?

Kiryuuin — Lui et moi avons ce genre de relation. Nous sommes liés.

Kiriyama nous regarda tous les deux, surpris, avant de lâcher une réaction.

Kiryuuin — C’est une blague, Kiriyama. Tu as beau être un type ennuyeux, tes réactions sont parfois très divertissantes.

Au vu du rire amusé de Kiryuuin, Kiriyama se sentit fortement vexé. Il partit sans dire un mot. Je suppose qu’il préféra ne pas s’impliquer plus longtemps et passer à autre chose.

Moi — Je dois y aller Kiryuuin-senpai. Je dois honorer mon rendez-vous.

Kiryuuin — Passe le bonjour à Kiriyama de ma part.

Je ne comptais pas le faire dans la mesure où il devait tout sauf avoir envie d’entendre le nom de Kiryuuin. En suivant Kiriyama, nous arrivâmes à une terrasse à l’étage supérieur  qui communiquait avec la piscine. C’était un endroit relativement calme, avec de nombreux élèves qui s’octroyant une sieste ou qui faisaient bronzette. Cependant, il y avait quand même assez d’élèves pour que notre conversation puisse être entendue. Vu qu’il n’y avait pas de terminale ici, j’imagine que Kiriyama leur avait demandé d’éviter la zone. Ce n’était pas plus mal car les seconde ou les première n’avaient que faire de notre conversation , d’autant que personne nous épiait dans l’ombre.

Moi — Alors, pourquoi m’avoir fait venir ?

Kiriyama — Ne joue pas au plus malin avec moi. Que s’est-il passé le dernier jour d’examen avec Nagumo ?

J’avais entendu à travers le talkie-walkie de Nagumo lors de notre altercation qu’ils essayaient de bloquer Kôenji. Alors c’était Kiriyama au bout du fil.

Moi — Pourrais-tu d’abord répondre à une question ?

Kiriyama — Hum ?

C’était l’occasion ou jamais de confirmer quelque chose. Je continuai à m’exprimer alors qu’il me regardait de manière suspicieuse.

Moi — C’est une question que je me pose depuis notre rencontre. À quel moment as-tu abandonné la lutte contre Nagumo ?

S’il attendait la déchéance de Nagumo, alors il aurait dû apprécier la chose.

Kiriyama — De quoi tu parles ? Je lutte toujours.

Moi — Ah oui ? Permets-moi d’en douter.

Après avoir nié, Kiriyama sembla comprendre là où je voulais en venir.

Kiriyama — Tu dois penser que je suis du côté de Nagumo mais ce n’est pas le cas. Ses changements de plan commencent à avoir un impact négatif sur mes camarades et moi. Je t’avais dit de ne pas t’en mêler.

Il avait beau nier la chose en bloc avec un calme olympien, les êtres humains étaient faillibles et faisaient tout de même des erreurs, petites ou non.

Moi — Tu vas un peu vite. Je voulais simplement savoir si oui ou non tu avais abandonné le combat. Mais tu as l’air de bien savoir dans quel camp tu te trouves.

Kiriyama — …Dans tous les cas ça revient au même.

Moi — La capitulation et la trahison sont deux choses très différentes. Tu dois bien le savoir en tant que vice-président.

Les personnes fières et orgueilleuses se croient infaillibles. Certes, ces gens sont sans doute excellents dans ce qu’ils font car ils s’en auto-persuade mais si on leur pointe du doigt leurs erreurs, ils sont du genre à ne pas l’admettre.

Kiriyama — Où veux-tu en venir au juste ?

Kiriyama essaya de rester neutre sans rien nier ou affirmer. Pour lui, l’option la plus avantageuse était de fuir et passer à autre chose.

Moi — Je voulais juste faire état de la situation. Tu peux avoir abandonné la lutte et rester un ennemi de Nagumo mais tu peux aussi bien avoir retourné ta veste pour le servir. Tu sais bien que Horikita Manabu compte sur nous pour s’opposer à Nagumo.

L’expression de Kiriyama se durcit, comme s’il n’avait pas entendu le nom de Horikita Manabu depuis longtemps.

Kiriyama — C’est vrai.

Peut-être s’était-il souvenu de notre toute première rencontre.

Kiriyama — Avec du recul, je me dis que ça a été une erreur d’impliquer une personne comme toi n’ayant aucun intérêt pour le Conseil avec Nagumo, Horikita-senpai et moi.

Il posa sa main gauche sur le bord et la serra fermement.

Kiriyama — Il est vrai qu’il prévoyait de vaincre Nagumo. Il est impossible pour notre classe de remonter en classe A si on ne l’élimine pas. Mais cette rage de vaincre s’est essoufflée en milieu de première.

Les terminale avaient été plus que jamais permissifs avec la classe A. Actuellement il y avait 900 points d’écart entre la A et la B. Au milieu de l’an passé, il y avait une différence de plus de 700 points. Nagumo avait pris un avantage et semblait avoir atteint un point de non-retour.

Kiriyama — Chacun a commencé à se la jouer perso dès le début. Les points de classe et le système mis en place par l’établissement ont été vite délaissés pour les règles originales proposées par Nagumo.

Je comprenais mieux la raison de ses agissements douteux. Il est vrai que tout ça était trop pour une personne seule.

Kiriyama — J’ai vraiment lutté mais j’ai été dépassé par les évènements. Au final dès le début de la terminale, j’ai succombé et j’ai suivi le mouvement.

Montrait-il de la résignation ou des regrets ? Je ne pouvais le dire.

Moi — Tu as succombé ?

Kiriyama — Hmm… Je suppose que je vais être plus explicite.

