CLASSROOM Y2 V0 Chapitre 3


Lancement

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Traduction : Nova
Correction : Raitei
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Les rĂŞves… On dit que nous rĂŞvons presque tous les jours, mais que le souvenir est liĂ© Ă  la lourdeur de notre sommeil. Vu comment je m’en souvenais, mon sommeil devait ĂŞtre vraiment lĂ©ger. 

Je me revoyais plus jeune, dans une KeijidĂ´sha[1] achetĂ©e d’occasion. Mon kilomĂ©trage dĂ©passait largement les 100 000, malgrĂ© l’intĂ©rieur plutĂ´t miteux. Ce n’était pas confortable, mais le sentiment d’accomplissement que j’avais en la conduisant me faisait me sentir l’élite de ma famille. Les moments que j’avais passĂ©s dans cette voiture, seul, sans amis ni amantes, Ă©taient inoubliables. Depuis, je ne conduisais plus, me contentant de somnoler sur le siège arrière. Le confort profond et doux du vrai cuir, la chaleur ressentie au niveau dos… J’avais atteint un tel luxe, mon ancienne voiture faisait pâle figure Ă  cĂ´tĂ©. Mais pourquoi n’avais-je plus l’excitation et la joie ressenties durant cette pĂ©riode ?

— AyanokĂ´ji-sensei, nous sommes sur le point d’arriver.

En entendant cette voix depuis le siège conducteur, j’ouvris tranquillement les yeux. Contrastant complètement avec le paysage de la ville, nous Ă©tions sur le point d’entrer dans une route difficile de montagne.

— Cela va ĂŞtre un peu chaotique Ă  partir d’ici.

Moi — Je le sais.

Cela fait dĂ©jĂ  trois ans que Naoe-sensei m’avait confiĂ© le projet de dĂ©veloppement des ressources humaines. Si au dĂ©part je n’étais pas très serein, le projet officiellement baptisĂ© « White Room Project » avait plutĂ´t bien dĂ©marrĂ©. Le nombre d’hommes d’affaires souhaitant investir dedans augmentait de jour en jour, ce qui augmentait notre budget. Bien sĂ»r, tout l’argent rĂ©coltĂ© Ă©tait officiellement destinĂ© Ă  la White Room.

Néanmoins, seule une poignée « d’élus » étaient au courant de l’existence du projet, d’où ces grands investissements. Il est, certes, plutôt rare de susciter autant d’attentes sans résultats tangibles, mais d’un autre côté c’est bien à ce moment-là qu’il faut investir.

Lorsque le grand public se rend compte de la rentabilitĂ© de quelque chose, il est dĂ©jĂ  trop tard. Seuls ceux ayant investi une grande quantitĂ© d’argent dans une entreprise lorsqu’elle est encore sous les radars ont le droit d’en rĂ©colter les fruits.

Le projet se portait bien, je n’avais mĂŞme pas Ă  brandir le nom de Naoe-sensei. Ce n’était qu’une question de temps avant que le gouvernement ne s’implique lĂ -dedans Ă©galement publiquement. NĂ©anmoins, les investisseurs ont gĂ©nĂ©ralement des attentes. RenommĂ©e, bĂ©nĂ©fices financiers… Si la situation ne se passe pas comme prĂ©vu et prend une tournure dĂ©cevante, les investisseurs tournent, dĂ©guerpissent et insultent tous ceux qu’ils appelaient « sensei Â» quelques jours avant. C’est pourquoi il est toujours important d’obtenir des rĂ©sultats tangibles et constants. Nous ne pouvions en aucun cas baisser notre garde.

Sur le trajet, je reçus un appel sur mon tĂ©lĂ©phone portable d’un nouvel homme d’affaires qui voulait investir dans le projet. Personne ne connaissait encore la valeur rĂ©elle des enfants de la première gĂ©nĂ©ration, ni la façon dont les enfants Ă©taient traitĂ©s, pourtant des appels Ă  candidature s’étaient multipliĂ©s dès l’annonce des inscriptions pour la seconde gĂ©nĂ©ration. L’opacitĂ© Ă©tait ma stratĂ©gie : donner l’impression que tout se passait parfaitement bien, et que les candidats Ă©taient si nombreux que tout le monde n’allait pas pouvoir ĂŞtre pris. Je distillai anonymement ces informations sur internet, augmentant artificiellement la valeur de la White Room.

Parmi ces candidatures, certaines se distinguaient par une problĂ©matique commune : elles concernaient des enfants illĂ©gitimes. Un problème bien connu des personnes de la haute. Ainsi, si une maĂ®tresse insistait pour avoir un enfant, le placement du bĂ©bĂ© dans la White Room Ă©tait une condition sine qua none. Ce faisant, l’enfant pouvait littĂ©ralement ĂŞtre mis de cĂ´tĂ©, « effacĂ© Â» du grand public, et la maĂ®tresse crĂ©ait un lien avec son partenaire. Cela peut paraĂ®tre inconcevable pour des personnes ordinaires, mais nous n’avions aucune raison de refuser dans la mesure oĂą cela permettait d’augmenter notre Ă©chantillon d’enfants ainsi que nos fonds. Ainsi, j’acceptai l’enfant de la personne que j’avais au bout du fil sans la moindre hĂ©sitation.

Moi — Ils n’apprennent jamais, n’est-ce pas ?

Est-ce que l’argent rend les gens fous ? Comment peuvent-ils multiplier les grossesses non dĂ©sirĂ©es de la sorte ?