Moi — Oui, j’ai vraiment besoin de l’entendre.

Kiriyama — Nagumo m’a promis un ticket pour sa classe alors j’ai décidé de suivre ses directives. C’est ce que tu voulais entendre, non ?

Non seulement il avait cessé d’être hostile, mais en plus il était devenu son allié. Je suppose que c’était normal pour tout élève de vouloir être diplômé en classe A. Et puis cela montrait l’importance des 20 millions de points.

Kiriyama — Quoi qu’on dise et quoi qu’on fasse, cet établissement aura un grand impact sur notre futur alors il est crucial d’être diplômé en classe A, même si nos camarades finissent par nous en vouloir. Trois années de lycée ne sont rien face aux futures décennies de vie.

Pas étonnant qu’il fut contrarié, étant allé jusqu’à me convoquer pour connaître les détails.

Kiriyama — Notre mission était que Nagumo prenne la première place par tous les moyens, du coup j’ai perdu beaucoup de points de classe et de points privés. As-tu la moindre idée de tout ce que cela représente pour moi ?

Il avait été confirmé par l’OAA que le grand groupe de Nagumo détenait 7 cartes spéciales quitte ou double[1] et 7 cartes de base bonus[2], et que son manque à gagner pour avoir manqué la première place avec les effets cumulatifs de ces cartes s’élevait à 7 millions.

D’autant plus que si les 28 cartes de base rente[3] détenues par les groupes de terminale avaient été utilisées pour désigner le groupe de Nagumo, ce dernier aurait reçu une récompense supplémentaire de la part de ces groupes de près de 15 millions de points privés en cas de première place.

La deuxième place signifiait ainsi s’assoir sur près de la moitié de cette somme même si le gain restait toujours relativement colossal. Si l’on comptait aussi l’effet de la carte spéciale quitte ou double, permettant d’avoir 1,5 fois plus de points de classe, le manque à gagner était encore plus important, à savoir, 150 points de classe.

Kiriyama — Avec la remise des diplômes qui approche, c’est une grande perte pour les terminale car chaque point privé est important.

Le groupe de Kiriyama avait également des cartes spéciales bonus, voilà pourquoi il convoitait ce dernier convoitait deuxième place. Inutile de dire que la quatrième place avait complètement bridé son gain en point privé.

Moi — J’imagine la frustration de ne pas avoir eu de récompense.

Quand je soulignai la chose, il fit un léger haussement d’épaules.

Kiriyama — …Ah. J’ai été envoyé en catastrophe pour soutenir le groupe de Nagumo mais cette non réponse de sa part s’est répercuté dans toute la chaîne de communication. Non seulement nous avons perdu contre Kôenji, mais un groupe de première nous a piqué la troisième place.

Les terminale auraient pu avoir beaucoup de points privés en récompense si tout s’était passé comme prévu. Même si c’était des calculs superficiels, ce genre de sommes aurait pu sauver bien des amis.

Kiriyama — Il faut un ticket de 20 millions pour montrer en classe A. On cherche sans cesse un moyen d’en avoir un et là, un ticket vient de nous filer entre les doigts.

Dans ce test de l’île, toutes les récompenses principales étaient très attrayantes, mais concernant les points privés, l’effet cumulatif des cartes bonus et rente était très lucratif.

Kiriyama — Jusqu’à présent, Nagumo avait produit de bons résultats et avait gagné la confiance de tout le monde mais en s’accrochant à ses désirs, il a perdu beaucoup d’argent et sa réputation a été entachée. Si cela s’était arrêté à là, ça aurait pu encore se rattraper mais Nagumo a pris des mesures incroyables à la fin du test.

Moi — L’expulsion surprise des terminale ?

Kiriyama — En effet. À l’origine, les groupes qui avaient sombré auraient dû être sauvés par les meilleurs à la toute fin, pour éviter l’expulsion.

Mais cela ne s’était pas fait et ils finirent par être tous expulsés.

Kiriyama — Ils étaient juste impuissants. Les quinze expulsés n’ont même pas eu le temps de pleurer sur leur sort.

Moi — C’est effrayant la terminale.

Kiriyama — Bien sûr. Un seul caprice peut réduire à néant trois années. Le problème ici est qu’ils ont été expulsés à cause des actions irréfléchies de quelqu’un et non à cause d’eux-mêmes.

C’était un signal d’alarme pour les élèves qui suivaient Nagumo aveuglément. Il était bizarre qu’aucune voix ne se lève pour protester contre lui.

Moi — Pourquoi personne ne blâme Nagumo ?

Kiriyama — C’est une grosse erreur si tu veux mon avis. Mais beaucoup de personnes en classes C et D n’ont pas de billets pour monter en classe A alors ils préfèrent se taire. Même s’ils voulaient le défier, ils n’auraient aucune chance de toute manière. Nagumo et sa classe sont protégés par une forteresse impénétrable.

Une forteresse impénétrable ? En effet c’était une belle image pour décrire la force écrasante de Nagumo. Ainsi je voulais percer un mystère en posant une question.

Moi — As-tu un ticket en ta possession ?

Une question à laquelle on aurait répondu par un « oui » catégorique mais ce dernier répondit en un clin d’œil sans changer d’expression.

Kiriyama — Si j’avais un tel ticket en ma possession, je ne me serais pas plaint.

Moi — Je vois. Si ce ticket est en possession de Nagumo, alors c’est une tout autre histoire.

C’était évident, mais Nagumo avait mis en place un plan astucieux. Si tous les points privés étaient sous le contrôle de Nagumo alors personne ne pouvait s’opposer à lui. Accord verbal ou non, c’est Nagumo qui décidait de dépenser ses 20 millions de points comme il l’entendait alors Kiriyama avait tout intérêt à être fidèle s’il voulait avoir une chance que cette promesse soit tenue.

Kiriyama — Nous n’avons pas le droit d’accumuler des points privés. Le montant maximal qu’un terminale peut avoir est de 500 000 points. Au-delà, ça va dans les poches de Nagumo.

Moi — C’est bien triste.

Contrairement aux espèces, les points privés faisaient office de monnaie électronique et ne pouvaient donc pas être cachés. Il devait avoir mis en place un système de surveillance. Même si Nagumo était expulsé ou si on le lâchait, il quitterait l’établissement avec une somme astronomique de points. Ainsi toute rébellion était impossible.

Kiriyama — Maintenant tu comprends pourquoi les terminale ne peuvent pas blâmer Nagumo.

C’était une parfaite dictature. Personne en terminale ne pouvait le contester.

Kiriyama — Toute la promo est son terrain de jeu. Il promet de donner un ticket aux élèves dans le besoin en les faisant s’affronter pour voir qui est le plus méritant. Tout ça, en échange de leur allégeance.

Pour les élèves en classe C ou D, qui n’avaient aucune chance de gagner, Nagumo incarnait une sorte de messie. Il était logique qu’il leur fasse miroiter une chance d’être diplômé en classe A. Mais ils n’allaient être fixés qu’à la fin.

Kiriyama — Mon but est d’obtenir un maximum de tickets possibles dans ce peu de temps qui nous reste avant le diplôme. Ayanokôji, tu n’es qu’une nuisance pour nous, sache-le.

En ayant cherché l’affrontement avec moi, Nagumo avait perdu de précieux points privés. Les élèves qui auraient dû être sauvés ne l’ont pas été à cause de ça. C’était donc la situation dans laquelle se trouvaient les terminale.

Moi — Ne crois pas que c’est moi qui ai voulu faire quoi que ce soit.

Kiriyama — Je comprends bien.

Moi — Alors que veux-tu que je te dise ?

Kiriyama — Le début. Dis-moi ce qui s’est passé sur l’île pour que l’on trouve rapidement une solution.

Moi — Nagumo ne voudrait pas que ça se sache, même si c’est toi.

Kiriyama — Me laisser dans le flou ne fera pas avancer le schmilblick.

Il cherchait donc à arrêter les caprices de Nagumo au risque de perdre son ticket. Non, il avait justement peur de perdre son ticket à cause de ses caprices.

Kiriyama — Si tu ne veux pas me parler, je veux au moins que tu rencontres Nagumo tout de suite et que tu lui parles. Je peux même organiser la rencontre si nécessaire. Si vous vous battiez à l’avenir, tout le monde y perdrait.

Moi — Tu as tout à fait raison.

Kiriyama — Je vais essayer de stopper l’opération qu’il mène à ton encontre, tu as ma parole.

Effectivement, il ne fallait pas être Einstein pour comprendre qu’il préparait quelque chose contre moi.

Moi — Tu parles de tous ces regards qu’on me lance ?

Kiriyama regarda en direction de la piscine et hocha la tête.

Kiriyama — Il n’a pas expliqué quel était le but de tout ça, ni combien de temps ça allait durer. Les terminale commencent aussi à questionner l’utilité de la chose. Car clairement, personne ne comprend.

Malgré sa méfiance, il n’avait d’autre choix que d’obéir à Nagumo qui s’était arrogé tous les droits. L’administration Nagumo avait beau être solide comme un roc, s’il continuait à faire le clown, le pire pouvait arriver. Ceux à qui un ticket avait été promis comme Kiriyama allaient obéir sans rien dire mais de nombreux élèves qui n’avaient plus rien à perdre n’allaient pas être aussi tendres. Kiriyama ne pouvait pas laisser un tel scénario se produire car s’il y avait un soulèvement, les instigateurs feraient tout pour expulser Nagumo, ce qui n’arrangerait pas ses affaires à lui ou celles de son entourage.

Moi — Même si je parle avec lui, je ne crois pas que ça suffira.

Kiriyama — Que veux-tu que je fasse alors ? Tu ne me dis rien mais en même temps tu dis qu’une rencontre n’est pas utile. Si on reste comme ça, la situation ne fera qu’empirer.

Moi — Tu peux me donner un peu temps ? Je t’apporterai une réponse sous peu.

Kiriyama allait de toute manière recevoir plus d’informations de Nagumo que de ma part.

Kiriyama — …Ok mais ne tarde pas trop non plus.  Il faudrait le faire avant que Nagumo ne fasse son prochain mouvement.

Kiriyama regardait tout autour de la piscine et remarquai immédiatement l’apparition d’une certaine personne. Quand on parle du loup, voilà qu’il sort de sa tanière. C’était bien entendu de Nagumo dont il s’agissait.

Kiriyama — Je dois y aller. S’il découvre que je suis avec toi, je vais encore avoir des problèmes.

C’était en fait une sage décision. Kiriyama avait quand même pris un petit risque en me contactant aujourd’hui.

Pour ma part, je trouvais que ça en avait valu le coup rien que pour comprendre la situation globale des terminale.

1

La piscine se vida rapidement alors que Nagumo et ses amis commençaient à se rassembler en nombre. S’il voulait me parler, il aurait pu envoyer un intermédiaire pour des questions de discrétion. Ainsi je partis du principe qu’il ne voulait pas me dire quoi que ce soit. De toute manière, je ne voulais pas plus attirer l’attention. Je partis ainsi me changer dans les vestiaires pour fuir la zone.