Et parlons-en de ces trainĂ©es qui se dĂ©hanchent partout.  Environ 30 % des enfants de la deuxième gĂ©nĂ©ration Ă©tait constituĂ©e d’enfants illĂ©gitimes devant ĂŞtre cachĂ©s du grand public, ce qui voulait dire que la White Room n’était pas encore assez cotĂ©e ; nous ne jouissions pas de la rĂ©putation d’établissement incontournable. Ce qui Ă©tait logique, puisque les riches confiant leur enfant, tout comme une partie du personnel, ne savaient pas grand-chose de cette expĂ©rience. Tout ce qu’ils savaient, c’était que nous Ă©duquions des enfants nĂ©s sous une mauvaise Ă©toile en les aidant Ă  s’intĂ©grer dans la sociĂ©tĂ©.

Moi — Enfin, je pense que je les comprends.

Pour ma part, je considĂ©rais ces enfants comme des sujets d’expĂ©rimentation. Prendre les prĂ©cieuses progĂ©nitures des riches dès maintenant Ă©tait risquĂ© et il allait nous falloir prendre des dispositions. Enfin, quelle que soit la situation, l’objectif Ă©tait de fournir une Ă©ducation complète Ă  tous les enfants. La White Room allait, un jour, devenir un Ă©tablissement approuvĂ© par le gouvernement. Et tous les Ă©tablissements du monde entier allaient la prendre pour modèle.

Naoe-sensei et moi prenions l’initiative de construire ce pont, et cela n’allait faire que nous renforcer au sein du parti. Un Ă©norme poste m’attendait sĂ»rement dès l’instant oĂą le vieillissant Naoe-sensei allait prendre sa retraite. Petit Ă  petit, j’avançais rĂ©gulièrement, un pas après l’autre. Tout commençait enfin Ă  se concrĂ©tiser. J’avais bien fait de me donner tant de mal sur ce projet, qui a Ă©tĂ© une part significative de ma vie.

Un futur radieux m’attendait, en théorie. En effet, bosser sur la White Room me prenait tellement de temps que j’en avais négligé la politique. Beaucoup avaient déjà dû se rendre compte que j’étais sur quelque chose. Je devais faire attention car même si l’on a souvent des alliés, nous avons surtout beaucoup d’ennemis en politique. D’autant plus quand on est le bras droit de Naoe-sensei.

La White Room Ă©tait devenue une partie de moi. Ainsi, j’avais dĂ©cidĂ© de nouer des liens solides dans le monde des affaires, au cas oĂą. Après tout, le monde politique et le monde des affaires sont les deux facettes d’une mĂŞme pièce. Ainsi, je portai Ă  la fois la casquette de politicien et Ă  la fois celle d’homme riche, rĂ©coltant l’argent reçu Ă  droite Ă  gauche pour me consolider.

  • Sakayanagi-sama serait arrivĂ© dans la White Room.

Moi — Je vois. Accélérez légèrement le pas.

— Oui, monsieur.

MĂŞme s’il restait du temps avant la rĂ©union, faire attendre un invitĂ© n’est jamais une bonne idĂ©e.

1

Je franchis le portail, laissant ma voiture se faire garer Ă  l’entrĂ©e, et rejoignis rapidement la salle des invitĂ©s. Sakayanagi, qui n’était pas assis sur le canapĂ© mais debout, regardant par la fenĂŞtre, se tourna vers moi.

Moi — Veuillez m’excuser pour l’attente.

M. Sakayanagi — Ne vous en faîtes pas, j’ai eu un peu d’avance.

Sakayanagi, s’inclinant poliment, s’approcha avec son sourire habituel.

M. Sakayanagi — J’attendais avec impatience l’inauguration de la White Room aujourd’hui.

Moi — Je vois.

Depuis environ trois ans, j’étais en contact frĂ©quent avec lui. Je pensais ne pas m’entendre avec Sakayanagi, nĂ© dans un milieu privilĂ©giĂ©, mais des objectifs communs peuvent rapprocher plus que je ne l’imaginais. C’était peut-ĂŞtre car j’avais l’habitude de rencontrer des hyènes, mais la personnalitĂ© authentique de Sakayanagi m’était agrĂ©able.

M. Sakayanagi — Je suis surpris par le degré de sécurité ici. C’est en décalage complet avec ce qu’est censé représenter l’endroit.

Moi — Nous sommes obligés de prendre quelques précautions. Naoe-sensei et moi avons pas mal d’ennemis, des gens qui seraient ravis de s’emparer de pareils scandales.

Peut-ĂŞtre troublĂ© par cette rĂ©ponse, Sakayanagi sourit ironiquement. 

Moi — C’est vous qui m’avez le plus aidĂ© pour la White Room. Je voulais vous la faire dĂ©couvrir en avant-première.

M. Sakayanagi — Je soutiens ce projet car il permettra de venir en aide à des enfants.

Je ne doutais pas que Sakayanagi voyait loin avec ces enfants, là où pour Naoe-sensei et moi ils n’étaient rien de plus qu’un plan de carrière.

Mais ça, ce n’était pas un objectif cachĂ©, et Sakayanagi l’acceptait sans complexe tant qu’il y avait des enfants Ă  sauver. C’était un homme bon, mais qui allait probablement se dĂ©tourner de nous dès l’instant oĂą il allait rĂ©aliser que l’avenir de ces enfants n’était pas si certain.