 — Ayanokôji-senpai !

Je tombai sur Nanase dans le couloir qui s’élança vers moi le sourire aux lèvres.

Sur un bateau de croisière, il était normal de croiser les mêmes visages tous les jours à l’extérieur de nos cabines. Mais son apparition me rappela une scène de la veille. L’air de déjà-vu !

Nanase — Peux-tu m’accorder un peu de ton temps, s’il te plaît ?

Elle regarda un peu autour de moi, vérifiant que j’étais bien seul. Peut-être n’avait-elle pas pu engager la conversation hier parce que j’étais avec Ishizaki. Je finis par hocher la tête par reflexe, dérouté par sa trop grande proximité.

Nanase — En fait, je ne sais pas si je dois le dire mais il y a quelque chose qui me tracasse.

Moi — Quoi donc ?

Le sourire de Nanase disparut pour laisser place à une expression sérieuse. Et tout en faisant attention aux alentours elle commença à chuchoter.

Nanase — Il y a une chose que je ne t’ai pas dite, senpai. Il se pourrait que tu puisses te mettre en colère…

Je pouvais me mettre en colère ? Mais de quoi parlait-elle au juste ?

Nanase — Eh bien…

Nanase essaya de s’exprimer mais elle fit une pause pour se calmer.

— Huh ? Ayanokôji-kun ?

Nanase prit rapidement ses distances après avoir entendu l’appel. C’était la camarade de classe d’Ichinose, Kobashi Yume. Avant, nous ne nous serions même pas salués mais nous avions passé un bref moment ensemble sur l’île. Apparemment, cela avait suffi pour qu’elle daigne me saluer.

Kobashi — Oh, désolée si je dérange. Je peux attendre à côté.

J’avais oublié Nanase, qui s’était cachée derrière moi.

Nanase — Non, il n’y a vraiment pas de mal. Je demandais juste une explication à Ayanokôji-senpai car je ne comprenais pas quelque chose.

Kobashi — Vraiment ?

Nanase hocha vigoureusement la tête deux fois pour montrer qu’elle ne gênait en aucun cas.

Nanase — Nous reparlerons un autre moment, senpai.

En effet, ce devait être un sujet qui ne pouvait être abordé qu’en privé. Nanase s’inclina fortement devant nous et partit à la hâte.

Kobashi — Oh, je suis désolée, je n’avais pas réalisé que vous discutiez ensemble. Elle est en seconde si je ne m’abuse.

Moi — Pas de soucis. Tu voulais me demander quelque chose ?

Kobashi — À vrai dire, les filles de la classe organisent une fête ce soir. Je me demandais si tu voulais te joindre à nous, Ayanokôji-kun ? C’est en guise de remerciement pour avoir sauvé Chihiro- chan.

C’était une invitation. Je dois dire que la proposition « filles de la classe » avait particulièrement attiré mon attention.

Moi — Il y aura qui au juste ?

Quelque peu apeuré, j’essayai de confirmer l’identité des personnes mais Kobashi fit un non de la tête.

Kobashi — On est encore en train d’y réfléchir mais il n’y aura personne de bizarre, ne t’en fait pas.

Ce n’était pas là où je voulais venir mais passons. Elle n’aurait pas compris.

Moi — Si c’est entre élèves de ta classe, je ne suis pas sûre que ma présence soit la bienvenue.

Kobashi — Oh ne t’en fais pas, tu es clairement le bienvenu. C’est vraiment un petit truc de rien du tout.

Pour être honnête, je n’étais pas très enthousiaste car il n’y avait pas beaucoup de personnes dans la classe d’Ichinose avec qui je pouvais parler confortablement. Qui plus est, je n’étais pas sûr de pouvoir tenir une conversation avec Ichinose maintenant. C’était peut-être malvenu de ma part mais c’était mieux de ne pas m’y rendre.

Moi — Je crains de…

Voyant que j’étais sur le point de refuser, Kobashi croisa ses mains comme si elle était sur le point de pleurer en me suppliant.

Kobashi — Je t’en conjure ! Allez viens !  Notre rencontre ici est probablement un signe du destin !

Il était difficile de dire non dans ce genre de situation mais je ne pouvais pas céder aussi facilement. Si je ne posais pas les limites maintenant, qui sait ce qui pouvait se passer plus tard.

Kobashi — Du coup ce sera de ma faute.

Moi — Quoi ?

Kobashi — Ça ne va pas le faire ! Je vais dire aux autres qu’Ayanokôji-kun a refusé mon invitation car je m’y suis mal prise.

Moi — Attends. Quoi, quoi ?

Kobashi — Tu viens alors ?

Moi — C’est…

Kobashi — Aaaw, tu refuses encore ?! Si seulement je m’y étais un peu mieux prise ! Je suis vraiment désolée tout le monde ! 

Moi — Faut pas non plus te mettre dans tous tes états.

Kobashi — Viens juste au moins pour faire acte de présence. Je te jure que je ne te demanderai rien de plus. Et Honami-chan sera là d’ailleurs.

Cette fois, ses mains croisées se frottèrent avec encore plus d’insistance qu’avant. Il n’y avait donc plus de fuite possible.

Moi — Tu es vraiment sûre que ma présence ne pose pas problème ?

Kobashi — Oui, t’en fais pas ! Oh, ne dis pas à Honami-chan que tu seras là, d’accord ?

Elle fut tellement joviale qu’il était difficile de croire qu’elle était en détresse juste avant. On dit souvent que les femmes sont des actrices nées, après tout. Mais pourquoi Ichinose ne devait pas le savoir ? Cela avait piqué ma curiosité.

Moi — Pourquoi donc ? Ne vaut-il pas mieux que tout le monde soit au courant de ma présence ?

S’il y avait au moins un élève qui refusait ma participation, j’aurais été heureux de le savoir pour que mon refus ne la froisse pas.

Kobashi — C’est histoire de faire la surprise tu vois.

Je n’appréciais pas la tournure des évènements mais je n’allais pas m’étendre sur le sujet. Il semblait qu’elle et ses amies se fassent des films sur Ichinose et moi.

Kobashi — On se retrouve dans la chambre 5034 à 20h alors.

Moi — La chambre 5034… Attends, c’est dans une chambre ?

Je pensais que nous aurions été en extérieur mais il fallait que ce soit dans une chambre, qui plus est, une chambre de filles.

Kobashi — Ça ne te dérange pas, non ?

Moi — Eh bien…Disons que c’est un peu compliqué.

Kobashi — Mais non, il n’y a rien de compliqué. Viens, c’est tout.

Elle avait le chic pour me couper toutes les portes de sortie. Ça ne servait à rien de fuir, elle m’attendait à chaque tournant.

Kobashi — Je t’attendrai ! Viens sans faute !

Avec la sensation de devoir accompli, Kobashi s’éloigna rapidement.

Kobashi — À plus tard.

Ce n’était pas encore le moment pour parler à Ichinose en face à face mais bon, la foule allait peut-être faciliter la chose. Si c’était une fête de remerciement, il y allait forcément y avoir au moins quelques gars pour faire passer la pilule.

2

N’ayant nullement l’envie de m’amuser, je m’isolai dans ma chambre et, lorsque je terminai de dîner aux alentours de 18h, 20h arriva très vite.

Moi — Allons-y.

Si j’avais encore eu le choix, j’aurais bien évidemment décidé de ne pas y aller. Après tout, la véritable raison de cette invitation fut cachée mais j’aurais pu refuser avec un peu d’insistance. Je méritais ce qui m’arrivait alors je devais prendre ma responsabilité pour avoir été aussi hésitant. J’arrivai ainsi devant la salle 5034, avec une détermination nouvelle.

Cela faisait déjà une minute que j’étais arrivé et malgré les rires de temps à autres de filles, je n’entendais aucun garçon. J’avais clairement un mauvais pressentiment au point d’en avoir des sueurs froides. Une chose était sûre, j’étais plus serein en allant affronter Tsukishiro.

Moi — Ce serait plus sage de faire demi-tour non ?

C’est ainsi qu’une insufflation satanique se fit entendre : « Allez, retourne dans ta chambre. Tu diras que tu as oublié au pire ». Mais je voulais dans la mesure du possible éviter d’être considéré comme quelqu’un de peu fiable.

Que devais-je faire ? Alors que j’étais comme figé, le sort d’immobilisation se rompit à la venue de quelqu’un.

 — Oh, tu es là !

C’était Kobashi qui fit son apparition au bout du couloir avec un grand sac plastique à la main contenant des sandwiches et des bouteilles de jus. Il n’y avait clairement pas meilleur timing car maintenant, l’option de la fuite n’était plus envisageable.

Kobashi — Tout le monde doit être là. Tu peux entrer, ne sois pas timide.

Moi — Oh, oui…bien sûr. J’étais sur le point de le faire.

Oui, il n’y avait plus aucune échappatoire. La porte qu’il m’était impossible à ouvrir jusque-là fut facilement balayée par Kobashi qui l’ouvrit sans même une once d’hésitation. Comment pouvait-elle ouvrir une porte comme ça sans se préparer mentalement au préalable ? Alors que la barrière venait d’être levée, me mettant sous les feux des projecteurs, la première chose qui stimula mes sens fut l’odeur d’un arôme doux et agréable, mélange de miel et de fleurs. Tout juste après, j’eus une fille dans le champ de vision et vis certains regards qui me fixèrent.

Kobashi — Ta-da ! J’ai amené Ayanokôji-kun !

Dans une pièce pour quatre personnes, que l’on pouvait difficilement qualifier de spacieuse, les filles étaient assises dans un espace exigu. Quel était ce monde devant mes yeux ? Un, deux, trois… plus Kobashi, ça faisait dix en tout. Cela signifiait que la moitié des filles de la classe d’Ichinose étaient ici. Il n’y a pas la moindre trace de garçons, une trahison involontaire de sa part.

 — Hé, ça ne se fait pas de dire ça comme ça, Kobachi-chan.

Kobashi — Vraiment ? Oh, et j’ai apporté à boire et à manger !

Le sac en plastique fut placé sur une petite table près du lit de la petite chambre. C’était quoi au juste ce rassemblement chaleureux et gnangnan ? C’était clairement différent des autres groupes de filles. Je n’avais jamais parlé à la plupart d’entre-elles ici mais je me souvenais de leurs noms et visages grâce à l’OAA. Accablé par ce spectacle et incapable de bouger, Kobashi me tapota légèrement le dos.

Kobashi — Alors, Ayanokôji-kun, où vas-tu te placer ? Ah, ça te va à côté de Honami-chan ?

Il est vrai qu’Ichinose était la personne la plus proche de moi ici mais c’était douteux. L’endroit était certes petit mais c’était sûrement calculé. Même avec dix personnes dans la pièce, la place à côté d’Ichinose était vide. Penser au fait que j’aurais pu refuser l’invitation avant n’allait pas m’aider.

Moi — … C’est ce que je vais faire, oui.