Moi — Bien, débutons la visite.

M. Sakayanagi — Avec plaisir.

Je lui montrais tout d’abord le laboratoire.

Moi — Aujourd’hui, la White Room va connaître un tournant. Voyez un peu ce que ces enfants ont pu devenir.

M. Sakayanagi — Ces enfants ont dĂ©jĂ  plus de 3 ans, n’est-ce pas ?

Sakayanagi avaient déjà pu rencontrer certains d’entre eux. Des souvenirs devaient lui remonter.

Moi — Vous n’avez pas d’enfants ?

Quand j’ai rencontrĂ© Sakayanagi, cet homme Ă©tait dĂ©jĂ  avec sa femme depuis plusieurs annĂ©es.       MĂŞme maintenant, je n’ai pas entendu dire qu’elle Ă©tait enceinte ou qu’elle avait donnĂ© naissance Ă  un enfant.

M. Sakayanagi — L’occasion ne s’est pas encore présentée. Nous avons décidé de laisser faire la nature.

Autrement dit, si le mari, la femme ou les deux avaient des problèmes, les perspectives d’enfants étaient relativement compromises. Enfin, tant que ça leur convenait.

Moi — Je vois. DĂ©solĂ©, la question Ă©tait indiscrète.

M. Sakayanagi — Et vous, Ayanokôji-sensei, pensez-vous au mariage ?

Moi — Disons que je suis célibataire depuis un moment, hélas.

M. Sakayanagi — Avoir quelqu’un sur qui compter est essentiel en politique. J’espère que vous trouverez bientĂ´t une telle personne.

Moi — Je l’espère aussi !

L’amour, le mariage, l’accouchement… je n’avais pas le temps pour ça.

On dit qu’avoir quelqu’un pour vous protĂ©ger vous rend plus fort, moi je pensais au contraire que ça nous rendait faible. J’ai vu trop de politiciens mourir pour le bien de leur « protecteur Â» par le passĂ©.

2

Il y avait un peu de bruit en arrivant au laboratoire. Les élèves de Suzukake et des deux autres étaient sur le point de passer un examen complet.

Moi — Merci d’avoir attendu. Commençons.

Dr. Tabuchi — Oui, monsieur.

Tabuchi, la seule personne neutre dans la salle, modéra la session.

Moi — Nous avons divisé les enfants en trois groupes et leur avons fait suivre une éducation approfondie pendant trois ans.

M. Sakayanagi — Parmi les trois chercheurs, celui qui montrera les meilleurs rĂ©sultats sera choisi comme reprĂ©sentant, n’est-ce pas ?

Avec quelques brefs éléments, Sakayanagi comprit la situation.

Moi — En effet.

M. Sakayanagi — Avez-vous dĂ©jĂ  une petite idĂ©e des rĂ©sultats ?

Moi — Non. Au cours des trois dernières annĂ©es, je n’ai presque rien eu Ă  voir avec ça. Je n’ai fait qu’apporter le soutien nĂ©cessaire sans aucune ingĂ©rence de profane. Je n’aurai mĂŞme aucune preuve que les spĂ©cialistes auront atteints leurs rĂ©sultats sans aide.

Ces trois dernières années, je leur ai laissé une totale liberté. Après tout, pas sûr que je n’aurais pas interféré si j’avais eu vent de quelques détails. Quand je répondis honnêtement, Sakayanagi applaudit de surprise.

M. Sakayanagi — Il a dĂ» falloir beaucoup de courage pour s’en remettre entièrement au terrain, n’est-ce pas ? La plupart des superviseurs ne peuvent pas faire confiance Ă  leurs subordonnĂ©s pour faire leur travail, et ils ont tendance Ă  toujours mettre leur grain de sel.

Ceux qui dĂ©pensent de l’argent ont tendance Ă  avoir de mauvaises pensĂ©es.

Moi — Pour ĂŞtre exact, je travaille avec l’argent des autres. Les seuls qui s’en mordront les doigts en cas d’échec sont les investisseurs. 

C’est pourquoi j’avais pu rester assis et attendre pendant trois ans.

M. Sakayanagi — Tout de mĂŞme. Vous aviez beaucoup Ă  perdre. Un peu comme ces chefs d’entreprise s’endettant auprès des banques. Quelque part, que ce soit l’argent de la banque ou leur argent propre ne change pas Ă©normĂ©ment : les dirigeants sont responsables de l’entreprise, ils sont dans une situation similaire Ă  la vĂ´tre, non ?

Moi — Vous savez toujours encensĂ© les autres, n’est-ce pas ?

M. Sakayanagi — C’est dans ma nature. Il y a toujours du bon chez autrui, et c’est mon travail de le voir.

Je rĂ©pondis sans hĂ©siter que je prenais ces paroles pour des compliments. C’était ce que j’aimais chez lui, cela le rendait facile Ă  contrĂ´ler, et c’était en mĂŞme temps ce que je dĂ©testais.  

Les enfants entrèrent dans la pièce Ă  travers la vitre du miroir magique. Munis chacun d’une plaque indiquant leur chercheur respectif, ils prirent place dans le calme.

Moi — C’est le moment d’avoir une petite conversation !

Il Ă©tait comprĂ©hensible que Sakayanagi, qui n’avait pas d’enfants, semblait relativement perdu.