Je m’assis à côté d’Ichinose après lui avoir signalé la chose et je sentais la concentration de tous les regards sur moi. Plus précisément, celui de sept personnes, sans compter Ichinose, Kobashi et Himeno, qui me dévisageaient de A à Z. Il fallait que je garde mon sang-froid et que je me montre sociable. J’allais tenter de partir à la première occasion. Kobashi me servit du thé dans une tasse transparente et lorsque tout le monde eut sa boisson en main, Amikura, qui semblait être la porte-parole de la soirée, s’exprima.

Amikura — Nous allons donc trinquer mais avant, je voudrais remercier Ayanokôji d’avoir été là pour Chihiro-chan sur l’île.

Sur ces mots, elles levèrent toutes leur verre.

Shiranami — Eh bien, merci encore, Ayanokôji-kun. Tu m’as vraiment aidé à ce moment-là…

Puis Shiranami, assise à la gauche d’Ichinose, me remercia. Franchement, je n’avais rien fait pour mériter autant de remerciements mais comme je ne pouvais pas vraiment converser, je ne fis qu’un signe de tête.

Shiranami — Hum, Ayanokôji-kun.

On aurait pu croire que la fête battait son plein mais seulement dix petites minutes s’étaient écoulées et Shiranami me regardait avec un visage sérieux.

Moi — Oui ?

Elle tint une canette de jus d’orange dans ses deux mains et sembla essayer de dire quelque chose.

Shiranami — Je te suis vraiment reconnaissante mais je ne suis pas encore prête pour l’admettre.

Moi — …Huh ?

Sans rien préciser, Shiranami s’empressa d’enfiler le jus dans sa gorge.

Shiranami — Pfft ! Je ne peux pas t’en dire plus.

Je ne savais pas de quoi elle parlait mais je ne cherchai pas à le savoir. En tout cas, des filles lui avaient dit des mots d’encouragement stipulant qu’elle avait fait ce qu’elle pouvait. Shiranami montrait toujours de l’insatisfaction mais j’avais commencé à comprendre, à force d’écouter les filles parler. Ces dernières faisaient la conversation tandis que j’étais là à les regarder comme un chat abandonné. Certes je n’étais clairement pas à l’aise mais il y avait un début à tout et puis les discussions des filles étaient assez incroyables. On pouvait passer d’un sujet à l’autre sans sourciller et il y en avait pour tous les goûts. Il y avait autant de thèmes que de passagers dans un avion rempli au qui se posait au Japon.  Mais quel que soit le sujet, il y avait un point commun.

De nombreuses filles considéraient Ichinose comme le centre de tout et lui octroyaient une confiance aveugle. Je ne disais pas que c’était une mauvaise chose mais Honami Ichinose était sans aucun doute l’élève la plus fiable de tous les première, que l’on soit allié ou ennemi avec celle. La fiabilité était inhérente à chacun mais elle se construisait au quotidien car personne ne donnerait sa confiance au premier venu. Mais être digne de confiance ne signifiait pas être infaillible et elle pouvait prendre de mauvaises décisions. Ainsi faire confiance à une personne qui a tort ne donnera aucun résultat. Il y aura toujours besoin d’élèves pour discerner le bon du mauvais.

 — Je peux dire quelque chose ?

Alors que l’excitation des filles avait atteint son paroxysme, l’une d’entre elles, qui jusqu’à présent n’était pas trop intervenue, leva la main.

Amikura — Qu’y a-t-il, Yuki-chan ?

Himeno — Le mal de tête habituel. Désolée, mais je me sens mal. Je peux retourner dans ma chambre ?  Je commence à être fatiguée.

Si cela avait été une simple déclaration, cela ne m’aurait pas fait tiquer mais le ton inattendu me surpris car tout le monde dans la classe d’Ichinose savait faire preuve de diplomatie. On pouvait sentir le froid que jeta Himeno.

Ichinose — Bien sûr. Tu veux que je t’accompagne ?

Ichinose et les filles se montrèrent conciliantes à son égard.

Himeno — Pas la peine, je ne suis pas une gosse.

Himeno se leva, agacée par ce comportement surprotecteur. Je ne pensais pas trouver une telle élève dans la classe d’Ichinose. De mémoire, Yuki Himeno n’avait que des gens de sa classe dans son groupe sur l’île. Quoi qu’il en soit, c’était le signal que j’attendais dans cette situation sans issue. Si je ratais cette chance, je ne savais pas quand j’allais pouvoir rentrer alors il fallait que je suivre le mouv’ de Himeno.

Moi — Eh bien, je crois que je ferais mieux d’y aller.

Ichinose — Oh, tu pars déjà ? Tu peux rester plus longtemps tu sais.

Moi — De base, je suis juste venu pour vous saluer mais j’ai un rendez-vous de prévu un peu plus tard.

Si je dis que j’avais des projets, Ichinose et les autres ne pouvaient pas me retenir.

Ichinose — Eh bien, à plus tard, Ayanokôji-kun.

Je quittai la chambre tandis qu’Ichinose et les filles me regardaient partir.

3

Moi — Fuu… j’ai failli trop transpirer à cause du malaise.

Moins de 30 secondes après le départ de Himeno, je réussis à m’extirper de la chambre 5034. Peut-être que beaucoup de garçons auraient aimé être à ma place mais c’était bien trop pour moi. Je n’étais pas doué pour socialiser, tout ça était nouveau. D’autant plus que j’avais décidé d’incarner un lycéen discret. Mais cette petite aventure avait au moins eu le mérite de faire naître quelques liens avec la classe d’Ichinose.

J’avais pu ainsi me faire une idée des personnalités qui entouraient cette dernière. À ce stade de notre vie scolaire, nous connaissions les forces et les faiblesses de la classe d’Ichinose. Mais quel leader allait émerger à l’avenir ? Le seul candidat que je voyais pour le moment était un garçon, Kanzaki. Bien entendu dans cette classe, les filles avaient aussi leur mot à dire et même si Kanzaki faisait office de contrepouvoir, pas sûr que les filles lui soient fidèles facilement.

Moi — ?      

Himeno s’était plaint d’un mal de tête, usant de ce prétexte pour retourner dans sa chambre, mais elle prit une direction différente. Je me dépêchai de me rendre au tournant pour vérifier que c’était bien elle mais sa couleur de cheveux bien particulière ne laissait pas de place à l’erreur. Himeno m’avait mis un peu mal à l’aise durant la réunion.

Elle avait l’air d’avoir une sacrée personnalité alors je décidai de la suivre. Nous arrivâmes ainsi sur le pont du côté arrière du bateau. Vu que c’était le soir, il n’y avait personne. En la regardant de loin, je me souvins de sa fiche dans l’OAA.

Yuki Himeno. 1ère B
Capacité académique B- (63)
Aptitude physique C (51)
Adaptabilité C+ (58)
Contribution sociale C+ (58)
Capacité générale C+ (57)

Elle n’avait pas l’air de se démarquer quelque part mais en tout cas il ne fallait pas se fier à ça. En effet, des forces et des faiblesses invisibles pouvaient se cacher au sein de chaque élève. Je voulais en savoir plus alors c’était l’occasion d’établir un contact.

Moi — Qu’est-ce que tu fais ici ?

Himeno — Eh… ? Quoi ?

Elle sembla légèrement perturbée alors elle détourna le regard. En effet, ce n’était pas logique pour elle de se trouver là alors qu’elle avait stipulé avoir mal à la tête, voulant regagner sa chambre.

Moi — Tu te sens un peu mieux ?

Himeno — …!

Le vent avait masqué ses marmonnements mais elle sembla ennuyée. Il existait bon nombre d’insultes et les jeunes étaient plus prompts à un langage vulgaire mais dans le cas de Himeno, ce n’était pas vraiment de la violence ou de la vulgarité. Elle s’exprimait juste de manière déroutante pour ne pas que l’on s’approche d’elle.

Cependant, peut-être préoccupée par la situation, elle toussa une fois et tourna son regard vers moi.

Himeno — Je suis venue ici pour prendre l’air. Ça calme.

Moi — Tu as souvent des maux de tête ? J’ai cru entendre ça.

Elle resta silencieuse, comme si elle voulait couper court à la conversation. Même durant la petite fête elle ne s’était pas exprimée sauf pour spécifier son départ. Aucune fille ne lui parlait mais je ne pense pas qu’elle se faisait harceler ou quoi que ce soit. Ichinose ne l’aurait pas permis de toute manière. Si elles étaient en mauvais termes avec elle, elles ne l’auraient d’ailleurs jamais montré à un élément extérieur comme moi. À mon avis, elles avaient juste voulu inviter Himeno comme ça pour la remercier de son dur labeur sur l’île. Et puis plus on est de fous plus on rit.

Himeno — Oui j’ai souvent des migraines.

 Répondit-elle brièvement et maladroitement.

Moi — Effectivement c’est le meilleur moyen pour se calmer.

La migraine est causée par la dilatation des vaisseaux sanguins cérébraux à cause notamment de la fluctuation des hormones féminines, à la fatigue et au manque de sommeil. Les vaisseaux sanguins se dilatent surtout en cas de chaleur et font le processus inverse en cas de fraicheur. Ainsi, être exposé au vent était une bonne chose si on était vraiment dans un état migraineux.

Himeno — C’est juste que…

Moi — Le mal de tête n’était-il pas juste une excuse pour partir ?

Himeno — Quoi, tu crois que je mens ?

Himeno avait été relativement indifférente jusque-là, mais dès que je fis remarquer son mensonge, son visage changea.

Cette fille n’était clairement pas comme les autres élèves de sa classe habituellement bien sympas. L’intuition que j’avais ressentie n’était pas fausse.

Moi — Je peux voir que tu es agacée.

Himeno — Comment ça ? Oh…j’ai encore la migraine… Je retourne dans ma chambre.

Moi — Tu pourrais m’écouter un instant ?

 Tout en se tenant le front, Himeno me regarda avec dégoût.

Himeno — Mon mal de tête empire, tu comprends ?

Moi — Je suis désolé.

Himeno — Tu es désolé mais tu veux que je t’écoute ?

Moi — Tu n’as pas l’air d’aimer ça.

Himeno — Oui, je déteste ça.

Elle était vraiment hargneuse. Voilà sa vraie nature.

Moi — Je vois. Tant pis.

Himeno — T’as  compris alors ?

Elle me tourna le dos, plein de ressentiments.

Moi — Je vais retourner voir les filles pour leur dire que tu as menti.

Himeno — C’est toi le putain de menteur ! Pour qui tu te prends ?

Moi — Moi, un menteur ? Je dis juste que tu peux feindre une maladie. Si c’est vrai tant mieux pour toi, tu pourras prouver à tout le monde que j’ai tort.

Himeno — Il n’y a aucun moyen de prouver un mal de tête.

Moi — Justement.

Himeno — Elles n’arrêtaient pas de te complimenter mais t’as une sale personnalité.

Moi — Je ne crois pas avoir reçu d’éloges sur ma personnalité.

J’avais juste été remercié pour avoir aidé Shiranami, rien de plus.