Moi — Ils commencent Ă  montrer des signes de comprĂ©hension, d’intelligence, d’Ă©go, et mĂŞme une certaine dextĂ©ritĂ© manuelle. Le signe de dĂ©veloppement le plus Ă©vident est l’aspect moteur, qui constitue par exemple le fait de savoir se tenir sur une jambe, de marcher sur la pointe des pieds ou de monter les escaliers avec aisance.

M. Sakayanagi — Ce serait en effet impressionnant. 

Avec un air tendu sur le visage, Sakayanagi regarda les enfants.

 Dr. Tabuchi — Commencez !

À son signal, les enfants retournèrent leurs papiers et prirent leurs stylos.

M. Sakayanagi — Il s’agit d’un… examen scolaire ?

Assis, ils Ă©taient plus concentrĂ©s que des enfants d’Ă©cole primaire qui couraient dans le quartier.

Moi— Sur quoi les enfants sont-ils Ă©valuĂ©s ?

Dr. Tabuchi — Oh, un simple test arithmétique. Le voici.

Je reçus le document que Tabuchi apporta, et Sakayanagi et moi l’examinions pour la première fois. Les problèmes allaient de l’addition et de la soustraction Ă  la multiplication et Ă  la division.

M. Sakayanagi — C’est le genre de problèmes sur lesquels les Ă©lèves d’école primaire devraient travailler, non ? Incroyable…

Alors que Sakayanagi était impressionné, Tabuchi répondit calmement.

Dr. Tabuchi — Le monde est vaste. Il y a des enfants considĂ©rĂ©s comme douĂ©s qui peuvent rĂ©soudre des problèmes difficiles. Ce que l’on appelle des « gĂ©nies Â», globalement.

M. Sakayanagi — Mais ce n’est pas le cas de ces enfants, non ?

Dr. Tabuchi — En effet. Ils ne sont pas nés spéciaux. Néanmoins tous les enfants ne montrant aucune anomalie ont acquis la capacité de résoudre des problèmes.

La confusion des enfants face Ă  des problèmes difficiles n’est pas sans rappeler celle des Ă©lèves qui passent des examens d’entrĂ©e. Le premier malaise que je ressentis en observant les trois groupes Ă©tait que ceux d’Ishida et de SĂ´ya Ă©taient si semblables dans leurs attitudes et leurs rĂ©actions Ă  l’examen que je n’aurais Ă  peine pu les distinguer en les mĂ©langeant, alors que le groupe de Suzukake ne bougea pas d’un pouce. Le suivi par camĂ©ra en temps rĂ©el montrait que les rĂ©ponses des enfants n’Ă©taient pas du tout prĂ©cipitĂ©es, au hasard ou autre, mĂŞme si certaines de leurs rĂ©ponses Ă©taient fausses. IndĂ©pendamment du fait que ce soit bon ou mauvais, Ishida et les autres Ă©taient clairement contrariĂ©s.

Dr. SĂ´ya — Quel genre d’Ă©ducation a crĂ©Ă© des enfants si inhumains ?

Les murmures de SĂ´ya Ă©taient ceux d’un chercheur.

Dr. Suzukake — Ma première tâche Ă©tait de faire en sorte que mes enfants dĂ©veloppent un esprit mature. J’ai fait en sorte que mĂŞme s’ils ne parvenaient pas Ă  rĂ©soudre un problème, ils puissent continuer calmement, objectivement et sans panique. J’ai bien sĂ»r puni sans pitiĂ© les enfants qui ne pouvaient pas le faire.

Loin d’avoir la rĂ©action d’enfants, ils Ă©taient comme des robots sans Ă©motion.

Dr. SĂ´ya — Tu en es venu au châtiment corporel avec des enfants de 3 ans ?

Dr. Suzukake — Non, ça date de quand ils Ă©taient nouveau-nĂ©s. Et je ne veux pas que tu appelles ça ainsi, SĂ´ya. C’est mon enseignement.

En entendant ces mots, Sakayanagi semblait plus mal Ă  l’aise qu’autre chose. Le pourcentage global de rĂ©ponses correctes du groupe de Suzukake Ă©tait clairement plus Ă©levĂ© que celui des deux autres. Encore fallait-il que d’autres paramètres suivent.

Dr. Suzukake — La concentration de ces enfants est proche de celle des adultes. Ils sont tellement absorbés par leur travail que si vous les interpellez à proximité, ils risquent de ne pas vous remarquer tout de suite.

Après avoir bien cernĂ© les capacitĂ©s scolaires de presque tous les participants, Suzukake fit jouer de la musique dans la salle. Le bruit fit que les enfants dans la salle s’arrĂŞtèrent et commencèrent Ă  regarder autour d’eux, mais ces derniers se replongèrent aussitĂ´t sur leur copie.

Dr. Ishida — Comment est-ce possible ?

Ishida fut Ă©galement surpris par la performance de Suzukake.

Dr. Suzukake — L’éducation. Les enfants ont peur d’ĂŞtre punis, de diffĂ©rentes manières. Douleur physique, douleur mentale, tout ce que vous jugez efficace… Poussez-les dans leurs retranchements, au sens propre du terme. D’ailleurs, nous le faisons en ce moment-mĂŞme.

M. Sakayanagi — Avec tout le respect que je vous dois, c’est incontestablement un châtiment corporel. Les capacitĂ©s que vous gagnez en faisant ça n’ont aucun sens. Je ne pense pas que votre politique Ă©ducative soit la bonne.

Objectivement, cela avait bien sûr l’air scandaleux. Pas étonnant que Sakayanagi fut contrarié.

M. Sakayanagi — Je n’ai pas le droit d’intervenir, mais vous ne devez pas approuver la façon de faire de Suzukake-san.

Moi — Je suis dĂ©solĂ©, Sakayanagi, mais je ne veux pas de l’opinion d’un Ă©tranger. Veuillez-vous taire.

M. Sakayanagi — Mais… L’Ă©ducation d’Ishida-san et de SĂ´ya-san est dĂ©jĂ  exceptionnelle.

Certes, les groupes d’Ishida et de SĂ´ya avaient l’air plus « humains Â». Mais allaient-ils ĂŞtre des gĂ©nies ? Ă€ supposer qu’ils aient certaines capacitĂ©s en grandissant, il n’était pas sĂ»r de pouvoir rivaliser avec des personnes naturellement douĂ©es ou de devenir des gĂ©nies dans un ou plusieurs domaines. L’Ă©ducation de Suzukake semblait comporter un gros risque pour une grosse rĂ©compense. 

Moi — Je ne me soucie que des rĂ©sultats. Le reste m’importe peu.  

Dr. Suzukake — C’est exactement pour cela que j’ai dĂ©cidĂ© de travailler pour vous. Car vous m’avez rĂ©ellement laissĂ© carte blanche. Vous m’avez dit ne vous soucier que des rĂ©sultats !

Contrairement Ă  Sakayanagi, qui avait exprimĂ© son dĂ©goĂ»t, Ishida et SĂ´ya voyaient ça d’un autre Ĺ“il. Ils n’avaient pas dit n’avoir aucune compassion pour les enfants, mais leurs recherches passaient avant tout. Ils regardaient les enfants que Suzukake avait Ă©duquĂ©s avec des Ă©tincelles dans les yeux. Après les tests acadĂ©miques, l’Ă©tape suivante consistait Ă  vĂ©rifier leur dĂ©veloppement moteur.

Dr. Tabuchi — Les trois ont des philosophies Ă©ducatives très diffĂ©rentes, je leur ai donc demandĂ© d’exprimer les capacitĂ©s acquises individuellement, contrairement Ă  l’aspect acadĂ©mique oĂą j’ai standardisĂ© les mĂ©thodes de test.

Les enfants qu’Ishida Ă©duquait utilisaient avec dextĂ©ritĂ© leurs petites mains pour rĂ©aliser des travaux manuels. Les Ă©lèves de SĂ´ya montraient du mouvement avec des barres et la jungle gym. Mais, encore une fois, les enfants de Suzukake Ă©taient les plus Ă©tonnants : non seulement ils avaient dĂ©veloppĂ© de la dextĂ©ritĂ© et de l’agilitĂ© physique, mais ils avaient acquis tout un panel de compĂ©tences telles que jouer du piano, notamment.

Sakayanagi — C’est un enfant de 3 ans qui joue… Incroyable.

Bien sĂ»r, il Ă©tait Ă©vident que leurs compĂ©tences Ă©taient loin d’ĂŞtre professionnelles. Mais ils jouaient dĂ©jĂ  mieux que l’adulte moyen.

Moi — Combien de choses leur as-tu appris en seulement trois ans, Suzukake…san… ?

Dr. Suzukake — Ma mĂ©thode d’Ă©ducation est bien supĂ©rieure Ă  la capacitĂ© d’apprentissage de la personne moyenne. Si tu n’as pas le talent d’apprendre en peu de temps, tu seras puni indĂ©finiment. Le cerveau n’aime naturellement pas ça et oblige l’enfant Ă  mĂ»rir tĂ´t. Les personnes dont le cerveau est aussi petit que le leur ont un potentiel illimitĂ©.

Et ceci en seulement trois ans de formation. Que pouvions-nous espĂ©rer en cinq ans, dix ans voire vingt ans ? Moi-mĂŞme j’avais la chair de poule devant ces rĂ©sultats. Dans l’ensemble, le groupe Ă©duquĂ© par Suzukake Ă©tait de loin le meilleur. Ceci sous le regard d’Ishida et SĂ´ya, ne cachant mĂŞme plus leur frustration.

Moi — Tu t’es bien dĂ©brouillĂ©. Tu as montrĂ© ce dont tu es capable.

Dr. Suzukake — Merci. Cependant, je ne pense pas qu’il y ait de si grande diffĂ©rence entre eux et moi. Je suis plutĂ´t impressionnĂ© par leurs rĂ©sultats avec des mĂ©thodes plus « conventionnelles Â», si j’ose dire.

Moi — Tu fais aussi l’Ă©loge des gens, Suzukake.

Dr. Suzukake — Les faits sont les faits. Et comme vous pouvez le voir, il y a une chose qui manque indiscutablement à mes enfants.

Moi — Les émotions, n’est-ce pas ?

Dr. Suzukake — Oui. Ishida-san et SĂ´ya-san ont nourri leurs enfants d’Ă©motions humaines. Quant Ă  moi, je me disais qu’effacer les capacitĂ©s sociales pouvait m’aider Ă  Ă©lever le niveau du potentiel humain.

Seuls les corps et les cerveaux étaient évalués. Pour Suzukake, la victoire était déjà acquise depuis le début.

Dr. Suzukake — Si vous me placez en tant que leader, honnêtement, il y a un risque que la première génération développe de sérieux troubles de la personnalité. Mais, en échange, elles seront certainement les plus exceptionnelles du point de vue des aptitudes.

Après trois ans de recherches réelles, Suzukake en était clairement convaincu.