Himeno — Ah !

Moi — Mais tu es différente des autres Himeno. Une étrangeté au sein de la classe d’ichinose.

Himeno — Une étrangeté ? Si tu veux mon avis, les gens de ma classe sont des bisounours. On fait très souvent de grandes réunions pour parler mais elles sont souvent trop longues pour rien.

En effet, si des réunions qui ne menaient à rien se répétaient sans cesse, ça m’aurait épuisé. Les camarades d’Ichinose avaient l’air d’apprécier les regroupements alors ils faisaient durer les réunions.

Moi — Si tu n’aimes pas ça, tu n’es pas obligée d’y aller non ?

Himeno — Tu crois que j’ai le choix ? Il le faut bien pour garder la face.

Moi — Eh bien, tu as raison.

Toute la classe était unie, surtout les filles. Même si certains se forçaient, il fallait beaucoup de courage pour oser briser la belle image que le groupe s’était forgé. C’était peut-être notre rencontre d’ailleurs qui allait changer le cours des choses. À moins d’une raison particulière, je ne comptais pas m’engager avec elle d’autant plus que c’était une fille mais faire un pas en avant était ce qu’il fallait faire. Si cela finissait par causer du tort à Himeno, alors ainsi soit-il.

Moi — Pour évacuer le stress, crier est le meilleur moyen.

Himeno — Même si je le voulais, on pourrait m’entendre.

Moi — Peu d’élèves viennent jusqu’ici et puis ça ne résonne pas. Vu le bruit du bateau, le cri disparait en un rien de temps.

Himeno — Mais…

Elle eut l’air confuse, comme si elle n’avait jamais crié auparavant.

Moi — Vas-y, n’hésite pas à crier.

Himeno — V…vraiment ?

La réponse inattendue l’avait stupéfaite

Himeno — Je ne te connais pas très bien et tu m’as l’air bien calme, pas le genre à crier en tout cas. Peut-être que si tu me montres, je pourrai bien le faire.

Moi — Je suis un peu confus. Je ne me souviens pas avoir ressenti un fort stress jusqu’à maintenant donc je n’ai pas assez de recul pour montrer quoi que ce soit.

Himeno — Si tu ne peux pas le faire alors du balais.

Si je faisais marche arrière, c’était la fin de ma relation avec Himeno.

Moi — Très bien.

Comme Himeno regardait, je décidai d’élever la voix.

Moi — Aaaah !!! À ton tour, Himeno.

Himeno — …Tu te fous de moi ?

Moi — Non ?

Himeno — J’ai rien entendu là. Ça craint.

Moi — Alors montre-moi comment tu aurais fait.

Himeno — Y’a pas vraiment de manière de faire en fait.

Himeno finit par se contredire alors elle tenta d’esquiver la situation.

Moi — Tu n’étais pas censée crier si je le faisais ?

Himeno — Mais t’as pas vraiment crié en fait. Crois pas t’en sortir.

Moi — Peu importe le volume sonore, j’ai respecté notre accord. Mais si ta voix est aussi faible que la mienne alors tu n’auras rien à me dire.

J’avais pris ainsi les devants pour ne pas qu’elle me verrouille.

Himeno — Tu sais quoi ? Je vais le faire, qu’on en finisse !

Après avoir pris une inspiration, comme au pied du mur, Himeno plaça ses mains de chaque côté de sa bouche et cria.

Himeno — Aaaaaaaaaaaaaaaaaaahhhhh !!!

Le bruit du moteur camoufla le cri qui fut emportée au loin par le vent. Seuls elle et moi pûmes entendre ce hurlement éphémère qui se tut dans la pénombre. Cependant, elle avait crié bien plus fort que je ne l’avais imaginé à telle point que j’eus la sensation de voir le bateau tanguer. Sa manière de parler et son attitude étaient plutôt amers, elle avait l’air déprimée et était plutôt réservée, discrète, mais sa voix était formidable.

Himeno — Hmm… Ça fait du bien !

Himeno hocha la tête, satisfaite, ne semblant plus se soucier de moi.

Moi — T’as vu ? Ça valait le coup qu’on crie tous les deux.

Himeno — Non, non, non, non. Toi, t’as même pas crié.

Elle me transperça du regard.

Moi — Je pense que j’aurais bien crié si j’avais été stressé.

Himeno — Tu crois ? C’est vrai que t’as pas l’air d’avoir des soucis.

Moi — En tout cas tu m’as surpris. Je ne te savais pas aussi tendue.

Himeno — Tu cherches vraiment les problèmes.

Son regard était quelque peu mauvais mais il n’y avait pas de réelle volonté de me nuire.

Moi — J’ai un peu dépassé les bornes, désolé.

Même si elle ne l’avait pas vraiment mal pris, je m’étais excusé car elle avait un côté tout de même bien effrayant.

Himeno — Je vais retourner dans ma cabine.

Moi — Désolé d’avoir pris de ton temps.

Himeno — C’est bien que tu en aies conscience.

Dit-elle, tout en quittant le pont.

Moi — Il est temps de partir pour moi aussi du coup.

À la base j’étais censé m’amuser à cette fête mais ça m’avait bien fatigué. J’allais dormir profondément ce soir.


[1] Cette carte spéciale permet d’obtenir 1,5 fois plus de points de classe grâce aux récompenses d’examen à la condition d’être dans les 30% meilleurs.

[2] Son détenteur obtient deux fois plus de points privés.

[3] Désigne un groupe en début d’examen. Celui a qui cette carte reçoit la moitié des points privés gagné par le groupe désigné.

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