Moi — Ishida et Sôya, que pensez-vous des émotions ?

Dr. Ishida — Certes, ils seront moins humains. Mais… En tant que chercheur, j’aimerais voir l’être humain le plus fort. Celui développé par vous, Suzukake-shi[2].

SĂ´ya hocha la tĂŞte en signe d’accord.  Avec Suzukake comme chef de file, nous pouvions commencer Ă  travailler sur le programme de la deuxième gĂ©nĂ©ration.

Moi — Vous serez donc en charge du programme de la deuxième génération et du type de formation que nous adopterons.

Dr. Suzukake — Je vous remercie.

Suzukake s’inclina profondĂ©ment et serra la main d’Ishida et des autres.

M. Sakayanagi — Je suis…

Sakayanagi Ă©tait sur le point de partir.

Moi — Je sais que vous n’aimez pas ça. Mais c’est aussi une forme d’Ă©ducation.

Sakayanagi quitta la pièce sans se retourner. Refusant ces quelques enfants sacrifiĂ©s sur l’autel de la recherche. Mais n’était-ce pas un maigre prix Ă  payer quand le rĂ©sultat final Ă©tait l’être humain parfait ? L’objectif Ă©tait de former cent personnes et de rendre cent personnes parfaites. C’était la White Room.

Pour atteindre ce but, avoir quelqu’un comme Suzukake, qui n’avait aucune limite, Ă©tait rassurant. D’autant qu’il Ă©tait soutenu par des personnes dotĂ©es d’un certain bon sens comme Ishida et les autres. Et puis plusieurs Ă©ducateurs n’allaient pas ĂŞtre de trop pour empĂŞcher les fugues notamment.

Il n’y avait plus aucune question à se poser. Désormais, mon travail était d’empêcher que cela ne s’ébruite. L’objectif était de préserver ce cadre sécurisé pour permettre à ces gens de faire leurs recherches de manière totalement décomplexée.

3

Une heure plus tard, je m’assis avec Sakayanagi.

Comment les rĂ©sultats avaient-ils Ă©tĂ© perçus par une personne extĂ©rieure Ă  la White Room ? C’Ă©tait une occasion unique de le dĂ©couvrir.

Moi — Laissez-moi encore une fois vous demander votre avis. Bien sûr, sans retenue.

M. Sakayanagi — Vraiment ? Je n’ai pas arrĂŞtĂ© d’y penser.

La raison d’ĂŞtre de la White Room, son utilitĂ©… Je me demandais si Sakayanagi avait pu ressentir ça du premier coup d’œil.

M. Sakayanagi — Les enfants que j’ai vus aujourd’hui sont exceptionnels pour leur âge. En particulier les enfants Ă©duquĂ©s par Suzukake-san, bien que les groupes d’Ishida-san et de SĂ´ya-san soient probablement meilleurs que 90% des enfants de ce monde.

Du Sakayanagi tout craché, avec des louages.

M. Sakayanagi — Il n’est pas facile d’amener un enfant Ă  ce niveau, mĂŞme un enfant venant d’un milieu aisĂ© frĂ©quentant les meilleurs milieux.

Moi — Et vous ne pensez pas, grâce Ă  cette mĂ©thode, que ces enfants pourront rivaliser avec les 10% restants ?

M. Sakayanagi — N’est-ce pas ce que vous, AyanokĂ´ji-sensei, avez vous-mĂŞme expĂ©rimentĂ© ?

Moi — …

Il était quasiment prouvé que ces enfants d’à peine trois ans avaient une intelligence et des capacités physiques plus développées que la moyenne des enfants. Des résultats avaient été obtenus. Cependant, j’avais le sentiment que ces prouesses n’allaient pas suffire à dissiper le scepticisme des gens. Alors que, selon moi, ces enfants étaient au moins aussi bons que des surdoués de 3 ans, si ce n’était meilleurs. Pas besoin d’attendre leurs 4 ou 5 ans pour s’en rendre compte.

M. Sakayanagi — Je veux dire, l’objectif était de donner à des enfants risquant de ne pas recevoir d’éducation toutes les clés pour s’intégrer dans notre société. Je trouvais les premières approches déjà suffisantes.

Tel Ă©tait le point de vue de Sakayanagi, qui n’avait aucune idĂ©e de ce Ă  quoi ressemblait rĂ©ellement la White Room.

M. Sakayanagi — C’est pourquoi j’Ă©tais un peu inquiet au sujet de Suzukake-san en tant que leader. Les Ă©motions sont essentielles, comment exister sans elles ? Si vous pouvez me prouver le contraire, je n’hĂ©siterai pas Ă  continuer de vous soutenir.

Moi — Je vois. Je savais que vous diriez cela. Mais pensez-vous vraiment que cela va convaincre les investisseurs actuels et ceux du monde des affaires que vous n’avez pas encore rencontrĂ©s ? Tout le monde ne pense pas seulement aux enfants comme vous le faites. Il y a de gros intĂ©rĂŞts en jeu dans la White Room.

M. Sakayanagi — Et vous prĂ©tendez qu’une Ă©ducation plus rigoureuse convaincrait ces gens ?

Moi — En effet. N’importe qui ayant les moyens peut s’entourer de professeurs diplĂ´mĂ©s des plus grandes universitĂ©s ou d’anciens athlètes de haut niveau pour l’entrainement sportif. En procĂ©dant ainsi, ils peuvent en effet amĂ©liorer les capacitĂ©s de leurs enfants dans une certaine mesure, pour en faire de très bons Ă©tudiants. Mais qu’apporterait de plus la White Room, alors ?

Qui investirait des dizaines ou des centaines de millions lĂ -dedans ?

Moi — Il nous faut quelque chose de vraiment exceptionnel. Quelque chose permettant de propulser des cerveaux au-delĂ  du Japon et, avec une force physique et mentale, d’affronter le monde dans les universitĂ©s les plus prestigieuses de la planète. C’est le genre de pouvoir dont nous avons besoin dans la White Room.

M. Sakayanagi — N’est-ce pas un peu excessif ? Les enfants qui n’ont pas de parents ou qui ont Ă©tĂ© abandonnĂ©s ne recherchent pas un tel pouvoir. Il suffit de leur donner la capacitĂ© de vivre et de s’adapter Ă  la sociĂ©tĂ©.

Moi — Je comprends ce que vous voulez dire. Croyez-le, malgré ce que j’ai pu dire plus tôt, votre opinion m’est précieuse.

M. Sakayanagi —…AyanokĂ´ji-sensei, ce que vous m’avez dit au dĂ©but…

Moi — C’était vrai, bien Ă©videmment. Les enfants dĂ©favorisĂ©s font partie de mon plan.  

Sakayanagi, me regardant d’un air dubitatif, baissa la tĂŞte en s’excusant.

M. Sakayanagi — …Alors je n’ai plus rien Ă  vous dire. Je vous exhorte Ă  donner Ă  vos Ă©lèves une Ă©ducation pleine d’amour qui les place au premier plan. Si vous le faites, le jour oĂą le peuple reconnaĂ®tra la White Room viendra.

Sur ces mots, Sakayanagi quitta le bureau, mais il ne semblait pas convaincu

Moi — Sakayanagi, la naïveté est un vilain défaut.

Le monde n’est pas si doux pour accepter un tel idĂ©alisme. Nous ne voulions pas un bon rĂ©sultat, mais le meilleur rĂ©sultat. D’ailleurs je considĂ©rais que cela n’était pas encore assez, il nous fallait plus pour impressionner de futurs investisseurs. Nous avions besoin d’un facteur dĂ©cisif. Mais imposer dès maintenant une Ă©ducation plus rigoureuse Ă  nos Ă©lèves n’allait pas produire de rĂ©sultats immĂ©diats. Trois ans… Non, il allait falloir cinq ans… au moins ça. D’ici-lĂ , il allait nous falloir temporiser. Mais comment ? Comment amener le monde des affaires Ă  investir plus d’argent en peu de temps ?  Cette White Room pouvait changer le monde, et je voulais que mes mots transcrivent le poids de ce changement.

Le poids…

Moi — Je vois.

Je me souviens de ce que Naoe-sensei disait. « Sans sacrifice de soi, il n’y a pas de vĂ©ritable succès Â». Quel que soit l’enthousiasme avec lequel je parle de quelque chose, mes paroles n’allaient jamais avoir le poids espĂ©rĂ©. Pourquoi ? Car la White Room Ă©duquait les autres, je ne me mouillais pas.

En fait, je devais ĂŞtre capable de montrer que je pouvais sans crainte confier mon propre enfant Ă  la White Room. Il n’y a qu’une seule chose que je devais faire pour y parvenir.

Je pris mon tĂ©lĂ©phone portable et j’appelai quelqu’un.

Moi — Allô ?

L’interlocuteur, qui devait encore dormir, rĂ©pondit au tĂ©lĂ©phone en somnolant.

Moi — J’ai une faveur Ă  te demander.

4

Une lumière rouge brilla dans l’obscuritĂ©, suivie immĂ©diatement d’un panache de fumĂ©e. J’ai vis une silhouette Ă©merger du coucher de soleil et je m’assis.

Moi — Je suis dĂ©solĂ©. Je t’ai rĂ©veillĂ©e ?

Mika — Rhoo, ne t’inquiète pas. Allez, il est temps de rentrer !

Je pensais partir à 23h, mais le programme avait légèrement changé.

Mika — Une journĂ©e chargĂ©e de politicien, comme d’habitude ? Je n’arrive pas Ă  croire qu’ils te font trimer comme ça !

Moi — C’est plus facile de se dĂ©placer la nuit que le jour.

La marque des cigarettes de Mika changeait Ă  chaque fois que je la voyais. C’Ă©tait sa façon habituelle de montrer qu’elle Ă©tait amoureuse de chaque homme qu’elle rencontrait pour ses affaires.

Moi — Combien de temps vas-tu continuer à faire ce travail ?

Mika — Eh bien, ça ne peut pas durer Ă©ternellement… J’ai pris un peu d’âge depuis que je t’ai rencontrĂ©, Atsuomi.

Les femmes sont désirées pour leur fraîcheur. Au fil du temps, année après année, elles deviennent pourries. Le monde a tendance à ne pas le reconnaître, et en fait, déteste le reconnaître, mais seuls ceux qui le comprennent réussiront. Non seulement car ils utilisent leur fraîcheur comme une arme, mais aussi car ils peuvent actionner une autre corde.

Moi — Je pense que tu devrais te retirer.

Mika — Je suis un peu surprise d’entendre ça de toi, Atsuomi.

Après un sourire amusé, Mika se leva de son lit, encore toute habillée.

Mika — Enfin, figure-toi que moi aussi je me disais qu’il Ă©tait temps pour moi de passer Ă  autre chose. Mais j’ai du mal Ă  me projeter. Je ne me vois pas Ă©pouser quelqu’un et avoir une famille heureuse.

Je ne me vois pas avoir des enfants, me faire des amies mamans, ou envoyer mes enfants Ă  l’Ă©cole primaire… Je ne peux pas m’empĂŞcher de me trouver ridicule en y pensant.

Moi — Je pense que tu en es capable.

Mika — Je ne sais pas. Je suis rarement apprĂ©ciĂ©e par les gens de mon propre sexe. Je pourrais avoir plus de mal que tu ne le penses. Mais… Je pense que je vais sauter le pas. Tu m’as fait gagner beaucoup d’argent, et tu m’as permis de rĂŞver.

La richesse de Mika devait être suffisante pour vivre une vie décente. Mais cette femme avait eu son argent à un jeune âge, et elle devait avoir peur de baisser son niveau de vie.

Moi — Pour finir, je voudrais te confier un gros travail.

Mika —…Ah oui ?

Je sortis un certificat de mariage et le posai sur la table.

Mika — Hein ? Qu’est-ce que c’est ?

Moi — Je veux que tu m’Ă©pouses.

Mika — Tu te moques de moi ?

Moi — Bien sûr, je ne plaisante pas.

Mika — Atsuomi…

Mika s’approcha, les yeux lĂ©gèrement larmoyants… De rire

Mika — Qu’est-ce que tu veux ? Tu n’es pas le genre de gars qui me choisirait, n’est-ce pas ?

Moi — Ne me vois-tu pas comme un homme qui veut s’unir Ă  la femme qu’il aime ?

Mika — Pas du tout !

Moi — C’est vrai. C’est un mariage très diffĂ©rent de celui que tu imagines, quelque chose d’exceptionnel.

J’avais un projet Ă  concrĂ©tiser, et il me fallait quelqu’un comme elle pour y parvenir !

Mika — Qu’est-ce que tu veux dire ?

Moi — Tu serais la clé de mon énigme actuelle.

Mika — Explique-moi ça d’une manière que je puisse comprendre.

Moi — Un enfant. Un enfant de ma propre chair et de mon propre sang. Ce sera une étape importante dans mon ascension vers le pouvoir.

Mika était décontenancée, mais comprit vite où je voulais en venir.

Mika — Tu voudrais… Qu’on ait un bĂ©bĂ© ?

Moi — Oui. Bien sûr, je te paierai assez pour que ça en vaille la peine.

Mika — Attends une minute. Pourquoi moi ? Il y a plein de femmes prêtes à avoir un bébé si elles sont assez bien payées.

Moi — En effet, foncièrement beaucoup accepteraient. Mais tu es pratique Ă  bien des Ă©gards. Tout d’abord, tu as quelques contacts dans le monde des affaires et tu es une bonne menteuse. L’aspect important est la capacitĂ© Ă  jouer la comĂ©die. Si les gens dĂ©couvrent qu’une femme inconnue a donnĂ© naissance Ă  mon enfant, cela n’aura aucune importance. Tu dois aussi jouer la bonne Ă©pouse.

Mika — J’ai compris… Mais pour combien de temps ? Combien de temps vas-tu me faire jouer ce rĂ´le ?

Moi — Ne t’en fais pas. J’annoncerai la grossesse et organiserai la cĂ©rĂ©monie le moment venu. Je te laisserai partir dès qu’on aura le bĂ©bĂ©.

Elle comprit, mais n’arrivait toujours pas Ă  se faire une idĂ©e de la situation.

Moi — Il y a une raison supplémentaire pour laquelle je t’ai choisie. Tes origines sont clairement inférieures sur l’échelle sociale. Ta mère est une femme sans éducation travaillant dans le domaine du mizu-shôbai[3]. Tout comme ta sœur. Une famille de débauche, sans valeur.

Mika — Woah, tu es dur. M’enfin, je ne peux pas te donner tort.

Un enfant supĂ©rieur Ă  ses parents Ă©tait un diamant brut.  

Moi — C’est mon travail de polir une pierre plate sur le bord de la route pour qu’elle brille comme une pierre prĂ©cieuse. Je l’affinerai pour que cette simple pierre ait plus de valeur qu’un diamant.

Mika — Je vois…

Moi — Il n’est jamais aisé de tromper tout le monde autour de soi. J’aurais pu faire appel à une mère porteuse incompétente, mais tout le monde aurait flairé l’inauthenticité de notre relation. En particulier les hommes d’affaires, qui ont un flair très développé.

Avoir un enfant ne faisait pas tout, il fallait le faire de façon appropriĂ©e. Ă€ cet Ă©gard, Mika aurait probablement Ă©tĂ© un choix naturel pour quiconque en lien avec le projet. 

Moi — Je te laisse le choix de comment on va s’y prendre. Idéalement, il nous faudrait en avoir un dans un délai d’un an à un an et demi.

En plaçant mon enfant dans la White Room, je consolidais encore plus l’existence de celle-ci. C’était un plan révolutionnaire.


[1] Signifie véhicule léger. Ce sont de petites voitures vendues au Japon bénéficiant d’avantages variés, notamment au niveau taxe et assurance.

[2] Honorifique peu courant, gĂ©nĂ©ralement utilisĂ© dans les milieux d’affaires.

[3] Milieux nocturnes comportant des femmes servant de l’alcool ou ayant des rapports tarifés avec des clients.

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